32. Course poursuite
Cléo roula sur le côté, essoufflé. Andréane le regardait avec un sourire satisfait tout en actionnant son briquet :
"Tu t'es surpassé.
Ouais, ils venaient d'avoir une sacrée partie de jambes en l'air. Cléo se contenta d'hocher la tête.
- Je me suis pris la tête avec Tiphaine hier soir, continua son amante, une fois sa cigarette à la bouche.
- Ah ?
Cléo se redressa, prêt à l'écouter. Andréane lui adressa un regard blasé :
- Par rapport à toi évidemment.
- Ah.
Il se sentit gêné. Il n'avait jamais voulu s'imposer entre deux meilleures amies, mais le fait était qu'il s'entendait bien trop -sur le plan physique mais pas que, avec Andréane pour renoncer à leur relation.
- Pourquoi tu as fait ça à Typhaine ? Je me suis toujours demandé, s'enquit-il.
C'est vrai après tout, que gagnait Andréane à se disputer avec sa meilleure amie pour un mec ? La rousse soupira tout en tirant une longue taffe. Cléo grimaça : il n'avait jamais trop aimé la cigarette.
- Ah Cléo... est-ce que tu te rendras un jour compte de l'effet que tu fais ?
Le blond fronça les sourcils. Bon, il savait qu'il n'était pas moche, certes, mais quand même...
Devant l'air circonspect de son amant, Andréane sourit doucement et secoua la tête :
- Laisse tomber. Aller viens, on a cours."
*
Le mois de mars était bien entamé et les giboulées avaient déjà laissé place à un soleil timide qui ne réchauffait rien mais apportait un brin de lumière après une longue période d'hiver. Cléo enfonça ses mains dans ses poches tout de même ; il n'était pas question d'abîmer ses précieux doigts avec le froid. Son nouveau professeur de piano lui avait bien fait comprendre. Depuis qu'il avait joué au gala caritatif de janvier, il avait été comme révélé au monde étudiant en tant que bon musicien inatendu. Cléo ne se trouvait pas si doué que ça, mais recevoir des compliments sur son art n'était pas non plus désagréable. Il avait été rapidement abordé par l'orchestre symphonique semi-professionnel de la fac, ce qui lui rajoutait des heures tard de soir mais dont il ne se plaignait pas.
Il pensait beaucoup plus à Angel depuis qu'il jouait plus régulièrement. Il avait toujours, au fond de lui, l'impression que ce dernier le regardait à chaque fois qu'il posait ses mains sur l'instrument. Depuis la reprise de sa pratique, le blond s'était un peu éloigné d'Andréane. Il remettait la faute sur les horaires peu pratiques des répétitions, mais le fait était que son esprit était ailleurs. Jouer du piano le ramenait au lycée, et le lycée le ramenait à Angel, inévitablement.
Comment être sincère avec une fille quand un garçon court en permanence dans votre tête ?
"Ton café est prêt.
Cléo sursauta, surpris par la personne qui venait d'apparaître à sa droite alors que son allongé vanille à 40 centimes avait fini de couler.
Eloi.
Cléo souffla : c'était une personne dont il se serait bien passé.
- Mh, merci j'avais pas vu", répondit-il sobrement.
Autant rester cordial. Eloi lui adressa un clin d'oeil et lui frôla le bras en partant. Beurk. Ce mec aimait les hommes ne manière non assumée et il avait clairement pris Cléo pour une expérience. Le blond n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi prétentieux : Eloi était persuadé que Cléo était encore à fond sur lui.
Au secours.
Le visage froncé par cette interraction malvenue, Cléo retrouva Andréane sur un banc de l'amphithéâtre Richelieu.
"Toi, tu as croisé Eloi.
Roh, elle le connaissait trop bien.
- Mouais, toujours aussi chiant.
- Laisse tomber, il est frustré.
Andréane connaissait bien le passif de Cléo, sans que ça ne la dérange pour autant. Enfin, elle savait, dans la mesure de ce qu'il lui avait raconté. Angel restait son tabou. Il n'évoquait que vaguement une relation de lycée lorsqu'il parlait de lui, alors que ça avait été tellement, tellement plus que ça. Mais Andréane -et n'importe qui d'autre, n'avait pas besoin de tout savoir. Seul Félix en savait un peu plus, et encore.
- C'est clair nan mais là il m'a frô-
Mais Cléo fut interrompu par une fille juste derrière eux dans l'amphithéâtre.
- Putain, c'est qui ce mec à côté du prof ? Il est incroyable !"
Et les filles à côté d'elle sur le banc approuvèrent avec ferveur, entre commentaires chuchotés et rires etouffés. Cléo et Andréane se jettèrent un regard confus avant de se pencher pour mieux regarder qui étair apparu aux côtés du prof de droit social. Il plissa les yeux pour mieux voir et...
Cléo sentit son coeur s'arrêter.
Angel.
Angel ?
Angel ?!
Angel -ou alors son sosie parfait se trouvait à la droite de monsieur Falguière.
Comment... comment... comment... Cléo ne trouvait pas les mots, même dans sa propre tête, dans laquelle il commençait à y avoir un sacré bordel. Sa conscience ne voulait juste pas concevoir que Angel Améziane se trouvait dans le même amphithéâtre que lui. Il ferma les yeux et les ouvrit, bêtement, comme si son ancien amour allait disparaître instantanément.
Mais il resta bien là, lui et son allure désinvolte, la même qu'il arborrait à la rentrée de terminale. Une main dans la poche de son blouson en cuir, une autre qui triturait ses cheveux, plus courts mais dont les boucles étaient mises en valeurs dans un sorte de dégradé élégant qui sublimait son visage. Un visage qui parraissait d'ailleurs affiné depuis le lycée, plus mature, plus sculpté. Il n'avait plus son piercing à la bouche.
Il était beau, bien plus beau qu'avant alors même que Cléo n'aurait pas cru ça possible.
Merde, merde, merde. Comment réagir ? Cléo avait juste envie de sauter par dessus tous les bancs et le prendre dans ses bras, enfin. Après cette absence insoutenable, depuis sa disparition il y a plus d'un an. Cléo avait même cru un instant qu'il était mort, jusqu'à ce que le proviseur passe dans leur classe pour leur annonçer qu'Angel ne serait plus au lycée pour des raisons personnelles.
Sans blague.
Cléo le détestait d'être parti sans rien dire, il détestait que tous ses messages soient restés sans réponse, il détestait qu'il ose se pointer là, comme si de rien n'était, comme si rien d'important ne s'était passé. Et puis... pourquoi était t-il là en premier lieu ?
"Bonjour à tous, merci d'être présents à ce cours. Je vais commençer par vous présenter Angel, qui est avec moi en stage. Comme vous le savez mon premier travail avant les cours est juriste, mais je lui ai proposé de venir voir à quoi ressemblait une journée de cours."
Voilà ce que monsieur Falguière venait de dire. Cléo trouvait ça tellement surréaliste. Est-ce qu'Angel avait fait exprès juste pour le revoir ? Non. Il chassa bien vite l'idée de sa tête : si il avait voulu le voir, il l'aurait fait.
Qu'est-ce qu'il le détestait...
Oui, vraiment, il le détestait.
Il... avait terriblement envie de passer la main dans ses boucles.
Mince.
Cléo était censé le détester, mais devant lui, là, alors qu'il se tenait près du bureau, il lui fut impossible d'éprouver un quelconque sentiment négatif envers Angel.
Il posa la main sur son cœur qui battait bien trop fort ; et merde, est-ce qu'il l'aimait encore ?
"Cléo ? L'interrompit une voix.
Andréane lui posa la main sur l'épaule pour le sortir de ses pensées.
- Euh, ouais plutôt beau gosse le stagiaire.
C'est tout ce que Cléo trouva à dire. La rousse fronça les sourcils :
- T'es bizarre. Mais ouais, beau gosse."
Cléo passa le reste du cours l'esprit embrumé. Il ne prit pas de notes, n'entendit pas la moitié de ce que le professeur disait, ne répondit pas à Andréane lorsqu'elle lui demanda... quoi d'ailleurs ? Tout son esprit était dirigé sur Angel, assis sur un tabouret, qui prenait consciencieusement des notes.
Pas une seule fois son ancien copain ne leva les yeux vers lui, pas une seule fois leurs regards ne se croisèrent. Cléo ne sut pas si il faisait exprès ou si il ne l'avait réellement pas vu, mais cela fut une torture pire qu'il ne l'aurait imaginé. Être si proche mais ne pouvoir se parler, se toucher, était un supplice.
Lorsque la sonnerie retentit, il rangea ses affaires à la va vite et se précipita hors du banc sans même attendre Andréane qui pourtant lui cria de l'attendre.
Il ne voyait qu'Angel, qui lui aussi rangeait ses affaires. Il ne pouvait pas faire autrement que de le poursuivre pour le rattraper. C'était peut-être sa seule chance de lui reparler un jour. Mais Cléo était assis tout en haut de l'amphithéâtre et la sortie était en bas, alors il perdit rapidement de vue sa cible.
Merde, merde, merde.
Il courru dans les couloirs, à l'affût du moindre signe, mais rien. Il bouscula un étudiant ou deux qui l'insultèrent, ouvrit une porte, puis deux, mais pas d'Angel.
Essoufflé, il s'arrêta enfin alors qu'il arrivait aux portes de l'université. Il croisa le regard de son ami Félix, qui lui entrait dans la fac et qui lui lança un air interrogatif.
Alors qu'il reprenait son souffle, qu'il regardait frénétiquement dans la rue mais qu'il ne vit rien, Cléo le comprit : il venait de perdre Angel pour la deuxième fois.
Alors, il s'effondra dans les bras de Félix et fondit en larmes.
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