2| Une histoire de sorcellerie ?
Ce fût à bout de souffle que Catherine Fleming entra dans les locaux du New York Clarion. Se précipitant vers l'ascenseur doré qui se trouvait au fond du rez-de-chaussée, elle bouscula au passage plusieurs hommes en costumes noir qui discutaient des derniers évènements et potins du moment. Ceux-ci lui lancèrent des regards désapprobateurs mais Catherine n'y prêta pas attention, trop obnubilée par sa quête qui était d'entrer dans cet ascenseur avant que les portes ne se referment.
De justesse, elle pénétra dans la petite cabine bondée et se fraya une place sur la gauche tout près des boutons. Elle appuya sur le quinzième étage et alors que son regard descendait sur toutes les touches allumées, elle se rendit compte que son retard n'allait que s'accentuer.
Ainsi, au fur et à mesure que l'ascenseur s'arrêtait à chaque palier, créant un flux constant d'entrées et de sorties, elle se mit à jouer distraitement avec le fin bracelet en or qu'elle avait autour de son poignet. C'était une simple gourmette, un cadeau que ses parents lui avaient offerts le jour où elle avait quitté la Californie pour aller s'installer à New York, la tête remplie de rêves et d'illusions.
Au fil des années dans cette ville, elle s'était rendue compte que jouer avec son bracelet était un signe de nervosité. Elle se mettait toujours à le tripoter avant des rendez-vous importants, qu'ils soient professionnels ou amoureux. De la même manière, elle se disait aussi que c'était un moyen de se rappeler de temps plus simples et plus heureux ; quand elle était jeune et vivait encore avec sa famille. Cela faisait maintenant plusieurs années qu'elle ne les avait pas revus.
Elle fronça d'ailleurs les sourcils à cette pensée, se demandant pourquoi elle n'avait pas pris un billet de train pour la Californie plutôt qu'un aller simple hors du pays.
La réponse apparût sur le bout de sa langue à peine une seconde plus tard. Elle ne voulait pas décevoir ses parents.
Rentrer chez eux alors même que sa carrière était tombée à l'eau et qu'elle n'était toujours pas mariée serait une honte pour eux. Ses parents avaient tout donnés pour qu'elle et ses sœurs aient les moyens de s'en sortir et voilà que Catherine allait faire ce que ses parents considéreraient comme la plus grosse erreur de sa vie : démissionner d'un travail qui la payait plus qu'honnêtement.
Pour elle, démissionner signifiait enfin vivre sa vie, vivre de nouvelles expériences et essayer d'insuffler un peu d'air frais dans la monotonie de son quotidien. Des arguments que ses parents ne comprendraient jamais.
Après tout, il avait déjà été assez dur de leur faire comprendre que non, elle ne se marierait pas avec le premier venu. Que non, elle ne comptait pas encore avoir d'enfants. Et que oui, elle avait encore le temps, elle n'était pas trop vieille. Et enfin que non, son visage ne commençait pas à rider.
Discrètement, elle effleura son front du bout des doigts. Sa peau était toujours aussi lisse qu'avant. Elle s'en voulu instantanément d'avoir eu à vérifier. Elle accordait encore trop d'importance aux propos de ses parents sur son apparence.
Quand enfin l'ascenseur s'arrêta au quinzième, elle en sortit avec soulagement, se débarrassant de ces pensées qui la démoralisaient au plus haut point.
Aussitôt, elle fût entourée par le bruit familier des touches étant frappées à intervalles réguliers de tout côté. Des rangées d'hommes assis derrière des bureaux austères tapaient à toute vitesse sur des machines à écrire haut de gamme. Ils avaient tous un air concentré, pressé et vaguement hautain.
Catherine commença à marcher, observant machinalement les journalistes travaillant. Le son de ses bottines résonnait sur le sol beige attirant ici aussi, les regards désapprobateurs de ses collègues. Ou du moins, d'ici quelques minutes, anciens collègues. Cependant, elle fit de son mieux pour faire le moins de bruit possible et s'approcha doucement du bureau de la secrétaire du directeur du journal.
— J'ai rendez-vous avec M. Shaw. Catherine informa la jeune femme aux cheveux roux qui était assise derrière le bureau.
Celle-ci lui accorda un sourire désolé avant de lui dire que M. Shaw était occupé et qu'elle allait devoir attendre.
Catherine hocha la tête ; elle s'y attendait. Elle avait dix minutes de retard après tout. Vaguement démoralisée, elle alla s'asseoir sur le banc qui était situé en face du bureau de la secrétaire et près de la porte du bureau de M. Shaw. En s'asseyant, elle rendit son sourire à la secrétaire. Au moins, celle-ci avait eu la gentillesse de ne pas lui faire remarquer qu'elle était en retard.
Catherine soupira en réalisant que dix petites minutes de retard allaient probablement la faire attendre des heures, simplement pour que le directeur prenne le temps de la recevoir. Elle qui avait prévu de faire un dernier tour de New York, elle n'aurait probablement pas le temps de tout voir.
Les minutes s'écoulaient et Catherine croisaient et décroisaient les jambes nerveusement. L'ennui était pire que tout et elle s'en voulu de ne pas avoir pris un livre avant de partir précipitamment de chez elle le matin-même. Elle aurait dû se douter que tout ne se passerait pas comme prévu. Jamais rien ne se passe comme prévu dans la vie de Catherine Fleming, pour sans plus grand malheur. Et alors que la jeune femme était assise depuis seulement quelques minutes sur le banc en bois du couloir faiblement éclairé, elle aperçu Langdon Shaw, l'un de ses collègues journaliste et également fils de M. Henry Shaw Sr, passer devant elle, ignorer la secrétaire qui lui criait que son père était en rendez-vous, et entrer en trombe dans le bureau. Derrière lui, une étrange famille marchait calmement. Catherine observa les nouveaux venus avec intérêt et croisa le regard d'une jeune fille blonde. Elles échangèrent un sourire avant que la jeune fille entre dans le bureau derrière sa mère, son frère et sa sœur.
Catherine ne put d'ailleurs s'empêcher de remarquer leurs accoutrements qui sortaient de l'ordinaire. Cela lui fit assez vite déduire qu'ils faisaient partie du New Salem Preservation Society, un groupe de fanatiques connut pour dénoncer les sorciers et sorcières qui rôderaient selon eux dans les rues de New York et des Etats-Unis en général.
Catherine n'y avait jamais prêté trop d'attention. Elle avait eu à prendre des photos de l'une de leurs manifestations mais cela n'avait guère été qu'une mission décevante parmi tant d'autres durant ses longues années de travail.
Toutefois, alors que la famille pénétrait dans le bureau d'Henry Shaw, laissant la porte ouverte derrière eux, Catherine ne put s'empêcher de se pencher légèrement vers la porte. Après ce qu'elle venait de voir le matin-même, elle se disait tout à coup que la magie ne paraissait pas si fou que ça après tout.
Sous le prétexte de se gratter l'oreille, elle se pencha un peu plus vers la porte. La secrétaire n'était pas dupe mais elle ne fit aucun pas vers la porte pour la fermer. Catherine put donc entendre Langdon, son collègue, essayé d'expliquer à son père que les évènements étranges qui s'étaient déroulés dans la ville depuis plusieurs jours étaient bel et bien dû à la magie. Catherine se mordit la lèvre, pouvant imaginer d'ici l'expression renfrognée que devait avoir son père. Cependant, pour Catherine, si un homme rationnel comme Langdon Shaw pouvait croire à ce genre de choses, c'est qu'il y avait surement matière à réflexion.
Rapidement, hélas, son père le coupa. La famille des Barebone, avait dit Langdon, ne voulait rien en retour des informations qu'ils leur procuraient, et pour Henry, cela ne signifiait qu'une seule chose, que tout cela était faux. Il les congédia donc tous, provoquant un accès de colère chez son fils journaliste. Inconsciemment, Catherine se redressa sur le banc et arrêta d'écouter. Cela était gênant.
Même s'il était de notoriété publique que la relation entre les Shaw était tendue, cela ne signifiait pas que Catherine appréciait d'entendre le fils et le père se disputer à propos de la préférence qu'avait son père pour son autre fils sénateur.
En entendant d'ailleurs parler du sénateur, Catherine ne put retenir de jeter un coup d'œil vers lui. Elle l'avait aperçu un peu avant, impeccablement habillé comme d'habitude. C'est ainsi qu'elle le vit se pencher pour ramasser un papier par terre avant de murmurer quelque chose à l'oreille du fils Barebone. Le visage pâle de celui-ci se ferma aussitôt et Catherine sût que le sénateur n'avait pas dû mâcher ses mots et dire tout ce qu'il pensait de cette famille et de leurs croyances.
Après tout, si Henry Shaw Jr était comme Henry Shaw Sr, il ne devait pas être un tendre.
Catherine ressentit donc un profond sentiment de pitié pour ce jeune garçon. Il avait une apparence austère mais tout dans sa démarche et son regard fuyant indiquait un jeune homme malheureux et méfiant. Ses yeux foncés rivés sur le sol, il serra la main que sa petite sœur lui tendait et ils partirent ensemble derrière leur mère et leur sœur.
Langdon sortit du bureau peu après, visiblement énervé, et la secrétaire se précipita pour aller fermer la porte du bureau, s'excusant au passage platement à M. Shaw et à son fils.
Alors que celle-ci se rasseyait à sa place, Catherine lui sourit chaleureusement. Son travail ne devait pas être facile tous les jours.
Après l'agitation qu'avaient provoquée Langdon et les Barebone, les heures passèrent incroyablement lentement pour Catherine et ce ne fut qu'au bout de trois heures que M. Shaw accepta finalement de la recevoir.
Même si Catherine avait le dos courbaturé par le banc inconfortable et était vaguement fatiguée par une telle attente, cela avait aussi considérablement augmenté sa résolution d'en finir. C'était la dernière fois qu'on la traitait comme cela.
C'est donc les mains légèrement tremblantes, comme souvent lorsqu'elle se retrouvait confrontée au regard froid et dur d'Henry Shaw Sr, que Catherine pénétra dans son bureau. Elle fixa son regard sur l'homme assit et passa devant une table basse et un canapé. Ses bottines résonnèrent sur le sol mais ce ne fut seulement lorsque Catherine s'arrêta devant son bureau que l'homme âgé daigna la regarder.
— Que puis-je faire pour vous Mademoiselle Flemang ?, lui demanda-t-il d'une voix faussement aimable, écorchant au passage son nom de famille.
Catherine se retint de hausser un sourcil à son affront et se contenta de poser l'enveloppe blanche et quelque peu abimée contenant sa lettre de démission sur son bureau en bois massif.
L'homme observa l'enveloppe pendant quelques secondes avant de lui demander :
— Qu'est-ce que c'est ?
Catherine ne put s'empêcher de sourire, un sourire qu'elle espérait aussi faussement aimable que celui qu'il lui avait réservé quelques secondes auparavant.
— Ceci Monsieur, est ma lettre de démission.
Elle savoura l'expression de pure horreur du vieil homme avant de se retourner et de partir. Ce ne devait pas être tous les jours qu'un homme lui faisait un tel coup. Et probablement encore moins une femme.
Alors que Catherine atteignait la porte, la voix de son ancien patron se fit entendre :
— Ma chère, si vous passez cette porte, je ferais en sorte que vous ne puissiez plus jamais trouver un travail à New York.
Catherine s'arrêta, croisa le regard de la secrétaire. Ses grands yeux verts étaient écarquillés de terreur. Catherine se retourna et de sa voix la plus calme rétorqua :
— Vous pouvez bien faire ce que bon vous semble, monsieur Shaw.
Les deux se regardèrent en chiens de faïence pendant quelques secondes. Les yeux bleus de M. Shaw montrant toute sa colère, les yeux noirs de Catherine Fleming ne laissant transparaître que sa détermination.
Finalement, celle-ci finit par sourire faiblement, contente de l'effet que sa sortie laisserait sur l'homme devant elle, puis sortit de la pièce. Cette fois-ci lorsqu'elle traversa la longue pièce entourée d'hommes tapant sur leur machine à écrire frénétiquement, elle ne chercha pas à se faire discrète et fit claquer ses bottines sur le sol aussi fort qu'elle le pouvait.
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