Célia coince le téléphone portable entre son menton et son épaule. Il glisse, parce que personne ne sait faire ça dans la vraie vie et certainement pas elle. Alors elle le met en haut parleur et le pose sur le dessus de son panier à linge.

-Franchement c'était génial. Tu devrais aller le voir !
- Pas demain, y'a une soirée chez Max.
- J'avais aperçu ça, oui. Je suis invitée, ou bien je suis condamnée à réviser un jeudi soir ?
- Jamais je te ferai subir une chose pareille, rit Marion, mets tes plus beaux atours et viens chez moi, on partira ensemble !

D'un point de vue logistiquo-écologico-économique, ce n'est pas la meilleure solution, mais ça leur gagne du temps, c'est une habitude ; et de toutes façons, Célia n'a formulé cette pensée que pour le cumul étrange des trois mots. Elle aime bien les mots, mais surtout, elle aime les phrases, celles qui claquent et qui sonnent juste.
Au collège, Marion et elle inventaient des répliques entières en langage soutenu pour écouler leur rage contre les profs. Ensuite elles se sont perdues de vue, retrouver à la fac. Un peu changées, semblables au fond. À moins que ce ne soit l'inverse.
La conversation se poursuit, Célia étendant son linge, jusqu'à ce qu'un marteau piqueur, en bas, ne la force à couper court et raccrocher, incapable d'entendre son amie.
Elle révise ensuite, un casque sur les oreilles, se baignant dans la délicatesse du clavecin bien tempéré de Bach, puis dans la trompette de Chet Baker. Sans s'y noyer totalement toutefois, alors qu'elle apprend de fastidieuses informations techniques sur la prise de son. Intéressant en soi, mais compliqué à retenir.
La fin de son après midi s'écoule, et bientôt il est l'heure de retirer son jean tâché de feutre coloré pour un plus neutre, et de mettre un tee-shirt plus acceptable que celui qui lui sert de pyjama.
Elle choisit un tee shirt portant la phrase "le C.O.D, après le verbe tu devras mettre", avec un dessin de maître Yoda dans le dos. Il est relativement neutre et a surtout le mérite de ne pas être suspendu à un fil à linge.
Elle rejoint Marion chez elle, qui rit en voyant son haut. Célia n'a pratiquement jamais rien d'écrit sur ses vêtements. Lorsque c'est le cas, c'est toujours porteur de sens. Elle repousse ses taquineries en riant et les deux filles partent finalement en retard, mais dotées de deux litres d'ice tea (destinés à finir dans de la tequila, mais Célia compte bien se battre contre ce destin. L'ice tea ne mérite pas une chose pareille).

La soirée se déroule tranquillement, avec ce qui faut d'animation pour que ce soit vraiment plaisant. Contrairement à d'habitude, il n'y a pas que des gens de leur cercle habituel, mais aussi quelques personnes qu'elle ne connait pas, nouveaux camarades d'Alex, de ce qu'elle a compris. Ils ont l'air sympa et ouverts, constate-t-elle.
Elle chante, assise sur une table, interrompue par Clément qui fait une roulade arrière près d'elle, la faisant rire aux éclats. Elle n'est pas vraiment alcoolisée, juste un soupçon pour la détendre, mais pas assez pour qu'elle perde son équilibre, par exemple.
Un gars lui demande la bouteille d'ice tea, posée derrière elle. Elle lui passe, soupirant lorsqu'il y verse de l'alcool. Quel gâchis. Il se marre et explique :

- Les gars disent que j'ai pas assez d'alcool dans le sang pour comprendre le sens profond de leur discussion.
- Vraiment ? Elle rit. Typique.

Il a des cheveux châtain, assez quelconques, et porte un tee-shirt "brainy's the new sexy". Elle sourit, appreciative. Une part d'elle se demande si c'est une référence à la série Sherlock. Elle ne pose pas la question. Ils restent l'un en face de l'autre, lui avec son verre de Tequila-Ice-Tea, elle assise sur sa table. Ensuite ils passent du Caravane Palace, et c'est une chanson qu'elle adore, alors elle saute du meuble et va rejoindre le groupe joyeusement déjanté qui danse déjà. Au fur et à mesure que la fatigue et le taux d'alcolémie monte, certains d'entre eux vont se coucher dans une chambre ou une autre.

Ceux qui restent finissent la soirée devant Harry Potter, elle récite les dialogues en synchronisation parfaite avec les personnages, et des blagues nulles fusent rapidement à propos du film, qu'ils ne regardent pas vraiment en fait, vu qu'ils sont tous soit alcoolisés soit fatigués, voire les deux, et que tous l'ont déjà vu plusieurs fois. Elle s'endort pendant le deuxième film, pour être réveillée une heure plus tard par son amie. Au vu de l'heure tardive, elles décident de rentrer, saluant rapidement à ceux qui ne dorment pas, dont le garçon au tee-shirt sympa, qui lui fait la bise, comme d'ailleurs la majorité du groupe. Tous ont l'air crevé, et ils ne commenceront probablement pas le troisième film.

Quand elle s'endort finalement, elle ne repense plus à lui, mais a la chanson de Caravan Palace dans la tête.