05 ➳ LUNDI
P A R T I E C I N Q
— is this the real life, is this just fantasy... Un vrai génie ce gars.
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Elia avait donné rendez-vous le lendemain soir à Olive, sur l'une des nombreuses collines de Montdesbois, celle qu'occupaient les misérables ruines de feu une majestueuse tour moyenâgeuse. Aussi, sur les coups de huit heure du soir, après avoir informé sa mère qu'elle sortait voir des amis — un seul en réalité —, Olive avait grimpé la pente abrupte. Elia ne se tenait guère au lieu de rendez-vous lorsque la rouquine arriva, et Olive douta légèrement : et s'il lui avait posé un lapin ? Non pas qu'elle avait le béguin pour lui... Mais disons que cela ne se faisait tout simplement pas.
Heureusement, le jeune homme avait fait apparition quelques minutes plus tard, tenant un sac en papier dans ses bras. Il sourit à Liv' et l'adolescente lui rendit son salut tout aussi chaleureusement. Puis le fils des gérants du Tournesol Levant s'assit et Olive fit de même, le dos adossé contre les ruines en pierre de la tour. Elia sortit du sachet un tacos emballé dans du papier aluminium et le tendit à sa comparse, avant de se saisir du sien, qu'il semblait visiblement avoir déjà entamé.
— J'ai pas pu résister, s'excusa-t-il, ses boucles tombant devant son visage en forme de cœur.
— Y a pas de mal, renchérit malicieusement Olive tout en mordant dans son repas de fortune.
Le silence régna en maître le temps que les deux adolescents dégustèrent leurs mets "gastronomiques". Ils furent d'ailleurs seulement perturbés par les bruits de mastication ou encore par la symphonie nocturne des cigales. L'astre d'Apollon déclinait doucement dans le ciel de Montdesbois, colorant la voûte céleste d'une teinte orangée, si propre à cette période de l'année. Les nuages duveteux semblaient faits de coton et la lueur rosée qu'ils dégageaient, les faisait se confondre avec de la barbapapa.
— Je suis désolé pour mes potes, ils étaient vraiment gênants hier après-midi, lâcha subitement Elia, tout en froissant le papier aluminium qui enroulait précédemment son tacos.
— J'ai trouvé ça plutôt marrant à vrai dire, avoua Olive en s'essuyant les mains à l'aide d'une serviette en papier. Et puis tu sais, Bianca est plutôt pas mal dans ce genre-là.
— C'est ton amie Bianca ? L'italienne à l'air blasé ?
— Oui c'est ça, c'est mon amie italienne à l'air blasé qui me pousse dans le vide alors que je ne m'y attends pas, rétorqua Liv' en repensant à l'épisode de la veille — elle s'était d'ailleurs jurée de lui rendre la pareille.
— Elle est plutôt drôle... Enfin, pas autant que toi, confia Elia sur le ton de la confidence et Liv' ne put empêcher ses joues d'imiter le ciel orangé.
— Je préfère ça, Elia.
Olive, elle aimait bien prononcer à haute voix le prénom du jeune italien. C'était joli Elia, c'était doux et puis ça lui rappelait un dessin animé qu'elle regardait lorsqu'elle était petite — les Winx. Elia, ça faisait remonter une certaine nostalgie en elle, ça lui rappelait le pop-corn trop sucré du cinéma de Fréjus, les après-midis passées en compagnie de Bianca à se gaver de sucreries.
Oui, Olive elle adorait prononcer le prénom du jeune homme, et si elle pouvait le faire encore de nombreuses fois, elle n'en serait que plus comblée.
Liv' s'allongea dans l'herbe meurtrie par les rayons du soleil, se moquant éperdument du fait que sa flamboyante chevelure soit emmêlée. De ses grands yeux ambres elle fixait le ciel au dessus d'elle, les mains croisées sur son buste, tout en repensant aux événements des quelques jours s'étant écoulés. La rouquine se rendit compte qu'en l'espace de quatre misérables journées, elle en avait appris beaucoup plus sur Elia qu'en plusieurs mois passés à l'observer au café de ses parents.
Comme quoi la vie était faite de surprises en tout genre et que la patience était une vertue qui finissait par porter ses fruits.
— Tu penses à quoi ? s'enquit Elia en s'allongeant aux côtés de Liv' aux boucles de feu.
— À la vie, généralisa Olive Joly alors qu'Elia souriait d'un air niais. Quoi ? J'ai une tache de sauce salsa sur le bout du nez ?
Elia hocha négativement de la tête et Olive fronça les sourcils, intriguée mais surtout perplexe : décidément, ce jeune homme ne cessait de l'étonner. Était-ce une bonne chose qu'il eut rit à sa remarque ou s'était-il tout simplement moqué d'elle ? Néanmoins, la rouquine voyait mal le jeune italien dans un tel état d'esprit, aussi préféra-t-elle laisser tomber, fredonnant gaiement un air qui lui trottait en tête depuis quelques minutes désormais.
Elia sembla reconnaître le morceau et sourit de plus belle.
— Is this the real life, is this just fantasy... Un vrai génie ce gars, ajouta-t-il alors que Liv' se rappelait qu'Elia possédait une culture musicale qu'elle-même n'aurait jamais pu prétendre avoir.
— Un jour, tu les dénicheras ces génies, assura la jeune femme face à l'air rêveur du jeune italien. Et puis, tu m'obtiendras des places de concert gratuitement aussi.
— Promis mais à une condition : ma villa a intérêt à être aussi impressionnante que celle de Brad Pitt !
Olive gloussa légèrement en levant les yeux au ciel et Elia dut prendre cela pour une promesse : déjà commença-t-il à divaguer sur la maison de ses rêves, dessinant des formes abstraites à l'aide de son index pointé vers le ciel. Joly écouta attentivement, bercée par la douce mélodie s'échappant d'entre les lèvres pleines du jeune italien, et elle ferma sans s'en rendre compte les paupières.
— T'as qu'à dire si je t'ennuie aussi ! s'exclama Elia d'un air faussement vexé. Pourtant mon projet de piscine skate-park est génial non ?
— Il est géant même, répondit Olive en hochant de la tête.
Liv' se redressa à l'aide de ses coudes suite à ces propos. La voûte céleste menaçait désormais de côtoyer le bleu indigo et l'orbe du jour avait entièrement disparu derrière l'une des collines situées plus en aval. Il se faisait tard, pensa la rouquine en consultant son smartphone distraitement : 21h58.
— Elia, je pense qu'on devrait commencer à rentrer, non ? proposa Joly et le brun acquiesça volontiers d'un hochement de tête.
Alors ils rangèrent leur aire de pique-nique improvisée, veillant à ne point laisser derrière eux de déchets, et ils se levèrent — non sans regret — de leur splendide point de vue. D'un geste hésitant, Elia s'empara de la main de Liv' et cette dernière lui sourit timidement, l'encourageant à ne guère avoir peur d'une telle action : bon sang, elle n'allait pas le manger tout de même !
— T'as peur qu'une bête sauvage vienne t'attaquer ou quoi ? se moqua Olive alors que les deux adolescents descendaient désormais la colline. Tu sais on n'est pas dans Twillight, aucun loup-garou sur protecteur ne va venir t'attaquer. Et puis quand bien même, un bon coup de poing dans le museau et c'est réglé.
*
Une demi-heure s'était écoulée depuis que les deux jeunes gens avaient délaissé les ruines de la tour sur la colline. Le ciel orangé avait fait place à une somptueuse voûte étoilée, qui illuminait de son doux regard la place du village de Montdesbois. Les commerces principaux avaient fermé leurs portes depuis bien longtemps désormais, et seuls le snack-bar mexicain situé entre deux bâtiments ainsi que le restaurant Les saveurs du lac demeuraient ouverts.
Même le Tournesol Levant avait ployé le genou face à la Lune, impératrice de la nuit. Les volets blancs cassés de l'établissement étaient clos et seule la lumière blafarde d'une télévision perçait les fentes de ces derniers. Les parents d'Elia avait rentré les tables de la terrasse en bois, de sorte qu'il ne restait plus qu'un vaste espace vide près de la devanture du café Montdesboisien. Les fleurs grimpantes poursuivaient leur épanouissement et ce, bien que les doux rayons de l'astre d'Apollon aient disparu depuis de nombreux instants.
Quelques jeunes traînaient près de la fontaine de la place de Montdesbois, des bâtons incandescents pendant au bout de leurs lèvres. Olive reconnut les larges lunettes de Poppée Allabert, ainsi que les habituelles Converses trouées de Gauthier Vasseur. Pour ce qui était des deux autres, il ne pouvait s'agir que de leurs deux autres amis, Rose Garnier et Siméon Klein. Elia et Liv' les devancèrent silencieusement, sans leur accorder plus d'attention.
— T'es en quelle classe au fait ? interrogea subitement la rouquine alors qu'Elia shootait dans un cailloux anguleux.
— Terminale S, répondit simplement le jeune homme et Olive laissa échapper un petit "oh".
Jamais elle n'aurait imaginé qu'Elia aurait un an de plus qu'elle. Il fallait dire que le jeune homme avait un air plutôt enfantin, voire même innocent — même si Joly le soupçonnait de ne guère être aussi pur qu'il le laissait paraître. Olive se pinça les lèvres, déçue : elle qui espérait revoir Elia en dehors de la période estivale, c'était plutôt raté désormais. Il ne restait plus qu'à espérer que le jeune homme ne s'éloigne guère de Montdesbois, ce qui était quasiment impossible vu le domaine dans lequel il voulait travailler.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'es pas en terminale toi ? s'enquit Elia, les sourcils froncés.
— Non, mais en septembre je le serai. Je suis désolée, mais du coup tu vas devoir attendre une année de plus avant d'avoir la villa de tes rêves, pouffa malgré elle Liv' et Elia se détendit.
— T'es plutôt mâture pour une deux mille un en fait, la taquina-t-il en délaissant sa main pour lui donner un petit coup sur l'épaule.
— Non c'est juste toi qui est débile pour un deux mille, se vengea Liv' en lui tirant la langue. La preuve, tu t'es même pas rendu compte que j'étais plus jeune que toi.
Les iris chocolats du jeune italien côtoyèrent les étoiles tandis que la rouquine était éprise d'un léger fou rire. Olive déclara qu'il était fort susceptible mais Elia préféra se taire et l'ignorer de façon puérile. Liv' remarqua que leurs doigts s'effleuraient de temps à autre, sans qu'Elia ne lui donne l'impression de vouloir se ressaisir de sa paume d'albâtre. Seulement, alors que le café du Tournesol Levant n'était plus qu'à quelques mètre d'eux, le photographe en herbe s'arrêta brusquement, de sorte que la rouquine manqua de peu de le percuter.
— Qu'est-ce qu'il y a ? lança Olive en jetant un regard aux alentours.
La place était déserte désormais : la bande de terminales avait quitté les lieux, laissant comme seule trace de leur passage, des effluves toxiques de nicotine. Les criquets semblaient s'être tus depuis plusieurs minutes désormais, bientôt remplacés par le chant lunaire d'un hibou situé dans les bois entourant Montdesbois. De même, le clapotis incessant de la fontaine s'était arrêté. Elia et Olive étaient seuls désormais — ce qui n'était guère des plus rassurants et ce, bien que Montdesbois soit réputé pour être un endroit tranquille.
Elia se retourna vers sa comparse, le visage détendu et les mains nonchalamment enfoncées dans ses poches de bermuda. Il déposa un bref baiser sur la joue d'Olive, puis s'en alla prestement jusqu'à la porte du café provençal.
Et alors que le jeune italien était rentré depuis quelques instants désormais, Olive Joly demeurait statique, une main posée sur sa joue.
Et un sourire niais collé sur ses lèvres.
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musique :
Bohemian Rhapsody — Queen
1876 mots
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