cinq
Steve et James continuent de se voir. James fait de temps en temps un crochet au café où travaille le blond et celui-ci passe au magasin au moins deux fois par semaine, William arrivant toujours à le convaincre de rester plus longtemps pour prendre un thé.
Tom aime en rire, appelant le jeune homme « l'oncle qu'on vient de retrouver ». Un « oncle » qu'il adore, admirant son talent pour le dessin, et ils passent parfois des soirées à faire des croquis ensemble, supervisés par James à qui il arrive même de servir de référence visuelle.
Bucky, en la présence de Steve, se sent étonnamment renouvelé ; quelque part, une intime, improbable conviction lui fait espérer qu'il en est de même pour le blond.
— Est-ce que M. Steve vient aujourd'hui ? demande justement Tom à James tandis qu'ils sont occupés à nettoyer la vitrine du magasin.
La matinée est déjà chaude et l'eau sèche facilement, les rayons de soleil inondant la boutique. En début d'été, les journées se rallongent et la météo s'améliore, ce qui apporte une positivité plus durable malgré les troubles de chacun au sujet de ce qui se trame dans les pays voisins.
— Normalement, Bucky passe un morceau de tissu humide au dessus de la porte d'entrée, la frottant soigneusement pour gommer quelques petites taches. C'est bientôt sa pause déjeuner. Qu'est-ce que tu dirais au sujet d'aller prendre des sandwiches tous ensemble ?
— Je retire tout ce que j'ai dit sur Steve, c'est toi mon héros ! s'exclame l'adolescent, tout excité.
James rit de la spontanéité d'une telle réaction.
— Il n'y a que la nourriture qui compte pour toi, hein ?
— Je sais ce qui est bon dans la vie, c'est tout, se défend Tom, tout sourire. Je vais aller en parler à William ! Peut-être qu'il voudra venir.
Le fleuriste doute que l'Anglais veuille les rejoindre, il travaillait encore plus en ce moment et passait la majeure partie de son temps dans l'arrière-boutique à passer des appels où rédiger des courriers. Ce devait être dû aux commandes à passer après la floraison massive du printemps, chaque année.
— Vas-y, mais dépêche-toi, hors de question qu'on parte sans avoir fini.
— Tu finiras pour moi si je prends trop de temps ! crie le jeune homme, s'éloignant déjà au pas de course.
— J'aurais dû m'en douter, soupire James, mais il se sait incapable de refuser quoi que ce soit à ce petit électron humain.
Une fois sa tâche achevée, il descend donc de son échelle et reprend le travail de Tom, qui consiste à replanter un couple de tournesols qui avait germé dans un pot plus grand. James aime travailler avec les plantes, cela demande plus de concentration mais est beaucoup plus lénifiant, comme une forme de thérapie.
Il a presque terminé quand son jeune ami revient — il devine à ses épaules affaissées que la réponse de William a dû être négative.
— Il a dit non, confirme Tom. J'ai l'impression que depuis quelques jours, il n'est comme plus là. Il est toujours gentil et je sais qu'il tient à nous, mais il travaille jusqu'à pas d'heure et... Je ne sais pas, j'ai l'impression que quelque chose ne va pas.
— Eh, Tom, ne t'en fais pas pour rien, d'accord ? James pose sa main sur l'épaule du garçon. Il doit s'occuper du magasin, négocier avec les fournisseurs, tout ça. Et puis, c'est lui qui gère l'économie alors je ne sais pas, peut-être qu'on est dans une passe un peu difficile. Mais ne t'inquiète pas trop, il nous en aurait parlé si c'était trop grave.
— Oui, sûrement, Tom secoue la tête, chassant certainement des pensées importunantes ; James ne connaît cela que trop bien. Et Steve n'est toujours pas là.
— Il reste encore cinq minutes avant midi, remarque James en offrant un petit sourire à son cadet. Allez, arrête de faire la tête, tu vas amener la pluie avec ta grise mine.
— Il pleuvait quand Steve est arrivé, observe Tom, mais il fait l'effort de se redresser.
— Tu marques un point.
Ils achèvent la replantation des tournesols, puis l'horloge finit par sonner midi et une petite foule ne tarde pas à se déverser dans la rue piétonne où se situe le magasin. Les travailleurs prennent leur pause, s'éclipsant dans les petits restaurants et bars alentour ; les oiseaux s'envolent, délogés par l'agitation et le mouvement ; les grognements des voitures sont étouffés par d'intelligibles conversations.
— James, appelle Tom alors que le fleuriste brun nettoie la terre qu'ils avaient renversé par inattention. Je vois Steve !
— J'arrive ! répond Bucky avec enthousiasme, finissant rapidement.
Il s'apprête à quitter le magasin, mais ses yeux rencontrent Steve à travers la fenêtre avant qu'il ne sorte. Le jeune homme n'est pas seul, et James s'immobilise.
À côté de lui se tient une jeune femme, plus petite que lui, avec des boucles brunes retombant sur les épaules et du rouge à lèvres pourpre éclairant son visage. Elle porte un tailleur marron et une jupe noire, Steve lui sourit avant de l'embrasser sur la joue. Elle travaille au même café que lui.
Le fleuriste se détourne assez rapidement pour ne pas voir la fin, les battements de son cœur soudain si forts qu'il lui semble qu'ils se propagent dans ses tympans. Steve lui avait pourtant dit qu'il n'avait pas de demoiselle à qui offrir des fleurs.
James s'adosse momentanément contre le mur voisin, essayant de reprendre ses esprits et cette réaction imprévue. Après tout, ils ne se connaissent que depuis plus d'une dizaine de jours et le blond n'a aucune obligation de lui raconter sa vie privée. Pourtant, il avait cru qu'ils étaient plus proches.
— Tu viens ? Tom appelle de nouveau, n'ayant pas remarqué la cachette provisoire de James.
— Oui, uh, je... le jeune homme force sur sa voix afin qu'elle ne flanche pas. J'ai oublié de finir quelque chose, j'arrive dans deux secondes.
Penché pour éviter de se faire repérer, Bucky se glisse dernière une table et pousse un long soupire. Il se passe les mains dans les cheveux, respirant profondément pour se débarrasser de sa confusion démesurée et des pensées étranges qui l'assaillent.
Pourquoi se sent-il d'un coup si mal ? Parce que Steve ne lui a pas dit la vérité ? Parce qu'il pensait vraiment qu'au bout d'une semaine, on pouvait vouer une confiance aveugle à n'importe qui ? Parce qu'il n'arrivait pas à raisonner proprement pour expliquer ce qu'il ressentait ? Pourtant, il les avait déjà vus au café. Il aurait pu s'en douter ; il aurait dû s'en douter.
— Salut Tom, comment tu vas ?
La voix enjouée de Steve lui parvient depuis l'entrée et James aurait aimé se donner un coup dans l'estomac pour se focaliser sur quelque chose de physique et réel.
— Est-ce que James est là ?
Tom lui dit que oui, qu'il sera bientôt là. Le jeune homme brun s'autorise quelques secondes de plus de répit, réfléchissant à la suite. Il va faire comme si de rien n'était, comme s'il n'a jamais vu la scène ou qu'il est heureux pour Steve — car c'est ce qu'il doit être, non ? — et qu'après tout, il s'en fiche. Ce ne sont pas ses affaires.
James s'extirpe discrètement de sa cachette, contourne un rayon et s'engage dans l'allée centrale avec le sourire le plus naturel qu'il puisse confectionner à l'instant.
— Steve, content de te voir.
Il a beau ne pas comprendre l'agitation dans sa poitrine, James a toujours été content de voir Steve. Même maintenant.
— Hey Bucky, le blond lui donne une tape sur l'épaule en guise de salut, son visage comme toujours lumineux. Moi aussi.
— Bucky ? Tom hausse les sourcils d'un air interrogateur.
— Oui, c'est le surnom que j'ai trouvé pour James, explique fièrement Steve, jetant un coup d'oeil malicieux au brun.
Mais James ne réagit pas, le regard papillonnant sur les très légères entailles qui parsèment le nez de ses chaussures. Tom rit cependant, ajoutant quelque chose que le fleuriste ne retient pas. Il se dit qu'il doit juste s'être levé du mauvais pied ce matin.
L'adolescent propose ensuite à Steve de manger avec eux et le petit groupe quitte le magasin, s'enfonçant dans la chaleur du jour. James se sent déjà mieux dehors ; il aurait sans doute succombé à l'envie de faire une blague sur la photosynthèse s'il était de meilleure humeur.
Il prête une oreille plus attentive à la conversation, parvenant même à délivrer quelques sourires à Tom et Steve. Il n'a néanmoins pas le coeur à s'y joindre. Le jeune homme essaie de trouver ce qui cloche, ce qui cause le vide pesant qui semble avoir gonflé ses organes. Tout allait bien pourtant, puis il avait vu Steve avec cette jeune femme et quelque chose avait changé.
Etait-il jaloux ? Jaloux de ne pas avoir de demoiselle à qui offrir des fleurs ? Bucky soupire doucement et laisse son regard vagabonder sur les façades ensoleillées des bâtiments.
— Buck, ça va ?
C'est Steve qui l'extirpe de sa rêverie passagère. Ses iris céruléens pleins de préoccupation sont posés sur James, et ils n'ont jamais été aussi clairs que maintenant, sous la lumière.
— Oui, ne t'inquiète pas. J'ai mal dormi cette nuit, mais ça va aller. Désolé, s'excuse le brun d'une petite voix.
— Si on peut faire quoi que ce soit, n'hésite pas, Steve lui administre gentiment une tape dans le dos.
— Merci.
La pause déjeuner continue avec la même énergie — après avoir pris leurs sandwiches, Tom raconte une histoire à Steve alors qu'ils font une marche en ville. Il y a peu de voitures, le temps étant si beau que la plupart des gens préfèrent se déplacer à pied. James trouve du réconfort dans le paysage de la ville : fleurs agencées devant les maisons et placées sur les balcons, parcs verts et chiens s'y promenant avec leurs maîtres.
Pourtant, malgré toute sa bonne volonté, quelque chose continue de le blesser.
—
nous tous après endgame :
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top