27. Aimons nous, pardonnons-nous


L'ambiance était pesante, froide et tendue. Tous les Archambeau étaient réunis : Cléo, son père, le frère de son père, la cousine de son père et Mathias. Ça faisait peu. Cléo n'avait jamais connu une grande famille, jamais de noëls effusifs et chaleureux avec eux. Heureusement qu'il y avait les Gaïus, du côté de sa mère, avec qui il avait les meilleurs souvenirs. Les Archambeau étaient des êtres froids même avec leurs propres membres ; ils étaient élevés à se contenir, à bien se tenir, à ne pas parler de sujets inappropriés ; comme les sentiments, ou même les simples émotions.

Aucun d'eux n'était réellement méchant -à part peu être ce connard de Mathias, mais pour autant Cléo ne s'était jamais vraiment sentit à l'aise avec eux. Il aimait son père, il aimait sa grand-mère, mais ça s'arrêtait là. Les autres étaient plus comme des étrangers, étant donné que son père s'était éloigné de sa famille. Cléo comprenait pourquoi.

Mathias était arrivé légèrement en retard, un sourire narquois sur le visage. Cléo s'était demandé à quoi il pouvait bien jouer encore. Mais son cousin ne lui avait rien dit, pas une parole déplacée ou moqueuse. Peut-être avait-il la décence de bien se tenir dans un moment pareil. Peut-être.

Quand la lecture du testament commença, Cléo croisa le regard de son père qui lui fit un léger sourire. Il lui rendit. Puis il soupira, pensa à Maya qui l'attendait dehors et écouta ce que le notaire avait à dire.

*

« Alors ?

- Je ne suis pas plus riche qu'il y a une heure, répondit Cléo en haussant les épaules.

- Non mais avec ta famille, tout ça ? Insista Maya.

Cléo soupira. La lecture du testament avait était brève. Bizarrement personne ne s'était plaint ou n'avait osé protesté. Les plus grosses parts revenaient aux enfants, en toute logique. Quelques miettes pour la cousine de son père. Cléo et ses cousins, les enfants de son oncle -qu'il n'avait pas voulu les emmener car ils étaient trop jeunes, avaient perçu une certaine somme qu'ils ne débloqueraient qu'à leur majorité. Mathias avait eu un pécule symbolique. Il n'y avait pas de biens particulièrement importants si ce n'était la maison de sa grand-mère, dont le père de Cléo ne voulait pas entendre parler. Ils allaient probablement la vendre.

- Mh, j'ai parlé un peu avec mon oncle. Des banalités. J'ai à peine adressé la parole à ma tante. Je verrais mon père ce soir, après être passé chez toi ; il est dans un hôtel pas très loin. Mais le plus bizarre, c'est que Mathias ne m'a pas parlé. Il est arrivé tout juste et il est reparti direct.

- Il a peut-être compris qu'enfin, ça ne servait plus à rien de se mêler à tes histoires avec Angel.

Cléo resta silencieux, sceptique. Il avait en tête ce satané sourire narquois du brun et il savait pertinemment que ça cachait quelque chose. Il frissonna ; il ne sut pas si c'était à cause du froid hivernal qui s'installait déjà, ou plutôt à cause de cette ombre nommée Mathias qui pesait au dessus de lui et d'Angel.

- Bon, au final, ça s'est mieux passé que prévu ! Constata Maya enjouée. Maintenant, tu peux aller rendre visite à ma maman le cœur léger.

Cléo grimaça :

- Mouais... ça m'embête de ne pas avoir dit à Angel pour la lecture du testament.

- Je comprends. Si tu lui avais dit, il aurait voulu te soutenir mais il aurait croisé Mathias. Cela dit...

Maya s'arrêta, les lèvres pincées. Cléo lui lança un regard circonspect :

- Oui ?

- Je ne dis pas que tu n'as pas fait le bon choix, mais peut-être qu'Angel est assez grand pour connaître ses limites et savoir si oui ou non il prend le risque de croiser Mathias. Je pense que c'est à lui de décider, pas à toi. Même si tu voulais bien faire un le protégeant.

Elle avait raison évidemment. En devenant ami avec elle, il avait compris toutes les raisons qui l'avaient poussé à l'aimer. Il la regarda, elle et ses cheveux brillants, ses yeux en amande et son teint de poupée.

- Et toi d'ailleurs ? Lâcha t-il.

- Moi quoi ?

- On parle beaucoup de moi mais toi ? Il se passe quoi dans ta vie en ce moment ? 

Maya rougit légèrement :

- N'essaye pas de détourner la conversation !

- Non mais j'ai compris j'irais chez Angel après avoir vu ta mère, pour tout lui dire et m'excuser. Maintenant, à toi !

- Roh, t'es pénible. Je préfère quand on parle de toi. 

- Ça ne marche pas comme ça une amitié.

Comprenant que Cléo n'allait pas lâcher le morceau, elle soupira et lâcha :

- Bah, en vrai, rien. Genre, vraiment rien. Je vais à l'école, je rentre le soir et rebelote le lendemain matin. Je vais toujours au sport le weekend.

Maya faisait de la danse contemporaine en amateur. Cléo avait vu son spectacle l'année dernière et lui avait dit qu'elle pourrait aller au conservatoire pour essayer de passer professionnelle, mais elle avait fermement refusé.

- Et... côté amour ?

- Cléo, les gens pensent qu'on va se remettre ensemble ! Tu crois qu'un seul mec est venu me draguer ?

Oups.

- Mince, c'est de ma faute si tu n'as personne alors ?

- Nan. Les gens au lycée ne m'intéresse pas. C'est les mêmes personnes depuis trois ans. J'ai hâte d'aller à la fac et de rencontrer de nouvelles personnes. Enfin... de nouveaux mecs.

- Wow, ok Maya ! 

- Pfff n'importe quoi...

Cléo aperçu le regard fuyant de son ex, signe qu'elle ne lui disait pas tout.

- Maya, crache le morceau. Je vois bien que y a quelque chose.

- T'es chiant, se plaignit-elle. Pourquoi tu me connais aussi bien ?

Cléo haussa les épaules. Parce qu'on est restés ensemble un certain temps, peut-être ? 

- C'est... argh c'est gênant de le dire devant toi. Arrête de me regarder comme ça. Bon ok, c'est Arthur.

- Arthur ?

- Euh, le mec de cet été.

Oups. Cléo comprenait pourquoi elle n'avait pas voulu lui dire.

- T'inquiète je n'ai plus de rancœur. Tu peux m'en parler tant que tu veux.

- Ok super, j'avais peur que ce soit gênant. Du coup... comment dire ? On se parle par lettres.

- Hein ?

Cléo faillit éclater de rire, mais se contint.

- Eh, ne juges pas ! C'est... c'est notre truc quoi. On s'échange des lettres. Ça a commencé fin début septembre. Seulement quelques unes, histoire de se donner des nouvelles. Mais là, il ne m'a pas répondu depuis trois semaines."

*

Cléo souffla sur ses mains ; décidément il avait très froid. On n'était qu'en novembre, mais il fallait qu'il se fasse à l'idée que l'hiver était bien entamé et qu'il était temps de sortir écharpe, gants et manteau. Après avoir écouté de long en large l'histoire de Maya avec ce garçon -ça lui avait fait bizarre, c'est sûr, mais il était content pour elle, il avait passé un moment très agréable après de la mère de Maya. C'était une femme formidable qu'il portait en haute estime. Il avait fallut cependant répéter de nombreuses fois que non, il n'allait pas se remettre avec sa fille.

La soirée était déjà bien entamée ; Cléo avait décidé d'envoyer un message à son père pour lui dire qu'ils ne pourraient pas se voir ce soir. Après tout, son père était parti si longtemps, il n'était pas à un jour près. Le plus urgent, c'était de voir Angel et de tout lui dire. Ça ne ressemblait pas à Cléo de cacher des choses comme ça et maintenant il savait pourquoi : il détestait ça. L'affreuse sensation de culpabilité qu'il ressentait faisait battre son cœur trop fort.

Il ne savait pas si il pouvait se pointer au culot chez Angel, mais bon, sa mère l'aimait bien et le châtain ne répondait pas à ses messages alors il n'avait pas le choix. Le silence d'Angel lui pesait et il avait la terrible impression qu'il avait était mis au courant il ne savait comment de son mensonge. Arrivé devant la porte de la maison 13 rue Marengo, il souffla un bon coup et sonna. Il entendit des pas arriver, s'arrêter, mais personne ne lui ouvrit. Il en déduit qu'Angel avait vraiment une raison de lui en vouloir. 

Comment faire ? Tambouriner à la porte ? 

Non, ça allait certainement empirer la chose. 

Forte heureusement, il connaissait la chambre d'Angel. Et il savait où donnait sa fenêtre. Cléo fit alors le tour de la maison et arrivé en bas, il décida de faire un truc qu'il n'avait vu que dans les films : lancer un petit caillou à la fenêtre. Il en jeta un, puis deux et s'apprêtait à lancer le troisième quand une silhouette apparue à la fenêtre. 

Qui aurait cru que cette technique marchait vraiment ? 

Cléo reconnu ce beau visage qui avait fait taire toute classe à la rentrée. Il sourit bêtement. Mais son sourire s'effaça bien vite lorsqu'il compris qu'Angel ne comptait pas ouvrir la fenêtre. Mince. Mais voyant qu'Angel restait à la fenêtre malgré tout, Cléo eut une idée.  Il leva les mains en direction de la fenêtre et s'exprima alors dans une langue des signes approximative : 

"Je suis désolé. Laisse-moi m'expliquer".

Il vit le châtain froncer les sourcils, confus. Puis ce dernier ferma les yeux, soupira et disparu de la vision de Cléo. Le blond retourna rapidement à la porte, le cœur battant. Et si Angel ne lui ouvrait jamais ? Et si c'était là la fin de leur histoire ? Non, ce serait trop bête. 

Pitié, ouvre.

Et il ouvrit.

Cléo sentit une sueur froide à la fois de soulagement et d'appréhension le parcourir. Il sourit faiblement à la vision du châtain, beau dans un simple t-short blanc et un simple jogging. Ses cheveux étaient très en bataille et Cléo aurait voulu passer ses mains dedans pour le recoiffer. Mais il ne pouvait pas -enfin pas tout de suite. 

Angel était là, devant lui et tout allait aller mieux car ils allaient se parler.

"Entre, lui dit Angel d'un air étrangement calme en l'invitant à entrer d'un geste de la main.

Cléo ne savait pas comment se comporter car alors même qu'ils s'étaient déjà disputés, l'ambiance n'avait jamais aussi froide entre les deux garçons. Parce que c'était vraiment trop bizarre de voir le châtain si tranquille, lui qui d'habitude avait tendance à vite perdre son calme.

- C'est bizarre, t'es trop tranquille, lâcha alors Cléo sans s'en rendre compte.

Oups, ses pensées lui avaient échappées. Angel le regarda d'un air las. Cléo se sentit mortifié : il aurait préféré qu'Angel s'énerve, pleure ou n'importe quoi d'autre plutôt qu'un tel traitement d'indifférence.

- Je pensais que c'était une bonne chose que je fasse un travail sur ma gestion de la colère, répondit le châtain.

Les deux garçons étaient assis sur le canapé du salon, chacun à une extrémité. Ils ne se touchaient pas.

- Euh, oui mais... j'ai pas l'habitude. Si tu es énervé au moins, je sais ce qui se passe dans ta tête. Là... je ne sais pas si tu m'en veux, si tu es triste, si tu es déçu ou...

- Un peu des trois ?

Argh.

- Je suis désolé, avoua précipitamment Cléo.

Il plongea ses yeux dans ceux d'Angel. Parce qu'il savait qu'en se regardant, son interlocuteur saurait qu'il était sincère.

- Oui, je sais que tu l'es. Mais merci de me l'avoir dit.

Cléo était confus. C'était tout ? C'était tout ce qu'il y avait à dire ?

- C'est tout ce que tu as à me dire, Cléo ? Continua Angel.

Oh, apparemment ce n'était pas tout, non. Mais le blond ne savait pas vraiment comment aborder le sujet de la lecture du testament, du comportement trop bizarre de Mathias et du fait qu'il y était allé accompagné de Maya. Cléo eut l'impression de revenir des années en arrière, quand il angoissait avant chaque prise de parole. Il paniquait. Et si il disait un mot de travers et qu'Angel ne voulait plus jamais lui parler ? 

Devant son silence, le châtain soupira et continua :

- Tu as raison en réalité. J'ai failli m'énerver et débarquer à la lecture du testament. Mais quand même, je ne suis pas un connard à ce point. Je sais que mes problèmes de... self-control ont déjà fait pâtir notre relation. Et pas que. J'ai déjà fait pleurer ma mère, de nombreuses fois. J'ai foutu indirectement en l'air l'amitié entre nos deux groupes en décidant que l'on s'éloigne après la soirée chez Newton. Je sais pas pourquoi je suis comme ça. Mais ce que je sais, c'est que j'y travaille. Mais je ne peux pas être le seul à faire des efforts.

Cléo sentit une larme couler sur sa pommette. Angel détourna le regard. Cléo eut mal au cœur.

- Tu sais comment j'ai appris pour la lecture du testament ? Mathias me l'a dit.

Comment ça ? Angel avait vu Mathias ? Il comprenait maintenant mieux le sourire narquois de ce dernier.

Cléo rit nerveusement.

- Je peux savoir ce qui est drôle ? S'enquit le châtain d'un ton acerbe.

- Parce que je suis trop con. Si je ne t'ai pas dit pour la lecture du testament, c'est parce que j'étais sûr que tu voudrais me soutenir et m'accompagner. Mais je savais aussi que Mathias serait là et je voulais pas que tu le croise.

- Je pense que je suis assez grand pour...

- Je sais, le coupa Cléo. C'est pas à moi de choisir pour toi, de te protéger. J'aurais dû t'en parler, pas te tenir à l'écart. Je l'ai compris après.

Angel hocha la tête en silence. Il regardait toujours ailleurs, pensif.

- Tu sais le pire ? Commença t-il. C'est que j'ai compris aujourd'hui qu'enfin, je commençais à être guéri. Enfin je veux dire, j'ai revu Mathias, j'ai parlé avec lui et même si ça m'a fait bizarre, je ne me suis pas senti mortifié comme d'habitude. Alors qu'au début de l'année j'avais fait une crise d'angoisse à la lecture d'un simple message de sa part, là, je n'ai ressenti que de la peine pour moi même. Pour m'être laissé traité ainsi, pour m'être laissé être pris dans ses filets. Et j'étais super content, j'avais envie de te le dire. Jusqu'à ce qu'il me parle de cette histoire de testament. J'ai fait le lien et j'ai compris que tu y allais avec Maya. Ça m'a fait mal tu sais ? Parce que malgré ce qu'on partage, j'ai l'impression qu'elle a occupé une place si importante dans ta vie que je ne serais jamais à la hauteur. A ta hauteur.

- N'importe quoi. Je t'interdis de dire ça. Tu es Angel et c'est tout ce qui compte pour moi. Il n'y a pas de question d'être à la hauteur ou quoique ce soit. Tu crois que moi je te mérite ? Alors que je t'ai approché car tu n'étais qu'un putain de défi, alors que je traîne h24 avec mon ex, alors que je n'ai jamais eu de relation avec un garçon, tu es resté. Tu t'es accroché. Tu m'as fait confiance. Si il y en a un ici qui n'est pas digne de l'autre, c'est bien moi.

Angel rit doucement.

- Tu ne te rends pas compte à quel point tu es incroyable Cléo. Tu ne te rends pas compte que partout où tu passes, tu laisses une marque. Tu es doux, patient, compréhensif et empathique. Tu es un merveilleux pianiste, tu es bénévole dans une association. Tu soutiens tes amis, tu fais des efforts pour que tout le monde s'entende. Je ne pourrais même pas te trouver un défaut. Alors que moi, j'en ai beaucoup. Beaucoup trop. Tu as été super patient avec moi. Et malgré ça, je suis là à te reprocher des choses. Je te mérite pas.

Cléo sentit son cœur battre. C'était vraiment ce qu'Angel pensait de lui ? Il ne concevait pas pouvoir paraître parfait aux yeux de quelqu'un. Il s'approcha timidement d'un Angel qui ne le regardait toujours pas. Doucement il posa sa main sur son visage et tourna sa tête vers lui. Le châtain se laissa faire. Il rencontra des yeux verts brillants et son cœur s'arrêta.

C'était Angel, c'était.... c'était tout pour lui

- Ce ne sont pas des défauts que tu as Angel. Ce sont des casseroles, une histoire. Et personne ne te le reprochera jamais. Tu n'as pas choisi ce qui t'es arrivé, tu n'as pas choisi de tomber sur les mauvaises personnes. Tu n'as pas choisi d'avoir été jeune et amoureux. Mais tu as choisis d'apprendre à me connaître, tu as choisi de me laisser entrer dans ta vie malgré tout. Tu as choisi de me faire confiance malgré tes traumatismes. Et je ne saurais pas comment l'expliquer, mais je me sens avec toi comme je ne me suis jamais senti avec personne. Ni même avec Maya ou avec Newton. Dès le moment que l'on a passé dans la bibliothèque du manoir, j'ai su que je pouvais tout te dire, tout te donner. Alors, n'ose plus jamais dire que je ne te mérite pas, ou que n'importe qui d'autre ne te mérite pas. Il n'y a pas de question de mérite dans une relation mais seulement de confiance. Et je te fais confiance.

Angel ne répondit rien et une larme coula sur sa joue à son tour. Il regardait intensément Cléo et leurs visages étaient à quelques centimètres l'un de l'autre, si bien que leurs souffles se mélangeaient. Ils pleuraient tous les deux un peu, des larmes chaudes et emplies d'une émotion que tous les deux ressentaient, mais qu'ils ne savaient pas comment formuler.

- Cléo... je suis désolé pour tout ce qui s'est passé..., commença Angel.

Pourquoi s'excusait-il ? Il n'avait pas besoin de s'excuser. Il n'avait pas besoin, il...

- Et je crois que je t'aime."

*

NDA : j'ai écrit ce chapitre en écoutant une playlist "it's summer 1983, you fell in love somewhere in northern Italy" lol 

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