04 ➳ DIMANCHE
P A R T I E Q U A T R E
— écoute, t'as jeté mon briquet par
la fenêtre donc je t'ai poussée dans le vide. J'crois qu'on est quittes maintenant.
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Il n'y avait pas grand chose à faire à Montdesbois le dimanche matin. De nombreux commerces demeuraient clos et même le café du Tournesol Levant n'ouvrait guère ses portes en ce jour béni. Et dire qu'Olive Joly venait tout juste d'apprendre le prénom de son nouvel ami — Elia, c'était plutôt joli —, la jeune femme ne pouvait qu'espérer l'entrapercevoir en se rendant au lac avec Bianca cette après-midi.
Mais pour le moment, Olive était allongée à plat ventre sur son lit, le nez plongé sur son smartphone, consultant les quelques vidéos YouTube qu'elle aurait pu manquer. On toqua à la porte une fois, deux fois, et Liv' finit par indiquer à cette personne de rentrer.
Il s'agissait de Bianca, aussi la rouquine ne fut-elle guère étonnée de la voir débarquer chez elle à une telle heure de la matinée. L'italienne tenait dans ses bras une boîte verte, aux coins usés et à moitiés déchirés. Olive rit légèrement lorsqu'elle se rendit compte qu'il s'agissait d'un plateau de Scrabble et se redressa, laissant une place à son amie.
— Tu sais que tu me fais de plus en plus penser à une grand-mère avec tes jeux de société, se moqua Liv' alors que la brune déballait ce dernier. Même le Vieux Sam ne joue pas au Scrabble.
— C'est bon ? T'as fini de te foutre de moi ? C'était soit ça, soit la bataille corse, enfin, jusqu'à ce que je me rende compte qu'Alba avait dessiné sur chaque carte, sans exception. Alors pioche sept lettres et fais pas chier, Liv', rétorqua Bianca Antonelli en répondant à un snap que venait de lui envoyer Aurore Donsand.
Olive leva les mains en signe d'apaisement et s'exécuta, non sans penser qu'elle aurait mille fois préféré jouer aux cartes plutôt qu'à ce jeu pour personnes âgées. La rouquine en serait presque venue à croire que Bianca avait incité sa petite sœur à saccager ses cartes, si la brune n'avait pas exprimé autant d'amertume à son égard. Toujours est-il que Bianca reposa son cellulaire, sur la couette duveuteuse du lit de la rouquine, avant de piocher à son tour sept lettres dans le pochon en velours rouge, qui traînait dans un coin de la boîte.
Bianca était étrange la plupart du temps, c'était comme si elle était restée coincée dans une autre époque, celle où les jeux de sociétés étaient à la mode entre jeunes. Certes, des bars réservés à ces derniers avaient été créés ces dernières années, mais Olive ne pouvait point se vanter qu'elle s'y rendait chaque semaine. En réalité, depuis le début des vacances d'été, Bianca se plaisait à convier son amie à ses parties de Scrabble endiablées — du moins, autant qu'une partie de ce jeu puisse être mouvementée.
— Vas-y commence, l'incita l'italienne en se levant du lit de son amie.
Olive ne chercha guère à connaître ses intentions, ni ce qui venait subitement de traverser l'esprit de la brune, et se contenta de tenter de former une mot avec les lettres qu'elle venait de piocher. Une moue se dessina sur son visage ovale tandis qu'elle se rendait compte qu'elle pouvait simplement former le mot "clef" — cela n'allait sans doute pas lui rapporter beaucoup de point, mais à vrai dire, Olive s'en fichait un peu. La rousse posa donc les lettres en plastique sur le plateau vert du Scrabble de son amie et se retourna vers cette dernière.
— C'est bon.
— Ok. J'arrive, répondit Bianca en cherchant quelque chose dans sa poche de short.
Olive fronça les sourcils en détaillant l'étrange comportement de l'italienne. Elle se tenait près de la fenêtre ouverte, le dos nonchalamment appuyé contre le cadran à la peinture écaillée. Bianca avait coincé ses longues boucles brunes derrière ses oreilles, dévoilant une large paire de créoles dorées. Enfin, dans sa main se trouvait un petit bâton bicolore, dont le bout n'avait pas encore été brûlé. Bianca Antonelli sortit enfin un objet de sa poche et Olive réalisa qu'il s'agissait d'un briquet à l'effigie de Bob Marley.
— Bianca ! Fume pas dans ma chambre bordel ! se révolta Liv' tout en se relevant. En plus, tu m'avais promis que tu avais arrêté ! poursuivit-elle une fois arrivée à sa hauteur, la main tendue en direction de la cigarette de son amie.
— Ok. J'ai menti ! Ça te va comme réponse, répliqua Bianca sur le champ, légèrement exaspérée. Mais je t'assure que c'est pas si facile que ça ! C'est comme si toute la journée, un petit diable me murmurait à l'oreille de fumer, qu'il me poussait à le faire et je ne pouvais guère résister. Alors s'il te plaît, j'en ai vraiment besoin ! Fais ça pour moi, Liv' s'il te plaît...
Olive se pinça les lèvres en proie à une lutte nouvelle. Néanmoins, elle choisit de ne guère flancher face aux supplications de son amie et s'empara vivement du bâton bicolore et du briquet. Et sous le regard stupéfait de Bianca, elle jeta brusquement les deux objets dans la rue.
— Et bien tu n'auras qu'à dire à ton petit diable que le Monoprix du coin a fait faillite, et que par conséquent, tu n'as pas pu racheter de briquet. Allez ramène tes fesses, on a une partie de Scrabble à commencer je te rappelle !
*
— On pourrait pas plutôt sauter du plongeoir de trois mètres d'abord ? s'enquit Bianca Antonelli, les bras croisés sur sa poitrine.
— Non, c'est pas drôle sinon, renchérit Olive et l'italienne ne chercha point à discuter plus longuement.
Les deux jeunes femmes avaient achevé leur partie de Scrabble aux alentours de midi et demi, et, après s'être rassasiée de ratatouille faite maison de Monsieur Joly, les deux jeunes femmes avaient décidé de se précipiter au lac de Montdesbois. Le dimanche était toujours le jour le plus calme de la semaine, peut-être parce que la plupart des vacanciers repartait chez eux ou venait tout juste d'arriver. Toujours est-il que les deux compères en avaient profité pour se ruer vers les plongeoirs bleutés, situés en plein milieu du lac.
Olive Joly se trouvait désormais sur la planche en plastique, située à plus de sept mètres de haut, nullement effrayée. Hélas, cela n'était guère le cas de Bianca, qui ne cessait de se plaindre depuis qu'elles étaient arrivées au lac. La jeune femme se tenait elle aussi sur la planche, mais plutôt loin du rebord : il ne manquerait plus qu'elle tombe pour finir cette maudite journée.
Bianca en tenait légèrement rigueur à Olive de l'avoir empêchée de tirer une taffe durant la matinée. Néanmoins, l'italienne savait que son amie avait fait ce qu'il y avait de juste pour elle, aussi se consolait-elle en pensant au prochain briquet qu'elle allait s'acheter.
Un "I love Saint-Tropez" ce serait pas mal tient.
De son côté, les iris ambrées de Joly embrassaient de leur ardent regard les alentours. Le maître-nageur — un quinquagénaire au ventre dont la circonférence atteignait celle d'un pneu de voiture, la peau abîmée par le soleil et l'eau du lac — se prélassait paisiblement dans sa chaise en plastique rouge, abrité sous un parasol Orangina planté à même le sol. Le loueur de pédalo s'activait devant son cabanon, tandis que de leur côté, les gérants du snack-bar — les parents d'Aurore Donsand — servaient des glaces et rafraîchissements aux nouveaux arrivants.
Tout à coup, Liv' reconnut une tignasse brune et bouclée familière. Le fils des gérants du Tournesol Levant était attablé en compagnie de quelques jeunes, qu'Olive avait déjà aperçu à la fête dans les bois de Montdesbois, et tous sirotaient tranquillement les cocktails sans alcool que servait Nathan, le sympathique jumeau d'Aurore.
Olive adressa un geste de la main à Elia lorsque ce dernier détourna le regard de ses amis. Et, alors que le jeune homme s'apprêtait à lui rendre son salut, Bianca — qui devait sûrement commencer à perdre patience — poussa dans le vide son amie, qui termina sa chute en un plongeon disgracieux dans les ondes paisibles du lac de Montdesbois.
De là où elle se trouvait, Olive aurait parié qu'Elia n'avait rien loupé de la risible scène qui venait de se dérouler sous ses yeux. Et alors que la rouquine parvenait tout juste à reprendre son souffle, elle fut à nouveau submergée par une silhouette rondelette — Bianca.
— Bianca ! rugit Liv' après avoir craché ses poumons pendant de longues secondes. Pourquoi t'as fait ça bordel ?
— Écoute, t'as jeté mon briquet par la fenêtre donc je t'ai poussée dans le vide. J'crois qu'on est quittes maintenant, rétorqua le plus sereinement possible l'italienne, se protégeant comme elle le pouvait de l'eau que lui envoyait Olive à la figure.
— Dis plutôt que tu voulais que je me tape la honte devant Elia ? objecta la rouquine alors qu'elles nageaient toutes les deux en direction de la berge.
— Waouh... Tu veux un diplôme Sherlock ? gloussa Bianca et Olive en conclut qu'il valait mieux laisser tomber.
Les deux jeunes femmes délaissèrent bientôt les ondes verdoyantes du lac entouré de bois, au profit de leurs serviettes moelleuses, étendues un peu plus loin. Bianca se laissa lourdement retomber sur la sienne, bras et jambes écartés, telle une étoile de mer en devenir, tandis que Liv' préféra s'enrouler dans la sienne. La jeune femme se saisit de son porte-monnaie après cela, ainsi que de ses lunettes de soleil et demanda à Bianca si elle voulait boire quelque chose.
— Ramène-moi un saladier de glaçons, ça ira très bien. On crève sous cette chaleur bordel ! répondit l'italienne et Joly sourit.
Puis, d'un pas léger, la rouquine se dirigea vers le snack-bar bondé. En passant devant l'une des tables rougeâtres du bar en plein air, Olive fut interpellée par une voix qu'elle ne connaissait que trop bien désormais. Abandonnant sa quête première, la jeune femme tourna les talons et se dirigea vers la table qu'occupaient Elia et ses compagnons de fortune. Le jeune homme lui adressa un large sourire lorsque cette dernière arriva à sa hauteur, alors que ses amis se lançaient quelques regards entendus.
— Super plongeon, fit l'un d'eux et Olive sentit ses joues se teinter de rouge coquelicot.
— Ouais je sais, on me le dit souvent, rétorqua nonchalamment la rouquine en tentant de dissimuler la honte passagère qu'elle éprouvait en cet instant-là.
— Franchement, Olive, bravo, approuva un autre qu'elle reconnut comme étant Basile Le Roy, un des amis de Noé.
Une lueur intriguée s'immisça dans les iris sombres d'Elia, et Liv' se rendit compte qu'elle n'avait jamais fait part de son prénom au jeune homme. Bon et bien, une chose en moins à effectuer, pensa Olive alors qu'Elia lui proposait de se joindre à son groupe d'amis.
— Attendez, je vais juste prévenir mon amie et je reviens ! lança Liv' tout en retournant à grandes enjambées en direction de Bianca.
L'italienne n'avait point bougé le moindre orteil depuis que son amie l'avait quittée, quelques minutes plus tôt. Néanmoins, elle se réveilla presque aussitôt quand Olive lui proposa de prendre un verre avec Elia, Basile et leurs amis, et bientôt, les deux amies sirotaient leurs Montdesbois Sunset tout en riant aux idioties des jeunes les entourant.
Elia ne délaissa point Liv' Joly du regard pendant toute la durée de leur présence, ce qui eut le mérite de faire battre un peu plus vite le cœur de la jeune femme. Réprimant un petit sourire niais, Olive porta ses lèvres fines à sa boisson colorée, tout en jetant un bref coup d'œil au jeune homme. Leurs regards se croisèrent et la jeune femme eut l'impression que le temps s'était arrêté et qu'il n'y avait plus rien autour d'eux.
Juste Elia, elle et leurs cocktails bien trop sucrées. Et Olive ne put nier qu'elle n'avait guère apprécié cette instant désormais révolu à jamais.
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musique :
Bloom — Troye Sivan
1977 mots
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