deux
Au bout d'une heure, la colère de l'orage commence à s'apaiser tandis que le vent retombe peu à peu. William a mis en marche le tourne-disque, y passant l'un des trois vinyles qu'il gardait dans le magasin, et James dodeline doucement de la tête en s'occupant des plantes, l'esprit plus léger grâce à la musique.
Steve, assis dans son coin, dessine calmement dans son carnet qui s'était plus ou moins remis de la pluie. Il sourit à James lorsqu'il passe à côté et le brun se penche par dessus son épaule, observant ses esquisses des fleurs de la boutique.
— Vous êtes plutôt doué à ce que je vois, le fleuriste lui lance un sourire en coin, remarquant au passage que les cheveux de Steve sont blonds, étant secs.
— Merci ?
Steve relève la tête pour croiser les yeux de James — verts, foncés à cause du piètre éclairage. On peut se tutoyer, qu'en pensez-vous ?
— Et bien, vous venez de me vouvoyer, se moque gentiment James. Mais pas de soucis, on peut se tutoyer.
Steve se penche de nouveau sur ses esquisses, traçant la forme de tulipes, alors que James retourne à ses plantes qu'il aligne avec soin sur plusieurs étagères. Il ne peut s'empêcher de repenser à Tom, espérant que son jeune ami rentrerait dès que le temps se sera définitivement calmé.
L'accent prononcé de William ricoche sur les murs tandis qu'il téléphone, et James y est si habitué qu'il lui semble que le nom des fleurs que commande l'anglais s'immisce dans la chanson.
La vie continue.
Une demi-heure plus tard, Steve pose son carnet au sol et quitte sa chaise, étirant discrètement les muscles engourdis de ses jambes. Il fait le tour du magasin lentement, regardant de près toutes les plantes, mais s'assure de ne pas gêner James.
— Depuis combien de temps est-ce que ce magasin existe ? demande-t-il, glissant finement la main sur des feuilles de lierre.
— William est arrivé d'Angleterre il y a un an environ, c'est lui qui a ouvert le magasin, et j'ai commencé à y travailler peu après, explique James. Et il y a aussi Tom, qui a été recruté après moi, mais il n'est toujours pas rentré de sa livraison, conclut-il, regardant de nouveau la porte avec un espoir éteint.
— Est-ce que tout va bien ? Steve penche légèrement la tête sur le côté, percevant sans doute son tracas.
— Oui, tout va bien. J'espère juste que Tom est en sécurité, il n'a que quinze ans et un vélo, et avec cet orage les trottoirs sont extrêmement glissants.
— Je suis sûr qu'il est sain et sauf, il a probablement dû s'abriter, essaie de le rassurer le jeune homme blond.
— William a dit exactement la même chose, se souvient le brun, voulant croire qu'il se faisait du souci pour rien.
Steve hausse les épaules, ne pouvant retenir un sourire.
— Les grands esprits se rencontrent.
James y répond par un soupire exagéré, amusé.
— Quel privilège d'être entouré par de tels intellectuels.
Le blond rit, portant une main à ses lèvres pour éviter de faire trop de bruit.
Puis il continue sa balade parmi les tables et étagères garnies de différentes variétés de végétaux, demandant parfois des renseignements que James lui donne avec plaisir. Steve est gentil et peu rustre, et le brun commence à beaucoup l'apprécier.
— Je ne sais toujours pas ce que je vais acheter, réfléchit Steve à haute voix.
— Je ne sais pas, un bouquet ? Pour une demoiselle ? le fleuriste lui fait un clin d'œil, ce qui empourpre les joues du blond ; mais ce n'est pas le même rose que celui causé par le froid.
— Je n'ai pas de demoiselle à qui offrir des fleurs, clarifie Steve, d'un ton plus sec qui porte à comprendre que le sujet ne l'enchantait guère.
Leurs voix quittent l'enchevêtrement de sons ambiants alors que le brun demeure silencieux pendant quelques secondes, se demandant s'il avait dit quelque chose de mal.
— Désolé, je ne voulais pas être indiscret, tente-t-il de s'excuser maladroitement.
— Ce n'est rien, Steve secoue la tête, comme pour signifier que c'est sans importance, ses pommettes commençant à regagner une couleur lactée. Par contre, je pense avoir besoin d'un petit coup de main pour faire mon choix...
— À votre service, M. Rogers, James ne peut tout de même s'empêcher de se sentir coupable, devinant qu'il a peut-être touché une corde sensible. Est-ce que tu habites dans un appartement ?
Steve hoche la tête, le rejoignant devant une rangée de fleurs à pétales blancs dont le nom lui est inconnu.
— Je te conseillerais de prendre quelque chose de plutôt petit alors, qui puisse tenir sur le rebord d'une fenêtre. Toutes les plantes ont besoin de soleil, mais celles d'appartement en nécessitent beaucoup moins que les autres, je vais te montrer !
Les deux jeunes hommes se dirigent vers la partie droite de la boutique, où Steve découvre une longue table couverte de pots marrons arrondis contenant des plantes grasses, comme l'indique le panneau attaché à son rebord.
Steve choisit les plantes qu'il préfère, James lui expliquant comment les entretenir, tandis que le ciel se met à se dégager. Maintenant, seule une légère averse recouvre la musique du vinyle qui touche à sa fin et le soleil commence à poindre timidement à travers les nuages.
Un quart d'heure s'écoule, et la chansonnette des gouttes cesse définitivement, laissant place à la douceur des rayons d'une fin de journée pluvieuse. Peut-être les Bruxellois auraient-ils droit à un arc-en-ciel après le vacarme de l'orage ?
— Je ne vais pas vous embêter plus longtemps, déclare finalement Steve, portant soigneusement les deux plantes qu'il allait acheter à la caisse. Merci beaucoup de m'avoir accueilli, je ne sais même pas comment vous remercier, il sourit avec reconnaissance à William, lui tendant un billet dont il refuse de prendre la monnaie en retour, puis à James.
Le brun lui retourne un sourire sincère, mais ses épaules s'affaissent à la perspective de le voir partir — il venait tout juste de s'attacher à lui, et aurait aimé qu'il reste, au moins pour lui présenter Tom.
James le mène cependant à la sortie, lui tendant sa veste marron et son pull qui avaient eu le temps de bien sécher.
— Est-ce qu'on se reverra ? demande-t-il avec un certain espoir.
— Bien sûr. Il faut déjà que je te rende ton pull, Steve pose une main contre son torse pour désigne le vêtement chaud qui lui avait été donné. Disons... Demain, 19:30, ici, qu'est-ce que tu en dis ? On peut aller prendre un café, ou une gaufre.
— D'accord, James lui donne une petite tape sur le bras avec un demi-sourire. Ne sois pas trempé.
— Je penserai à prendre un parapluie.
Sur ce, la silhouette de Steve disparaît derrière la porte, accueillie par une lumière ruisselante — les heures dorées après les nuages gris — et un soupire profond rompt les lèvres de James. Il y a quelque chose chez Steve qui donne au fleuriste envie de le retenir. Une chose dont il avait inconsciemment toujours eu peur, qu'il se devait de garder enfouie.
Mais avant qu'il ne s'attarde trop dessus, le grillon d'une bicyclette retentit au bout de la rue, tandis que sur le sol du magasin, un carnet oublié somnole.
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