7. Ça serait différent ?

"Oh my God, fit Charline, qui pour une fois n'avait aucune blague en réserve.

Azaël et Angel s'écartèrent, les joues rougies et les lèvres humides. Ils éclatèrent de rire.

- Ah ouais, donc pour vous, c'est drôle, lança Nolan. Il se leva promptement et s'isola dans la salle de bain, suivi de près par Maël qui enleva brusquement ses jambes des genoux d'Azaël d'un air désapprobateur.

- Oups, fit le jumeaux diabolique. Je vais aller m'excuser, rajouta-t-il en se levant à son tour, chancelant. 

De toute évidence, il était bourré et ne prenait pas la situation au sérieux. Alors, Elisa le stoppa :

- Laisse les tranquilles, t'en as assez fait.

Cléo ne pouvait qu'approuver : il adorait son ami, mais ce dernier ne posait jamais aucune limite sur ses faits et gestes, et ne pensais aux conséquences qu'après avoir commis l'action. Parfois, cela était amusant, donnant lieu à des situations hilarantes ; mais parfois, cela blessait, tout juste comme il venait de le faire. Abraham, qui le connaissait mieux que personne, était le plus à même de lui dire ses quatre vérités :

- Mec j'avoue t'as abusé là. Flirter toute la soirée avec Maël puis chopper Angel... ? Ça se fait pas.

- Les gars, c'est une soirée c'est bon. Je suis pas en couple avec Maël, je lui doit rien et...

- Non non, tu sais très bien qu'il est sur toi depuis longtemps, et t'en profite trop !" S'exclama son jumeaux.

Le ton commençait à monter : le reste du groupe jugea alors qu'il valait mieux les laisser entre eux et s'éclipsèrent dans le couloir. Cléo se sentait tout drôle. Maintenant que la tension était présente, il ne pouvait que se sentir mal vis à vis de la situation. Mais d'un autre côté, il ne pouvait s'empêcher de penser que le baiser entre les deux l'avait... fasciné ? Si jusque là le défi lui avait jusque là paru un peu lointain, juste comme une blague, voir Angel rouler une pelle très concrètement à un garçon avait rendu les choses plus réelles. Maintenant qu'il était avéré que le nouveau avait un penchant pour les hommes, il ne voyait plus comment éviter de réaliser son défi ; Newton et Abraham ne le lâcheraient plus avec ça. "En y repensant, se dit le blond, c'est vraiment pas cool ce qu'à fait Azaël, Angel est ma cible" .

- Euh, donc... tout le monde est au courant que Maël est en crush sur Azaël ? S'enquit Charline hasardeusement, une fois la bande exilée dans le couloir. Enfin, ceux ne notre groupe oui mais... je savais pas que vous aussi vous le saviez aussi.

- Ben moi à la base, je suis aussi pote avec Maël. Donc oui, répondit Newton.

- Et tu l'as dit à tout le monde ? S'insurgea Elisa.

- Mais pas du tout, se défendit Newton. Je l'ai dit à personne, même pas à Azaël. Mais comment dire que Maël n'est pas très discret et qu'autrement dit, qu'il s'est cramé tout seul.

- Ok ok, pardon. Je suis juste tendue par la situation, désolée.

- T'inquiète..."

Un silence gênant s'abattit dans le couloir. Il y avait Cléo, Newton, Charline, Elisa, Romain et... Angel. Le blond l'observa : l'euphorie du bisous passé, il avait l'air maintenant embarrassé, voire coupable. Et pour preuve : il n'avait pas décroché un mot. Il se mordillait la lèvre et se triturait les mains nerveusement, le regard dans le vide. Il n'avait pas l'air bien du tout, et Cléo voulut le rassurer :

"Angel, l'interpella t-il. 

Le brun releva la tête, les yeux inquiets. Cléo croisa son regard et senti un coup dans sa poitrine. C'était... c'était sûrement le stress du défi ; oui, ça ne pouvait être que ça. Ce n'était pas du tout parce que son regard vide était devenu perçant à la rencontre de ses yeux, non. 

- Ce n'est pas de ta faute, continua t-il sans laisser transparaître son émotion. Azaël est tout le temps comme ça, à draguer, à embrasser, à... décontenancer tout le monde. Et puis, c'est lui qui t'a choppé, pas l'inverse... 

- Ouais, c'est vrai, renchérit Newton. Franchement, t'as pas à t'en vouloir. 

Angel sourit timidement : 

- Mh, merci. Mais j'aurais pu dire non, donc je suis coupable aussi. Et puis j'avais parlé avec Nolan avant, je connaissais la situation. 

- Oui mais toi, tu n'as profité de la naïveté de personne, contrairement à votre pote là, accusa Charline. Donc, t'inquiète, tu es officiellement acquitté !"

Tout le monde rit doucement ; Cléo et Newton ne répliquèrent pas, sachant pertinemment que leur ami était indéfendable. La remarque de la jeune fille détendit l'atmosphère. Cléo eu une idée pour relancer l'ambiance : 

"Vous voulez voir un truc de dingue dans ce manoir ? 

Il piqua la curiosité de tout le monde. 

- Bah ouais, grave. On est quand même dans le manoir iconic de la ville, il faut en profiter, répondit Elisa. 

- Suivez moi alors. 

- Euh, j'espère qu'on est pas encore bons pour marcher 30 minutes, j'ai déjà eu ma dose pour arriver jusqu'ici moi, c'est tellement grand, se plaignit Charline. 

- Comme tu l'as dit Cha', on est à l'air de la technologie...les ascenseurs existent, rétorqua Cléo. 

- Oh."

*

C'était une immense bibliothèque, dans les souterrains du manoir. 

Cléo adorait venir ici depuis qu'il était jeune : avec Abraham, ils  avaient passé des heures à courir entre les étagères, lire, recourir, se cacher, grimper. Il y avait de la pierre, entretenue, qui constituait la base de la pièce ; il y avait des étagères en bois massif, de différents styles car de différentes époques ; il y avait des livres, à foison. C'était un havre de paix, quelque part, cette pièce sombre mais regorgeant des lumières des écrivains, coupée du monde par le silence qui y régnait. 

Cléo se souvint y avoir un jour emmené Maya : ils avaient fait l'amour sur le canapé en velours du fond de la pièce. C'était un des moments les plus intimes qu'ils avaient partagés, au delà de l'acte, parce que cette pièce avait un on ne sait quoi de mystérieux qui invitait à se dévoiler ; dans tous les sens du terme. Ce jour là, il avait aimé Maya plus que jamais.

Une main se posa sur son épaule :

"Merci, c'est magnifique. 

C'était Angel. Il avait les yeux brillants. Il était beau.

- Tu aimes lire ?

- Beaucoup.

Un ange passa. Ils se regardaient, timides et curieux l'un de l'autre. Cléo eu envie de se dévoiler. Il inspira mentalement un grand coup ; oserait-il faire ça ? Oui. Il attrapa la main du brun :

- Viens."

*

"Là, je suis tombé de cette étagère. Je me suis cassé la jambe et Newton s'est évanoui. heureusement qu'Abraham a pu me porter jusqu'à l'ascenseur."

Tandis que les autre s'étaient dispersés ça et là pour explorer, le blond avait fait faire à Angel le tour de la grande pièce, lui montrant chaque élément qui lui rappelait un souvenir. Rien de bien méchant en somme, mais Cléo était un garçon pudique sur sa vie, alors cet élan de courage qu'il avait eu était exceptionnel. Il le faisait pour le défi bien sûr, mais aussi pour lui : il savait qu'il avait un problème concernant ses relations sociales et il voulait se débarrasser de son anxiété presque omniprésente qui lui pourrissait la vie. Il en avait marre de stresser à chaque évènement social, marre de ressasser ses conversations, marre de réfléchir à chacune de ses paroles, marre de s'effacer pour se fondre dans un milieu. 

Cette facette de lui ne transparaissait pas trop au dehors : les gens le prenait juste pour quelqu'un de timide, de réservé, ou même de snob. Il n'était lui même qu'avec ses trois meilleurs amis ; mais ce soir il se sentait bien. Il se sentait bien avec ces nouvelles personnes qui entraient dans sa vie, et il avait envie de devenir sincèrement ami avec eux.

"Tu en as fait des choses dans cette bibliothèque, répondit Angel commentant ses exploits d'enfance.

Cléo rougit en repensant à cette soirée avec Maya.

- Mh, oui. C'est parce que j'ai passé beaucoup de temps ici, depuis que je suis petit. Les parents des jumeaux ne viennent pas vraiment ici, cet endroit est l'œuvre de leur grand mère. Du coup, ils nous laissaient quartier libre pour y jouer.

- J'en déduis que tu es ami avec eux depuis longtemps.

- Depuis toujours. On a grandi ensemble ; c'est l'avantage des petites villes. J'ai connu Newton plus tard, fin collège.

- J'aurais aimé avoir des amis d'enfance. Ça doit être agréable de savoir qu'il y a des gens à qui tu fais confiance depuis toujours, et que ça ne changera pas. 

Angel ne disait pas ça pour se plaindre, il était seulement résolu. Il continua :

- J'ai eu des amis bien sûr... mais pas qui soient restés aussi longtemps.

Cléo observa le jeune homme perdu dans ses pensées. Ses boucles étaient un peu affaissées, elles retombaient joliment sur sa nuque et....

- Tu me mates ?

Le blond faillit sursauter. Angel le scrutait avec malice, et Cléo sentit un coup dans son cœur, encore, à la vue de ses yeux verts pétillants.

- Pourquoi tu as embrassé Azaël ? Demande soudainement le blond.

Le jeune homme en face de lui esquissa un sourire :

- Ok je vois, tu détournes la question...

Cléo se sentit rougir.

 - Pour te répondre, Azaël me plaît, tout simplement. Il est beau, il est sympa, il est sexy ; je te demanderai même : qui n'a pas envie de l'embrasser ?

- Euh, moi.

- Oui, mais toi c'est ton ami d'enfance. Et en plus, tu aimes les femmes, je me trompe ?

Il aimait les femmes ? Oui. Mais que devait-il répondre ? Il y avait le défi tout de même.

- Je me trompe ? Insista Angel.

Cependant, Cléo n'avait jamais été vraiment adepte du mensonge.

- Ouais, non, tu te trompe pas, souffla le blond.

- J'ai vu cette fille au self, qui voulait discuter avec toi. C'était ton ex ?

- C'était... hum...

Cléo bloquait. Parler de ses anecdotes d'enfance, oui, il pouvait le faire. Parler de son premier amour, donc la plaie n'était pas totalement guérie ? Plus compliqué. Il n'y avait que Newton qui connaissait les moindres détails de l'histoire, il n'y avait qu'à lui que Cléo pouvait ouvrir son cœur de cette manière. En soi ce n'était pas grand chose, juste une histoire de lycéens, mais pour le blond c'était déjà trop. Alors, il se contenta de répondre :

- En quelque sorte.

Angel n'insista pas. Il devait bien voir le malaise de Cléo, et ce dernier l'en remercia intérieurement.

- Tu sais, tu as le droit de me mater et d'être totalement hétéro, lança son interlocuteur, sûrement pour changer de sujet. 

- Je ne te... 

- La beauté n'a pas de sexualité, continua l'autre imperturbable. Si je te dis qu'à chaque fois qu'on se parle, je suis absorbé par la beauté de tes yeux, ça ne veut pas dire que j'ai envie de toi.

Un coup très fort, c'est ce que le cœur de Cléo subit à l'instant où Angel prononça cette phrase. "Absorbé par la beauté de tes yeux" ; "je n'ai pas envie de toi" : c'est tout ce qu'il retenu.

- Tu n'as pas envie de moi ?

Angel éclata de rire. Son rire était doux.

- Sans vouloir te décevoir, j'avais ma langue dans la bouche d'Azaël il y a quelques minutes. Et puis, je ne donne pas dans les hétéros curieux.

Donc, il ne s'intéressait vraiment pas à lui.

Cléo avait eu l'impression qu'Angel était à lui  juste à cause du défi qui l'avait désigné comme sa cible, mais ce retour à la réalité lui fit prendre conscience que le nouveau n'en avait probablement rien à faire de lui.  Après tout c'était normal : la seule fois où ils s'étaient vraiment parlé, ça avait été un épisode plutôt catastrophique pour Cléo."Je suis déçu ?" Se demanda-t-il. Oui, mais seulement pour le défi. Seulement pour ça, et pas parce qu'Angel avait la beauté d'un tableau vivant, pas parce qu'Angel le regardait avec ses yeux si singuliers, pas parce qu'il se mordillait la lèvre, là, à l'instant où il parlaient. 

"Et puis merde", se dit Cléo. Il se sentait pousser des ailes dans cet endroit, il se sentait plus audacieux que jamais ; alors il lança :

- Et si j'aimais les garçons, ça serait différent ?" 




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