Une affaire mouvementée
HOLMES PARTIT. Et je me préparai à l'attendre patiemment quelques heures. J'eus la surprise de voir apparaître Wiggins, le visage pâle. Il était ennuyé de voir que Sherlock Holmes était toujours absent.
- Je me souviens de quelque chose qui pourrait intéresser M. Holmes, affirma le petit chef des francs-tireurs. J'ai beaucoup réfléchi à ce qui m'est arrivé, il y avait quelque chose qui clochait. Le jour où je me suis fait descendre, la personne qui m'a tirée dessus ne pouvait pas être dans la maison. Il devait se trouver derrière moi.
- Que veux-tu dire Wiggins ?
- Ce n'est pas l'homme que je suivais ou son complice qui ont tenté de me tuer mais quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui était caché, comme moi, et qui surveillait la maison.
- Tu es sûr de cela ?
- J'en suis certain docteur. Mais il faudrait y retourner pour vérifier. Je suis sûr que ce gars a suivi Loyd. On peut peut-être retrouver sa trace.
Wiggins se leva de toute sa hauteur et me regarda avec détermination.
- Vous m'accompagnez docteur ?
Le jeune garçon était déjà devant la porte. Du haut de ses douze ans il me donnait une leçon de courage. Je me précipitai à ses côtés et jetai un regard chagrin sur le salon.
J'imaginais sans mal la mauvaise humeur de mon compagnon lorsqu'il apprendrait ma fuite. Je suivis Wiggins et nous prîmes un fiacre. Wiggins était taciturne, il me semblait reconnaître l'expression butée de Sherlock Holmes sur ses traits enfantins. Le maître déteignait sur l'élève. Nous arrivâmes bientôt à Whitechapel où décidément toutes nos pistes nous menaient à un moment ou à un autre. Wiggins m'entraîna vers le 12, Dixon Street.
- J'étais ici lorsqu'on m'a tiré dessus. Je regardais la maison et j'attendais mon bonhomme.
Pris au jeu, Wiggins se remettait dans les conditions de sa tentative d'assassinat. J'observais ce petit bout d'homme qui conservait tout son sérieux lorsqu'il se couchait à terre, victime de sa balle imaginaire.
- Sur le coup j'ai cru que la balle venait de la maison, mais c'est une erreur. Si on avait tiré de face, j'aurais du être touché à la poitrine, pas derrière à l'épaule. Donc on m'a tiré dans le dos. Quelqu'un qui guettait le 12, Dixon Street et qui ne voulait pas que je vois ce qui se passait.
Ce n'était pas stupide ce que disait le gamin. Je me précipitai à son aide lorsqu'il tenta de se relever en grimaçant de douleur.
- Mais ensuite ? Où peut-il bien être allé ? Demandai-je en vérifiant rapidement le bandage de Wiggins.
- Il a du les suivre jusque chez Peggy. Peut-être connaissait-il mon cogne et qu'il a parlé avec eux ?
- Loyd n'en a rien dit à Holmes en tout cas.
- Loyd n'a peut-être pas tout dit à M. Holmes, vous savez docteur. Il faudrait parler avec Mlle Peggy. Elle a peut-être remarqué quelque chose d'intéressant. Notre gars n'a pas du lâcher l'affaire.
Je regardai avec surprise mon petit détective. Habillé de propre, il était loin de l'habituel petit gavroche qui obéissait sans mot dire aux ordres de Sherlock Holmes.
Pris dans son enquête, Wiggins courut dans les rues jusque chez Mlle Peggy. Nous frappâmes durant de longues minutes à la porte et soudain un froid pressentiment me saisit. Se pourrait-il qu'elle aussi ait été... Mais non elle ouvrit enfin la porte et nous observa de ses yeux ronds.
- Vous revoilà vous ? Que voulez-vous ?
- Pardonnez-nous de vous déranger, commençai-je en balbutiant d'un air gêné. Mais...
- Est-ce que tu as remarqué un gars louche qui tournait autour du type que ton cogne t'a demandé de garder y a pas longtemps ? S'empressa de demander Wiggins.
Elle le regarda avec stupeur mais ne se fit pas prier pour répondre.
- J'ai rien remarqué de spécial.
- Pas de vendeur, de saoulard qu'auraient traîné devant ta porte pendant longtemps ?
- Y a bien eu un type complètement saoul, c'est vrai, mais il est pas resté longtemps. Y a un cogne qui l'a viré tout de suite. Depuis Jack y a plus de contrôles dans les rues, on laisse moins les gens traîner. C'est pas plus mal mais ça gêne le turbin.
- Un gars de la rousse ?
- Ouais. Mais j'sais pas qui. Peut-être le gros Marc ?
Je captai le regard entendu de mon petit compagnon.
- Merci Peggy, t'es une chique fille.
- De rien, sourit la jeune femme.
Le sourd pressentiment m'étreignait toujours. Je songeai au danger qui environnait notre témoin. Il fallait le protéger.
- Mlle Peggy, repris-je. Je vais être franc avec vous, votre vie est en grave danger. Il faut que vous quittiez cette maison sur le champ. Je voudrais vous emmener à l'abri. Mais je ne sais pas où cela serait possible.
- En danger ? répéta la prostituée d'une voix blanche.
- L'homme que vous avez vu devant chez vous peut revenir d'un instant à l'autre. Et c'est un terrible meurtrier. Il a déjà tué de nombreux témoins et je suis désolé de vous dire que vous êtes certainement la prochaine.
- Mon Dieu ! Que puis-je faire ?
- Vous cacher.
- Mais où ? Je suis connue dans l'quartier.
Je regardai Wiggins, une même idée germa dans nos deux cerveaux.
- Chez Mme Fanny, bien sûr.
Il ne nous fallut que quelques minutes pour enlever la jeune femme avec nous. Elle saisit quelques affaires qu'elle glissa dans un sac de voyage élimé. Ses yeux étaient agrandis par l'angoisse, ses mains tremblaient tandis que nous nous déplacions le plus discrètement possible dans les rues de Whitechapel. Je priais le ciel que personne ne remarque trois personnes filant à toute allure au milieu de la foule. Enfin je reconnus bientôt la porte de chez Mme Fanny. Je tambourinai jusqu'à ce qu'elle s'ouvrit enfin. La tenancière me regarda avec stupéfaction.
- Docteur Watson ? Mlle Peggy ? Mais que faites-vous ici ?
- C'est une question de vie ou de mort. Laissez-nous entrer, je vous en conjure, m'écriai-je.
La brave femme s'écarta et nous autorisa l'entrée de sa maison de passe. Ses yeux étonnés se déplaçaient entre le sac de voyage de Peggy, le jeune garçon de douze ans et moi-même, complètement essoufflé.
- Pourrais-je avoir une explication docteur ? M. Holmes est-il au courant de votre démarche ?
- Non, soufflai-je. J'agis de mon propre chef.
- Je vois, fit-elle en souriant. Mais si vous vouliez une fille, je vous signale que nous en avons plusieurs à votre disposition et que vous n'étiez pas obligé d'en amener une. Par contre je ne fais pas les petits garçons. Il y a d'autres établissements dans Whitechapel où vous trouverez sans peine ce genre d'article.
- Ne dîtes pas de bêtises, hurlai-je, alarmé qu'une pareille idée puisse lui venir à l'esprit. Je vous ai amené cette jeune femme parce que je crains pour sa vie. Elle risque d'être assassinée, c'est un témoin très important.
Le visage de Mme Fanny prit une expression paniquée que je ne lui imaginais pas.
- Mon Dieu, la pauvre enfant !
- Cachez-la et ne parlez d'elle à personne. Je vous en conjure. Si vous avez le moindre souci, envoyez un message à Baker Street. Voici de l'argent.
Je glissai ma main dans mon veston et en tirai deux billets de dix livres. Une fortune pour ma pauvre solde de médecin militaire.
Le bruit de la conversation avait alerté une des pensionnaires et j'eus la mauvaise surprise de voir apparaître Lisette, en robe de chambre, un long fume-cigarette aux lèvres. Elle observa la scène de ses grands yeux surpris.
- Mais que se passe-t-il ici ? Que faites-vous docteur Watson ? Où est M. Holmes ?
- Il n'est pas là et nous n'avons pas de temps à perdre, rugit Wiggins. Venez docteur. Il faut aller au commissariat de Whitechapel.
Je jetai un dernier regard sur la jeune femme sculpturale et suivis mon petit malade qui semblait réellement en pleine forme.
Wiggins ne semblait pas porter cette malheureuse prostituée dans son cœur. J'aurais aimé avoir le courage de l'interroger, mais ne pus m'y résigner. Nous continuâmes à courir dans les rues. Je sentais ma vieille blessure à la jambe se réveiller petit à petit, augmentant ma claudication disgracieuse. Wiggins filait bon train, méprisant sa douleur à l'épaule que je devinais assez incommodante.
Mon petit guide connaissait très bien son Whitechapel car en quelques minutes de course il me fit arrêter devant un établissement à l'allure officielle. Nous entrâmes et je n'oublierai pas de sitôt le mur d'incompréhension et de bêtise auquel nous nous percutâmes sous l'apparence du policier de service.
- Qui êtes-vous et que voulez-vous ?
- Je suis le docteur John Hamish Watson et voici le jeune Wiggins. Nous souhaiterions parler à vos supérieurs.
- A quel sujet ?
- Nous avons besoin de renseignements au sujet d'un suspect que vous avez arrêté il y a peu et...
- Impossible.
Je ravalai ma salive et regardai notre homme. Les yeux baissés sur un journal posé sur le bureau de bois devant lui, il ne daigna même pas nous accorder un regard.
- Mais c'est très important monsieur, rétorquai-je. Il s'agit d'une enquête de Sherlock Holmes et...
Que n'avais-je pas dit là ? Le policier leva la tête et me regarda fixement avant de grogner d'une voix menaçante.
- Fichez le camp si vous ne voulez pas finir au trou. Nous recherchons toujours Jack l'Eventreur, vous en feriez un magnifique, docteur.
- Mais... commençai-je.
- Vous direz aussi à ce fichu détective de Baker Street que nous ne sommes pas à sa botte. Déguerpissez maintenant !
Le policier menaça de se lever et je sentis la petite main de Wiggins me tirer par la manche. Nous quittâmes l'établissement de police, plus amers que jamais.
- J'aurais du m'en douter. Y a que Sherlock Holmes qu'aurait pu passer. Dommage, s'écria Wiggins en frappant du pied sur le sol pavé.
- Je suis désolé Wiggins. Je ne suis que le docteur Watson. Retournons à Baker Street, peut-être que Holmes est de retour et pourra continuer notre piste.
- J'espère qu'il bottera les fesses de cet imbécile, rugit Wiggins.
Nous mîmes longtemps à trouver un véhicule et reprîmes le chemin du 221 b Baker Street. Il était déjà six heures du soir.
Le salon était illuminé. Holmes devait être rentré et certainement fâché de ma désertion. A moins que Mme Hudson ne tienne compagnie à Mme Wiggins, venue rechercher son fils fugueur. Nous montâmes les dix-sept marches le plus rapidement possible et entrâmes dans le salon.
Je vis avec surprise Sherlock Holmes s'entretenant avec Mme Wiggins. Celle-ci exhibait bien son adorable sourire et mon compagnon avait bien les joues un peu moins pâles qu'à l'ordinaire mais rien dans leur attitude ne laissait présager que quelque chose se soit passée. Lorsqu'elle nous vit, Mme Wiggins parut plus que soulagée, elle se précipita sur son fils et l'examina attentivement. Le jeune Peter avait l'air plus gêné et fâché que jamais de cette délicate attention maternelle.
- Maman, j'ai rien, grogna-t-il en se débattant sous l'étreinte de sa mère.
- Hé bien Watson, fit Holmes sur un ton de reproche en s'approchant de moi. Vous vous mettez aussi à jouer les détectives ? Quelle piste avez-vous suivie ?
- Celui qui a tenté de tuer Peter Wiggins a été arrêté par la police de Whitechapel, mais un policier borné nous a empêché de pousser trop loin nos investigations.
Holmes nous observa quelques secondes sans rien dire pour finalement éclater de rire.
- Certainement le sergent O'Leary. C'est une vraie tête brûlée. Pourquoi ne l'avez-vous pas menacé de représailles ? Nous avons les pleins pouvoirs grâce à Lestrade. Il ne faut pas avoir de scrupules dans une enquête policière, mon cher Watson !
- Je...je n'y ai pas pensé.
- Vous êtes trop honnête pour faire un bon détective, sourit Holmes.
- Nous avons mis en lieu sûr Mlle Peggy.
- Bien vu. C'est vrai que notre homme pourrait s'attaquer à elle. Je n'y avais pas songé. J'irai faire un tour là-bas tout à l'heure. O'Leary a besoin qu'on lui démontre qu'il n'est rien d'autre qu'un policier subordonné, autrement dit pas grand-chose. Mais d'abord nous allons nous restaurer, j'ai faim. Mme Wiggins, voulez-vous nous faire l'honneur de partager notre repas ?
Elle s'exclama que cela lui ferait grand plaisir et lui jeta un de ces sourires superbes dont elle avait le secret. Mme Hudson nous apporta un repas copieux qui tombait très bien. Je n'avais pas eu le temps de me restaurer correctement dans l'après-midi et la faim me tenaillait l'estomac. Holmes s'accorda quelques menues miettes et un grand verre d'alcool fort. Il était manifestement en pleine forme et nous amusa de sa conversation animée. Il évoqua des souvenirs de voyage, parla de la musique polonaise, décrivit les tableaux de Gainsborough. Mme Wiggins l'observait en souriant et participait beaucoup à son discours. Mon ami ne la quittait pas des yeux. Ils avaient beaucoup de points communs. Je captai aussi avec surprise le regard intéressé de Wiggins. Il y avait manifestement quelque chose qui m'échappait. Nous étions à cent lieues de notre enquête, de la mort de Sir Edward, du meurtrier qui rôdait dans l'ombre...
C'était un des multiples talents de Sherlock Holmes que de réussir à faire oublier l'horreur la plus absolue par quelques tours de passe-passe verbaux.
Enfin le repas terminé, Holmes s'excusa et s'en alla rejoindre la nuit. Mme Wiggins fut contente de me voir ausculter son fils. Tout allait parfaitement bien. Et s'en fut aussi en m'assurant qu'elle ne viendrait plus me déranger. Je me retrouvai bientôt seul, déçu que Holmes ne m'ait pas emmené suivre la piste que j'avais entamée avec Wiggins.
Je me demandais si les deux jours restants seraient assez longs pour finir l'enquête. A minuit et quelques, Holmes réapparut, il se déshabilla, puis s'assit dans son fauteuil, le visage livide. Cela faisait maintenant trois jours qu'il n'avait pas dormi une heure ni manger un repas consistant. Ses yeux rouges et brillants me démontraient une fièvre assez importante. Néanmoins, je me tus et lui demandai gentiment si son enquête avançait. Sa réponse fut rapide.
- Si elle avance ? Mais je suis au point fort Watson ! Braineson exige que tout soit mis en œuvre pour se charger de sa protection, mon frère perd un temps infiniment précieux à lui obéir. La Reine menace de rentrer plus tôt. Le suspect arrêté par les policiers de Whitechapel n'a laissé aucun souvenir précis à ses geôliers, ils ne se souviennent que d'un tatouage spécial qu'il avait sur le bras, un tigre assez imposant. Peut-être l'Armée des Indes. Il avait aussi une cicatrice sur le visage.
Holmes me jeta un regard attristé.
- Si seulement j'avais été présent avec vous, j'aurai gagné un temps inestimable.
Il regarda ses mains, longues et pâles, couvertes de tâches d'encre et reprit la parole lentement.
- Sinon on enterre demain matin Sir Edward. L'autopsie étant faîte, il n'y a plus de raison valable d'attendre. Les journaux ont été enfin prévenus de sa mort.
- Ils connaissent la vérité ?
- Une infime parcelle de la vérité mon cher Watson. Notre ministre regretté est décédé des suites d'un accident malheureux.
- Avec un revolver ? A Buckingham Palace ?
- Aucun souci mon cher Watson. Les journalistes ont gobé ce mensonge sans aucun problème.
Le détective de Baker Street sourit ironiquement puis se leva pour se diriger vers sa chambre.
- Bonne nuit mon cher Watson. Demain sera une longue journée.
Le réveil fut difficile, il était déjà tard pourtant. Il me fallut plusieurs minutes pour rejoindre le salon où Sherlock Holmes était déjà levé. Je l'aperçus avec surprise debout devant la glace de sa chambre, laçant la fine cravate noire de son costume de cérémonie. Il s'était vêtu avec recherche, voire élégance. Il me jeta un regard amusé en enfilant d'un geste souple ses gants blancs.
- Hé bien Watson, vous avez du mal à tenir la distance on dirait. Mme Hudson a eu la bienveillance de préparer un excellent café. Cela vous conviendra mieux que du thé.
- Vous êtes superbe Holmes. Vous voulez passer pour un dandy arrogant ?
- Oh la vilaine répartie ! Seriez-vous jaloux docteur ? Je vous signale à tout hasard que vous avez vous aussi l'obligation de vous habiller avec tout le cérémonial qu'il convient à quelqu'un faisant partie du cortège de l'enterrement de Sir Edward.
- Moi ? Mais je ne fais pas partie du gouvernement.
- Et alors ? Dépêchez-vous donc de prendre un petit-déjeuner consistant. J'ai l'impression que cette journée va nous réserver bien des surprises.
Je lui obéis prestement et avalai rapidement quelques nourritures substantielles. Ensuite il ne me fallut que quelques minutes pour m'habiller avec recherche. Je saisis mon chapeau haut-de-forme et rejoignis Holmes. Il me contempla d'un œil critique et se mit à sourire.
- Quel dommage que Mme Watson ne soit pas présente pour vous voir dans un tel apparat. En route !
Je vis avec stupeur mon compagnon glisser dans la poche de son veston son revolver. Quant à la canne qu'il prit en main, je connaissais la lame dissimulée à son extrémité. Holmes semblait prêt à tout.
Une voiture armoriée patientait déjà à la porte pour nous emmener jusqu'à Downing Street. Une question me tiraillait l'esprit tandis que nous nous arrêtions non loin du portail où un attroupement de journalistes, de curieux et de policiers attendait le départ du cortège funèbre. Ce dernier devait se diriger lentement jusqu'à l'Abbaye de Westminster.
- Holmes, pourquoi ne pas avoir attendu le retour de la Reine pour enterrer Sir Edward ?
- Et risquer sa vie ? Le Premier Ministre a préféré prendre les devants. Il n'ignore pas que M. Braineson reçoit des menaces de mort à son tour. Il ne veut pas prendre le risque que Sa Majesté soit éclaboussée par ce scandale, voire prise pour cible. De plus Balmoral est bien loin. Ha nous partons enfin ! Voici mon frère et M. Braineson.
Je tournai les yeux dans la direction indiquée par Holmes et aperçus Mycroft, avec à ses côtés un M. Braineson plus pâle que jamais. Ce dernier semblait littéralement terrorisé. Le cortège s'ébranla à la suite d'un véhicule tendu de longs tissus noirs. Le cercueil était recouvert de linceuls sombres, les chevaux emplumés entraînèrent le défilé d'un pas distingué. Notre fiacre laissa circuler le cortège de voitures officielles devant nous puis nous nous glissâmes à leur suite. Braineson était monté avec le frère de Holmes dans un des véhicules armoriés. Dans d'autres voitures se dispersèrent le Premier Ministre et les différents membres du gouvernement. L'absence de la Reine était presque incongrue en de telles circonstances.
Holmes dardait ses regards de tous les côtés. Je vis, à de nombreuses reprises, encadrant le défilé de voitures officielles, des policiers en uniforme. Mais rien ne se produisit.
Nous descendîmes les uns après les autres devant l'Abbaye de Westminster, chef-d'oeuvre du gothique tardif. Un attroupement beaucoup plus imposant qu'à Downing Street nous attendait patiemment. Holmes se glissa dans l'ombre de l'immense édifice et disparut de ma vue. Je regardai entrer le cercueil solennellement suivi du gouvernement dans son ensemble. Cela dura longtemps puis Holmes réapparut, essoufflé.
- Il n'y a rien de suspect à l'intérieur. Lestrade a bien fait son travail.
- Vous vous attendiez à quoi ?
- Si j'étais un anarchiste mon cher Watson, je trouverai que l'occasion est trop belle pour être manquée. Vous ne croyez pas ?
- Un attentat ? C'est à cela que vous pensez Holmes ?
Un frisson me parcourut les épaules. Je regardai mon compagnon, il paraissait tendu, deux gouttes de sueur coulaient le long de son visage anguleux. Il gardait les yeux fixés sur le déroulement du défilé. Je le sentais nerveux, la main crispée sur son revolver. Mais tout le cortège entra dans l'Abbaye sans qu'aucun évènement particulier n'arrive. Puis nous pénétrâmes dans l'édifice à notre tour, les portes furent refermées et la cérémonie commença.
Ce fut long, solennel, doré. Il faisait lumineux dans l'église. Partout on avait installé des cierges, allumé les gigantesques lustres brillants, pendant du plafond. Mes yeux embrassaient la scène dans son ensemble. C'était magnifique. Le archevêque conduisit la cérémonie de main de maître, réussissant à mettre plus de temps pour enterrer Sir Edward qu'à mener un sacre dans son entier. Honteux, je ne parvenais pas à m'empêcher de bailler.
Holmes, pour sa part, ne portait qu'un intérêt tout relatif à la liturgie. Il continuait à tout examiner de ses yeux perçants, comme un rapace observant ses proies. Il y avait des centaines de personnes à surveiller et mon ami s'y efforçait dans la mesure du possible, guettant le moindre mouvement suspect.
Enfin ce fut terminé, on rouvrit les portes de l'Abbaye pour laisser partir le cortège. Sir Edward allait rejoindre le cimetière londonien où de nombreux membres du gouvernement britannique étaient déjà enterrés. Selon les propres veux du défunt Sir Edward. L'ancienne famille Harlyn était en grande partie enterrée dans le caveau de famille de Huntingdon, près de Cambridge.
Toujours rien ne s'était passé. Je commençai à croire que Holmes était trop méfiant, personne n'oserait attenter à la vie de nos chers ministres. Combien je me trompais !
A notre sortie de l'Abbaye, un flot de journalistes nous encercla tous les deux tout à coup en poussant des hurlements.
- C'est lui ! Le voilà ! C'est Sherlock Holmes !
Aussitôt nous ne pûmes avancer ou reculer, bloqués que nous étions par la meute de journalistes. Le défilé officiel reprenait non loin de nous. J'aperçus Mycroft Holmes et Braineson, ils nous jetèrent un regard surpris. Les journalistes commencèrent à nous mitrailler avec leurs appareils photographiques et à nous noyer sous le flot des questions.
- M. Holmes, est-il vrai que Sir Edward Harlyn s'est suicidé il y a trois jours ?
- Il paraît qu'il s'est tué à Buckingham Palace ? Que pouvez-vous nous en dire ?
- Nos lecteurs aimeraient savoir si leur ministre était vraiment un homme intègre. A-t-il réellement trempé dans des affaires louches ?
- On parle même d'un viol et d'un meurtre qu'il aurait commis à l'encontre d'une jeune fille. Ce sont des accusations très graves, qu'en dîtes-vous ?
Holmes ne savait que répondre, il tournait la tête de tous côtés cherchant une issue mais les journalistes se resserraient sur nous, multipliant les interrogations, se faisant plus pressants. Je vis mon ami aspirer un gros bol d'air et demander d'une voix sèche.
- Qui est votre informateur ?
- Secret professionnel M. Holmes, sourit ironiquement un jeune homme à la chevelure rougeoyante.
- Je n'ai rien à vous dire, rugit le détective. Laissez-nous donc passer !
C'est alors que sous nos yeux écarquillés sous le coup de la stupeur, nous vîmes apparaître un fiacre dans l'allée de l'Abbaye de Westminster, provoquant un mouvement de panique dans la foule. Deux hommes vêtus de longs manteaux sombres dont les bords étaient rabattus sur le visage en sautèrent prestement. Ils foncèrent dans la populace et disparurent quelques secondes. Lorsque les deux hommes réapparurent, à ma grande horreur, ils empoignaient M. Braineson par les bras. En un instant ils l'enlevèrent devant nous, à quelques mètres de distance seulement de notre groupe. Holmes se débattit comme un beau diable, lança même de furieux coups de poing sur quelques mâchoires trop proches mais le temps de se débarrasser des importuns et de se frayer un passage jusqu'au portail, il était déjà trop tard. Le fiacre se trouvait loin, filant à vive allure. L'action n'avait pris que quelques secondes, c'était déjà trop.
Holmes courut jusqu'à la rue et jeta son haut-de-forme à terre en poussant un cri de rage et d'impuissance.
- Les fumiers ! Ils m'ont eu.
Ce fut une des rares fois où je l'entendis proférer un juron.
La suite des évènements fut plus terrible encore, je rejoignis mon compagnon devenu le point de mire de toute l'assemblée de badauds. Il n'en avait cure, ses yeux toujours dirigés sur le coin de la rue par où avait disparu notre fiacre.
- Et si nous prenions notre véhicule et les poursuivions ? risquai-je timidement.
La réplique ne se fit pas attendre, cinglante.
- Et nous ridiculiser encore plus ?
- La piste est toute fraîche, ne pourrions-nous pas essayer de la suivre ?
Holmes me jeta un regard froid et étincelant de colère contenue.
- Watson, restez-en à votre rôle de médecin. Vous n'êtes pas apte à faire le détective.
J'avalai l'insulte sans répondre. Les yeux de Holmes se firent plus tristes soudainement, il me regarda d'un air abattu.
- Pardonnez-moi Watson, je ne suis qu'un pauvre imbécile.
- Qu'allez-vous faire Holmes ?
- Qu'allons-nous faire Watson, répéta Holmes en appuyant bien sur le « nous ». Il faut que je retrouve ce fameux professeur. Et vous m'accompagnez.
Je retrouvai mon sourire tandis que Holmes se penchait et ramassait son chapeau haut-de-forme. Heureusement la chute ne l'avait aucunement abîmé, le détective le remit en place. Nous rejoignîmes le cortège qui était resté stoppé au portail de l'Abbaye, les participants encore sous le choc des évènements. Nous cherchâmes des yeux Mycroft Holmes mais ne le trouvâmes pas. Un bref instant le visage de mon ami devint blême.
- Où est Mycroft ?
Il se mit à courir, faisant le tour des différents véhicules, en vain. Peu à peu son impassibilité coutumière disparaissait laissant la place à une sourde inquiétude.
Enfin nous trouvâmes Mycroft Holmes, étendu sur un banc dans l'Abbaye, un homme à ses côtés visiblement l'auscultait. Holmes en fut saisi et se précipita à leur hauteur.
- Qu'est-il arrivé ?
Mycroft Holmes gisait, le visage livide, les yeux fermés. Une affreuse blessure s'étendait sur son côté, un coup de couteau sans nul doute. L'homme se tourna vers nous, le visage serein.
- La blessure n'est que superficielle. Ne vous alarmez pas. Je suis médecin.
Holmes n'écoutait que d'une oreille distraite. Il s'agenouilla auprès de son frère qui ouvrit les yeux. Mycroft était faible et perdait du sang mais ce n'était en effet, par bonheur et par miracle, qu'une blessure légère. Heureusement nos criminels avaient été pressés par le temps et s'étaient contentés de l'agresser sans le tuer.
- Je n'ai rien pu faire pour les en empêcher Sherlock, souffla-t-il, en fermant les yeux sous la douleur.
Holmes s'empara d'une des mains tremblantes qui se crispaient, et détourna les yeux. Il murmura en se mordant les lèvres :
- Ne t'en fais pas. Je suis sur leur piste, quoi qu'il arrive.
- J'ai aperçu brièvement le visage de mon agresseur, continua Mycroft d'une voix faible. Il avait une cicatrice, un coup de sabre je suppose.
Fatigué de tant parler, Mycroft Holmes ferma les yeux et aspira un peu d'air. Le médecin avait disparu, il était sans doute parti chercher du secours. Je tentai de stopper l'hémorragie en apposant mon mouchoir de soie sur la blessure, je n'avais rien emporté d'autre. Holmes me contempla avec insistance et supplication, ses yeux gris étaient embués et ses lèvres fermes décolorées frémissaient. Je posai une main amicale, qui se voulait rassurante, sur l'épaule de mon ami et lui murmurai gentiment :
- Ce n'est qu'une petite blessure Holmes. Dans quelques temps, votre frère sera de nouveau assis dans son fauteuil du Club Diogène.
Holmes me sourit avec sympathie et posa son autre main sur la mienne pour la retirer doucement de son épaule. Il me répondit lentement d'une voix que je sentais émue, peut-être même au bord des larmes :
- Merci Watson, merci. Vous ne finirez jamais de m'étonner, jamais.
Je rougis à ce compliment inhabituel. Mycroft chuchota d'une voix très affaiblie :
- Capture ce criminel, pour moi, Sherlock.
- Oui, Mycroft, je te le promets.
Sherlock sourit tristement et passa une main dans les cheveux de son frère dans un geste fraternel, si rare pour cet homme impassible. Mycroft Holmes s'évanouit tandis que le bruit d'une cavalcade résonnait dans l'Abbaye. Des hommes coururent nous rejoindre. Le médecin avait alerté les secours et des personnes se chargèrent de transporter le blessé. Ils emportèrent Mycroft Holmes jusqu'à l'hôpital le plus proche.
- C'est notre assassin qui a frappé, murmura Holmes, une fois son frère disparu.
- A quoi cela nous sert-il de le savoir ? Il est parti en enlevant Braineson. Nous avons perdu.
- Je n'ai pas trouvé que Braineson se débattait beaucoup pour quelqu'un se faisant enlever, constata mon ami.
- C'est vraiment dommage que ces journalistes aient flairé le pot aux roses, murmurai-je, essayant de diminuer la tension.
- Ils n'ont rien flairé du tout, quelqu'un les a informés, souffla Holmes avec mépris. On s'est admirablement servi de la presse pour nous contrer. Les journalistes ont du recevoir mon signalement avec quelques détails croustillants sur Sir Edward. De quoi mettre l'eau à la bouche à n'importe lequel reporter en mal d'exclusivité.
Holmes s'assit sur le banc et se prit la tête entre ses mains. J'entendis des pas dans notre dos, des personnes venaient d'entrer dans l'Abbaye.
- C'est un plan vraiment machiavélique, soupira le détective.
- Que s'est-il passé M. Holmes ? Hurla un homme non loin de nous.
Nous nous retournâmes vers celui qui parlait ainsi. A ma grande surprise, le Premier Ministre en personne se tenait droit devant nous, le visage encore livide à cause de ce qui venait de se produire.
- Il n'y a plus aucun danger, Sir, assura Holmes. Continuez la cérémonie, plus rien ne se passera.
- Dieu vous entende M. Holmes ! Est-ce ainsi que vous assurez la sécurité des personnes ? Que va-t-il advenir de Monsieur Braineson maintenant qu'il est entre les mains de ses ravisseurs ?
- Je me charge de vous le retrouver dans les plus brefs délais, Sir.
- La Reine rentre demain. Que va-t-elle dire lorsqu'elle apprendra ce lamentable échec ? Et l'agression sur votre frère ?
Holmes leva la tête et observa notre Premier Ministre en souriant.
- Je n'en sais rien. Je dois vous l'avouer. Enfin nous verrons bien.
Le détective se leva et salua l'assemblée de nos hommes d'Etat le plus respectueusement du monde.
Il se préparait à partir lorsqu'une idée sembla le retenir. Il se retourna vers le Premier Ministre.
- Au fait sur quel dossier travaillait Sir Edward ces derniers temps ?
- Un plan de première importance au niveau européen. Il souhaitait organiser une sorte de police européenne en mettant en place des fichiers de criminels identiques et un réseau de communication efficace entre les pays.
- Une police européenne ? Répéta Holmes d'une voix neutre.
- Oui. Sir Edward a beaucoup étudié les dossiers criminels de différents pays européens avec le ministre des Affaires Intérieurs, Sir Georges Twickenham. Que voici.
Le Premier Ministre nous désigna un homme à l'allure hautaine et au ventre rebondi. Deux immenses favoris gris lui mangeaient les joues. Sir Georges Twickenham s'inclina et prit la parole.
- Sir Edward pensait que cela permettrait d'éviter qu'un homme puisse commettre un crime dans un pays et s'enfuir dans un autre sans être inquiété. Ce qui est malheureusement le cas à l'heure actuelle. Mais si je puis me permettre, son projet est une utopie. Jamais cela ne fonctionnera !
- Vous êtes opposé à cette loi depuis le début, Sir Georges. Cela n'a pas changé avec la mort de Sir Edward, sourit tristement le Premier Ministre.
- Mais était-ce en bonne marche ? Demanda Holmes.
- Ma foi, Sir Edward a fait un excellent travail, reconnut Sir Georges. Il avait déjà conclu des accords avec la France, la Belgique. L'Allemagne était aussi très intéressée. On peut être en désaccord sur le plan militaire avec une nation étrangère mais avoir les mêmes préoccupations au niveau de la politique intérieure.
- J'imagine que l'affaire Jack l'Eventreur a permis qu'une telle idée naisse dans les esprits, lança Holmes. Et les actions de chef de la Sûreté française, M. Lebrun, font office de précédents.
- C'est vrai. L'affaire Jack l'Eventreur a assez choqué les esprits pour que les gens se mettent à vouloir éviter que cela recommence. Et M. Lebrun a accompli un tour de force en réunissant les polices de plusieurs pays pour certaines enquêtes. Je vois que vous suivez l'actualité policière, M. Holmes. Mais cela ne marchera pas à une plus grande échelle.
Sir Georges Twickenham s'arrêta quelques secondes pour reprendre son souffle.
- D'ailleurs, reprit-il, un projet de loi à ce sujet doit être promulgué à la fin de cette semaine. J'y suis fermement opposé mais c'est ainsi.
- Un projet de loi ? Répéta Holmes avec intérêt.
- Sir Edward voulait vraiment poser les bases de cette coopération policière, expliqua le Premier Ministre. Il avait appelé cela : créer la première police européenne. C'est un excellent projet. Heureusement la Reine est aussi très intéressée par ce projet. Elle souhaite donner son accord. Dès son retour de Balmoral.
- Donc demain ? Reprit le détective.
- Si tout se déroule comme prévu, conclut le principal ministre de notre gouvernement. Je ne pense pas que sa Majesté va remettre sa décision à plus tard malgré les événements tragiques qui viennent de se dérouler.
Holmes se tut et salua d'un bref signe de tête.
Nous sortîmes de l'Abbaye pour nous retrouver à l'air libre. Le cortège était jeté dans le plus effroyable désordre. L'Archevêque s'était évanoui, on était en train de se charger de lui. J'aperçus l'inspecteur Lestrade assailli par nos journalistes, ne sachant comment s'en débarrasser. Les femmes des ministres étaient dispersées devant le portail, beaucoup étaient paniquées. Les gens criaient à tue-tête et s'interpellaient à grand bruit.
- Que se passe-t-il ?
- Un attentat.
- On a tiré sur le Premier Ministre ?
- Non, sur un membre du gouvernement.
- Seigneur ! Que fait la police ?
Ce n'était que jérémiades et exhortations qui roulaient sur la foule indécise. Holmes s'approcha résolument d'un des fiacres abandonnés et y monta après une rapide discussion avec le chauffeur. Nous pûmes partir à grand renfort de coups de fouet et d'appels dès que la masse de personnes collées au portail s'était écartée devant nous.
A ma grande surprise, Holmes m'entraîna jusqu'à Scotland Yard où nous descendîmes. Le détective avait recouvré son calme et son impassibilité. Il glissa sa carte de visite dans la main du sergent préposé à la porte et je vis avec joie s'ouvrir les bureaux de Scotland Yard devant nous. Je n'étais encore jamais venu, je jetais des regards curieux sur les couloirs que nous traversions, les personnes que nous rencontrions mais mon ami ne s'arrêta pas. Il était guidé par une idée qui m'était totalement inconnue.
Nous passâmes par des corridors, des escaliers et entrâmes dans un bureau spacieux. Un homme doté d'une petite moustache élégante observa mon ami avec étonnement.
- M. Holmes ? Que désirez-vous donc ?
- Où est Richard Loyd ?
- Cellule 12, mais vous ne pouvez pas...
Holmes n'en eut cure et se précipita hors du bureau. Quelque chose dans son attitude forçait à l'obéissance. Le détective avait l'air prêt à tout. Je commençais à m'inquiéter doucement de cet état de fait. Il ne lui fallut que quelques minutes pour arriver au quartier des cellules et entrer dans celle de Loyd. Celui-ci était assis nonchalamment sur sa couche et nous regarda entrer sans réussir à cacher son ahurissement.
- M. Holmes ? Mais que faites-vous ici ? Que voulez-vous ?
Et ce que je craignis d'arriver se passa. Holmes saisit violemment Loyd par les revers de sa veste et le força à se lever de son lit.
- Où est-il ? Rugit-il d'une voix rendue stridente sous le coup de la fureur, perdant toute mesure.
- Où est qui ? Répondit Loyd en se débattant avec vigueur de la ferme étreinte de Holmes, en vain.
Pour toute réponse et à ma grande horreur, Holmes sortit son revolver et le pointa sur le front de Loyd. Celui-ci devint pâle comme un mort et me jeta un regard paniqué.
- Holmes, qu'est-ce qui vous prend ? Vous n'avez pas le droit !
Je m'approchai vivement de mon ami, voulant m'interposer.
- Sortez Watson !
- Mais voyons Holmes...
- DEHORS !!!
Le détective me jeta un regard de dément et je reculai lentement jusqu'à la porte, ne pouvant me résoudre à lui obéir malgré tout. Il reporta toute son attention sur l'homme qu'il tenait entre ses mains.
- Répondez Loyd !!! Où est le professeur Moriarty ?
- Je ne sais pas, je n'en sais rien.
Holmes appuya sur le chien, armant son revolver, prêt à tirer.
- Je vous le demande pour la dernière fois. Où est-il ?
Des larmes coulaient le long des joues de Richard Loyd, mais Holmes restait impassible, implacable.
- Pitié Holmes ! Il me tuera quand il saura que je vous ai parlé.
- Mon frère a failli mourir assassiné. Je n'ai plus aucune pitié. Je vais vous tuer si vous ne parlez pas. A vous de voir.
La pression exercée par le canon se fit plus intense. Holmes commença à bouger lentement son doigt sur la gâchette, insensible aux cris pitoyables poussés par Loyd. Je m'approchai lentement de mon ami, m'apprêtant à attraper son bras pour l'empêcher de commettre cette monstruosité mais Loyd se décida à avouer.
- Limehouse, 7, Grenade Street.
Aussitôt Holmes lâcha sa victime qui tomba mollement sur le sol comme une poupée de chiffon. Il lui jeta un regard méprisant que je ne lui avais jamais vu et fit disparaître son arme dans sa poche.
Quatre policiers arrivèrent à cet instant à la porte de la cellule, revolvers et matraques aux poings, prêts à tout.
- Que se passe-t-il M. Holmes ? Nous avons entendu les cris et...
Ils observèrent avec hébétude la scène qui s'offrait devant leurs yeux. Loyd était couché par terre pleurant à chaudes larmes, Holmes s'allumait tranquillement une pipe, j'étais collé contre le mur, certainement le visage livide.
- Ne vous inquiétez pas, répondit placidement le détective. M. Loyd avait quelque chose à avouer mais c'était un peu difficile à faire sortir.
Il se tourna vers les policiers et souffla une longue bouffée de tabac.
- Ne le laissez surtout pas filer. Il ne doit pas échapper à l'échafaud qui l'attend. Vous venez Watson ?
Holmes, toujours aussi serein, se dirigea vers la sortie de l'établissement. Les policiers nous regardèrent partir sans réagir.
Nous nous retrouvâmes bientôt dans la rue pleine de monde. J'aspirai une grande bouffée d'air frais et ne pus me contenir plus longtemps, j'explosai :
- Holmes ! Qu'est-ce qui vous a pris ?
- Je vous ai dit Watson qu'il ne faut pas avoir de scrupules dans une enquête. La fin légitime les moyens selon Machiavel.
- Je vous demande de bien vouloir me confier votre revolver. Vous n'êtes pas capable d'en garder un sur vous. Vous êtes trop dangereux.
- Cher vieux Watson, vous voulez vraiment me priver de mon moyen de défense alors que nous allons rencontrer l'homme qui se cache derrière tout cela ?
Je le regardai. Il se tenait devant moi, dans la rue, souriant, calme, le chapeau haut-de-forme un peu penché sur la tête, son magnifique costume de cérémonie sur le dos. Je ne sus que répondre. Il me prit par le bras et m'entraîna jusqu'à un fiacre stationné non loin, en attente de clients potentiels.
- Il ne faut pas perdre de vue que le temps nous est compté. Je ne suis pas très certain que notre homme n'a pas d'autres complices à Scotland Yard. Nous n'avons peut-être qu'une infime avance. Ne gaspillons pas des minutes précieuses.
Je le suivis docilement, ne sachant trop que faire, entraîner Holmes à Scotland Yard et le livrer à la police ? Alerter le sergent préposé à l'entrée ? Je ne pus me résoudre à une solution et l'accompagnai lâchement, sans rien dire.
Notre voyage en fiacre me sembla désespérément long. J'étais en but à des sentiments contraires. Holmes contemplait la rue, un petit sourire aux lèvres.
- Holmes, murmurai-je d'une voix rauque. Qui est le professeur Moriarty ?
- L'enseignant qui s'est chargé de l'éducation de Sir Edward. Un professeur de mathématiques. Il a vécu en France durant quelques années c'est là qu'il a rencontré ce cher Loyd.
- Comment l'avez-vous découvert ?
- On ne remerciera jamais trop assez les gens qui ont la mauvaise habitude de conserver tout et n'importe quoi dans leurs papiers. J'ai trouvé sa piste chez l'inspecteur Tenderley dans des livres de compte où son nom tombait régulièrement accolé à de fortes sommes d'argent. Je n'ai eu qu'à recouper avec la liste des professeurs ayant enseigné à l'université de Sir Edward durant les années où il s'y trouvait. Un vrai jeu d'enfants. Mais je n'ai pas réussi à le localiser à Londres. Mes francs-tireurs me manquent dans ce genre d'affaire.
Nous nous arrêtâmes dans le quartier de Limehouse, aussi enfumé et sombre que les docks non loin. C'était un quartier cosmopolite, rempli de malheureux immigrants sans le sou, de musculeux coolies, de marchandises venues du monde entier. C'était un quartier dangereux et pauvre où nous ne passâmes pas inaperçus avec nos tenues d'apparat. De sombres regards nous regardèrent passer sans aménité. Nous marchâmes jusqu'au 7, Grenade Street. La porte était ouverte, nous nous précipitâmes à l'intérieur, l'arme au point. Personne ! Une petite pendule trônait sur la cheminée noircie par la suie et égrenait les minutes lentement.
Holmes fit rapidement le tour du petit deux-pièces misérable et sale puis s'écria en secouant la tête, blasé.
- Joués, une fois de plus. Cet homme est une véritable anguille !
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