11. Infirmerie et meilleur ami

Cléo sentit une main sur son épaule qui le tira d'un sommeil assurément léger.

"Wow, c'est trop cliché de s'endormir à son chevet.

Il s'était endormi ? Oui. Il ouvrit les yeux et s'étira : dormir assis sur les bancs de l'infirmerie n'était pas des plus confortable. Devant lui Angel était allongé, les yeux fermés, l'air apaisé. Après que Maël lui ait amené sa ventoline, le SAMU était arrivé, appelé par Nolan. Le corps enseignant avait été prévenu et le cours de littérature évidemment annulé. Les secours avaient procédé à une brève vérification avant de constater que la ventoline avait fait son effet et que tout ce qu'il fallait désormais à Angel, c'était du repos. Les trois garçons l'avaient alors porté à l'infirmerie en compagnie de leur professeur complètement choquée.

- Ta gueule Newt, rétorqua Cléo.

- Bon, je te laisse avec lui,  sa mère ne va pas tarder à arriver. On se voit en cours cet aprem, et je vais dire aux autres qu'Angel va bien. Quand même, c'est dingue qu'il soit tombé sur toi qui connais la langue des signes ! Ça lui a sauvé la vie."

Sur ces mots, Newton s'en alla. C'est vrai, Cléo avait quelque part sauvé la vie d'Angel. Il fut parcouru d'un sentiment étrange qui lui fit un brève instant croire au destin. Du vent s'engouffra dans la pièce et la fenêtre de l'infirmerie claqua contre le mur. Le jeune homme sursauta et s'empressa d'aller la fermer, mais c'était trop tard, Angel s'était déjà réveillé.

"Merci" fut le premier mot qu'il prononça.

Cléo se figea. Il était toujours face à la fenêtre, dos au châtain. Il n'osa pas se retourner. Il souffla un grand coup :

- Je n'allais pas te laisser mourir quand même.

Angel rit doucement, et Cléo sentit un il ne savait quoi fleurir au creux de son ventre.

- Tu as décidé de ne plus jamais me regarder de ta vie ? S'enquit le châtain.

Le blond s'empourpra :

- Je...

- Je plaisante Cléo. Je ne prétend pas tout savoir de ta personne, mais je commence à comprendre que tu as juste du mal socialement et que certaines situations t'angoissent plus qu'elles ne le devraient.

- J'ai fait un travail sur moi tu sais ?

Cléo ne savait pas pourquoi il commençait à raconter ça à Angel. Il devait sûrement s'en foutre de sa vie mais... étrangement, quand il était seul avec lui, Cléo se sentait libre de se confier, il avait envie de parler, et de parler de lui. Ce n'était peut-être pas la bibliothèque du manoir qui avait cet effet finalement, mais ce jeune homme allongé dans le lit d'infirmerie.

- Pendant un moment, les jumeaux étaient mes seuls amis, continua Cléo. Nos parents sont amis donc je les connais depuis la naissance. Je n'arrivais juste pas à parler à d'autres enfants. J'ai été voir un psy quand j'étais au primaire pour soigner mon anxiété sociale. Il était super, il m'a beaucoup aidé. J'ai aussi fait un gros travail sur moi seul. Ensuite, le début du collège était... spécial. Mais en troisième j'ai rencontré Newton, qui a été ma révélation amicale. Il avait de l'énergie pour deux, de l'humour pour deux, de la sociabilité pour deux. Je suis tellement resté collé à lui que je me dis... qu'il a déteint sur moi. Dans le bon sens du terme. Et maintenant ça va ; je n'ai plus peur de parler aux gens, de rencontrer des nouvelles personnes. Même si ça ne m'empêche pas d'angoisser de temps en temps.

Cléo s'arrêta : Angel ne l'écoutait sûrement plus. Il se retourna, pensant que le jeune homme s'était rendormi. 

Mais il tomba face à deux grands yeux verts qui le fixaient avec attention.

Cléo sentit que ses jambes -non tout son corps, allait fondre jusqu'à s'imprégner au sol, parce qu'il semblait que c'était le seul moyen d'échapper au regard vibrant du châtain. Mais il ne détourna pas les yeux : il ne pouvait pas se permettre, encore, de le fuir.

- Et avec moi ? Demanda audacieusement Angel.

- Co...commença avec toi ?

Cléo paniqua légèrement. Mais son malaise vis à vis du châtain n'avait pas été des plus discret, alors il ne pouvait pas lui en vouloir de s'interroger.

- Tu n'es pas à l'aise avec moi ? J'ai bien vu que tu m'as évité tout à l'heure en classe et que... que tu as préféré te mettre à côté de ton ex. C'est un peu vexant, plaisanta t-il afin d'alléger la discussion.

Cléo esquissa un sourire, plus détendu :

- Que veux-tu, on retombe toujours dans nos travers. Non sérieusement, je suis désolé. C'était pas cool, tous les autres étaient déjà à côté de quelqu'un et moi je t'ai snobé. C'est juste que...

- Que ?

- Que tu me perturbes, souffla le blond.

Cléo eu le sentiment salvateur d'avoir révélé un immense secret. Ils étaient physiquement à bonne distance, mais Cléo se sentit soudainement très intime avec Angel. Il fixa ses yeux, ses fameux yeux verts. Ils étaient cernés, sûrement par la fatigue et l'émotion endurée plus tôt dans la journée, mais cette fatigue lui donnait le charme d'un... bad boy ou quelque chose du genre -et merde c'était ridicule mais Cléo n'y était pas insensible.

Angel mis un temps à répondre. Puis il commença :

- Cléo est-ce que je te... ".

Mais la porte de l'infirmerie s'ouvrit et il ne pu finir sa phrase. Cléo ne su pas si cette interruption le sauva ou non, parce qu'Angel s'interrompu pour s'exclamer : "Maman !".

*

La mère d'Angel était une femme qui portait sur son visage sa vie sans doute compliquée. Plutôt maigre et le visage anguleux, ses yeux étaient cernés, ses cheveux déjà presque tous blancs et des rides du lion semblaient avoir apparu prématurément. La fatigue dont son physique témoignait contrastait avec son énergie de jeune fille : sa voix claire et ses gestes vifs trahissant le fait qu'elle était en réalité très jeune pour être mère d'un garçon de 18 ans.

La première chose qu'elle fit en entrant dans la pièce fut de se précipiter sur Angel pour l'enlacer. Elle ne pleurait pas mais sanglotait un peu, et leur étreinte dura un certain temps, si bien que Cléo se demanda si il n'allait pas partir pour les laisser en famille. Mais quand il commença à s'éloigner, elle se détacha d'Angel pour l'interpeller en langue des signes :

"Merci d'avoir sauvé mon fils, les secours m'ont dit que tu l'avais aidé à se calmer."

Elle signait très vite et Cléo ne saisit pas tout, mais il comprit au moins qu'elle le remerciait. Il répondu alors dans une langue des signes maladroite :

"De rien Madame, c'est normal."

Les yeux de la mère s'écarquillèrent de surprise et elle se précipita pour enlacer Cléo à son tour. Le blond se sentit un peu gêné, mais il ne pouvait la repousser. Heureusement, elle défit l'étreinte assez rapidement. Cléo jeta un œil à Angel qui regardait la scène avec un sourire. Ce dernier lança :

- Cléo, je te présente ma mère, Amélie.

Puis il signa à sa mère :

"Et maman, voici Cléo. C'est un ami qui est dans ma classe".

"Enchantée", répondit ladite Amélie. Puis elle se tourna faire son fils pour lui demander : "Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ?".

Le blond vit Angel hésiter, et sut que c'était le moment pour lui de partir. Il regarda le jeune homme qui lui fit un sourire et lui rendit. Puis, il salua la mère de ce dernier et s'en alla le cœur léger.

*

Newton et Cléo rentrèrent ensemble chez le blond à la fin des cours. L'après-midi s'était déroulée calmement, et le sujet "Angel" avait monopolisé la conversation au repas. Tout le monde avait mangé ensemble -à croire qu'ils formaient un seul et même groupe désormais. Même si les choses étaient toujours un peu tendues entre Azaël et Nolan, par respect pour Maël mais aussi pour l'ensemble du groupe, ils faisaient en sorte que ça ne se ressente pas.

"Bonjour Marion, ça va ? Lança Newton à la mère de Cléo une fois la porte passée. 

Elle était radieuse aujourd'hui : la pièce de théâtre dont elle avait fait les costumes était un grand succès. Elle s'attelait dans la cuisine à faire un repas de roi pour les deux amis ; elle avait toujours adoré Newton depuis le premier jour où Cléo lui avait présenté, et le considérait comme un second fils. 

- Ca va très bien et toi mon grand ? 

- Très bien aussi, j'ai rencontré une fille géniale, alors ça ne peut que bien aller ! 

Marion afficha un large sourire : 

- Je suis très contente pour toi mon Newton, tu mérites une fille géniale en effet ! 

- Je suis heureux de te l'entendre dire, parce que certains ne sont pas de ton avis, lança newton d'un ton accusateur en regardant Cléo. 

Ce dernier leva les yeux au ciel : 

- Roh aller Newt', je t'ai seulement dit que tu ne pouvais pas dire dès le premier jour que c'était la femme de ta vie...

- C'est pareil", rétorqua son ami. 

Newton avait passé le chemin du retour à lui parler de Mayalène, d'à quel point elle était incroyable, qu'ils avaient les même goûts musicaux, qu'elle était intelligente, qu'elle faisait de la musique -et que donc sûrement "elle sera en cours avec toi, mec", qu'elle était, en somme, la femme parfaite pour lui. Cléo s'était demandé quand est-ce qu'ils avaient eu le temps de parler de tout ça, mais devant l'enthousiasme de son meilleur ami, il ne pouvait qu'être heureux pour lui. Certes, il l'avait quand même prévenu de ne pas trop s'emballer, "ne sait-on jamais".

Marion les chassa de la cuisine sous prétexte qu'ils la déconcentraient pour faire à manger, et les deux amis montèrent donc à l'étage pour aller se vautrer sur le lit de Cléo. 

"Bon mec, je t'ai parlé de long en large de Mayalène, alors maintenant c'est à toi de cracher le morceau. 

Cléo soupira : il savait qu'il n'y couperait pas, et en plus de ça il ne savait pas mentir à Newton. 

- Je ne sais pas Newt', je suis perdu. 

Mais c'était une autre chose de ne simplement pas se comprendre soi-même, et alors sa réponse n'était pas un mensonge mais plutôt de la confusion. 

- J'ai vu comment tu regardais Angel. Tu regardais Maya de la même façon au début de votre relation. Avec la gay-panic en moins, plaisanta Newton.

Cléo rit doucement. Il commençait à accepter le fait d'être attiré par un garçon. Il était entouré de gens bienveillants et n'aurait en soi aucun scrupule à leur dire qu'il était bi ou quelque chose du genre, mais c'était d'abord à lui même qu'il devait se l'avouer. Tout ce qu'il savait pour l'instant de lui même était qu'il ne considérait pas Angel de la même manière qu'il considérait les autres garçons de son entourage. 

- Tu trouves pas ça bizarre ? D'un seul coup, comme ça, je serais attiré par un mec ? 

Newton haussa les épaules : 

- Je sais pas, tu sais, la sexualité c'est très fluide, ce n'est pas fixe. 

- Tu penses ? 

- Bah, regarde toi. Hétéro depuis ta naissance, et là paf : t'es in love d'Angel. 

Cléo rougit et Newton ne manqua pas de le remarquer : 

- Non mais j'y crois pas, carrément tu rougis ! T'es vraiment in love de lui ? 

Le blond poussa un soupire avant de se lancer : 

- C'est... il est pas pareil que les autres, c'est sûr. Quand je le regarde je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il est beau. Mais il est pas juste beau il est... il est charmant. Enfin genre, il me charme ? Ouais, je dirais ça comme ça. 

L'exprimer à voix haute fit du bien à Cléo. Et le dire en premier à Newton lui semblait être la bonne chose à faire. 

- Bah, fonce alors. 

Le blond fronça les sourcils : 

- Je fonce ? 

- Tu le kiffes, donc vas y. Drague le, séduit le, enfin fais lui ce que tu veux quoi, mais ne va pas te priver d'une potentielle histoire juste parce que tu n'es pas sûr de toi. 

- Mais... c'est un défi à la base. Et si il l'apprend ? Il va me détester. 

- Oh ça va Cléo, on est pas dans After. Et puis si ça te dérange, je m'en fous, dit lui. Franchement entre Azaël qui fait de la merde et moi qui suis vraiment intéressé par Mayalène, on a qu'à oublier cette histoire de défi. 

- Ok... souffla Cléo. 

- Je ne te sens pas convaincu. 

Il ne l'était pas. Quelque part, avoir cet arrière fond de "défi" dans sa relation à Angel lui permettait de se dédouaner de ses sentiments et de son trouble. C'était facile de se dire que ce n'était qu'un défi, et que ce qu'il ressentait n'était qu'un jeu. Cléo se retourna, honteux de penser ça. 

- C'est plus facile si c'est un défi..., souffla t-il. 

Newton ne répondit rien, car il connaissait son ami et savait qu'il ne fallait rien forcer avec lui. 

- Fais comme tu le sens, mais fais le intelligemment." 

Après une bonne heure de Nintendo Switch, Marion appela les garçons à venir manger. Une belle part de lasagnes maison était disposée dans chaque assiette, ce qui ravit l'estomac des jeunes hommes, qui s'empressèrent de remercier leur bienfaitrice. 

"C'est super bon ! S'exclama Newton. 

- J'avoue, tu t'es surpassée, renchérit Cléo. 

- Merci mes chéris, je sais que je suis la meilleure maman. Mais aussi la meilleure costumière ! Vous saviez que.... " 

Et les deux amis l'écoutèrent raconter une histoire de tissu déchiré qu'elle avait sauvé à la dernière minute juste avant une représentation. Cléo était fier de sa mère, et même plus que ça : il l'admirait. Elle se donnait toujours à fond dans tout ce qu'elle faisait et était sincèrement passionnée par son métier, ce qui faisait d'elle une femme épanouie à tous les niveaux. Il lui en avait voulu un temps d'avoir été souvent absente en raison des tournées des pièces de théâtre sur lesquelles elle travaillait, mais avec du recul, il préférait cent fois que sa mère ait eu une vie épanouie plutôt qu'elle se soit sacrifiée pour lui. Et puis, son père avait assuré, même si aujourd'hui ses parents étaient séparés et qu'il le voyait bien moins. 

Perdu dans ses pensées, il n'entendit pas son téléphone sonner. 

"Cléo, on t'appelle", lui chuchota Newton. 

Il attrapa son téléphone mais ne reconnu pas le numéro qui s'affichait ; il s'excusa auprès de sa mère et s'isola dans le couloir de l'entrée. 

"Allo ?" 

Elle était erratique et tremblante, mais il reconnu immédiatement la voix au bout fil qui lui dit : 

"Cléo, c'est Angel. Je... je vais pas bien. Il faut que je te vois. S'il te plait." 

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