IV
Mona poussa doucement la porte, comme si elle craignait de déranger. Elle n'avait pas besoin de se forcer ; la pièce baignait dans une tranquillité presque irréelle, interrompue seulement par le bourdonnement constant d'un moniteur médical et les chuchotements discrets des voix dans le couloir.
La chambre était plus grande qu'elle ne l'avait imaginé. Les murs étaient peints d'un blanc éclatant, mais ici et là, quelques touches de couleur rompaient l'austérité de l'hôpital. Des affiches de paysages : un champ de lavande, une plage au coucher de soleil, une montagne enneigée. Sur le mur opposé à la porte, un tableau de liège était épinglé avec des cartes postales et des dessins faits à la main.
Mona remarqua ensuite le lit, au centre de la pièce. Une silhouette frêle y était recroquevillée, le visage tourné vers la fenêtre.
- Luce ?
La voix de Mona brisa le silence. L'adolescente se tourna lentement vers elle.
Elle était petite et mince, presque trop mince, avec des cheveux coupés très courts qui révélaient un visage délicat et pâle. Ses yeux, cependant, étaient grands et vifs, d'un bleu si clair qu'ils semblaient presque irréels. Luce la fixa avec un mélange de curiosité et de méfiance.
- Vous êtes Mona Martel, dit-elle finalement, d'une voix douce mais assurée.
La femme hocha la tête, s'avançant un peu.
-Oui, c'est moi. Et toi, tu dois être Luce.
Luce sourit légèrement.
- C'est ce qu'on dit.
Le ton désinvolte de la jeune fille prit Mona au dépourvu. Elle s'attendait à une adolescente triste, écrasée par le poids de sa maladie, mais Luce semblait différente. Il y avait dans son regard une étincelle de défi, comme si elle refusait de laisser sa condition la définir.
Elle resta un instant immobile, incertaine de ce qu'elle devait dire ou faire. Elle se sentait maladroite, étrangère dans cet environnement.
- Vous pouvez vous asseoir, vous savez, dit Luce en désignant une chaise près du lit.
Mona obéit, déposant son sac à ses pieds.
- Alors, commença Luce, brisant à nouveau le silence. Vous avez lu ma lettre ?
Mona croisa les jambes, jouant nerveusement avec l'ourlet de sa manche.
- Oui, je l'ai lue. Et... je l'ai trouvée très touchante.
Luce la regarda fixement, comme si elle cherchait à deviner si Mona disait la vérité.
- Vous n'étiez pas obligée de venir, dit-elle finalement.
Mona haussa légèrement les épaules.
- Je sais. Mais je suis là.
Le début de leur conversation fut ponctué de silences. Mona, peu habituée à ce genre de situation, se demandait constamment si elle disait les bonnes choses. Luce, de son côté, semblait mesurer chaque mot, comme si elle voulait s'assurer que Mona comprenait bien ce qu'elle disait.
- Pourquoi avez-vous accepté ? demanda soudain Luce.
La question surprit Mona. Elle réfléchit un instant avant de répondre.
- Parce que... je voulais voir si on pouvait créer quelque chose ensemble.
Luce haussa un sourcil.
-Ça ne sonne pas très convaincant.
Mona eut un sourire amer. -
Peut-être parce que je ne suis pas encore convaincue moi-même.
À sa grande surprise, Luce éclata de rire. C'était un rire léger, presque musical, et il éclaira son visage fatigué.
-Vous êtes honnête, au moins. C'est rare.
Mona ne savait pas si c'était un compliment ou une critique, mais elle décida de le prendre comme une bonne chose.
Peu à peu, la tension dans la pièce commença à s'apaiser. Luce se mit à parler un peu plus, racontant des anecdotes sur les infirmières, les autres patients, et les petits drames qui rythmaient la vie à l'hôpital.
-Vous savez, ici, c'est comme une série télé, dit-elle en souriant. Il y a toujours des rebondissements : une machine qui tombe en panne, une nouvelle arrivée dramatique, ou une évasion clandestine pour aller chercher des chips à la cafétéria.
Mona ne put s'empêcher de sourire.
-Et toi, tu joues quel rôle dans cette série ?
Luce réfléchit un instant, son sourire s'élargissant.
-Je suis le personnage secondaire qui essaie de voler la vedette. Vous savez, celui qui n'a pas grand-chose à perdre, alors il se permet tout.
Cette réponse frappa Mona plus qu'elle ne voulait l'admettre. Elle détourna le regard, essayant de cacher l'émotion qui montait en elle.
Au bout d'un moment, Luce changea de sujet.
-Alors, qu'est-ce qu'on va écrire ?
Mona haussa les sourcils.
-Tu veux déjà te lancer ?
Luce hocha vigoureusement la tête.
- Bien sûr ! Si on attend trop, je vais perdre patience. Et puis, vous êtes là, alors autant en profiter.
Mona se redressa légèrement, intriguée par l'enthousiasme de Luce.
- Tu as une idée précise ?
- Oui, répondit-elle avec assurance. Une histoire sur tout ce qu'on ne peut pas vivre, mais qu'on peut imaginer.
Mona sourit légèrement.
-C'est ce que tu as écrit dans ta lettre.
Luce acquiesça.
- Parce que c'est important. Je veux écrire quelque chose qui montre que même si on ne peut pas vivre tout ce qu'on voudrait, on peut toujours rêver.
Mona resta silencieuse un moment, réfléchissant à ces paroles. Elle avait passé tellement de temps à éviter ses propres rêves, à se cacher derrière des excuses et des regrets. Et voilà que cette adolescente, malgré sa maladie, semblait avoir compris quelque chose qu'elle-même n'arrivait pas à saisir.
Le temps passa plus vite que Mona ne l'avait imaginé. À un moment donné, une infirmière entra pour vérifier les constantes de Luce.
Vous devriez vous reposer, Luce, dit-elle gentiment en ajustant les draps.
Luce fit la moue.
- Je vais bien.
L'infirmière lui lança un regard qui disait clairement qu'elle ne croyait pas un mot de cette déclaration, mais elle n'insista pas. Elle se tourna vers Mona.
- Vous pouvez rester encore un peu, si vous voulez, mais pas trop longtemps. Luce a besoin de reprendre des forces.
La femme hocha la tête, et l'infirmière sortit, laissant la pièce dans un silence soudain.
-Vous voyez ce que je disais sur les rebondissements ? plaisanta la jeune fille.
Mona sourit, mais elle sentait que le moment était venu de partir. Elle se leva, ramassant son sac.
- Je vais te laisser te reposer, dit-elle doucement. Mais je reviendrai.
Luce la regarda avec une intensité qui la désarma.
- Vous le pensez vraiment ?
Mona hocha la tête.
- Oui.
Pour la première fois, Luce sembla véritablement soulagée.
En sortant de la chambre, Mona se sentit à la fois épuisée et étrangement légère. Cette rencontre l'avait bouleversée bien plus qu'elle ne l'aurait cru. Alors qu'elle marchait dans les couloirs de l'hôpital, elle réalisa qu'elle avait fait un pas qu'elle redoutait depuis longtemps : laisser entrer quelqu'un dans son monde, même juste un peu.
Ce n'était que le début, elle le savait. Mais pour la première fois depuis des années, elle se sentait prête à essayer.
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