VIII
Mona se réveilla ce matin-là avec une étrange sensation : un mélange d'impatience et d'appréhension. La veille, elle avait passé des heures à relire ses notes, à décortiquer chaque mot de Luce, à essayer de comprendre ce qui l'animait. Elle ne pouvait se résoudre à voir ce projet comme une commande ordinaire. C'était bien plus que cela.
Je dois être à la hauteur, se répétait elle en boucle.
Après avoir bu un café rapide et enfourné un croissant dans son sac, elle se dirigea vers l'hôpital. Cette fois, elle avait l'intention de creuser plus profondément, d'établir les bases du livre. Mais surtout, elle voulait offrir à Luce quelque chose qu'elle semblait avoir perdu : un espace pour rêver à nouveau.
Quand Mona entra dans la chambre, elle trouva Luce assise en tailleur sur son lit, un carnet ouvert sur ses genoux et un crayon entre les dents. L'adolescente semblait concentrée, griffonnant quelque chose avec frénésie.
— Bonjour, dit Mona en refermant doucement la porte derrière elle.
Luce leva les yeux, un sourire illuminant instantanément son visage.
— Mona ! Je vous attendais. Regardez !
Elle tendit le carnet vers l'écrivaine. Mona le prit avec précaution et examina les dessins. C'étaient des esquisses simples mais pleines de vie : des paysages imaginaires, des silhouettes floues de personnages, et même une illustration qui ressemblait vaguement à une femme assise à un bureau, un stylo à la main.
— C'est magnifique, dit Mona sincèrement.
— Merci ! J'ai dessiné ça hier soir. Je pensais... peut-être qu'on pourrait utiliser ces dessins pour le livre ?
Mona haussa les sourcils, surprise.
— Tu veux dire... les inclure ?
Luce hocha la tête, les yeux brillants.
— Oui ! Enfin, si vous trouvez que c'est une bonne idée.
Mona hésita un instant. Elle n'avait jamais collaboré de cette manière auparavant, mais elle sentait que ce projet devait être différent.
— Pourquoi pas ? répondit elle finalement. Tes dessins ajoutent une dimension personnelle. On pourrait même les utiliser pour représenter ce que tu imagines, tes mondes intérieurs.
Luce émit un petit cri de joie, comme une enfant à qui on venait de promettre une surprise.
Après cet échange, Mona sortit son propre carnet et son stylo.
— D'accord, reprenons. Je veux commencer par comprendre : si ce livre devait capturer quelque chose d'essentiel sur toi, qu'est-ce que ce serait ?
Luce sembla réfléchir, triturant le coin de sa couverture.
— Je pense... je veux que ce soit honnête. Pas juste une histoire triste d'une fille malade. Les gens adorent ce genre de trucs, mais moi, je veux qu'ils voient autre chose.
— Comme quoi ?
— Comme... la façon dont je vois le monde. Pas seulement la maladie, mais tout le reste. Les petites choses qui me rendent heureuse, ou qui me donnent envie de continuer. Je veux que mon parcours à l'hôpital soit seulement évoqué au début de l'histoire, simplement comme un repère.
Mona nota ses mots avec soin, mais elle sentit que quelque chose restait non dit.
— Et qu'est-ce qui te donne envie de continuer ? demanda-t-elle doucement.
Luce resta silencieuse un instant, son regard fixé sur la fenêtre.
— Les histoires, finit elle par dire. Les livres, les dessins... et maintenant, ce projet avec vous.
Elle se tourna vers Mona avec un sourire fragile.
— Vous savez, avant que vous veniez, je me sentais... comment dire... invisible.
— Invisible ?
— Oui. Les gens ici sont gentils, mais ils me voient comme une patiente, pas comme une personne. Vous, vous me voyez différemment.
Mona sentit une bouffée d'émotion monter en elle. Elle posa une main sur celle de Luce.
— Je te promets qu'on fera en sorte que tout le monde te voie comme tu veux être vue.
Luce hocha la tête, visiblement émue, et Mona se jura intérieurement de tenir cette promesse, coûte que coûte.
Après leur conversation, Mona rentra chez elle avec un carnet rempli de notes et de dessins. Mais alors qu'elle s'installait à son bureau pour commencer à structurer le livre, elle sentit une ombre peser sur elle.
Les souvenirs de Camille revenaient en force. Elle revit sa sœur, souriante et pleine de vie, avant que tout ne bascule. Elle se rappela les derniers instants qu'elles avaient passés ensemble, ce sentiment d'impuissance qui l'avait consumée après l'accident.
Et si je n'étais pas capable de raconter l'histoire de Luce ?
Mona ferma les yeux et prit une profonde inspiration. Ce n'était pas le moment de douter. Luce comptait sur elle.
Elle se força à ouvrir son carnet et à relire ses notes. Petit à petit, les mots commencèrent à s'aligner, formant les prémices d'un chapitre. Elle ne savait pas encore où cette histoire les mènerait, mais elle sentait qu'elle était sur la bonne voie.
Le lendemain, Mona revint à l'hôpital, prête à approfondir ses échanges avec Luce. Cette fois, elle voulait explorer les détails de son quotidien : les moments de joie, de solitude, et de lutte.
— Alors, dis-moi, commença Mona une fois assise près du lit. Qu'est-ce qu'une journée typique ressemble pour toi ?
Luce haussa les épaules.
— Pas très passionnant. Je me réveille, je prends mes médicaments, je fais quelques examens... Après ça, je lis ou je dessine, et parfois je regarde des séries.
— Et les moments que tu préfères ?
Luce réfléchit un instant.
— Quand je lis, je suppose. Ou quand je parle avec certaines infirmières. Il y a aussi les jours où mes parents viennent, mais...
Elle s'interrompit, mordillant sa lèvre inférieure.
— Mais quoi ?
— Rien. C'est juste que parfois, c'est difficile de les voir. Ils essaient de faire comme si tout allait bien, mais je sais qu'ils s'inquiètent.
Mona sentit une pointe de tristesse dans la voix de Luce.
— Tu veux en parler ?
Luce secoua la tête.
— Pas maintenant.
Mona respecta son silence et pensa à une autre question, banale mais à laquelle elle n'avait jamais pensé.
— Hier j'ai commencé a écrire certains passages de notre projet, et en repensant à ce que tu m'as dit je me suis rendu compte que je ne connaissais même pas ta maladie...
Luce ria doucement
— C'est vrai que cette situation est un peu bête, on tourne autour du pot depuis des jours sans jamais parler concrètement de ma maladie. C'est en quelque sorte de ma faute... Tu sais je parle rarement de ma maladie. Souvent les gens ne la connaisse pas ou la prenne à la légère. Je suis atteinte d'athérosclérose.
Un silence régna dans la petite chambre avant que Luce ne reprenne :
—Habituellement cette maladie ne nécessite pas d'hospitalisation longue et les formes graves sont rares à mon âge. Mais pour moi c'est différent, je fais de l'hypertension et, je suis hémophile. Tout ceci réuni rend mon athérosclérose sévère mon opération à coeur ouvert nécessite beaucoup de prévention. Tu dois me trouver bizarre, j'ai tout les facteurs possibles rendant mon cas plus critique. Tu dois te dire que je suis folle...
Mona la fixa un instant avant de prendre doucement sa main.
— Si je devais dire que tu es folle, je dirait simplement que tu es follement courageuse, c'est tout.
Au fil des jours, leur collaboration s'approfondit. Mona venait presque quotidiennement, armée de son carnet et de nouvelles idées. Elles discutèrent de thèmes, de personnages, et même de la structure du livre.
Luce se révéla être une collaboratrice passionnée, proposant des idées inattendues et des perspectives uniques. Elle voulait que le livre soit un mélange de réalité et de fiction, quelque chose qui capturerait l'essence de sa vie tout en laissant place à l'imagination.
— Et si on écrivait sur une fille qui voyage dans des mondes imaginaires ? proposa Luce un jour.
— Une sorte d'évasion ?
— Oui ! Mais ces mondes seraient inspirés de ma vie. Comme... un monde où les fleurs parlent, ou un autre où le temps s'écoule différemment.
Mona sourit.
— J'aime l'idée. Et peut-être qu'en voyageant dans ces mondes, elle découvre des choses sur elle-même.
Luce hocha vigoureusement la tête, ses yeux brillants d'excitation.
— Oui ! Et à la fin, elle comprend que même si elle ne peut pas tout contrôler, elle peut toujours choisir comment elle affronte les choses.
Mona nota ces idées avec enthousiasme. Elle sentait que ce projet prenait une direction inattendue mais prometteuse.
Au fil des semaines, une véritable amitié naquit entre Mona et Luce. Elles partageaient non seulement des idées pour le livre, mais aussi des confidences, des rires, et parfois même des larmes.
Mona se rendit compte que Luce lui apportait autant qu'elle lui donnait. L'adolescente avait une manière unique de voir le monde, une capacité à trouver de la beauté même dans les moments les plus sombres.
De son côté, Luce semblait s'épanouir à travers ce projet. Elle avait retrouvé une partie de sa joie de vivre, une raison de se lever chaque matin.
Un jour, alors qu'elles travaillaient sur une scène particulièrement émouvante, Luce se tourna vers Mona.
— Vous savez, je pense que ce livre, c'est comme mon train.
— Ton train ?
— Oui. Vous savez, ce train qui fonce vers un mur. Mais avec vous, j'ai l'impression qu'il ralentit un peu.
Mona sentit un pincement au cœur, mais elle se força à sourire.
— Alors, continuons à ralentir ce train, d'accord ?
Luce hocha la tête, un sourire éclairant son visage.
En quittant l'hôpital ce jour-là, Mona sentit un mélange de fatigue et de satisfaction. Elle savait que le chemin serait encore long, mais elle était déterminée à mener ce projet à bien.
Elle ne pouvait s'empêcher de penser à tout ce qu'elle avait appris de Luce : sa résilience, son humour, et surtout, sa capacité à rêver malgré tout.
Ce livre ne sera pas seulement l'histoire de Luce, pensa Mona en rentrant chez elle. Ce sera l'histoire d'une amitié, d'une rencontre entre deux âmes qui avaient besoin l'une de l'autre pour guérir
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Bonjour à tous !
Que pensez vous de ce chapitre ? Il est un peu plus long que les autres...
Il est un passage assez important de l'histoire, à la toute fin, une référence sera faite à ce chapitre.
J'espère que cette histoire vous plait !
Mya Castelle
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