VII


Mona passa les jours suivants à repenser à sa rencontre avec Luce. Les mots de la jeune fille résonnaient encore dans sa tête. Elle se souvint de l'expression de la jeune fille qui était devenu si triste lorsqu'elle avait prononcé cette phrase  : « Les rêves, c'est compliqué. J'ai arrêté d'en avoir, il y a quelque temps. »

Ces mots portaient un poids qui la hantait. Mona savait ce que signifiait perdre ses rêves. Elle-même avait arrêté de rêver depuis l'accident de sa sœur, préférant se réfugier dans un monde qu'elle pouvait contrôler : celui de l'écriture. Mais Luce, avec sa maladie, faisait face à un combat bien plus grand. Et pourtant, cette adolescente trouvait encore le moyen de sourire, de rire, et même de rêver, d'une certaine façon.

Elle décida qu'elle ne pouvait pas rester passive. Si elle avait accepté ce projet, ce n'était pas pour simplement écouter ou prendre des notes. Elle voulait vraiment comprendre Luce, et à travers elle, peut-être se comprendre elle-même.

Le jour de sa seconde visite, Mona se sentit un peu moins nerveuse. Elle se présenta à l'accueil de l'hôpital, signa le registre des visiteurs, et traversa les couloirs familiers qui menaient à la chambre de Luce. En s'approchant, elle entendit une voix joyeuse : Luce parlait à une infirmière, racontant quelque chose avec animation.

Lorsque la jeune femme frappa doucement à la porte, Luce leva les yeux et s'illumina.

— Mona ! Vous êtes venue !

L'infirmière, une femme aux cheveux châtains attachés en une tresse, se tourna vers Mona avec un sourire bienveillant.

— Vous devez être l'écrivaine ! Luce parle de vous tout le temps.

Mona rougit légèrement, surprise.

— Je ne savais pas que j'étais déjà célèbre, plaisanta-t-elle.

Luce roula des yeux avec un sourire malicieux.

— Ne faites pas attention à ce qu'elle dit. J'ai juste mentionné que vous étiez... intéressante.

Mona rit doucement et s'approcha de la chaise près du lit. L'infirmière fit un clin d'œil à Luce avant de quitter la pièce, laissant les deux femmes seules.

— Alors, qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? demanda Luce, visiblement excitée.

Mona sortit son carnet et un stylo de son sac.

— Eh bien, j'ai pensé qu'on pourrait commencer à creuser ton histoire. Tu m'as parlé un peu de toi la dernière fois, mais j'aimerais en savoir plus.

La jeune fille fit mine de réfléchir, ses doigts jouant avec le coin de sa couverture.

— D'accord, mais à une condition.

— Laquelle ?

— Vous devez me parler de vous aussi. Ce n'est pas juste que vous posiez toutes les questions.

Mona hésita. Elle n'aimait pas parler de son passé, encore moins de sa sœur. Mais le regard insistant de Luce lui fit comprendre qu'elle ne gagnerait pas cette bataille.

— D'accord, répondit-elle enfin. Toi d'abord.

Luce esquissa un sourire victorieux avant de se redresser légèrement dans son lit.

— Bon, qu'est-ce que vous voulez savoir ?

— Tout. Ce qui t'a rendue heureuse, ce qui t'a rendue triste, ce qui t'a transformée...

Luce haussa les épaules.

— Ça fait beaucoup.

— On a tout notre temps.

Luce réfléchit un instant, le regard perdu dans le vide.

— Je suppose que ce qui m'a rendue la plus heureuse, c'était quand j'avais huit ans. On était en vacances à la mer avec mes parents, et il y avait ce chien énorme qui courait partout sur la plage. Je voulais tellement jouer avec lui, mais j'avais peur qu'il me renverse. Mon père m'a pris dans ses bras et m'a porté jusqu'à lui. Et vous savez quoi ? Ce chien était le plus gentil du monde.

Elle sourit en repensant à ce souvenir, et Mona sentit son cœur se serrer.

— Et ce qui t'a rendue triste ? demanda-t-elle doucement.

Luce perdit un peu de son éclat.

— Je suppose que... c'est quand j'ai réalisé que je ne serais jamais comme les autres.

Mona attendit, lui laissant le temps de poursuivre.

— Je ne parle pas juste de la maladie, ajouta Luce. Mais de tout ce que ça implique. Les traitements, les séjours à l'hôpital, le regard des gens. Ils essaient de ne pas avoir l'air gênés, mais je vois bien ce qu'ils pensent. Ils pensent : la pauvre fille.

Elle leva les yeux vers Mona, un défi dans le regard.

— Mais je ne suis pas une pauvre fille, vous savez ?

Mona hocha doucement la tête.

— Je le sais.

Luce sembla satisfaite de cette réponse.

— Et vous, alors ? demanda Luce après un moment. C'est quoi votre histoire ?

Mona hésita, jouant nerveusement avec son stylo.

— Ce n'est pas très intéressant.

— Vous m'avez demandé de tout raconter, protesta Luce. À votre tour.

Mona soupira. Elle savait qu'elle ne pourrait pas esquiver la question.

— D'accord. Mais c'est... compliqué.

Luce croisa les bras, l'air déterminé.

— J'ai tout mon temps.

Mona esquissa un sourire triste.

— J'avais une sœur. Elle s'appelait Camille. On était très proches, presque comme des jumelles, même si on avait deux ans d'écart. Elle était pleine de vie, toujours en train de rire, de faire des blagues.

Elle s'interrompit, sentant sa gorge se serrer.

— Et puis, un jour, il y a eu cet accident. Une voiture, un chauffard ivre... Elle n'a pas survécu.

Elle resta silencieuse, ses yeux brillant d'une compréhension silencieuse.

— Ça a été... un choc, continua Mona. J'ai arrêté d'écrire pendant des années. Je me disais que ça n'avait plus de sens. Mais un jour, j'ai compris que c'était ma façon de lui rendre hommage. De garder une partie d'elle vivante.

Elle releva les yeux et vit que Luce l'observait avec une intensité qui la déstabilisa.

— C'est pour ça que vous êtes ici, dit Luce doucement.

— Comment ça ?

— Vous voulez faire la même chose pour moi.

Mona ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne vint. Luce avait vu juste.

Elles continuèrent à parler, échangeant des anecdotes et des pensées sur la vie, la mort, et tout ce qui se trouvait entre les deux. Mona se rendit compte que Luce avait une sagesse bien au-delà de son âge, mais aussi une fragilité qu'elle s'efforçait de cacher.

Lorsque la femme quitta la chambre ce jour-là, elle avait une certitude : ce livre ne serait pas seulement l'histoire de Luce. Ce serait l'histoire de leur rencontre, de leurs blessures, et de la manière dont elles avaient appris à se reconstruire ensemble. Cela ne sera pas qu'un simple livre, mais un pansement réparant les plaies ouvertes, tournant la page d'un passé douloureux.

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