Chapitre 8 : J'ai déjà

Ce soir, c'est Benjamin qui organise une soirée. Il m'a contactée spécialement pour m'inviter. Apparemment, cette fois-ci, il ne m'a pas oubliée.

J'ai failli refuser, mais après une discussion tendue avec mes parents qui m'ont reproché mes sorties trop régulières et un défilé de photos de la merveilleuse soirée bowling de mes amis, le besoin de sortir se fait cruellement ressentir. Bien que je sois convaincue que l'idée ne soit pas brillante, je ne serais même pas contre l'idée de remettre le couvert avec lui.

Je m'habille d'un short en jean et d'un crop-top à manches courtes aux motifs marins. Étant donné que l'ex-roi du lycée habite plus loin dans la campagne, il vient me chercher à moto. J'ai choisi de l'attendre sur la place du village afin d'éviter d'autres remarques désapprobatrices de mes parents.

Quand il arrive, il me salue avec un grand sourire et me claque trois bises. Il a de l'allure, avec sa tenue de motard et son bolide. J'enfile le casque qu'il me tend et me place derrière lui.

« Accroche-toi bien ! » m'avertit-il.

En effet, il n'y va pas de main morte sur l'accélérateur. Nous filons au milieu des champs, prenant parfois des virages très serrés. Je sens l'air me fouetter le visage et mes narines s'emplissent des effluves de la campagne. Un bras autour de son torse, je lève l'autre pour apprécier encore plus l'ivresse de la vitesse.

Mon chauffeur se gare dans son allée en laissant crisser les graviers sous ses roues, et les visages des personnes déjà présentes se tournent vers nous.

Je retire le casque et secoue la tête pour redonner un peu de volume à mes cheveux. Benjamin passe un bras autour de mes épaules et m'entraîne avec lui pour saluer ses invités. Il me présente à ses amis, dont certains avec qui j'ai passé près de sept ans de scolarité mais qui ne me reconnaissent pas pour autant.

« Alors, toi qui a l'air d'avoir tant changé, combien de shots tu peux t'enfiler ?

— C'est un défi ? »

Il glisse un plateau de shots devant moi, et un gars reçoit le même de l'autre côté de la table. Je l'affronte, alignant les shots et ignorant ma tête qui tourne. Je ne m'accorde aucune pause jusqu'au dernier que je bois d'une traite avant de lever les bras, triomphante.

« Mesdames et messieurs, Chloé Pelletier ! » lance Benjamin avant de m'attirer contre lui et de m'embrasser.

Des applaudissements se font entendre et je souris bêtement alors que mon regard embrumé parcourt mon public. Je rencontre celui de Quentin, amusé et presque admiratif. Je ne m'attendais pas à le croiser ici ce soir. Il est peut-être ami avec Benjamin, après tout.

Je m'autorise ensuite une pause et quelques gorgées d'eau, laissant l'hôte de la soirée se pavaner tout seul.

« Alors comme ça tu es l'invitée d'honneur ce soir ? s'amuse Quentin qui me rejoint.

— Je ne savais pas que tu serais là, réponds-je en lui claquant la bise.

— Les listes d'invités ne changent pas tant que ça d'une soirée sur l'autre. Même si certains sont des VIP, sous-entend-il.

— Tu nous as vu arriver à moto, c'est ça ?

— Ça m'a un peu surpris. Benjamin n'est pas réputé pour avoir une conduite sûre.

— Effectivement, j'ai pu expérimenter ça.

— À quoi tu joues, avec lui ?

— Ça te va mal de jouer les protecteurs, répliqué-je, surprise par sa question.

— Je ne joue pas les protecteurs, je m'interroge juste. Tu l'as jamais apprécié, il t'a toujours ignoré, et maintenant on dirait que tu te jettes dans ses bras.

— N'inverse pas les rôles, c'est plutôt lui qui s'est jeté dans mes bras. J'en ai rien à faire de qui il était au lycée, de qui il est maintenant ou de qui il sera quand l'été sera fini. On profite juste, y a pas de mal à ça. Et tu sais quoi, je peux avoir qui je veux ici ce soir. »

Il fronce les sourcils, l'air circonspect. Il s'apprête à répliquer quelque chose mais Benjamin entre dans la pièce et passe un bras autour de ma taille.

« Tu viens, on va faire un Je n'ai jamais. J'ai hâte de découvrir tout ce que tu nous caches encore. Toi aussi Quentin, joins-toi à nous ! Je suis certain que tu vas beaucoup boire. »

Il m'entraîne avec lui et je jette un dernier regard à Quentin qui secoue la tête en soupirant avant de nous suivre. Son expression est presque désapprobatrice, mais je sens qu'il est content de voir que je m'amuse.

Nous nous installons autour d'une table de jardin avec une dizaine de personnes, chacun un verre devant nous. Je suis à côté de Benjamin et Quentin est en face de moi.

« Voici venu le temps de vérité, s'enflamme-t-il en battant les cartes du jeu avant de les distribuer. Préparez-vous à révéler vos secrets les plus cochons. Pour rappel, vous devez boire si vous avez déjà fait ce qu'indique la carte. »

Chacun reçoit un petit paquet de cartes bleues pour les lire tour à tour.

« Je n'ai jamais... simulé un orgasme. » commence l'hôte de la soirée.

Sans aucune exception, toutes les filles présentes autour de la table boivent, moi y compris. Nous n'échappons pas aux œillades et aux airs surpris de certains gars dont l'ego semble être atteint.

« Je n'ai jamais... provoqué une bagarre. » poursuit sa voisine de gauche.

Je porte mon verre à mes lèvres et me remémore cette soirée, au début du printemps, où je me suis involontairement retrouvée à l'origine d'un conflit entre deux mecs. L'histoire aurait d'ailleurs pu se terminer en bain de sang si la sécurité de la boîte n'était pas intervenue.

« Je n'ai jamais pris de la drogue sans savoir ce que c'était exactement. » enchaîne une autre fille.

S'il y a une chose sur laquelle j'ai limité mes expériences au cours de cette année mouvementée, c'est bien la drogue. Mais je n'ai pas toujours été assez forte pour résister à la tentation. Je n'ai jamais réussi à identifier ce que contenait cette pilule qui m'a fait planer toute une nuit le soir de la Saint Patrick.

Je prends une gorgée et croise le regard de Quentin, lui aussi en train de boire. Il hausse un sourcil et mes lèvres s'étirent malicieusement.

« Je n'ai jamais sauté d'une voiture en marche. »

Un petit rire m'échappe alors que je bois, m'évoquant cette aventure inattendue. Cette fois, je suis apparemment la seule à avoir bénéficié de cette expérience, ce qui suscite l'engouement général et l'air circonspect de Quentin.

« Va falloir que tu nous racontes, là. Tu t'es prise pour James Bond ? s'enquiert Benjamin.

— C'est assez cocasse... J'étais avec une pote dans la voiture de deux gars et puis au final on a décidé qu'on ne voulait pas rentrer avec eux. On aurait pu leur demander de s'arrêter, mais au lieu de ça j'ai juste ouvert la portière et on a sauté... C'est d'ailleurs ce qui m'a valu cette cicatrice de guerre, expliqué-je en montrant la marque encore légèrement visible sur mon genou. Pour ma défense, on était totalement bourrées. »

La tablée éclate de rire, et je suis ravie que la débilité de cet exploit soit saluée avec tant d'entrain. Benjamin m'applaudit même en murmurant quelque chose d'inaudible contre mon oreille. Je crois qu'il a parlé de moto, mais je n'en suis pas bien sûre.

« Je n'ai jamais couché avec quelqu'un ne parlant pas ma langue. »

J'hésite un instant et fouille dans ma mémoire. Il y a bien eu cet étudiant étranger avec qui j'ai failli conclure, mais je suppose que ça ne compte pas. Nous écoutons l'anecdote croustillante de celle qui s'est tapé un prince du Moyen-Orient, rencontré en boîte lors d'un voyage en Espagne.

« Je n'ai jamais... passé la nuit au poste. »

Je prends une gorgée de ma boisson, balayant des yeux les autres participants. Quentin et un autre gars ont visiblement également vécu cette expérience. Le premier à cause d'une bagarre devant un bar, et le second pour un débordement en manifestation. Lui d'habitude si calme, je ne lui connaissais pas ce tempérament bagarreur. À mon tour, je raconte cet épisode où j'ai fini en garde à vue pour avoir eu la merveilleuse idée d'entrer par effraction dans la piscine municipale pour une baignade nocturne avec des potes.

« Je n'ai jamais fait un test de grossesse. » lit Quentin.

Je bois discrètement en évitant son regard, comme deux autres filles. Le souvenir du stress que j'ai ressenti avant que le résultat négatif s'affiche sur le test n'a rien de très enviable. Heureusement, toute l'attention se reporte sur le seul gars qui avoue avoir déjà pissé dessus « pour tester » alors qu'il était défoncé.

« Je n'ai jamais couché avec quelqu'un ayant plus de 10 ans d'écart avec moi. »

J'ai un flashback de cet homme sexy rencontré en boîte de nuit chez qui j'ai fini par passer la nuit. Il était pompier, ou peut-être gendarme. Quoi qu'il en soit, c'est lui qui se classe en tête de mes meilleurs coups. Jusqu'ici, il n'a jamais été détrôné. Je trinque donc à sa santé.

« Je n'ai jamais... fait un plan à trois. »

Là-dessus, je m'incline. Non pas que l'occasion ne se soit pas présentée. Il y a eu cette proposition étrange d'un de mes potes et de sa copine que j'ai déclinée sans hésitation. Cette pratique ne se classe pas parmi mes fantasmes.

« Ben alors, me charrie Benjamin avec un coup de coude. Il y aurait donc quelque chose que tu n'aurais pas testé ?

— Il faut croire, réponds-je avec un sourire en coin.

— Si jamais ça te tente, on peut toujours s'arranger. » murmure-t-il en se penchant vers moi.

Je pouffe en secouant la tête pour décliner son offre et lis ma carte pour terminer le tour.

« Je n'ai jamais été viré d'un bar. »

Je finis mon verre, repensant à ce groupe de potes qui avait le chic pour s'attirer ou créer les problèmes, et avec qui nous nous faisions quasi-systématiquement virer des bars ou boîtes avant la fin de la soirée. C'est d'ailleurs avec eux que j'avais profité d'une visite au commissariat après notre baignade nocturne.

Nous repartons pour un tour de questions plus ou moins distinguées et j'alterne mon attention entre les commentaires de Benjamin et les regards interrogateurs de Quentin au fur et à mesure que mon esprit s'embrume. Il y a un an, je n'aurais pratiquement pas bu, mes expériences étant bien plus limitées. Ce jeu m'offre une relecture de mon année aussi folle que chaotique. Loin d'être jugées, mes prouesses sont applaudies et je pourrais presque en retirer une certaine fierté.

Quand la partie se finit, je me lève en vacillant légèrement, le temps de retrouver assez d'équilibre pour me diriger vers les pizzas. J'ai besoin de grignoter pour éponger l'alcool. Quand je me saisis d'une part, un gars que j'identifie comme l'un des participants au jeu s'approche de moi.

« Salut, je suis Ludo.

— Chloé, réponds-je entre deux bouchées.

— J'ai beaucoup aimé le récit de ton évasion de voiture.

— Merci, c'est une performance dont je ne suis pas peu fière.

— Tu peux. » s'esclaffe-t-il.

Je me ressers une part de pizza. J'ai si faim que je pourrais m'en enfiler trois. Des pizzas, pas des parts.

« Concernant cette chose que tu n'as pas testée...

— Coucher avec quelqu'un ne parlant pas ma langue ? Désolé, mais tu t'es déjà cramé là.

— Je ne faisais pas vraiment référence à ça. » ricane-t-il.

Il va vraiment me proposer un plan à trois alors que j'ai la bouche pleine de chorizos ?

« Si ça t'intéresse, mon pote et moi on te trouve vachement bonne. »

Je manque de m'étouffer. Si, il le tente vraiment. Et sans s'encombrer de subtilité.

« Ton pote ? articulé-je en m'essuyant la bouche du dos de la main, interdite.

— Là-bas. »

Il me désigne un grand roux qui m'adresse un sourire gêné.

« Écoute, c'est très... aimable de votre part, mais je ne suis pas intéressée.

— Pas de soucis, hésite pas sinon. Si c'est l'aspect collectif qui te dérange, je suis aussi dispo sans lui, lâche-t-il sans crainte de paraître lourd.

— Ok, je note. »

Je cherche du regard Benjamin qui pourrait me servir d'échappatoire, mais ne l'aperçois pas dans les environs. Quentin ayant visiblement remarqué mon inconfort s'invite de lui-même, faisant fuir ce courtisan importun.

« Il faut que j'arrête d'être honnête sur tout, à ce genre de jeu. Ça m'éviterait de trop boire, mais aussi ce genre de proposition quelque peu... déstabilisante.

— C'est vrai que j'en ai plus appris sur toi en trente minutes de jeu que ces six derniers mois.

— Disons que je ne m'en vante pas forcément ouvertement, d'habitude... Et puis, on n'a pas vraiment eu l'occasion de se raconter nos vies depuis longtemps. »

Quentin me connaît bien. Enfin, il connaissait bien l'ancienne moi. Quand nous étions ensemble, nous ne sommes jamais allés plus loin que quelques bisous et câlins innocents. Mes valeurs, mes principes, mon état d'esprit, tout ce que j'ai passé l'année à bouleverser... étaient bien différents. Ce soir, il est le seul présent à savoir à quel point tout a changé.

« Alors prenons-le aujourd'hui. » me propose-t-il.

Je m'apprête à accepter quand Benjamin réapparaît et attrape ma taille.

« Je te cherchais ! Tu viens te baigner ? Je sais que ce n'est pas une piscine municipale, mais je te garantis que l'eau est bonne. »

Il s'approche de mon oreille, m'imprégnant des effluves d'alcool qui émanent de son souffle.

« Mais pas autant que toi. » murmure-t-il, joueur.

Je glousse idiotement avant de lever les yeux vers Quentin pour lui proposer de se joindre à nous, mais ce dernier a disparu.

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