12| Un phasme nommé Pickett

La surprise avait été sa première réaction. Le comportement de l'homme, qu'elle avait rencontré sur le pont, ne l'avait pas préparé à ce qu'il souhaite passer plus de temps avec elle. Cela lui faisait infiniment plaisir, bien sûr, mais elle n'était pas persuadée de comprendre tout à fait ce M. Scamander.

Lors de leur discussion, il avait paru se refermer sur lui-même. Et la déception qui avait brillée légèrement dans son regard tout au long de leur échange n'avait pas échappé à Catherine et lui faisait d'ailleurs se poser un certain nombre de questions, dont la plus importante : pourquoi diable lui avoir proposé de déjeuner avec lui s'il n'était pas intéressé ?

Lui-même n'avait pas eu l'air sûr de lui lorsqu'il l'avait invité. Ses yeux, rivés sur la créature dans ses mains, il n'avait pas croisé le regard de Catherine avant d'avoir formulé sa question en entière. Et si elle devait être honnête avec elle-même, Catherine avait trouvé cela particulièrement adorable.

M. Scamander, la tête imperceptiblement penchée sur la droite et une mèche de cheveux bouclée tombant sur son front, attendit la réponse de Catherine avec un mélange d'espoir et d'inquiétude dans les yeux. Et contrairement au reste de leur conversation, il ne la quitta pas des yeux, comme si sa réponse allait déterminer le futur de l'espèce humaine toute entière. Catherine n'avait pas hésité longtemps avant d'accepter et observa immédiatement après le visage de l'homme être noyé par le soulagement. Elle ne comprit pas vraiment pourquoi il semblait si soulagé mais n'eut guère le temps d'y penser beaucoup plus à la vue du magnifique sourire qui apparut furtivement sur les lèvres de l'anglais. Elle sentit son cœur louper un battement et un sourire s'épanouit inconsciemment sur ses lèvres en réponse.

Les deux jeunes gens baissèrent aussitôt les yeux et quand Catherine se remit à observer Newt Scamander, celui-ci tentait de restreindre sa petite créature aux poils bruns. Les bras tendus devant elle, elle poussait tout son corps en avant pour sortir de la poigne de l'homme et semblait vouloir se précipiter sur une femme à quelques mètres d'eux, dont les bracelets en argent aveuglaient tous ceux présents sur le pont à cause du reflet du soleil sur le métal.

Catherine trouva la scène terriblement amusante et se demanda bien à quel genre d'animal elle avait affaire. La créature ressemblait à une taupe mais avec des yeux plus visibles et une énergie bien plus importante. L'homme finit par cacher la créature sous son manteau et promit à Catherine de la rejoindre dans la salle à manger après avoir ramené son vaurien d'animal de compagnie dans sa cabine.

Quelques minutes plus tard, Catherine, seule, pénétra, avec une certaine appréhension, dans la salle à manger bondée du bateau. Elle ne savait pas vraiment ce que ce repas partagé signifiait. Était-ce une sorte de rendez-vous galant ou simplement une manière amicale de faire connaissance ?

Elle opta plutôt pour le second. Seulement quatre jours s'étaient écoulés depuis leur départ et une dizaine restait encore à passer ; de la compagnie serait donc appréciable, après tout. Surtout lorsque l'on faisait le voyage seul. Ou du moins, elle espérait qu'il soit seul. Elle ne tenait pas vraiment à se retrouver au milieu d'une histoire compliquée de couple.

La forte odeur du bacon fumé lui chatouilla les narines et elle se précipita aussitôt vers le buffet, le ventre grognant d'impatience. Elle n'avait pas consommé de nourriture solide depuis quatre jours et mourrait d'envie de dévorer une assiette entière de bacons et d'œufs. Cependant, elle n'en fit rien. Elle commençait tout juste à se remettre de son mal de mer et des nausées que cela avait engendrées ; il était hors de question qu'elle se rende malade en mangeant plus que de raison. Elle opta donc pour une tasse de thé et quelques pâtisseries et s'éloigna avec difficulté du bacon croustillant qui semblait lui chanter de revenir, comme une sirène sur un rocher.

Maladroitement, elle se dirigea vers une table libre au fond de la salle. Tentant tant bien que mal de ne pas renverser son thé et ses pâtisseries, elle dut battre des coudes pour atteindre la table avant de s'effondrer en soupirant sur la chaise en bois de celle-ci. Posant son déjeuner devant elle, elle fut bien contente que le britannique qu'elle venait de rencontrer n'ait pas été là pour assister à la scène, car cela avait été tout sauf gracieux.

Une fenêtre avec vue sur l'arrière du bateau et sur la mer se trouvait sur sa gauche, et Catherine observa l'horizon en sirotant son thé pendant quelques minutes, attendant l'arrivée de Newt Scamander. Celui-ci apparut quelques minutes plus tard, passant le seuil de la porte nerveusement et son regard parcourant l'ensemble de la salle avant de repérer Catherine qui lui faisait un signe de la main. Il lui sourit faiblement avant de baisser la tête et de se diriger vers le buffet.

Catherine passa une main dans ses cheveux pour s'assurer qu'elle n'était pas décoiffée et observa avec intérêt l'homme se diriger vers elle, une assiette à la main.

Sa traversée de la salle fut toute aussi jonchée d'obstacles que la sienne ; les tables étant dispersées autour la salle de manière complètement aléatoires et les passagers se pressant à plusieurs autour de certaines pour pouvoir manger assis. Cependant, il faisait extrêmement attention à ne bousculer personne et s'excusait toujours platement quand il lui arrivait de cogner quelqu'un par inadvertance.

Alors qu'il était à la moitié du chemin et se retrouvait bloqué derrière un homme de forte corpulence qui souhaitait sortir, Catherine se mit à détailler avec plus d'attention son physique. Elle se demanda si elle ne l'avait pas déjà aperçu quelque part car après tout, ce n'était pas parce qu'il ne la connaissait pas que, elle, ne l'avait jamais vu. En effet, le fort sentiment de familiarité qu'elle avait ressenti lorsqu'elle lui avait parlé quelques minutes auparavant refusait de la quitter.

Son manteau bleu foncé. Ses tâches de rousseur. Ses cheveux bruns-roux. Et même son accent anglais à couper au couteau. Elle savait que tout cela ne lui était pas inconnu et qu'elle avait la réponse sur le bout de la langue et pourtant, plus elle fouillait dans sa mémoire, moins elle semblait se rapprocher de la vérité.

Elle s'interrompit dans sa contemplation quand Newt Scamander s'assit en face d'elle avec un léger sourire, ses yeux vert émeraude plongeant dans les siens un dixième de seconde avant de retomber sur son plat.

Elle aimait cela. Cette façon qu'il avait de toujours baisser les yeux, de ne pas chercher à établir sa dominance sur elle en bataillant pour être le dernier à avoir les yeux levés, comme un bon nombre d'hommes qu'elle avait connus dans sa vie. Dans ces moments-là, il lui faisait d'ailleurs beaucoup penser à Atsuo. Elle baissa aussitôt les yeux à cette pensée. Voilà bien une idée dont elle pouvait se passer.

Essayant de se changer les idées et ne s'attendant pas à ce que Newt lui pose une question, Catherine mordit avec appétit dans un croissant qui traînait dans son assiette.

— Si ce n'est pas trop indiscret, qu'est-ce qui vous amène en Angleterre ?

La surprise fit avaler de travers le morceau de pâtisserie que Catherine avait dans la bouche et celle-ci toussota avant de prendre une gorgée de son thé. Newt sembla s'en vouloir et elle lui sourit pour le rassurer.

Sa question pourtant banale prit Catherine au dépourvu et elle fronça les sourcils. Elle s'en voulut aussitôt. Froncer les sourcils était devenu une mauvaise habitude et ses parents ne manqueraient pas de le lui faire remarquer la prochaine fois qu'ils la verraient. Inconsciemment, elle passa ses doigts entre ses sourcils, comme pour vérifier qu'aucune ride ne s'y trouvait et Newt suivit son geste des yeux. Elle baissa la tête immédiatement et son comportement sembla attiser sa curiosité.

— J'ai envie de changer d'air, de découvrir de nouvelles choses, finit-elle par répondre, le regard vide dirigé vers la fenêtre et la mer en arrière-plan. Je- j'aimerais vivre une aventure, admit-elle, plongeant son regard dans celui de Newt avec une légère appréhension.

Elle n'aurait probablement jamais avoué cela à quelqu'un d'autre. Elle avait d'ailleurs trouvé une excuse pour la douane anglaise : visite familiale. Mais elle sentait qu'elle pouvait lui faire confiance, qu'il ne la jugerait pas. Et surtout qu'il ne lui ferait pas de remarques sur le fait que sa place était chez elle, à s'occuper d'enfants qu'elle aurait dû avoir depuis plusieurs années déjà.

Tout le corps de Newt était penché en avant, la tête légèrement baissée, il regardait Catherine par en dessous, ses yeux détaillant l'expression de son visage.

Catherine sourit timidement, ne sachant comment interpréter son silence et alors qu'elle se mettait à le contempler, elle ressentit un picotement familier, partant de son poignet et s'étendant dans son bras. Ses yeux vert émeraude, ses tâches de rousseur dansant sur ses joues et son nez. Elle était persuadée d'avoir vécu une situation similaire avec lui. Et le regard que Newt lui lançait la rassurait encore plus dans ce sentiment. Il la regardait avec une telle intensité qu'elle aurait mit sa main à couper qu'il la connaissait.

Son cœur se mit alors à battre plus fort, se demandant ce qui avait pu le pousser à lui mentir et pourquoi elle ne semblait pas du tout se souvenir de lui.

Newt baissa les yeux, comme s'il venait de se rendre compte qu'il s'était trahi et se mit à manger les tranches de bacon qu'il avait dans son assiette comme s'il n'avait rien avalé depuis des jours tout en évitant soigneusement le regard de Catherine.

Catherine baissa les yeux à son tour, perdue dans ses pensées. Une exclamation horrifiée de la table à côté de la leur lui fit relever la tête et quand elle croisa le regard choqué de deux femmes d'âge mûr, elle détourna le regard, blessée. Le regard de Newt vola des femmes à Catherine, une expression d'incompréhension sur le visage.

Catherine ne se voyait pas lui expliquer que pour beaucoup de personnes, les relations interraciales n'étaient pas encore très bien vues. En premier, parce que c'était un sujet qu'elle mettait toujours un point d'honneur à ne pas aborder. Et en second, car elle ne se voyait pas parler de la chose sans donner l'impression de prendre leur déjeuner ensemble comme plus sérieux qu'il ne l'était sûrement réellement.

La journée qui avait pourtant commencée merveilleusement bien pour Catherine, avec la disparition de son mal de mer et la rencontre avec ce charmant gentleman, venait de prendre une tournure qui la déprimait horriblement.

— Est-ce qu'il y a un problème ?, finit par demander Newt, inquiet.

Catherine fit non de la tête en souriant faiblement, ne cherchant pas à cacher sa tristesse mais lui faisant comprendre que ce n'était pas un sujet qu'elle souhaitait aborder. L'homme hocha la tête, son regard baissant sur les doigts de Catherine qui tapotaient nerveusement sur ses avant-bras, avant de remonter sur son visage puis finalement de baisser la tête et de retourner sur son repas.

Le reste du repas se déroula en silence. Catherine ne le considérait pas comme gênant mais plutôt relaxant. Newt en profitait pour observer les passagers autour d'eux ou bien, comme elle, pour observer l'horizon par la fenêtre. Certaines fois, il l'observait elle, mais à chaque fois qu'elle le surprenait, il semblait toujours perdu dans ses pensées. En tout cas, il n'avait pas l'air pressé de s'échapper, de quitter sa compagnie, et Catherine finit par terminer son repas de meilleure humeur.

Alors qu'elle finissait sa tasse de thé, un mouvement près du cou de Newt attira son attention. Là, sous son col en laine bleu, une petite tête semblait en sortir. La tasse de thé de Catherine se figea sur sa bouche alors qu'elle plissait les yeux, essayant de distinguer la créature. Si elle ne devenait pas folle, celle-ci ressemblait à une grande tige verte avec deux feuilles sur la tête.

La main de Newt apparut aussitôt pour cacher la créature sous son col et Catherine croisa son regard. Il lui sourit légèrement avant de baisser le regard.

— Est-ce que c'est-, Catherine posa sa tasse de thé, les yeux rivés sur le col de l'homme, est-ce que c'est un phasme ?

Sa question lui paraissait idiote car qu'est-ce que cela pouvait être d'autre. Ce qui l'étonnait surtout, c'était la raison pour laquelle cet homme pouvait bien se balader avec un tel insecte sur lui. L'homme soutint son regard mais une légère incompréhension semblait assombrir son visage. Finalement, il finit par répondre.

— Oui, un phasne. C'est exact.

Catherine fronça les sourcils. Un phasne ? Il était visiblement un très mauvais menteur. Ne savait-il donc pas l'espèce de son propre animal ou était-ce autre chose ? Catherine se demanda bien ce que cela était pour qu'il prenne la peine de mentir là-dessus.

— Vous m'avez l'air d'avoir une sacrée ménagerie dans votre cabine, plaisanta-t-elle, un grand sourire sur les lèvres.

Elle pensait le mettre suffisamment à l'aise pour lui soutirer des informations mais le regard plein d'espoir que lui lança Newt lui fit tout oublier. C'était le même regard que lorsqu'il l'avait rencontré sur le pont. Un espoir ardent qui lui faisait écarquiller les yeux et soutenir son regard comme s'il n'osait pas se détourner, de peur de passer à côté de quelque chose d'important. Et comme auparavant, l'espoir s'évanouit aussi vite qu'il était apparu et l'homme baissa les yeux, déçu. Catherine essaya de chercher ce qu'elle avait fait de mal ou alors ce qu'elle n'avait pas fait qu'elle aurait dû faire mais elle fut bien incapable de trouver une réponse.

Newt retomba dans ses pensées et après quelques minutes, finit par s'excuser et partir de la salle à manger, lui jetant un dernier regard avant de disparaître dans le couloir, laissant Catherine, seule à sa table.

La jeune femme, les lèvres serrées, se maudissait d'avoir ruiné ce qui aurait pu être une relation saine avec un homme, une relation telle qu'elle n'en avait pas eu depuis bien longtemps.

La joie des femmes, à la table à côté, de voir qu'elles n'assisteraient pas à un mélange ethnique attrista encore plus Catherine et celle-ci finit par quitter la salle à manger sans finir son repas, tout appétit l'ayant quitté définitivement.

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