2. Pacte avec Saddy
La maison familiale est silencieuse lorsque je pousse la porte d'entrée. Il est vrai que depuis le départ de mon père, ma mère n'est pas souvent présente pour nous accueillir. Libre à elle de vivre comme elle le souhaite, mais je suis en train de me demander si elle n'a pas une nouvelle personne dans sa vie. Cela fait néanmoins qu'une année que le divorce a été prononcer. Ma soeur et moi n'avons pas été surpris par cette décision, leur couple n'allait pas bien depuis un sacré moment. Mon paternel habite désormais dans une maison près de la mer tandis que ma mère garde cette grande maison même en vivant seule.
Mes pas résonnent dans l'entrée tandis que je m'avance à la recherche du courrier maudit. Le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine, je découvre une pile de lettres sur la petite table d'entrée. Une chance pour moi ! Ma mère n'a pas encore découvert son contenu et c'est tant mieux ! Une silhouette plantée devant moi attire mon attention. Un hurlement strident s'échappe de ma bouche en reconnaissant ma grande soeur. Ses cheveux châtains sont redressés en un chignon haut dont quelques mèches frôlent ses joues.
— Je me doutais bien que tu viendrais.
— Bon sang ! Tu m'as fichu la trouille, Addy !
Elle fronce les sourcils en me regardant fixement. C'est alors que je remarque une enveloppe dans sa main avec le logo de l'université. C'est pire que mes parents ! Un élan de panique me submerge tandis que je m'apprête à courir pour sortir de la maison le plus vite possible. Saddy - le délicieux surnom que j'ai inventé spécialement pour elle, un mélange de Satan et de son prénom - claque la langue contre son palet tout en attrapant mon bras.
— Est-ce que tu peux expliquer cette lettre ? Je pensais que tu avais enfin ouvert les yeux sur l'importance d'un bon avenir, mais je constate que ce n'est pas le cas.
— La lettre parle d'elle-même.
Saddy fronce les sourcils puis m'entraîne jusque la cuisine pour que nous ayons une conversation sérieuse. Je ne voulais vraiment pas faire face à ma soeur. Elle est tellement parfaite que je m'attendais à ce qu'elle me fasse ce genre de remarque. Je soupire puis tente de lui arracher la lettre des mains.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? Il me semble que l'année avait bien débuté et pourtant voilà une lettre de ton université pour annoncer que tu es renvoyé ! Je ne te comprends pas, Alex. Tu es un excellent élève et pourtant tu ne fais que des conneries.
Je hausse les épaules, indifférent à ce qu'elle vient de dire. Addy est la petite fille modèle, étudiant pour devenir professeur des écoles avec un moyenne et un comportement irréprochable. La famille ne cesse de faire des éloges sur elle, ce qui me fait culpabiliser à chaque fois. Aux yeux de mes proches, je suis un bon à rien qui attend que le temps passe pour faire quelque chose de sa vie.
Mon manque de motivation pour l'université n'est pas causée par une phobie scolaire, mais quelque chose de plus profond que je ne parviens pas à comprendre moi-même. Est-ce ma peur de grandir qui est la cause de mes problèmes actuels ? Les personnes de ma vie grandissent, évoluent alors que je reste le même. Personne ne comprend ce que j'éprouve et cela me donne envie de hurler.
― Quoiqu'il en soit, je vais devoir aborder le sujet avec les parents.
― Ce n'est pas à toi de le faire ! J'attends juste le bon moment pour en parler.
― Quel bon moment ? Tu comptes te faire passer pour un étudiant encore longtemps ? On devra se rendre à ta fausse remise de diplôme que tu auras organisé toi-même ? Dans la vie il faut être honnête avant que les mensonges ne te rattrapent.
J'avale ma salive de travers en baissant les yeux.
― J'ai besoin d'un peu de temps pour remettre de l'ordre dans ma tête et savoir comment amener le sujet sans provoquer la colère de maman ou papa. J'attends de revenir de mes vacances pour tout dire, mais tu as l'interdiction d'ouvrir ta bouche pour le répéter.
― Tu crois sérieusement que maman acceptera de te laisser le van pour partir en vacances avec tes amis ? Mon pauvre, tu vis vraiment dans un monde imaginaire pour ne pas prendre conscience à quel point tu ressembles à un gamin ! Ouvre les yeux maintenant !
― Je n'arrive pas à croire que tu puisses continuellement me juger depuis le début de notre adolescence. J'ai toujours le droit à des critiques constructives de ta part pour me rappeler à quel point je suis pathétique.
Je lui lance un regard furieux en essayant de reprendre le contrôle de ma propre colère. Addy secoue la lettre sous mes yeux en prononçant des mots que je n'entends pas. J'ai conscience de ne pas être en mesure de l'empêcher de parler à nos parents cependant il est tout à fait possible que je prenne mes valises et prendre la route avant que ma soeur ne puisse ouvrir la bouche. C'est un bon plan. Je serais loin de la maison lorsqu'ils apprendront la vérité !
― Que dis-tu de passer un accord avec moi ?
― Qu'est-ce que tu veux dire ?
― En échange de ton silence, je te propose de m'occuper de ta lessive chaque semaine pendant une année complète. C'est une proposition intéressante, n'est-ce pas ? Accorde-moi juste un peu de temps pour bien formuler cette... annonce.
Saddy lève les yeux au ciel.
― Rappelle-moi ce qui s'est passé la dernière fois que tu as touché à mon linge ?
― Ton pull rose est devenu gris...
― Exactement ! Le pull que j'ai eu tant de mal à trouver parce qu'il était en rupture de stock partout et qui maintenant n'existe malheureusement plus. Tu ne m'as jamais remboursé d'ailleurs, il faudrait y songer.
― C'était un accident...
― Je ne te fais pas confiance au sujet de ma lessive, mais peu importe ce que tu proposes, il est hors de question que je camoufle cette information aux parents. Faut-il te rappeler qui paie les frais de scolarité ? Je t'accorde jusqu'au 5 Juillet pour tout dévoiler aux parents sinon je le ferais moi-même que tu sois d'accord ou non.
J'écarquille les yeux.
― Je pars le 6 Juillet !
― Tu te débrouilles, c'est ton mensonge et non le mien.
― Très bien...
― C'est trop facile de partir en vacances pour prendre la fuite et ne pas subir les conséquences de tes choix. Inutile de détruire la lettre, je me suis occupée de faire plusieurs copies pour que tu ne puisses pas tout gâcher.
Addy est bien plus intelligente que moi, c'est un fait que je déteste reconnaître. Je ramasse la lettre de l'université que j'enfonce dans ma poche puis lui tourne le dos. Inutile de rester une minute de plus dans cette maison, Clara attend dans la voiture. Je suis sur le point de sortir lorsque la voix de ma soeur parvient jusqu'à mes oreilles.
― Essaie de prendre la bonne décision, frérot.
― Je sais ce que je dois faire, merci.
Je claque la porte d'entrée puis soupire en contemplant la pelouse parfaitement tondue. Il me reste peu de temps pour organiser mon départ sans éveiller les soupçons de ma soeur et quitter la ville. Connaissant Addy, elle risque de me mettre une pression monstrueuse pour que j'évoque ce sujet avec les parents cependant je ne compte pas lui laisser le temps de me piéger et gagner ce combat. Je m'avance jusque la voiture de mon amie puis monte dans la voiture, un petit sourire aux lèvres.
J'explique ma brève discussion avec la blonde qui ne perd pas sa concentration jusque notre prochaine destination.
― Te connaissant, tu as une petite idée en tête.
― Elle est très intelligente, mais je suis bien plus malin sur bien des points.
Clara conduit jusqu'au centre-ville pour que nous passions le reste de l'après-midi ensemble. Les problèmes de l'université m'aide à ne pas songer à ma rupture avec Maël, ce qui fait un bien fou. Je n'avais pas conscience à quel point un coeur brisé pouvait faire mal. Comment peut-on le guérir, d'ailleurs ? Ce n'est pas indiqué dans un quelconque manuel ! Heureusement, les préparatifs du voyage vont me permettre de ne pas y songer bien longtemps. C'est également le but de ces vacances avec mes amis du camp.
J'ai réservé deux chambres dans un hôtel confortable près d'une plage à huit heures de route. C'est la raison pour laquelle je souhaite prendre le van pour nous permettre de faire la route sans encombre jusque notre destination et pouvoir faire des pauses en cas de besoin. Ce plan semble idéal, mais je ne suis pas certain de vouloir me rendre dans cet hôtel. Cela me semble trop simple même pour des simples vacances.
Mon amie trouve une place pour sa voiture puis me demande de la suivre. Les vacances scolaires sont sur le point de débuter pour les collégiens et les lycéens. Ils profitent de cette occasion pour aller faire un petit tour sur la plage du coin. Dunwood n'est pas la plus belle ville au monde néanmoins la vie y est confortable. Aucune mauvaise surprise ne m'attends, ce qui me convient parfaitement.
La blonde extirpe de son sac deux paires de lunettes de soleil. La verte en plastique m'appartient, je m'empresse de lui prendre des mains en poussant des exclamations de joie. J'y tiens comme à la prunelle de mes yeux.
― C'est pas vrai ! Elles étaient où ?
― Dans la voiture de Nathaniel, il a eu la gentillesse de me les apporter avant son départ.
C'est un cadeau offert l'été dernier par mon plus proche ami lors de son passage en ville. Je regrette que nous ne puissions pas nous voir plus souvent. Ces vacances tombent au bon moment, on va pouvoir renouer et passer quelques semaines ensemble. Je sais que cela ne fera que renforcer la colère de ma soeur, mais j'ai besoin de prendre mes distances avec cette ville et me ressourcer.
― Bon notre après-midi est loin d'être terminée alors je te propose une activité parfaite pour nous ! Que dirais-tu de faire un saut à la piscine du coin et ensuite manger une petite glace ? Il est hors de question que tu passes ton temps à déprimer.
― Ce n'est qu'une rupture, j'arriverais facilement à m'en remettre. Cela ne fait pas de moi une personne en sucre, mais je te remercie de veiller sur moi. Tu devrais songer un peu plus à toi surtout côté coeur si tu veux mon avis.
― L'amour très peu pour moi !
Nous passons le reste de l'après-midi à nous prélasser dans la piscine en essayant de ne pas nous faire écraser par les enfants et adolescents. J'aimerais tant échanger ma vie de jeune adulte pour revivre mon adolescence et la savourer le plus possible. Après cette agréable baignade en compagnie de mon amie, nous nous baladons dans la rue marchande contenant un grand nombre de boutiques. Carla pointe du doigt le meilleur marchand de glace de la ville puis sautille comme une enfant. En cas de peine de coeur, rien ne vaut un bon cornet de Perles de Glaces pour retrouver le sourire. Max est une grande amoureuse de ces créations artisanales et s'entend très bien avec le vieux couple s'occupant de vendre leurs créations.
Il y a une queue abominable devant les marchands qui font de leur mieux pour servir dans le meilleur temps possible. Je me penche en avant pour lire les nouveaux parfums disponibles en réfléchissant à ce que je vais bien pouvoir prendre. J'ai toujours autant de mal à prendre des décisions même les plus simples.
Lorsque notre tour arrive, je ronge nerveusement mes ongles pour faire mon choix. Clara opte pour un cornet à trois boules en choisissant à la fraise, banane et framboise. Affamé parce que je n'ai rien mangé depuis ce matin, j'opte pour la plus grande glace qui a six énormes boules de glaces. Comme toujours, mon choix se porte sur les plus classiques aux extrêmes. J'aime tester mes propres limites. Nous trouvons un banc libre pour nous installer et discuter.
― Tu pars en vacances cet été ? demandé-je.
― Non je préfère rester à la maison pour terminer mes projets. J'ai encore beaucoup de travail, je ne peux pas me permettre de me prélasser au bord de la mer alors que j'entre en troisième année ! Cara et mes parents partent en Italie pour la deuxième année consécutive et je sais que Clara a décidé de ne pas y aller non plus. J'aurais la maison pour moi toute seule, elle va certainement vagabonder tout l'été.
― La vie ne repose pas uniquement sur le travail, Clara. Il est important que tu apprennes à te détendre et t'amuser un peu ! Je pense que tu devrais partir en Italie avec ta famille pour t'amuser, c'est triste de rester seule.
Clara m'observe en silence avant de soupirer.
― Tu as sûrement raison, mais...
― Non non ! Le travail n'est pas une excuse pour ne pas penser à toi et profiter de la présence de ta famille. Si tu veux vraiment me faire plaisir, accompagne ta famille en Italie et éclate-toi pendant ces quelques semaines de vacances !
― Tu arrives toujours à convaincre les autres...
Je gratte nerveusement ma nuque.
― Parce que je suis le meilleur donneur de conseils !
― Essaie de les appliquer pour toi-même.
Nous passons un moment à discuter de tout et de rien en mangeant nos délicieuses glaces. Ma mauvaise humeur s'est envolée grâce à la présence de Clara. Elle est une grande force dans mon quotidien tout comme Max. Lorsque celle-ci me raccompagne, je songe seulement à mes vacances. En théorie, nous prenons la route vers une grande ville comportant la totale : la plage, un hôtel confortable ainsi qu'une piscine. Mais cette idée ne m'emballe plus tant que ça. C'est idiot dans la mesure où nous avons tout réservé spécialement pour l'occasion, mais cela me semble bien trop facile. Je ne veux pas passer mes journées à ruminer.
Une fois seul dans mon appartement, je m'empresse de prendre mon portable pour mettre en place mon idée. Cela risque de me mettre davantage dans la merde, mais au point où j'en suis ce n'est plus un problème.
― Milo, j'ai besoin de toi.
13.07.2022
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top