treize
L'Anglais revient le lendemain, en milieu d'après-midi, alors qu'une fine pluie se faufile entre les pavés des rues. Le soleil reste timidement camouflé derrière une toile de nuages gris, attendant patiemment de pouvoir refaire son apparition. L'air s'est rafraîchi, Steve est rentré chez-lui.
Comme personne n'était passé au magasin aujourd'hui et qu'il n'y avait aucune commande à délivrer, James et Tom sont attablés au fond de la boutique, jouant à un jeu de société accompagné de tasses de chocolat chaud et de gâteaux à grignoter. L'adolescent semble se porter beaucoup mieux, il passe d'ailleurs le clair de son temps à essayer de distraire le fleuriste en le faisant rire.
Et lorsque la clochette annonçant les nouveaux visiteurs retentit, c'est lui qui s'empresse d'atteindre l'entrée en premier. En attendant son petit cri de joie, le brun comprend qu'il s'agit de William.
— Toi aussi tu m'as manqué, entend-t-il dire le britannique dans les bras duquel Tom s'était précipité.
Le voir sain et sauf rassure tout de suite James, mais ses doutes concernant Paris et ce rassemblement de forces armées le tracasse toujours. Il compte lui en toucher quelques mots le soir, une fois que Tom sera couché.
— Tout s'est bien passé ? demande le brun, échangeant une poignée de main avec son ami.
— Oui, c'était très bien, mais je suis content d'être rentré, William s'éloigne déjà vers l'arrière-boutique, leur jetant un sourire par dessus son épaule tandis qu'il enlève son manteau humide. Le sourire paraît plus faible, moins entrain que d'habitude. Je crois qu'on va bientôt avoir de jolies plantes.
Encore une mensonge ?
— Qu'est-ce que tu as vu ? demande Tom avec curiosité, lui emboîtant le pas.
— Essentiellement de la campagne, raconte l'anglais. On voyait de grands champs verts depuis le train, parfois quelques maisons éparpillées, même un troupeau de vaches de temps en temps. Et à la ferme, là où M. Odinson, notre futur fournisseur, cultive ses plantes et fleurs, il y avait des moutons.
James les suit, essayant de raisonner ses pensées accusatrices ; la description de William paraît fidèle pour un endroit dans lequel il ne serait pas allé. Après tout, et si le papier avec les horaires pour Paris avait été prévu pour un autre usage ? Pas directement pour le propriétaire, mais pour une connaissance qui se serait rendue à cette fameuse conférence par exemple.
Le jeune homme ne peut qu'en conclure que le seul moyen d'en avoir le cœur net était de confronter William à ce sujet. Est-ce la bonne chose à faire ? Bien sûr, il n'en a aucune idée. Mais il voudrait savoir.
Le trio se regroupe autour de la table où sont encore éparpillés les pions du jeu, James s'occupant de les ranger. Il préfère ne pas se joindre à la conversation pour l'instant mais écoute attentivement, essayant de repérer ne serait-ce qu'un petit détail en passe de trahir William. Il ne cherche pas à retourner cela contre lui, juste comprendre. Qu'est-ce qui aurait pu pousser leur ami à garder secrète une escapade en France ?
Cela le préoccupe pendant le reste de la journée, les hypothèses se succédant et s'interposant les unes entre les autres malgré sa volonté d'arrêter d'y penser. Puis vient le soir, durant lequel le jeune homme guette le bon moment pour aborder le sujet. Finalement, c'est après que Tom leur ait souhaité bonne nuit et se soit réfugié dans son lit qu'il se décide à passer à l'action.
— William, est-ce que je pourrais te parler ? demande James, indiquant de la tête la chambre du garçon pour lui faire comprendre qu'ils devraient s'éloigner.
— Bien sûr. William se lève, le jeune homme sur ses talons, et ils descendent silencieusement les escaliers jusqu'à l'arrière-boutique.
L'anglais allume une ampoule, tirant deux chaises pour James et lui. Le jeune homme s'installe, les bras croisés inconfortablement et le dos raidis, cherchant comment débuter. Il suit la lumière sur la table du bout des doigts, pianotant nerveusement sur le bois en chassant le faisceau.
— Je t'écoute.
Il ne peut plus reculer, mais quelque chose bat très très fort contre les os de son torse et il a peur que quelque part, il allait briser un équilibre.
— Tu n'étais pas à la campagne, n'est-ce pas ? déclare-t-il, ses doigts se resserrant sur l'extrémité de la table.
Le visage de William ne tremble pas, son expression devenant même plutôt étonnée.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Tu es allé en France, poursuit James, toutefois déstabilisé par l'attitude surprise de son interlocuteur. Et s'il faisait fausse route ? Le soir où tu es parti, j'ai rangé les documents sur ton bureau. Je n'ai pas fouillé dedans, mais j'ai trouvé un bout de papier sur la table. Il y avait des horaires de trains pour Paris dessus, et le jour correspondait.
William demeure silencieux pendant quelques secondes, les lèvres appuyées contre son index en un geste pensif.
— James, je suis désolé, leurs regards se croisent, mais James est incapable de lire à travers le gris des iris de son ami. Je ne peux rien de dire, conclut William sincèrement.
Il se lève, s'apprêtant à se détourner, et son ombre retombe sur le brun comme un mauvais présage.
— Attends ! le fleuriste se lève brusquement, abattant les deux paumes de main sur la table. Tu as le droit de vouloir garder ça pour toi, mais pense à Tom. Après ton départ, il était dans un état pitoyable. Et il y avait ce conseil militaire, où je ne sais quoi, à Paris, alors j'ai aussi le droit de me tracasser. William, je veux juste comprendre. On est tous perdus.
— Tom, répète le britannique, secouant sèchement la tête. Je ne fais que ça, penser à Tom. Et c'est justement la raison pour laquelle que je ne peux rien vous dire, parce que je ne vous mettrai jamais en danger. Alors, s'il te plaît, fais comme si ce n'était jamais arrivé.
William se tourne vers le jeune homme brun, les traits de son visage indéchiffrables et tourmentés. Tout ce que James arrive à déceler, c'est l'urgence avec laquelle il lui demande de garder le silence, alors il hoche la tête. Il a toujours confiance en lui.
— Est-ce que ça va ? ajoute-t-il ensuite tout simplement, bonnement inquiet.
— J'essaye de faire en sorte que oui, un sourire affligé glisse sur le visage de William. Merci. Je t'assure que c'est la meilleure chose à faire.
Puis il retourne dans l'appartement, laissant dans son sillage un James désorienté sous une unique lucarne allumée.
La seule chose qui apporte un peu de réconfort au fleuriste est que William ait avoué être allé à Paris, même si tout cela reste très flou. Il n'a toutefois pas l'intention de poursuivre cette conversation, ayant bien compris qu'il ne tirerait aucune nouvelle information, mais il ne cesse de se demander ce qui pouvait être si grave que l'Anglais ait à le leur cacher. Et avait-ce un rapport avec ce rassemblement de forces armées ?
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