II


Mona referma la porte de son appartement avec un soupir lourd, déposant son sac à main sur la console encombrée d'un amas de clés, de carnets à moitié utilisés et de stylos à sec. Elle avait accepté, à contrecœur, ce projet qui lui semblait être un piège déguisé en opportunité. Une rencontre avec une adolescente malade : c'était tout ce qu'elle avait promis. Rien de plus.

Mais depuis cet instant, un poids s'était installé dans sa poitrine, et chaque battement de son cœur lui semblait plus lourd que le précédent. Elle passa une main lasse dans ses cheveux et s'effondra dans le fauteuil du salon, contemplant la pluie qui glissait sur les vitres.

Le lendemain, Ted la rejoignit dans un café du centre-ville. Il l'avait appelée tôt, insistant sur le fait qu'ils devaient discuter des détails avant que Mona ne rencontre Luce. Elle était arrivée en retard, espérant secrètement qu'il partirait s'il devait attendre trop longtemps.

Il n'en fut rien. Lorsqu'elle entra, Ted l'accueillit avec un sourire suffisant, une tasse de café à moitié vide devant lui et son portable posé sur la table.

- Tu es venue. 

- Ne commence pas,  répondit elle en s'asseyant lourdement.

Ted passa outre son humeur et glissa une enveloppe en papier kraft vers elle. 

-Voilà quelques informations sur Luce. Son dossier médical reste confidentiel, bien sûr, mais on t'a inclus une lettre qu'elle t'a écrite. 

Mona hésita à ouvrir l'enveloppe, ses doigts glissant sur la bordure rugueuse. Elle la posa finalement sur la table, intacte. 

-Ça peut attendre. Parle-moi plutôt de ce que vous attendez de moi. 

L'homme soupira, comme s'il savait qu'elle cherchait un prétexte pour éviter de lire cette lettre. 

- Ce qu'on attend de toi, Mona, c'est assez simple : rencontrer Luce, discuter avec elle, voir si une collaboration est possible. Vous pouvez écrire ce que vous voulez, tant que ça reflète ce qu'elle souhaite. L'objectif est de créer quelque chose d'authentique, qui porte vos deux voix. 

-Et si je n'ai pas envie de porter une autre voix que la mienne ?  demanda-t-elle, les bras croisés.

Ted posa son café, croisant son regard avec sérieux. 

- Depuis combien de temps tu n'as pas porté la tienne, Mona ? 

Elle détourna les yeux, agacée par la justesse de la question. 

- Ce n'est pas la même chose. 

- Ça ne l'est pas, non,  admit-il. Mais peut-être que c'est ce qu'il te faut pour te remettre à écrire. Tu sais, quelque chose qui ne tourne pas autour de toi. 

- Épargne-moi le discours du sauveur, Ted,  répondit-elle avec froideur.

Il haussa les épaules, nonchalant. 

- Ce n'est pas un discours, juste une possibilité. 

Plus tard, chez elle, la jeune femme finit par céder à sa curiosité et ouvrit l'enveloppe. À l'intérieur, un document détaillant le projet, quelques notes sur Luce, et enfin, une lettre manuscrite sur du papier crème.

Elle hésita, puis déplia la feuille. L'écriture de Luce était penchée, légèrement tremblante, mais claire.

" Chère Mona Martel,
Je m'appelle Luce, j'ai quinze ans, et je suis l'une de vos lectrices. J'ai lu Sous le vent des mots plusieurs fois, et chaque fois, j'ai trouvé quelque chose de nouveau dans vos pages. Votre façon d'écrire, de capturer les émotions, me touche profondément. C'est pourquoi j'ai choisi de vous écrire cette lettre.

J'aimerais qu'on écrive une histoire ensemble. Une histoire qui parle de tout ce qu'on ne peut pas vivre, mais qu'on peut imaginer. Je veux qu'on donne une voix à ces moments qu'on vole au quotidien, ces instants qu'on rêve sans jamais les atteindre.

Peut-être que ça vous semble fou, ou que je ne suis qu'une ado avec trop de temps pour réfléchir, mais j'espère que vous accepterez. Et si ce n'est pas le cas, merci d'avoir pris le temps de lire ma lettre.

Avec toute mon admiration,

Luce. "

Mona resta immobile, les yeux fixés sur la page. Chaque mot semblait peser une tonne, et pourtant, elle ne pouvait pas s'en détacher.

Le jour suivant, elle rencontra Lyssa dans les locaux de la maison d'édition. La jeune assistante éditoriale était pétillante, pleine d'entrain, et manifestement impatiente de voir Mona embrasser ce projet.

-Alors, avez-vous lu la lettre ?  demanda t elle en la conduisant dans une petite salle de réunion.

Mona hocha la tête. 

- Oui. Elle écrit bien pour une gamine de quinze ans. 

Lyssa sourit. 

-Ce n'ai pas seulement une gamine de quinze ans. C'est une battante. Elle passe par des choses que la plupart d'entre nous ne pourrions même pas imaginer. Et malgré tout, elle reste incroyablement positive quant à ce qu'elle rêve.

Mona, sceptique, plissa les yeux.

- Personne n'est positif tout le temps. 

L'assistante haussa les épaules. 

- Peut-être pas, mais Luce a une façon de voir les choses qui inspire les autres. Elle vit des moments dans lesquels elle est au plus bas, c'est sûr, mais elle arrive à trouver la lumière dès qu'elle le peut. Vous le verrez par vous-même. 

« Si je décide d'aller jusqu'au bout, » corrigea Mona.

Ella la fixa un moment avant de répondre doucement : 

- Elle n'a pas beaucoup de temps, Mona. Alors, si vous hésitez, faites-le vite. 

La jeune femme passa les jours suivants dans un tourbillon de pensées contradictoires. Elle oscillait entre une curiosité sincère pour cette adolescente qui avait eu le courage de lui écrire, et une peur viscérale de ce que cette rencontre pourrait éveiller en elle.

Un soir, elle sortit un carnet et essaya d'écrire. Pas un roman, ni une histoire, juste des mots. Mais tout ce qu'elle produisait semblait vide. Elle finit par déchirer la page et s'effondra sur le canapé, le regard perdu.

Ses pensées retournèrent à Luce. Cette jeune fille qui, malgré sa maladie, trouvait encore l'énergie de rêver. Peut-être qu'elle pouvait au moins essayer de comprendre ce qu'elle avait à dire.

Le lendemain matin, Mona prit son téléphone et envoya un message à Ted.

« Dis à Luce que je viendrai la voir. Une seule fois. »

La réponse de Ted arriva presque immédiatement : « C'est tout ce qu'on demande. Merci, Mona. »

Elle posa son téléphone et prit une grande inspiration. La première étape était faite. Mais elle savait que la vraie difficulté ne faisait que commencer.

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