3| Un jeune homme nommé Credence
Catherine Fleming sortit de l'immeuble infiniment fière d'elle. Elle avait enfin tourné une page de son existence. C'était maintenant à elle d'écrire son histoire. Les innombrables possibilités devant elle l'excitaient et la terrifiaient. Traversant la rue maintenant pleine de passants impolis et pressés, Catherine se mit à errer sans but.
Elle avait toujours voulu tenter le petit restaurant italien sur la cinquième avenue et se dirigea donc inconsciemment dans cette direction. Qu'elle ne fût pas sa surprise quand elle aperçut, quelques mètres plus loin, le jeune homme de tout à l'heure distribuant des prospectus à des hommes d'affaires qui ne lui prêtaient guère d'attention.
A vrai dire, distribuer était peut-être un bien grand mot. Une feuille fourrée dans la main, il tendait timidement le bras quand un homme s'approchait de lui. Le sentiment de tristesse que Catherine éprouvait à l'égard de ce jeune homme amplifia et elle se dirigea vers lui résolument.
La tête baissée, il ne la vit pas arriver et ce ne fût que quand elle s'arrêta devant lui qu'il osa relever la tête. Il lui tendit le prospectus qu'il tenait et Catherine le prit par politesse. Comme elle s'en doutait, c'était un pamphlet qui promouvait la New Salem Preservation Society. Elle sourit chaleureusement au jeune garçon et il baissa les yeux, évitant son regard.
— Excuse-moi. Je devrais me présenter, je m'appelle Catherine.
Elle lui tendit la main et attendit.
Credence sembla surpris et il observa rapidement les alentours. Catherine se contenta d'attendre, un sourire aux lèvres. Autour d'eux, les hommes d'affaires s'affairaient comme à leur habitude. Credence et elle formait un ilot de calme et d'immobilité dans cette masse en mouvement. Certaines fois, des remarques s'élevaient dans la foule qui les entourait, leur demandant d'arrêter de bloquer le passage, mais elle s'en moquait éperdument.
Il fallut à Credence une dose inouïe de courage pour serrer la main que la mystérieuse jeune femme en face de lui lui tendait. Il se demandait s'il la connaissait, ou si pire encore, elle connaissait sa mère. Cette pensée lui fit retirer sa main aussi vite qu'il l'avait tendu et la jeune femme du nom de Catherine le regardât légèrement attristée.
— Tu dois être le fils Barebone, dit-elle sur un ton qu'il n'avait pas l'habitude d'entendre.
Un ton attentionné et doux que seul M. Graves employait avec lui. Credence leva de nouveau les yeux vers elle et hocha la tête pour confirmer.
— Comment est-ce que tu t'appelles ?
Il baissa les yeux aussitôt qu'il croisa les siens.
— Credence.
Sa réponse ne fût qu'un léger murmure.
— Credence. C'est un très joli prénom.
Credence tripota les feuilles dans ses mains, le regard fixé sur les lettres imprimées en gras sur toute la surface du papier. Il ne comprenait pas ce que lui voulait cette femme.
Catherine comprit assez vite au malaise du jeune homme qu'il ne la reconnaissait pas et donc l'informa :
— Tu ne dois surement pas me reconnaître mais nous nous sommes croisés ce matin, au New York Clarion. Tu rendais visite à M. Shaw avec un journaliste. J'attendais dans le couloir au même moment.
Credence releva la tête à la mention du nom de Shaw. Les paroles du sénateur résonnaient encore dans sa tête. Taré. Ce n'était pas comme si on ne l'avait jamais traité de ce nom-là avant mais aujourd'hui quelque chose tout au fond de son être protestait, mêlé à une colère et à une tristesse sans nom.
Le sourire de la jeune femme apaisa ses pensées et il chassa le visage du sénateur de son esprit.
— Est-ce que je peux vous aider ?, murmura-t-il, tendant au passage un prospectus à un homme qui l'ignora.
Catherine hocha la tête.
— Oui, tu le peux.
Credence ramenait sa main vers lui après un énième refus et Catherine continua :
— J'aimerais en savoir plus sur la raison de votre visite ce matin. J'aimerais en savoir plus sur...
Catherine hésita. Elle avait du mal à croire qu'elle était sur le point de dire cela.
— La sorcellerie. Et pourquoi ta mère et Langdon semblent penser que c'est la cause des phénomènes récents à New York.
Ses mots attisèrent l'attention de Credence et Catherine sentit l'excitation monter en elle. L'attente dans le couloir devant le bureau de M. Shaw avait considérablement attisé sa curiosité et elle avait ainsi pu tourner et retourner cette histoire de sorcellerie dans sa tête.
Si elle prenait l'information sans faits, cela était fou, irrationnel, impossible. Mais si elle comparait cette idée à ce qu'elle avait vu le matin même, à cette grande ombre noire détruisant tout sur son passage alors, à ce moment-là, l'idée ne lui paraissait plus aussi folle.
Credence jeta un coup d'œil nerveux autour de lui avant de marmonner, la tête baissée :
— Je dois distribuer ces tracts.
Catherine mordit sa lèvre inférieure, perplexe. Etait-ce un non ? Etait-ce un oui à condition qu'il finisse ce pourquoi il était là ?
— Si je t'aide à les distribuer, tu me parleras ?, demanda-t-elle, pleine d'espoir.
Credence hocha la tête avant de se remettre à tendre des tracts timidement. Catherine lui prit la moitié de son tas de feuilles, effleurant ses doigts au passage. Il eut alors un brusque mouvement de recul, faisant tomber une dizaine de feuilles au sol. S'agenouillant précipitamment, il bredouilla des excuses. Les hommes autour de lui marchaient sur les feuilles tombées au sol et il faillit se faire marcher sur les doigts plusieurs fois. Catherine l'aida à récupérer les dernières feuilles avant de le rassurer.
Ce garçon était encore plus méfiant qu'elle ne l'avait pensé auparavant et elle se demanda ce qui avait bien pu le conditionner à réagir de cette manière.
Ignorant les pensées sombres qui lui venaient à l'esprit, elle se mit à distribuer vigoureusement les tracts qu'elle avait. La plupart des hommes l'ignoraient royalement mais elle réalisa assez vite qu'en se plantant directement devant eux et en leur fourrant la feuille dans les mains, il finissait par repartir avec. En une dizaine de minutes, elle fût débarrassée de son paquet et se dirigea de nouveau vers Credence. Son paquet de feuilles avait à peine diminué et elle se demanda si c'était la première qu'il faisait cela ou s'il n'avait pas assez confiance en lui pour interpeller les passants.
— Credence ?
Celui-ci leva les yeux quand il entendit son nom et ouvrit la bouche, comme étonnée, à la vue de Catherine, les mains vides. Il l'avait observé pendant qu'elle l'aidait : elle était dynamique, rapide et efficace. Et imposante aussi. La façon dont elle se tenait face aux passants qui la dévisageaient sévèrement l'impressionnait. Elle avait d'ailleurs reçu quelques insultes racistes et sexistes qui lui firent de la peine pour elle mais ce fût à peine si elle y prêta attention. En la voyant s'approcher de lui de nouveau, les mains vides, il ne put s'empêcher de se questionner sur la raison de son aide. Si elle ne voulait que des informations, elle n'était pas obligée de l'aider et encore moins d'être aussi gentille. Le journaliste que sa mère avait rencontré avait été loin de se comporter comme cela. Même si l'information l'intéressait au plus haut point, Credence avait toujours pu voir le dédain dans les yeux de celui-ci.
— Credence ?
La jeune femme l'appela de nouveau.
— Est-ce que tu veux bien me parler maintenant ?
Credence hocha la tête. Il ne savait pas exactement ce qu'il pourrait lui dire, il ne savait pas grand-chose mais si elle insistait.
Il se dirigea dans la ruelle qui était à quelques pas de la rue et elle le suivit sans hésiter. Une fois que Catherine fût en face de lui, il chuchota :
— Tout est vrai. La magie existe.
Catherine retint son souffle face à la mine sombre et sérieuse du jeune homme. Elle ne savait pas s'il était fou mais ce qui était sûr c'est qu'il y croyait dur comme fer.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Catherine avait besoin de preuves. Passer trop de temps avec des journalistes vous faisait toujours tout questionner.
— J'ai vu des choses, répondit-il mystérieusement en regardant sa main tendue.
Catherine baissa les yeux et aperçut une dizaine d'égratignures recouvrant la peau de sa paume. Elle fronça les sourcils mais ne dit rien. Credence était perdu dans ses pensées, se remémorant la première fois que M. Graves l'avait soigné.
Catherine attendit quelques instants avant de questionner Credence ; elle avait tellement de questions qui lui brulaient les lèvres mais le jeune homme n'avait pas l'air disposé à vouloir parler.
— Est-ce que tu en connais ? Des...
Elle ne savait même pas comment les appeler. Des magiciens ?
— Des sorciers ? Oui.
Catherine mourrait d'envie de lui demander des noms mais le regard fuyant de Credence lui soufflait qu'il ne lâcherait rien.
— Est-ce que cette ombre noire qui apparaît dans la ville est de leur faute ? Pourquoi font-ils cela ?
Credence secoua la tête. Il devenait de plus en plus nerveux.
— Non, ce n'est pas eux. C'est... autre chose, finit-il par murmurer, plus pour lui-même.
Un courant d'air frais se fit ressentir et Credence jeta un coup d'œil dans la rue pleine de passants. Un homme l'observait de l'autre côté de la rue. M. Graves. Il se sentit soudain plus léger.
— Je dois y aller, annonça-t-il avec plus de force avant de quitter la ruelle précipitamment, laissant Catherine la tête pleine de questions sans réponses.
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