35. Je t'ai cherché

Les draps étaient doux, ils sentaient le propre avec une touche d'odeur familière. Angel se tourna et écrasa sa tête contre un oreiller bien mou. Une odeur de pain grillé lui parvint aux narines. Impossible qu'il soit dans sa misérable chambre étudiante. Mais alors, ou était-il ?

Il se revit enlacer Cléo. Il sourit. Il se revit le réconforter pendant un long moment, puis sortir de la salle de bain main dans la main. Il se revit passer dans le salon, sous les regards intrigués des autres étudiants. Il se revit apercevoir Auguste en compagnie d'une jeune fille, qui lui fit un pouce en l'air en signe d'autorisation pour partir sans lui. Il se revit enfourcher sa moto en disant à Cléo de s'accrocher derrière, tout en entrant dans le gps une adresse inconnue.

Il se revit arriver chez Cléo. Il était chez Cléo. Oh my god. Cette pensée le fit soudain sentir timide et il rougit seul contre l'oreiller.

Ils étaient rentrés, s'étaient douchés et s'étaient couchés. Ils n'avaient pas dit grand chose ; mais peut-être que c e n'était pas le moment non plus, après tout Cléo s'était fait attaquer par un connard.

Ils avaient dormi enlacés.

Comme dans un film, Angel tapota sur la place à côté de lui dans le lit, pour la trouver vide. Mais la bonne odeur de petit déjeuner lui chuchotait que le blond avait déserté pour une très bonne raison. Alors il ouvrit doucement les yeux et se redressa. Dans le noir, il n'avait pas bien vu à quoi ressemblait l'appartement de Cléo. Ce qu'il vit le fit sourire car c'était tout lui : un studio plein de charme, avec du parquet et une partie du mur en pierre. Le soleil émanait d'un velux central immense qui inondait la pièce de lumière. Il y avait des plantes, beaucoup de plantes. Le côté cuisine semblait être séparé du coin chambre par une petite alcôve. A côté du lit trônait un piano droit avec des partitions en désordre. Les teintes de beige et d'ocre rendaient le tout à la fois simple mais chaleureux. 

Voyant qu'il était levé, Cléo lui offrit un sourire depuis la cuisine, où il s'afférait à disposer des tasses sur la table. Angel se demanda si c'était ça le paradis : Cléo en pyjama, les cheveux en bataille, lui préparant le petit déjeuner.

"Qu'est-il arrivé aux couleurs pastel ? Demanda Angel, se remémorant l'ancienne chambre de Cléo.

Le blond haussa les épaules :

- Toujours chez maman. Mais ici, j'ai grandi.

- C'est très beau, ta déco, s'obligea à préciser Angel, de crainte de l'avoir froissé.

- Merci. Aller, viens manger.

Sur la petite table de la cuisine trônait du pain, du beurre, de la confiture et deux cafés bien chauds. Angel s'assit doucement. Tous ses mouvements étaient calmes, comme si il avait peur de briser quelque chose, une tasse -ou plutôt ce moment à deux qui semblait fragile car les deux garçons savaient pertinemment qu'ils n'avaient pas parlé du plus fâcheux.

- Et donc, tu es en stage avec mon prof ? T'es en droit je suppose ? S'enquit Cléo.

- Mh, ouais. Ça me plaît bien, même si je sais pas encore quel métier faire derrière. Et toi ?

Angel connaissait en réalité la réponse mais il ne pouvait pas avouer à Cléo qu'il le suivait sur les réseaux avec un compte anonyme. La honte.

- Je fais une licence de sociologie pour ensuite sûrement faire un master science de l'éducation en parcours intervention en terrain sensible.

- Wow, c'est précis.

Cléo sourit largement :

- Oui, je sais ce que je veux faire maintenant. J'aimerais reprendre un foyer pour enfants à long terme, ou en créer un, mais bon, faudrait que j'ai l'argent pour.

Angel était impressionné, mais pas étonné. Il se sentit un peu miteux à n'avoir toujours aucune idée de quoi faire.

- Et... les autres ? Osa demander Angel.

- Tout le monde va bien, tout le monde trouva sa route. On se voit moins, mais on essaye de garder contact et on arrive à se voir tous ensemble à certaines occasions.

- Et...

Angel était à court de questions qui lui permettait d'éviter de vraiment parler.

- Angel, ce n'est pas que je ne veux pas te parler des autres, mais je crois qu'il faudrait qu'on arrête de se donner des nouvelles pour éviter un certain sujet.

Cléo avait toujours était le plus mature d'entre eux deux, et le châtain le constatait encore maintenant. Il hocha la tête en guise d'approbation.

- Alors, dis moi, qu'est-ce qu'il s'est passé ce jour là ?

Argh. Angel souffla un bon coup et se mit à raconter. 

*

TW : hôpital psychiatrique, troubles mentaux.

1 an et demi plus tôt.

Il est assis sur une chaise, un homme lui parle mais il n'entend rien. Tout a été très vite. Il a couru, couru, couru, jusqu'à s'effondrer devant sa maison. Il s'est réveillé à l'hôpital. Sa mère lui a dit qu'il a fait une crise d'angoisse mêlée à une crise d'asthme, ce qui l'a envoyé aux urgences. Elle lui a ensuite dit qu'elle l'emmenait voir un docteur dans une clinique spécialisée. Ce qu'elle ne lui a pas dit, c'est que c'est un hôpital psychiatrique.

L'homme lui parle mais il n'entend toujours rien. Il doit voir Cléo, il doit lui dire. Lui dire quoi ? Il ne sait pas. Mais il doit le voir. Il essaye de se lever, mais sa mère lui tient l'épaule fermement. Il la regarde et elle signe :

"Mon chéri s'il te plaît, c'est pour ton bien."

Sa mère a les yeux mouillés de larmes. Il sait qu'elle se retient de ne pas s'effondrer. Il sent une immense vague de culpabilité l'envahir. Encore une fois, il fait du mal à sa mère. Il n'est bon qu'à ça. Alors, il se résigne.

*

TSPT. 

Trouble de stress post-traumatique. 

Angel a toujours cru que ce genre de chose était réservé aux rescapés d'un accident d'avion ou quelque chose comme ça. Mais pourtant, c'est bien ce que le psy vient de lui diagnostiquer. Ça et un trouble dépressif, classique en hôpital psychiatrique. La dépression peut être héréditaire ; il n'a jamais connu son père, décédé d'un AVC peu après sa naissance, mais on lui a dit que ça pouvait venir en partie de lui, et sûrement déclenchée par les évènements vécus.

Dire que Matthias lui a réellement crée un traumatisme lui donne envie de vomir. C'est comme si il était toujours là, au final, toujours près de lui. C'est comme si il avait gagné. Angel pleure, comme tous les jours depuis qu'il est arrivé. Il pleure parce qu'il se sent misérable. Il pleure parce qu'il n'a pas de nouvelles de Cléo, malgré les dizaines de lettres qu'il lui a envoyé. Putain d'hôpital qui interdit les téléphones portables.

Quelqu'un toque à sa chambre :

"On fait une partie de badminton ?"

Auguste est son rayon de soleil dans cet endroit de malheur.

*

Angel est rentré chez lui. Enfin, dans son nouveau chez lui. Sa mère a déménagé dans une autre ville, plus proche de l'hôpital, dans lequel il a encore des rendez-vous bien qu'il n'y soit plus interné. Ce n'est pas plus mal. En plus, il n'habite pas loin de chez Auguste. Ils sont sortis à peu près en même temps ; on leur a dit qu'ils étaient sur la voix de la guérison. La vérité, c'est qu'on ne guérit jamais vraiment. On peut juste essayer d'aller mieux. Et c'est le cas : Angel n'a plus fait de crises d'angoisse, ni de crise de colère. Mais il se sent un peu vide.

Il n'est pas question pour lui de retourner au lycée, alors il fait l'école à la maison. Ses journées sont rythmées de révisions, de lectures, de cuisine, d'écriture et de rendez-vous avec Auguste de temps en temps. Le docteur lui a déconseillé les réseaux sociaux, alors il a acheté un vieux téléphone. Mais il n'a pas pu résister à la curiosité de voir ce qu'étaient devenus ses anciens amis. Alors il s'est crée un compte anonyme via son ordinateur. Il a vu que chacun semblait aller bien. Ça l'a soulagé, quelque part, mais il s'est senti encore plus vide. Il ne fait plus partie de leurs vies.

Il a résisté à l'idée de recontacter Cléo, car il veut respecter sa décision. Puisqu'il ne lui a jamais répondu, il en a déduit qu'il ne voulait pas le voir. Il le comprend, mais ça lui fait mal. Mais Cléo est certainement mieux sans lui, alors il se retient.

*

Angel a eu son bac, il est fier de lui. Auguste aussi. Ils ont fêté ça en s'achetant chacun une deux roues. Ils font souvent des tours ensemble, ils vont à la montagne, près de l'eau, en ville. Ils n'ont pas les mêmes problèmes, mais ils guérissent ensemble.

Auguste dernier a été admis en école hôtelière en section cuisine, une belle revanche contre ses TCA. Angel a été accepté en fac de droit. Il est content, même si il n'est pas vraiment sûr de ce qu'il veut faire. Mais aller à la fac signifie un nouveau départ, alors il accepte ce changement avec joie. En plus, lui et Auguste ont été pris à la même résidence étudiante.

Et alors qu'il pose ses cartons dans sa petite chambre de 12m2, il se demande ce que lui réserve l'avenir.

*

Retour au présent.

Cléo l'avait écouté avec attention, sans sourciller, sans l'interrompre. Les deux garçons s'étaient tenu les mains tout le temps du récit.

"Et maintenant, comment tu vas ? Lui demanda le blond.

Angel sourit :

- Mieux, bien. Je crois que je suis heureux. Finalement, être en hôpital fait aussi relativiser. Par rapport à d'autres personnes, je suis chanceux.

Cléo hocha la tête :

- Je vois, je suis content pour toi. Et je suis désolé pour ce que tu as traversé.

Les deux garçons se regardaient intensément. Ils se tenaient toujours les mains. Le cœur d'Angel battait fort après ce qu'il venait de raconter. Est-ce que Cléo allait à son tour lui donner son point de vue ? Il l'espérait. Car même si il s'était résigné à ce que le blond ait refait sa vie, sans lui, il devait l'entendre de sa bouche pour l'accepter. Pour que lui aussi, il puisse passer à autre chose, enfin.

Un ange passa. Cléo fronça les sourcils, comme confus. Angel appréhendait ce qu'il allait dire.

- Angel..., commença t-il. 

- Oui ? 

- Je dois te dire... je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais je n'ai jamais reçu tes lettres.

Hein ? 

Le châtain accusa la nouvelle comme un choc. Il se dit en premier lieu que le blond lui mentait peut-être pour se déculpabiliser, mais en croisant son regard, il sut que Cléo était plus sincère que jamais.

- Je croyais que c'est toi qui ne voulais plus me voir, continua le blond à voix basse.

Et le monde d'Angel s'effondra, car : tout ce qui s'était passé n'était-il fondé que sur un quiproquo ? Impossible.

- Et moi, je croyais que tu étais mieux sans moi, souffla le châtain de manière presque inaudible.

Cléo le regarda droit dans les yeux : 

- Je t'ai cherché Angel, mais tu avais disparu. Je t'ai appelé, ça n'a pas répondu. Je t'ai inondé de messages. J'ai sonné chez toi, personne n'a ouvert. J'ai essayé de joindre ta mère, sans succès. Je me suis rendu chez toi presque tous les jours, jusqu'à ce que je découvre que vous aviez déménagé, que ton ancienne maison était vide. Tu avais disparu des réseaux sociaux, je n'avais aucune idée de comment te contacter. J'ai... j'ai même cru un moment que tu étais mort, jusqu'à ce que le principal vienne dans notre classe en nous disant que tu avais changé d'établissement scolaire.

Angel sentit son cœur se déchirer à la confession de Cléo. Encore une fois, même si ce n'était pas voulu, il lui avait fait beaucoup de mal. Une larme coula sur sa joue :

- Je suis désolé de t'avoir autant inquiété, chuchota-t-il à demi-mot. Je suis désolé pour tout.

Cléo amena une main à son visage et, doucement, lui essuya ses larmes :

- En même temps, comment pouvais-tu savoir que je n'avais jamais reçu tes lettres ?

C'est vrai ça, comment cela se faisait-il que ses lettres n'est jamais trouvé destinataire ? La culpabilité et la tristesse qui avaient envahi Angel furent alors remplacées par une étrange confusion :

- Je... je sais pas comment ça se fait, je les ai données à ma mère et-

Angel ne put finir sa phrase car la porte du studio s'ouvrit brutalement :

"Surprise mon Cléclé !!"

Les deux garçons émirent un cri de stupéfaction avant de se tourner vers l'entrée pour découvrir Newton et Maya sur le pas de la porte. Les invités surprises se figèrent à leur tour en voyant Angel. Les quatre étudiants se regardèrent béats dans le blanc des yeux.

- What the fuck, finit par lâcher Newton. Qu'est-ce qu'il se passe ici ?"

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