Toutes les histoires ont un passé...


Une fois mon casier fermé, mes affaires casées dans mon sac, je me dirigeai vers la
pièce sur ma droite, pour ma première heure de cours de la journée. Les mains dans les poches
de mon jean noir, j'attendais la sonnerie. Mes amis étaient absents, étant en
voyage scolaire pour trois jours. Le seul qu'il me reste, était Peter, mon meilleur ami depuis
l'enfance. Il n'avait pas souhaité partir, préférant traîner dans les rues de Paris, plutôt que de
découvrir les campagnes françaises.

Je le vis arriver au bout du couloir, la bride de son sac sur
l'épaule, un sourire accrocheur aux lèvres. Il n'avait pas un physique de dieu, il était tout
simplement normal : une tignasse blonde, des vêtements ordinaires troués aux genoux, des
yeux craquants. Pourtant, il possédait un petit quelque chose qui faisait que les gens se
retournaient sur son passage, une façon d'être, peut-être ?

Une fois à mes côtés, il me fit un clin d'œil charmeur, qui n'avait pourtant rien d'équivoque. Je savais parfaitement qu'il ne se passerait jamais rien entre nous. Nous étions juste amis. 

— Alors princesse, prête pour un nouveau parcours du combattant ?

Entendre son expression fétiche me donna du baume au cœur. Malgré ça, mon moral
restait au plus bas. Je fréquentais un des plus chics lycées de Paris. Tous les élèves étaient
bourrés de fric, et populaires. Je n'avais pas à me plaindre, mes parents s'occupaient de moi,
avaient de l'argent, pourtant je sentais que quelque chose me manquait. Et cela depuis ma
naissance. Depuis dix-sept ans. Un grand vide que je ne parvenais pas à combler.
Demain matin, aurait lieu mes dix-huit ans, et j'allais les fêter seule, enfermée dans ma
chambre. Triste n'est-ce pas ? Je voulais vivre des tas d'aventures rocambolesques pour cet
anniversaire si particulier, pourtant malgré le fait que j'habite la capitale, rien ne se passait
dans le quartier. Tant pis, cela serait comme d'habitude. Les moments en famille étaient rares, car mes parents travaillaient énormément.

Peter me jeta un coup d'œil inquiet, sachant pertinemment que je lui en voulais qu'il
me laisse tomber pour un jour aussi important. Je comptais au moins sur sa présence, mais tous mes espoirs s'effondrèrent, lorsqu'il m'annonça qu'il passerait la soirée chez un pote.

— Allez ma belle, ne te laisse pas gagner par la tristesse et la solitude. Je te promets
que je ferais tout pour être présent demain.

— Ne fais pas de promesse que tu ne pourras pas tenir, lui répondis-je sur un ton
cinglant, un peu vexée.

Il fronça les sourcils, mais ne répliqua pas. La grimace qui s'afficha sur son visage me fit comprendre qu'il venait de prendre une claque verbale. Je savais qu'il se sentait coupable, mais
j'étais assez grande pour me débrouiller seule, même la veille de mon anniversaire.

Armée de cette nouvelle conviction, la journée se déroula sans trop de problème. Les
cours étaient, après tout, mon seul moyen d'échapper à ce vide, semblable à un creux infini,
qui me torturait le cœur. Je ne pouvais expliquer cette sensation, seulement, je sentais qu'il ne
serait jamais comblé.

Arriva enfin l'heure d'Histoire, celle que je préférais, et qui clôturait ma journée en beauté. Je me dépêchai de m'asseoir à ma place, pressée d'écouter le cours de notre professeur. Sa manière de le raconter le rendait très intéressant. Quand tout le monde fut enfin assis, elle se tourna vers le tableau, désignant la phrase inscrite d'un doigt manucuré.

— Que vous évoque, « La cour des miracles » ? demanda t-elle d'une voix forte et
assurée.

Ce nom sonna étrangement dans ma tête, comme un écho dans ma mémoire. Je plissai
les yeux, luttant contre un vertige soudain. Lorsque notre professeur se remit à parler, devant
le silence des élèves, cette sensation disparut.

— « La cour des miracles », située dans un ancien quartier de Paris, l'actuel quartier
des Halles, était au Moyen-âge, une place où vivaient les plus démunis de la société : les
voleurs, les prostituées, mais aussi les gens pauvres, ceux qui n'avaient pas d'argent et qui ne
pouvaient vivre décemment. Il était dit, que lorsque la nuit arrivait, un miracle se produisait.
Pour comprendre, nous devons évoquer le mythe des Terres Perdues. Autrefois entouré de vastes forêts, regorgeant de vie, cet endroit de notre capitale étaient connu pour la magie qui y était exercée. Des sorciers, les Egarés se servaient de leurs pouvoirs de guérison, d'illusion pour soigner les douleurs, qu'elles soient physiques ou mentales. Seulement, cet endroit fut saccagé par la monarchie du quinzième siècle, qui en fit un lieu de débauche, détruisant à jamais la magie qui y régnait. Pourtant, il restait un héritier, connu dans la légende sous le nom d'Evan, qui continua à exercer ses pouvoirs dans l'ombre. Il produisait des miracles, lorsque la nuit tombait, allant ainsi contre les ordres du roi. Voilà d'où vient ce nom, et donc une partie de notre Histoire. Personne ne sait si le mythe est réel ou non, mais le lieu a véritablement existé. 

La sonnerie retentit, mettant fin au cours. Sans envie, je commençai à ranger mes
affaires, tandis que tous les élèves se précipitaient dehors pour profiter du soleil. Je passai à
mon casier, y vidai mon sac, puis le refermai lentement. J'entendis des pas dans mon dos, un
léger soupir rafraîchit ma nuque. Je me tournai, fis face à Peter. Son sac sur l'épaule, il
semblait prêt à décamper pour se rendre à sa super soirée. Pourtant, il resta à côté de moi, à
me fixer. Je fis une moue boudeuse, croisai les bras sur ma poitrine. Gêné par ma colère, il se
passa la main dans les cheveux. 


— Ecoute Julia, je sais que tu m'en veux de te laisser seule un soir pareil. Mais je
m'étais engagé auprès de mon copain pour cette soirée. Je n'ai pas le choix... Mais je ferais
tout pour me libérer le plus rapidement possible afin d'être présent demain matin.
Je me mordis la lèvre, décidée à ne pas me comporter en gamine capricieuse. J'avais
dix-sept ans , je ne pouvais pas réagir en piquant une colère, même si j'en mourrais d'envie.

— Je n'ai pas besoin de toi Peter, je vais avoir dix-huit ans, je ne suis plus une gamine.
Tu es libre de faire ce que tu veux de tes soirées, alors arrête de vouloir te justifier. Je me
débrouillerai sans toi. 


Sans ajouter un mot, je le contournai et marchai en direction de la sortie. Plus
j'avançai, plus j'accélérai le pas en tapant presque des pieds. Une fois dans la rue, je poussai
un long soupir. Je fouillai mon sac pour dénicher mon téléphone, ne rencontrant alors que du
vide. Zut, qu'avais-je pu en faire ? Peter était arrivé au moment où je m'éloignais du casier, je
l'avais peut-être laissé là-bas ? 

 
Exaspérée par mon manque d'organisation et de bon sens, je fis demi-tour jusqu'au
lycée. La grille étant fermée, je dus passer par le secrétariat, justifier ma présence, puis
bifurquer jusqu'au couloir. Une fois là-bas, j'ouvris mon cadenas, récupérai mon portable puis
refermai la porte dans un grincement. Décidément, la soirée allait de plus en plus mal.
Consultant ma montre, je constatai qu'il était six heures du soir. Je devais rentrer chez moi,
me préparer un repas, et m'emmitoufler sous la couette en regardant un film débile. Repassant
mon sac sur mon dos, j'avançai dans le couloir à présent sombre, peu éclairé par les lampes
électriques fixées aux murs. 

 
Un bruit d'explosion me fit soudain sursauter, me projetant contre le sol. D'instinct, je
me protégeai le visage avec les bras, me baissai pour éviter les morceaux de verre. Dès que je
n'entendis plus rien, je me relevai lentement, méfiante et morte de peur. Je jetai un coup d'œil
par ce qui restait de la fenêtre, donnant sur la salle de classe. J'aperçus alors ma professeur
d'histoire, acculée contre le tableau noir. Un couteau à la lame argentée sous la gorge, elle
tremblait de tous ses membres. De la sueur coulait le long de son front pâle, elle semblait
vouloir crier, mais son agresseur lui plaqua la main sur la bouche en secouant la tête. 

 
— Où est-elle ? Lui as-tu raconté la légende ? tonna t-il d'une voix rauque.


Ma prof secoua la tête, des mèches retombant sur son visage. 


— Je n'en sais rien... Je ne comprends pas de quoi vous parlez... 


Il insista, appuyant un peu plus sur sa peau. Je voulus m'échapper sans faire de bruit,
pour prévenir quelqu'un au secrétariat. Mais je marchai sur du verre brisé, provoquant ainsi
un faible crissement néanmoins audible. L'homme tourna la tête dans ma direction. Je
compris alors que j'étais fichue. Si je ne fuyais pas dans la seconde qui suivait, ma vie
s'arrêterait avant même ma majorité ! Mes jambes se mirent en marche automatiquement. Je
pris la fuite en courant à travers le couloir, traversai la cour sans jeter un regard en arrière.
Une fois dans la rue, je fis tout mon possible pour rester dans l'ombre, loin des
lampadaires. Des bruits de pas derrière moi, me prouvaient que quelqu'un me poursuivait. Je
tournai dans une petite ruelle, m'arrêtai une seconde pour souffler. Puis, je poursuivis en
courant jusqu'au quartier des Halles. Je ne pouvais rentrer chez moi. J'avais vu ma prof se
faire agresser, il ne me lâcherait pas avant d'être sûr que je ne parlerais pas. Il fallait que je me
rende au commissariat de police pour être protégée. 

 
Je bifurquai à angle droit dans une rue étroite, manquant de glisser en avant sur une
flaque d'eau. De petites gouttes de pluie se mirent à tomber lentement, puis des trombes d'eau
s'abattirent sur ma tête. Je repoussai mes cheveux trempés, tentant d'y voir clair sous cette
pluie torrentielle. Ma vue était trouble, ma peur grandissait au fur et à mesure que je
m'enfonçai dans Paris. Pourquoi avais-je eu la mauvaise idée de retourner au lycée ? Sympa
la soirée ! Je m'attendais à ce que ce soit pourri, mais pas à ce point.
Une fois dans le quartier des Halles, je m'enfonçai à nouveau dans l'obscurité pour
passer inaperçue. J'espérais que l'agresseur ne me verrait pas. Une silhouette passa en trombe
devant moi, en jurant. Je soupirai, croyant être tirée d'affaire. Je respirai intensément,
reprenant mon souffle après cette course effrénée. Il fallait avouer que je m'en étais sortie de
justesse. 

Que c'était-il passé en classe ? 

Pourquoi notre professeur avait-elle été maltraitée de la sorte ? 

Je clignai des yeux, chassant les gouttes de pluie de mes cils noirs. 

 
Soudain quelqu'un me saisit par les cheveux, me tirant en arrière. Un hurlement
m'arracha la gorge, lorsque je compris que je venais d'être retrouvée. Je me débattis, griffai,
mordis, mais la main ne relâcha pas la pression sur mon cou. 


— Tu pensais pouvoir m'échapper, repartir chez toi tranquillement ? Espèce de salope !

Je serrai les poings, tremblante de peur. Comme j'aurais aimé que Peter soit à mes
côtés en ce moment. Lui m'aurait tiré d'affaire, m'aurait aidé. Là, j'étais seule ! Je me mordis
la lèvre pour retenir mes larmes. Je n'allais pas en plus, lui donner l'opportunité de se moquer
de moi. Il me plaqua contre un mur, le visage dans la lumière des lampadaires.

— Tu ne dois pas découvrir la vérité. Cette histoire doit s'éteindre en même temps que
toi.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez... bafouillai-je faiblement. 


Je me sentais bête de réagir ainsi. Pourquoi ne me battais-je pas pour sauver ma vie ?
Alors que mon agresseur enlevait sa cagoule, je pus enfin voir son visage. C'était un homme,
environ la vingtaine, avec une balafre hideuse sur la joue. Ces yeux bleus brillaient de rage.

— Bien sûr que tu l'ignores ! Encore heureux ! Et je vais faire en sorte que ce soit le
cas pour toujours.
Il sortit une lame de sa poche, l'approcha lentement de ma joue. Il y appuya la pointe,
déchirant mes muscles et chairs. Du sang perla de la blessure, mais cela m'importait peu. Je
ne voulais pas mourir maintenant. J'étais certaine qu'il existait un moyen de m'en sortir, de
fuir, de... 

 
Je me leurrais, je n'avais aucune chance, et je le savais. Ce type souhaitait me tuer, et
il le ferait sans hésitation. Résignée, n'ayant pas la force de me battre, j'attendis. L'homme
me scruta un instant, semblant réfléchir, puis abattit son arme vers mon cœur.
A ce moment-là, il y eut comme un arrêt dans le temps. Tout sembla figé. Une intense
énergie semblait s'échapper de mon cœur, picotant ma peau, mes bras, puis mes jambes.
J'inspirai fortement, savourant cette sensation de plaisir intense. Je fermai les yeux, sachant
parfaitement que je devais halluciner. Pourtant ma peur s'était effacée. Un souffle releva mes
cheveux, je me sentis comme happée par un tourbillon. Tout à coup, la pression sur mon cou
disparut. 


Étais-je morte ? 

 
Lorsque je clignai des paupières, je ne vis d'abord pas grand chose. Puis, je parvins à
distinguer des silhouettes, des ombres furtives sur le sol. Une fois ma vue adaptée à
l'obscurité, je pus enfin apercevoir le paysage. Je me trouvais dans un quartier ancien, les
maisons étaient exactement comme au Moyen-âge. J'ouvris la bouche, éberluée parce ce que
j'avais sous les yeux. Que se passait-il ? Je me redressai lentement, ayant dû mal à bouger,
prenant garde au moindre mouvement suspect. A ce moment-là, une voix sortit de nulle part
sur ma gauche. 


— Te voilà enfin Julia ! J'ai vraiment eu peur que le sort ne fonctionne pas correctement, que tu te perdes dans le Temps. Tu es là, c'est l'essentiel !


Je levai les yeux vers le toit. Une silhouette y était accoudée contre une cheminée,
dans l'obscurité, semblant attendre quelque chose. Je fronçai les sourcils, pensant devenir
folle. Mon imagination m'a plongée dans un monde de rêve, je ne vois que ça ! 

 
— Vous délirez, je n'ai fait aucun voyage dans le temps. 

 
La silhouette se détacha de son accoudoir, puis sauta dans un mouvement ample vers
moi. Je pus enfin discerner son visage, jusqu'à présent caché dans l'ombre. C'était un jeune
homme d'environ vingt ans. Il avait un visage anguleux, des traits taillés à la serpe et des
cheveux noirs. Mais ces yeux bleus exprimaient une grande douceur, une sérénité incroyable.
Il croisa les bras sur sa poitrine, me sourit gentiment en haussant les épaules. 


— Vraiment ? Regarde autour de toi. Ferme les yeux, concentre-toi. Imagine que tu es
en train de voler... 


Je levai les yeux au ciel, exaspérée. Ce type avait visiblement sombré dans la folie.
Pourtant, je devais admettre que cette situation me paraissait étrange. Tous les bruits habituels
de Paris n'étaient pas audibles, il régnait un silence trop pesant. Les klaxons de voiture, les
bruits de moteurs... Tout ça avait disparu pour laisser place à une atmosphère plus calme.
Sans que j'en prenne conscience, je fermai les paupières. Le vent sembla alors me
porter, mes pieds se détachèrent du sol. Une fois encore, l'intense énergie de tout à l'heure me
parcourut tout le corps et me permettait de m'envoler dans le ciel. Paris s'étendait devant moi,
et vu d'en haut, cela était impressionnant. Je volai réellement, je me sentais portée par un
souffle, une brise fraîche scintillante de paillettes dorées. Le jeune homme volait à mes côtés,
le sourire aux lèvres. 


— Comment cela est-il... comment... ne parvins-je pas à articuler, tellement j'étais abasourdie.

Il se contenta de me regarder et de sourire, sans répondre à ma question. Alors je me
perdis dans le contemplement de Paris, en pensant que si tout cela n'était qu'un rêve, alors je
devais en profiter. La ville était complètement différente : elle ressemblait étrangement aux
descriptions faites dans les livres d'histoire. Alors je me trouvais bien au Moyen-âge, j'avais
vraiment voyagé dans le temps... J'avais dû mal à y croire, à penser que tout cela puisse être
réel. Je tendis les bras, me laissai emporter par le souffle de magie, et savourai cet instant. 

 
— Allez viens, nous devons parler maintenant, chuchota le jeune homme. 

 
Je clignai des yeux, sortant de ma torpeur. Je le vis descendre lentement, poser les
deux pieds sur un toit de tuiles rouges. Je le rejoignis, me plaçai face à lui, attendant ses
réponses. Croisant les bras sur sa poitrine, il porta son regard au loin. 


— Je sais que tout cela te parait impossible, pourtant ce que tu vis est bien réel. Je t'ai
sorti d'un sacré mauvais pas et t'ai envoyé ici pour te sauver la vie. Ton agresseur s'appelle
Iric, il vient lui aussi du passé. Il a été envoyé par nos ennemis pour te tuer, avant que tu ne
découvre la vérité à ton sujet. 


Je secouai la tête, sceptique. 


— Cela fait quand même très roman, très cliché, toute cette histoire. Une pauvre fille
attaquée, puis ensuite sauvée par un gentil magicien. Je suis désolée, je n'y crois pas ! 


— Je comprends tes doutes, ton hésitation, Julia. Seulement je te dis la vérité ! Nous
nous trouvons au dessus du célèbre quartier de la Cour des Miracles. Tu en as sûrement
entendu parler. Je connais beaucoup de choses du monde futur, ainsi que du Passé. Et je sais
que celle-ci est évoquée dans vos livres d'histoire. Ce quartier, autrefois un lieu de magie, a
été saccagé par le roi et sa cour. Ils ne voulaient pas des gens différents, ceux qui étaient
capables de bien des choses, qu'eux-mêmes n'étaient pas en mesure d'accomplir. Au fil du
temps, cet endroit est devenu un lieu de débauches, de viols, de vols... Il n'est plus rien de ce
qu'il était autrefois. Il a perdu sa grandeur passée... 

 
Une lueur de tristesse passa dans ses yeux, me faisant ressentir de la peine pour lui.
Après tout, pourquoi cela serait-il impossible ? Je désirais y croire, au moins une fois et
mettre ma raison de côté. Rassurée par cette pensée, je pus enfin poser des questions sensées. 


— Alors, tu es... 


— Oui, je m'appelle Evan. Je suis un descendant des Egarés. Si je suis encore en vie
aujourd'hui, c'est parce que je pratique toujours ma magie. J'accomplis des miracles, je
permets aux gens de vivre, malgré tout cela, me répondit-il, désignant la ville d'un geste de la
main. 


Cela brisait un des mystères qui me titillaient. Il en restait cependant tellement. 

 
— Qu'ai-je à voir dans tout ça, moi ? Pourquoi m'avoir envoyé ici, si ce n'est pour me
sauver ? 


— Iric t'avait retrouvée avant nous, toi, l'héritière des Terres Perdues. Tu possèdes le
même pouvoir que moi, tu es dotée de la même mission. Lorsque j'ai compris cela, j'ai fait
mon possible pour t'amener jusqu'ici. Ta magie a fait le reste. Tu vas avoir dix-huit ans au
matin, alors à ce moment là, ta magie s'éteindra pour toujours, et avec elle, l'héritage des
Terres Perdues et des Egarés... Tu deviendras une adulte et tu perdras ton imagination
débordante, et ta faculté de croire que tout est possible. C'est ce qui effacera tes pouvoirs et te
rendra ta nature humaine. C'est ainsi, nous ne pouvons rien y faire. 

 
Sa voix ne fut plus qu'un murmure, pourtant je l'entendis très clairement. Tout ce qu'il
disait fit écho dans ma mémoire, dans ma tête.

— Pourquoi tout s'arrêtera t-il à mes dix-huit ans ? Je ne comprends pas...


— Cette magie est si ancienne, qu'elle a vu naître le monde tel que nous le connaissons. Elle doit disparaître, comme toute chose. C'est pourquoi nous avons aussi décidé que tu serais la dernière à en être dotée. Et que lorsque tu serais adulte, elle s'éteindrait. Nous devions cependant te mettre au courant, tu devais savoir et connaitre ton héritage. Si Iric t'avait tuée ce soir, un événement marquant de l'histoire n'aurait jamais eu lieu. Tu es la seule à pouvoir empêcher les Envers, de détruire notre société. Ils cherchent à faire payer les humains d'avoir anéanti nos lieux de sagesses, nos forêts sacrées. Seule ta magie, une alliance entre modernité et ancienneté, peut détruire les Envers, et leurs pouvoirs. Ils ont fait de la Cour des Miracles, un lieu horrible où se réunissent truands et meurtriers. 

— Je vous aiderai... affirmai-je tranquillement. 

 
J'acceptais cela avec tant d'aisance, que ça m'étonnait. Evan claqua des doigts. Sa
magie bleutée m'entoura, changea mes vêtements en un temps record. Désormais, je portais
une tenue de cuir noir, qui me moulait le corps. Un fourreau, avec son épée, était sanglé à ma
ceinture. Mes cheveux avaient été attachés en tresse, se terminant en boucles brunes sur mon
épaule droite. J'étais d'une beauté éblouissante, et cela me plaisait ! 


— Tu es prête pour devenir une Egarée. Tu disposes d'une nuit pour changer le destin
de la société. Tu dois continuer à accomplir des miracles, Julia. Ne laisse pas la colère et la
haine envahir le cœur de tous ces gens. C'est exactement ce que veulent les Envers. Les
pousser à se rebeller dans la violence, pour semer le chaos chez les humains. En tant
qu'Egaré, j'avais pour but de répandre la magie en ces lieux. Puisque tu es à mes côtés, c'est à
présent à toi de le faire. Pour une seule et dernière nuit... Es-tu prête à te battre pour cela ? 


— Je ne te connais que depuis une heure. Mais je ferais l'impossible pour empêcher
ces gens de partir à la dérive. Que dois-je faire ?


— Tu ressembleras à l'une de tes héroïnes, tu seras une voleuse professionnelle, tu
accompliras des miracles. Je suis certain que tu réussiras la mission qui t'a été attribuée. Sers
toi de ta magie, de cette épée pour parvenir à tes fins, pour déjouer les plans des Envers. Je
dois te laisser, mon temps est désormais écoulé. A partir de maintenant, tu seras totalement
seule, jusqu'à l'aube. Je ne pourrais te venir en aide, même si je le voulais. A toi de découvrir
ce qui se trame, et de l'empêcher... 


Il disparut alors dans un brouillard épais et opaque. J'étais seule, dans un monde que je
ne connaissais pas. Je devais juste me fier à mon instinct, et aux pouvoirs que je possédais. Je
croisai les bras sur ma poitrine, le regard porté sur la ville. C'était à moi de jouer à présent. Je
ne pouvais plus me comporter en peureuse, le sort de notre société moderne en dépendait.
Pourquoi avais-je été choisie ? Pourquoi y avais-je cru tout de suite, sans me poser de
questions ? Je ne pouvais résoudre ces mystères, mais cela m'importait peu au final. Je ne
disposais que d'une nuit, une seule et unique nuit qui me ferait vivre tant de choses
impossibles. Je ne désirais donc pas la gâcher en écoutant ma raison. Je ne devais compter que
sur mon cœur. 

 
Si j'avais bien compris, la mission des Egarés étaient d'empêcher la haine et la colère,
générées par les Envers, d'entrer dans le cœur des gens. Voilà pourquoi Evan avait continué à
accomplir des miracles, qui avaient donné son nom au quartier des Halles. Tout me paraissait
clair maintenant. Sans perdre un instant, je me concentrai pour voler comme je l'avais fait aux
côtés d'Evan. Je devais regagner la terre ferme pour commencer ma mission. Mes pieds
décollèrent, m'envolant dans un ciel sans étoiles. 

 
Une fois au sol, je m'empressai de me cacher derrière un mur, pour ne pas me faire
remarquer. Vu la tenue que je portais, les gens verraient immédiatement que quelque chose
clochait, et cela alerterait les Envers. Même si Iric avait déjà dû les prévenir de ma présence, ils ne connaissaient pas mon visage. Je me plaquai contre une colonne, loin des flammes
flamboyantes des torches. Si les Envers connaissaient le futur, alors ils pourraient me repérer
de loin. Je me penchai un peu, pour observer la place. Tout était silencieux, seules des ombres
furtives me prouvaient que les gens étaient bien là. Quelqu'un passa à quelques mètres de
moi, m'obligeant à me cacher aussi vite que possible. 


Une fois sûre qu'il n'y avait plus personne, je soupirai, puis me glissai dans une rue
perpendiculaire, où je récupérai une vieille cape noire. Je la dépoussiérai, puis la nouai autour
de mon cou. Elle me permettrait de passer plus inaperçue. Je rabattis la capuche sur ma tête,
puis m'engageai à nouveau sur la place. Je devais en apprendre plus sur ce qui se tramait ici,
quel était le rôle des Envers ? Malgré la protection de la cape, je ne me sentais pas en sécurité.
J'étais dans une autre époque, dont je ne connaissais pas grand-chose, en fin de compte.
Je marchai d'un pas rapide. Sans que je n'en prenne conscience, je me retrouvai sur un
petit chemin, au bord des bois. La forêt le bordait jusqu'à la ville. Un bruit de roues en bois
attira mon attention, que je reportai sur la route devant moi. Au loin, j'aperçus un cheval,
tirant un carrosse de riches. Le cocher baillait aux corneilles, sans prendre garde à ce qui
pouvait se trouver sur le sentier. Je profitai de cet instant d'inattention pour me faufiler
derrière un arbre, sortir l'épée de son fourreau en attendant que le carrosse passe plus près.
Une fois à quelques mètres de moi, je bondis sur le siège du cocher, lui plaquai mon épée sous
la gorge. Il eut un sursaut de peur, n'osant alors plus bouger. 


— Arrête les chevaux ! Tout de suite ! lui lançai-je d'une voix forte. 


Il tira sur les rênes, pour stopper les bêtes. Aussitôt, le carrosse s'arrêta, manquant de
basculer en avant, sous l'effet de choc. Je ne disposai que de peu de temps, avant que les gens
à l'intérieur ne se posent des questions. 

 
— Dis-moi où se trouvent les chefs de bandes de la Cour des miracles !


Le cocher recula, les lèvres tremblantes. 


— Ils... ils s'réunissent tous les soirs à la Taverne... J'ai entendu dire que quelque
chose se préparait ce soir... j'en sais pas plus... répondit-il en faisant mine de se protéger.
Je retirai mon arme de son cou, la rangeai dans son fourreau, puis sautai du siège. Sans
se faire prier, le cocher fit claquer les rênes sur les chevaux, qui redémarrèrent au quart de
tour. Bien, j'avais enfin une information essentielle pour mon enquête. Si les Envers
préparaient quelque chose ce soir, je ferais tout mon possible pour y mettre mon grain de sel.
Je longeai à nouveau le chemin aux bords des bois, jusqu'à la ville. 


Une fois de retour à la Cour des miracles, je me dirigeai vers la Taverne. Je ne
connaissais pas grand-chose de ce monde, pourtant, je savais que ce n'était pas prudent pour
une jeune fille de pénétrer dans un bar la nuit, seule. Je devais donc rester très méfiante.
L'établissement formait l'angle de la place. Là-bas, je dénicherai sûrement des
informations importantes sur les plans des Envers. J'accélérai le pas, des odeurs de pourritures
et de relent d'alcool me parvinrent. Je fronçai les sourcils, mais ne me bouchai pas le nez pour
ne pas paraître étrange. Je devais m'habituer à ces odeurs, si infâmes soit-elles. Je poussai la
porte, pénétrai dans les lieux. Personne ne fit attention à moi, j'en profitai pour m'asseoir à
une table, dans un coin reculé. Avec un œil et une oreille attentive, j'observai tout ce qui se
passa autour de moi. Les gens buvaient de la bière, discutaient de choses et d'autres. Rien ne
paraissait suspect ou anormal, pourtant, les Envers se cachaient là, parmi tout ces gens.
Un serveur me demanda si je prenais quelque chose. Je le renvoyai d'un geste brusque,
prêtant soudain attention à une table en particulier. Iric se trouvait dans un groupe de quatre
hommes, qui discutaient autour d'une chope de bière. Je me rapprochai lentement, pour tenter
de comprendre leur conversation.

— T'es vraiment un incapable, Iric. T'aurais dû l'attraper ! T'es fait berner par une
gamine du futur. 


— Je suis certain que l'autre taré d'Evan l'a ramenée ici. Maintenant qu'elle sait la
vérité, on se moque pas mal d'elle. Le plus important, c'est notre réunion de ce soir. Nous
ferons entrer la haine dans le cœur de la populace, pour les forcer à s'rebeller. Cela déclenchera un chaos énorme, mettra le pays à feu et à sang. La violence et la colère doivent
régner en maître... 


Il éclata d'un rire ivre, reprenant une gorgée d'alcool. Je me plaquai derrière une
colonne, pour réfléchir un instant. La rébellion : ils en connaissaient le sens, savaient pourquoi
les gens s'étaient révoltés. Ils allaient donc se servir de la colère qui régnait déjà, pour semer
le chaos et détruire la société. Je devais empêcher cela ! Je tendis la main devant moi, bougeai
les doigts. Une intense énergie me picotait la peau. Je n'avais jamais utilisé cette magie,
j'ignorai donc comment m'y prendre. 

 
Un éclat de voix me fit tendre à nouveau l'oreille. Un homme venait de rentrer dans la
taverne. Après avoir récupéré un énorme verre d'alcool, il fronça les sourcils pour observer ce
qui se passait. Je remarquai que les gens baissaient la tête, faisaient tout pour ne pas croiser
son regard. Iric l'interpella, menaçant de renverser sa chope sur le sol. 


— Hé chef, on parlait de notre coup de ce soir ! 


Aussitôt, l'homme se tourna vers le groupe, le regard furieux, écrasa le verre entre ses
mains, qui retomba en petit morceaux brillants sur le sol crasseux. 


— Maudits bougres ! Notre ennemie est peut-être parmi nous ! Qui vous dit qu'elle ne
se cache pas pour nous espionner ?

La peur envahit mon cœur, ma lèvre trembla légèrement. Pourvu que je ne me fasse
pas repérer, sinon j'étais foutue. 

 
— Maintenant, fermez-là, et suivez-moi. Nous devons organiser le rassemblement. Il
ne nous reste plus que deux heures. 


Cela me fit prendre conscience que je ne savais pas quelle heure il était ! Je regardai le
mur en pierre en face de moi, attendant que les quatre hommes aient quitté les lieux. Puis à
mon tour, je me dirigeai vers la porte. Une fois dehors, la pluie tombant en trombe, mouilla
rapidement ma cape. Soudain, je sentis une main poisseuse se refermer sur mon poignet. Je
me tournai lentement, sans réagir au début. Un jeune homme se tenait devant moi, le visage
couvert de goutte de pluie et de sueur. Ses yeux étaient emplis d'un désir sexuel, je voyais
qu'il se contrôlait pour ne pas me sauter dessus. 


— Allez ma belle, pour qu'une fille aussi jolie qu'toi rentre dans c'genre d'endroit,
c'est parce qu'elle veut s'amuser. Je suis sûr que ça sera génial... 


Il manqua de tomber lorsqu'il s'avança. Son haleine empestait l'alcool, me faisant
froncer le nez. Mon calme me quittait peu à peu, pourtant je mis un masque d'impassibilité
sur mon visage. 


— Je ne crois pas... lâchai-je d'un ton dur, abrupte. 

Il se redressa, voulant tenir droit sur ses pieds. 


— Moi, je suis... sûr... que si, bafouilla t-il. 

 
Il s'avança encore pour tenter de m'embrasser, mais je le repoussai. Il s'étala sur le sol
en pierre, à moitié sonné. Le voir ainsi, sous la pluie battante, écroulé comme un animal
blessé, me fit comprendre l'engagement de la mission m'ayant été donnée. Quelque soit le niveau social, l'individu, ou autre, je devais donner une deuxième chance aux malheureux. Je
joignis mes mains, fermai les yeux et me concentrai. Je ne contrôlai plus rien et ne savais pas
ce que je faisais. Aussitôt, l'intense énergie partit de mon cœur, picota ma peau jusqu'à mes
bras, puis rejoignis mes paumes. 

Je rouvris les paupières, laissai s'échapper la magie qui scintilla d'une lueur vert sombre, ondula comme un serpent jusqu'à l'homme. Ses yeux s'écarquillèrent, même si je savais qu'il ne comprenait pas ce qui se passait. Le pouvoir le toucha, explosa dans un feu d'artifice mêlant un dégradé de vert. Je fus soufflée par un vent fort, qui s'éteignit rapidement. Lorsque je pus enfin y voir plus clair, le jeune homme se tenait devant moi. Il observait ses nouveaux vêtements neufs, ses cheveux étaient propres et coiffés, il sentait bon. Il rayonnait de bonheur, d'espoir ! Un sourire naquit sur ses lèvres, lorsqu'il parla. Sa voix était désormais sensuelle, teintée d'un léger accent régional. 


— Alors le mythe de la Cour des Miracles était vrai... Mademoiselle, j'ignore qui vous
êtes, mais vous venez de me donner une deuxième chance, et je ne la gâcherai pas.
Il s'inclina poliment puis s'enfonça dans la ruelle sombre sur ma droite. Le sentiment
de fierté qui m'envahit alors, me donna encore plus envie de continuer sur cette lignée. Pour
la première fois de ma vie, je me sentais utile à quelque chose. 


Durant le temps qu'il me restait avant le rassemblement, j'accomplis des miracles, aidai des malheureux à croire à nouveau en la vie. Cette époque était tellement différente de la
nôtre, pourtant, je m'y sentais à mon aise. Les gens reprenaient espoir, tout en gardant un
certain libre arbitre. Même si je ne connaissais pas les réelles intentions des Envers, la
nouvelle croyance que j'instaurais en accomplissant des miracles, me donnait davantage
d'énergie. 

 
Je me repérai grâce aux étoiles pour connaitre l'heure. Environ vingt minutes avant le
rassemblement, je montai sur un toit, m'accroupis pour observer la place. Tout était calme, pourtant des hommes s'acharnaient à monter une sorte de scène en bois. Le groupe d'Iric se
tenait sous les torches, discutant. La foule commençait à arriver, remplissant petit à petit la
cour. Tout les malheureux, les exclus de la société étaient rassemblés en ces lieux. J'attendis,
me concentrant, rassemblant mon énergie magique. Je levai la tête vers le ciel : quatre heures
du matin environ. Une voix s'éleva du brouhaha ambiant, forte et pleine d'une assurance
sinistre. 


— Français, françaises. Je suis ici aujourd'hui pour vous parler de vôtre, de notre
situation catastrophique. Notre roi, la royauté et sa cour se moquent pas mal de savoir que
nous sommes dans la merde, que nous ne mangeons pas à notre faim. Ils se foutent de la
populace, et préfèrent être entre bourges. Je suis donc là pour vous encourager à vous battre,
avec violence, pour montrer que vous êtes là, que vous vivez et méritez mieux que cette
misérable place, cette vie de débauche. Vous n'avez jamais rêvé d'une vie à la Cour, de
bonheur ? Rebellez-vous, laissez la haine emplir vos cœurs, qu'ils soient impénétrables ! 


Un mouvement de colère emplit l'atmosphère, teintant l'air d'une odeur désagréable.
Je grimaçai, mais n'intervins pas. J'avais besoin d'en savoir plus sur leurs intentions, pour
mettre mon plan à exécution. Le chef des Envers s'approcha du bord, regardant les gens avec
énormément de mépris. Il leva les bras, provoquant un élan de haine qui engorgea un peu plus
le cœur des gens. 

 
— Autrefois, cet endroit était un lieu de magie, un lieu sacré. Tout cela n'existe plus !
Ça a été saccagé par la royauté, par notre société. Tous ces miracles qui étaient accomplis,
notre espèce qui fut détruite, tout cela doit vous faire réagir ! Brûlez tout, détruisez, tuez,
défoulez-vous pour laisser exprimer votre colère !
Une magie sombre scintilla dans l'air frais de la nuit, noire et aussi froide que la glace.
L'Envers tendit les mains, récupérant la haine qui embaumait les lieux. Je frissonnai, sentant
son emprise qui pénétra ma poitrine. Ce fut le cas pour tous ceux rassemblés en contrebas. Le
pouvoir sinistre fut aussitôt rejeté de mon cœur, mais pénétra davantage ceux des gens. C'était
le moment pour intervenir. Je me relevai, m'envolai puis redescendis en piquée vers les
Envers. 

Mes mains projetèrent plusieurs rayons de magie verte, qui emprisonnèrent mes
ennemis, sans qu'ils ne puissent réagir. Rageur, le chef des Envers me fusilla du regard.
Sans lui accorder un regard, je me tournai vers le « public ». Tous avaient les poings
serrés, les yeux luisant de rage. J'inspirai fortement, pour me donner du courage. 


— Je sais que vous en voulez à votre société, que vous désirez croire au bonheur, et à
une vie meilleure. Ne croyez pas que cela sera fait, si vous renversez la monarchie ! Vous
méritez tout cela, cent fois ! Mais vous rebeller dans la violence, laissez la colère emplir vos
cœur, ne résoudra rien ! 

 
Aussitôt, le calme, l'ambiance sinistre retombèrent. Je sentis l'atmosphère s'apaiser
lentement. La magie donna alors à ma voix, une teinte sérieuse, et pleine d'espoir. Je ne
disposais plus de beaucoup de temps. La nuit qui m'avait été accordée touchait à sa fin. Au
matin, j'aurais dix-huit ans, tout cela s'effacerait à jamais. Voilà pourquoi je voulais déverser
tout ce que j'avais sur le cœur, tout ce que cette aventure avait pu m'apprendre. 

 
— Vous possédez tous un libre arbitre. Alors certes, la royauté a détruit votre lieu de
magie, vos forêts sacrées, mais la vie en elle-même est un miracle ! Apprenez à la chérir,
même dans les moments les plus difficiles. Je sais que cela est facile à dire, mais plus difficile
à supporter au quotidien. Si je retiens une chose de ce fabuleux voyage, c'est que la vie n'a
pas de prix ! Je me plaignais de ma situation, alors que j'étais tout simplement ridicule. Il y a
pire que moi, mieux aussi, je m'en fous après tout. Tout ce qui importe, c'est ma vie, et la
façon que j'ai de la mener. Je voulais vivre une aventure, je désirai être quelqu'un d'autre. mentalement. Toutes mes illusions de gamine se sont effacées pour laisser place à une
nouvelle façon de voir les choses. Vous voulez vous rebeller, alors faîtes-le ! Mais seulement
si vous le désirez réellement. Tout cela finira par avoir un sens... 


Je levai les bras, mis mes mains en coupe, laissant le pouvoir me porter dans les airs.
La magie en sortit, fit luire ma peau d'un vert, pailletée d'or. Elle se déversa sur la population,
au moment où le soleil se levait à l'horizon. L'air regorgea alors de sérénité, qui pénétra dans
le cœur des gens. J'avais complètement oublié les Envers, mais je savais que leur magie
s'éteindrait en même temps que la nuit. Et qu'ainsi, ils ne pourraient plus nuire à personne.
L'aube approchait, inondant la ville, ses campagnes d'une douce lumière orangée. La chaleur
enivrante me recouvrit lentement, je fermai les yeux. Lorsque je les rouvrirai, tout serait fini.
J'avais accompli ma mission, cela aurait-il le but escompté ? Seule l'histoire nous le dirait...

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