épilogue


Quelques heures plus tard.

Des vagues grises s'écrasent lourdement sur les rochers de la côte, délavant la pierre brunâtre avec un bruissement plaintif. L'eau, prisonnière, s'agite et gronde sourdement au passage des quelques rares navires circulant sur la Manche, laissant des empreintes d'écume au dessus de leurs carènes.

Plus haut, de duveteux nuages sombres se sont amoncelés sur le firmament depuis la pointe de l'aube, glissant lentement sur un ciel si pâle qu'il est dur de distinguer sa frontière avec la mer. Le vent, cinglant et gorgé de sel, semble chasser ce qui reste de l'été.

Le ferry particulier parti d'Anvers, plein d'hommes et femmes en costumes stricts, résonne de conversations inquiétantes et de prévisions. William en fait partie, semblant reconnaître la majorité des passagers. Des dates, des noms étrangers, des chiffres sont emportés par la brise agitée, jusqu'à se perdre parmi les plaintes du canal.

Et dans un petit coin, loin des prophéties et des accusations, est assis un garçon frissonnant malgré l'ample couverture verte sous laquelle il est blotti. Tom, les joues rouges de froid et le regard dans le vague, a tant pleuré qu'il en est vide. Sa cage thoracique, si comprimée d'incompréhension et de peine lors du trajet en train, est maintenant creuse et sèche. Et les mots ne lui viennent plus, et ses pensées se brisent avec les flots contre les falaises rocheuses d'Angleterre.

Il avait demandé à William de le laisser seul, pour revivre cette dernière année à Bruxelles. Alors il avait repris depuis le début : l'image chimérique de ses parents à la guerre, son père tué, sa mère empoisonnée par les gaz ; sa tante, l'ayant élevé avec amour et tendresse jusqu'à ce qu'elle ne soit elle aussi emportée ; ses amis d'école qu'il avait quelque fois vus pendant les vacances ; William qui l'avait accueilli dans son magasin ; James qui était devenu son grand frère préféré.

Il pense à Steve, qu'il avait connu peu, mais à qui il s'était infailliblement attaché et à qui il n'avait pas dit au revoir. À leurs soirées passées à dessiner, au sentiment si fort de sécurité que tout cela lui inspirait. Il avait suffit de quelques heures pour qu'il s'éteigne, laissant le garçon dénué de repaires et incertain des heures, des jours à venir. Comment vivre quand ce qu'était sa vie venait d'être emporté, ébranlé en l'espace d'une simple nuit ?

La pluie se met à tomber, fragile et froide, ruisselant sur le pont du bateau. Tom ne bouge pas, sentant l'eau mouiller ses cheveux et se répandre sur son visage, comme les larmes que son corps n'a plus la force de produire. Il continue de fixer la bande de terre fantôme se profilant à l'horizon, la côte anglaise au loin.

Et quelque part au-delà de la Manche, au-delà de la petite boutique de fleur bleue de Bruxelles, au-delà des âmes encore pleines d'espoir, une voix insatiable crache ce que haine et peur insinuaient depuis des années.

FIN

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