Chapitre 16 : Réconciliation des deux anciens amis.

.Je me tiens devant mon distributeur préféré, celui qui me fournit invariablement ce soda au chocolat que j’aime tant. Le seul petit plaisir coupable que je m’accorde depuis que tout a changé. Le 1er septembre semble à des années-lumière, mais les mots d’Aisa résonnent encore dans ma tête, lourds, tranchants, comme une lame qu’on aurait plantée dans mon dos.

*“Si tu ne t’excuses pas, nous ne serons plus amis.”* 
Cette phrase tourne en boucle, me rappelant ce moment où j’ai fait le choix de couper les ponts. Je ne regrette rien, et pourtant, une part de moi s’interroge constamment sur ce que j’aurais pu faire différemment. Est-ce que ça en valait la peine? Est-ce que tout cela—cette douleur, cette distance—est vraiment nécessaire pour préserver ma dignité?

La machine vrombit doucement, un bruit familier et apaisant dans le chaos de mes pensées. Je tends la main pour saisir la canette qui tombe avec un bruit métallique, mais une présence familière se glisse dans mon champ de vision. Aisa est là, une fois de plus. Comme une ombre qui refuse de me quitter.

Le cœur serré, je fixe la canette dans ma main, évitant soigneusement son regard. Le simple fait de la voir ranime les souvenirs douloureux, ceux de cette nuit où tout a changé. Où les liens qui nous unissaient ont été brutalement coupés par ses mots et par ma décision de ne pas revenir en arrière.

Elle ne dit rien. Peut-être sent-elle l’air glacial que je dégage volontairement, cette aura de distance qui dit clairement que je ne veux rien entendre. C’est plus facile ainsi, pour moi du moins. Ignorer, éviter, m’enfermer dans cette forteresse que j’ai érigée pour me protéger des autres, de leurs jugements, de leur incompréhension.

Je me demande, souvent, si sauver les gens en vaut vraiment la peine, si au final, on n’est pas toujours jugé sur des apparences, des malentendus. La question me taraude depuis ce jour où j’ai dû affronter non seulement l’hostilité de ceux que je considérais comme des amis, mais aussi le poids de leur incompréhension. C’est tellement plus simple d’ignorer ce qui ne rentre pas dans le cadre de leur perception du monde, n’est-ce pas?

Je secoue la tête, tentant de chasser ces pensées. Cela ne sert à rien de se tourmenter ainsi. La réalité est ce qu’elle est, et Aisa a choisi son camp ce jour-là. Tout comme moi, j’ai choisi de ne pas revenir en arrière. La lame de Balmung, même brisée et réparée à plusieurs reprises, reste une arme; elle a été forgée pour trancher, pour se battre. Peut-être que moi aussi, je suis comme cette épée, brisé, réparé, et pourtant toujours prêt à me battre.

Sans un mot, je saisis ma canette de soda, ignorant complètement Aisa, et me tourne pour partir. Je n’ai pas besoin de ses excuses, de ses explications. Cela ne changerait rien à ce que je ressens maintenant.

Je prends une grande inspiration et me prépare à m’éloigner quand, soudain, une question envahit mon esprit. Peut-être que tout cela pourrait être différent? Peut-être que je pourrais essayer de comprendre, de trouver une sorte de réconciliation? Mais la pensée est immédiatement écrasée par le souvenir cuisant de sa trahison.

Avec une fluidité que je pourrais qualifier d’habitude, je saute du sol jusqu’au toit du bâtiment adjacent, laissant Aisa seule en bas. Le vent souffle doucement, apportant avec lui un parfum de fin d’été, presque mélancolique. Je ferme les yeux un instant, me laissant emporter par cette sensation de liberté, loin des jugements, des incompréhensions, des trahisons.

C’est ce que je sais faire de mieux: fuir, m’éloigner, me protéger derrière cette armure invisible que je me suis forgée.

Sur le toit, la vue est dégagée, les lumières de la ville commencent à s’allumer alors que le soleil décline lentement à l’horizon. Je me pose sur le rebord, buvant une gorgée de mon soda. Le goût sucré du chocolat est le seul réconfort que j’ai en ce moment. Mon esprit divague, se demandant ce que cela aurait été si les choses avaient pris un autre chemin. Mais les “et si” ne mènent à rien, je le sais.

Je me demande parfois si je ne devrais pas tout simplement laisser tomber cette lutte incessante, ce besoin de prouver quelque chose à un monde qui ne veut pas comprendre. Mais c’est là que la lame en moi, celle qui m’a permis de survivre, se réveille et me rappelle que la faiblesse n’est pas une option. Pas pour moi.

Les journées qui suivent se ressemblent étrangement. Le 10 septembre, puis le 11, et enfin le 12. Chacune d’elles est une répétition de la précédente. Des cours, des moments où je me retrouve face à face avec Aisa par un hasard qui semble bien orchestré, mais je refuse de céder. J’ai pris ma décision, et je ne reviendrai pas dessus.

Les souvenirs de cette déception, de ce moment où j’ai compris que notre amitié était probablement une illusion, sont encore trop vifs. Ils coupent court à toute envie d’essayer de réparer ce qui est brisé. Je me concentre sur mes devoirs, sur mes entraînements avec l’épée de Balmung, réparée mais différente. Comme moi, peut-être.

Chaque fois que je la vois, je fais tout pour l’éviter, pour ne pas croiser son regard. C’est une bataille silencieuse, une guerre froide entre deux anciens amis qui refusent d’admettre que quelque chose est mort entre eux.

Le 12 septembre, je me retrouve encore une fois devant ce distributeur, prenant mon soda habituel. L’habitude, ce refuge contre le chaos de mes pensées. Et comme si le destin s’acharnait, Aisa est de nouveau là, juste au coin, comme si elle attendait quelque chose de moi. Une réconciliation peut-être, ou juste une conversation. Mais je n’ai rien à lui dire. Pas après tout ce qui s’est passé.

Elle ouvre la bouche, comme si elle voulait parler, mais je ne lui laisse pas l’occasion. Je la coupe en détournant immédiatement le regard, fixant mon attention sur ma canette de soda. C’est un geste délibéré, cruel peut-être, mais nécessaire pour moi. Je refuse de laisser ses mots m’atteindre, de laisser ses excuses ou ses explications percer l’armure que j’ai forgée autour de moi.

Sans un mot, je tourne les talons et m’éloigne, sentant son regard peser sur moi comme une charge invisible. Je ne me retourne pas. Je ne lui laisse aucune ouverture. C’est mieux ainsi, du moins c’est ce que je me dis. À chaque pas que je fais, la distance entre nous se creuse davantage, pas seulement physiquement, mais aussi émotionnellement.

Pourtant, alors que je m’éloigne, un sentiment étrange m’envahit, quelque chose que je n’ai pas ressenti depuis longtemps. Ce n’est ni de la colère ni de la tristesse. C’est… du doute. Une petite voix au fond de moi me murmure que peut-être, juste peut-être, je suis en train de commettre une erreur. Que peut-être, Aisa n’a pas voulu me blesser comme je le pense. Mais je chasse immédiatement ces pensées. Il est trop tard pour les remords, trop tard pour les excuses.

Je monte sur le toit du bâtiment, utilisant le chemin familier que j’ai emprunté tant de fois pour m’échapper, pour trouver un moment de répit loin des regards, des attentes, des déceptions. Le vent souffle doucement, une brise fraîche qui apaise momentanément le tourbillon de mes pensées. Je m’assois sur le bord, les jambes pendantes dans le vide, et je fixe l’horizon.

Le crépuscule commence à teinter le ciel de nuances orangées, et pour un instant, je me permets de respirer, de relâcher cette tension constante qui me serre la poitrine. Mais ce moment de tranquillité est de courte durée, car les pensées reviennent, plus insidieuses que jamais.

Est-ce que j’ai vraiment fait ce qu’il fallait?
Je sais que c’est inutile de ressasser le passé, de se demander ce qui aurait pu être différent. Pourtant, la question reste, persistante, comme une épine plantée dans ma conscience. Aisa… notre amitié était réelle, du moins je le croyais. Mais cette nuit, ce 1er septembre, elle a tout brisé. Et moi, j’ai fait le choix de ne pas essayer de recoller les morceaux.

Je repense à ces jours qui se sont écoulés depuis, ces rencontres orchestrées par le hasard ou peut-être par des mains invisibles. Des occasions manquées de dire quelque chose, de faire un geste, mais à chaque fois, je me suis retiré, enfermé dans mon silence. Peut-être que je fuis plus que je ne me protège.

Pourquoi est-ce que je continue à penser à tout ça?
Le vent se lève légèrement, faisant frémir mes cheveux et m’apportant un parfum d’automne naissant. Je ferme les yeux, essayant de chasser ces pensées, de retrouver ce calme glacé qui m’a servi de bouclier jusqu’à maintenant.

Mais la vérité, c’est que je suis fatigué. Fatigué de cette distance que je maintiens, fatigué de cette façade de froideur. Pour combien de temps encore pourrais-je continuer ainsi, à m’isoler de tous ceux qui tentent de m’atteindre? Les souvenirs de mon passé à l’orphelinat, ces moments où j’étais seul contre le monde entier, refont surface, me rappelant que cette solitude, je l’ai choisie pour me protéger. Mais est-ce vraiment ce que je veux?

La journée touche à sa fin et je décide de redescendre. Alors que je m’apprête à sauter du toit, une voix retentit derrière moi.

« X... »

Je me retourne, surpris, pour découvrir Aisa, debout à quelques mètres de moi, le regard déterminé. Je me demande comment elle a pu me suivre jusqu’ici sans que je m’en rende compte. Peut-être que je suis plus distrait que je ne le pensais.

« Aisa, je ne veux pas en parler. » Ma voix est dure, tranchante, mais elle ne recule pas.

« Je sais, » dit-elle doucement, « mais je ne peux pas continuer à t’ignorer, à faire comme si rien ne s’était passé. »

Je soupire, fatigué. « Qu’est-ce que tu veux que je dise? Tu as fait ton choix, j’ai fait le mien. »

« Tu ne crois pas qu’on pourrait... » Elle hésite, cherchant les mots justes. « Qu’on pourrait essayer de tout recommencer? De repartir sur de nouvelles bases? »

Je la regarde, scrutant son expression. Elle semble sincère, mais une partie de moi refuse de céder. Trop de choses ont été dites, trop de mal a été fait. Pourtant, une autre part de moi, plus fragile, se demande si peut-être, il serait possible de trouver une sorte de paix.

« Recommencer, dis-tu? » Je laisse échapper un rire sans joie. « C’est trop facile de dire ça maintenant. Mais ce n’est pas si simple, Aisa. On ne peut pas simplement effacer ce qui s’est passé. »

Elle baisse les yeux, visiblement affectée par mes paroles. « Je sais que je t’ai blessé. Mais toi aussi, tu m’as blessée en me rejetant ainsi. Je pensais qu’on avait quelque chose de spécial, une vraie amitié. »

Ses mots font écho en moi, résonnant avec mes propres doutes et regrets. Mais je secoue la tête. « Avoir quelque chose de spécial ne signifie pas qu’on peut tout pardonner. Certaines choses ne se réparent pas. »

Aisa relève la tête, ses yeux brillants d’émotion. « Je veux comprendre, X. Pourquoi es-tu si fermé, si distant? Est-ce que tu te rends compte que tu te fais du mal en refusant de laisser les autres t’approcher? »

Je la fixe, déstabilisé par sa franchise. « Tu ne comprends pas. J’ai mes raisons, Aisa. Des raisons que tu ne connais pas. »

Elle fait un pas en avant, s’approchant dangereusement de la barrière invisible que j’ai érigée. « Alors, explique-les-moi. Dis-moi pourquoi tu ne veux pas me laisser entrer. Pourquoi tu choisis la solitude. »

Je serre les poings, luttant contre l’envie de tout lui dire, de lui révéler ces souvenirs sombres que je garde enfouis. Mais c’est trop douloureux, trop personnel. Je n’ai pas l’habitude de partager ces choses, surtout pas avec quelqu’un qui m’a déjà blessé.

« Ce n’est pas de la solitude, c’est de la protection, » dis-je finalement, d’une voix presque inaudible. « Si je laisse les autres entrer, ils finissent toujours par me décevoir, par me blesser. J’ai appris à ne compter que sur moi-même. »

Aisa secoue la tête. « Tu ne peux pas vivre comme ça, X. Tu ne peux pas continuer à te couper du monde. La vie est faite de connexions, de relations. Même si elles sont imparfaites, même si elles sont douloureuses parfois. »

Je me tourne de nouveau vers l’horizon, refusant de croiser son regard. Ses mots touchent une corde sensible en moi, mais je ne veux pas l’admettre. « Peut-être que je ne suis pas fait pour ce genre de vie. Peut-être que je suis mieux seul. »

Elle ne répond pas tout de suite, mais je peux sentir son regard peser sur moi. Finalement, elle s’approche et pose une main sur mon bras. Le contact est léger, presque timide, mais il envoie une décharge électrique à travers mon corps.

« Tu n’es pas seul, » murmure-t-elle. « Tu ne l’as jamais été. Tu as juste choisi de l’être. Mais tu peux choisir autre chose, X. Tu peux choisir de ne pas être seul. »

Je ferme les yeux, luttant contre les émotions qui menacent de déborder. Elle a raison, bien sûr, mais c’est tellement difficile de laisser tomber ces défenses, de se permettre d’être vulnérable. Pourtant, une part de moi aspire à cette connexion, à cette chaleur humaine que j’ai si longtemps rejetée.

Je prends une profonde inspiration et ouvre les yeux, fixant l’horizon lointain. « Peut-être que… peut-être que je pourrais essayer. Mais ça ne sera pas facile, Aisa. Pas après tout ce qui s’est passé. »

Elle sourit, un sourire doux et réconfortant. « Rien ne l’est jamais. Mais je suis prête à essayer, si tu l’es aussi. »

Je la regarde, cherchant dans son expression une quelconque trace de doute ou de réserve, mais il n’y en a pas. Elle est sincère, déterminée. Peut-être que, contre toute attente, il est encore possible de réparer ce qui a été brisé.

Je hoche lentement la tête. « D’accord. Essayons. Mais je ne te promets rien. »

Aisa serre doucement mon bras, une lueur de soulagement dans ses yeux. « C’est tout ce que je demande. »

Nous restons là un moment, en silence, contemplant le paysage qui s’étend devant nous. Le vent continue de souffler doucement, apportant avec lui une sensation de renouveau, comme si cette conversation avait nettoyé l'air de ses lourdeurs. C’est étrange à quel point le silence peut être apaisant après des jours de tension et de non-dits. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens un peu plus léger, comme si le poids que je portais sur mes épaules s’était soudainement réduit.

Le crépuscule étend ses couleurs sur la ville, une toile d’orange et de pourpre qui se fond lentement dans la nuit. À côté de moi, Aisa reste immobile, son bras toujours en contact avec le mien, un rappel doux et persistant que tout n’est peut-être pas aussi sombre que je l’ai cru.

« Tu sais, » commence-t-elle doucement, rompant le silence avec précaution, « je pensais que tu allais me rejeter encore une fois. Que tu ne me laisserais pas une chance d’expliquer. »

Je tourne la tête vers elle, observant les traits de son visage à la lumière déclinante. Elle semble sincère, vulnérable même, et cette sincérité me touche plus que je ne veux bien l’admettre.

« J’y ai pensé, » dis-je honnêtement. « Pendant un moment, j’étais sûr que c’était la meilleure chose à faire. Mais… tu n’es pas comme les autres, Aisa. Notre amitié… c’est différent. Je ne voulais pas la détruire complètement, même si je suis encore en colère. »

Elle hoche la tête, ses yeux baissés vers le sol, comme si elle avait du mal à affronter mes paroles. « Je comprends. J’ai dit des choses que je regrette. Et je sais que ça ne sera pas facile de réparer ce qui est cassé. Mais je suis prête à essayer, si tu me laisses une chance. »

Je soupire, les yeux rivés sur l’horizon. « Ce n’est pas que je ne veuille pas. C’est juste que… j’ai toujours eu du mal à faire confiance aux gens. Et quand cette confiance est trahie, c’est difficile pour moi de revenir en arrière. »

Aisa garde le silence, attendant patiemment que je termine, sans essayer de me presser ni de minimiser ce que je ressens. C’est une qualité rare, et je l’apprécie, même si je ne le montre pas.

« Mais, » je continue après un moment, « je pense que je dois apprendre à laisser le passé derrière moi. Si on peut repartir à zéro, alors peut-être que cela en vaut la peine. »

Elle lève enfin les yeux vers moi, et je vois une étincelle d’espoir dans son regard. « On peut essayer, X. Je ne te demande pas de tout oublier, mais juste de nous donner une chance de réparer ce qui a été brisé. »

Je hoche la tête lentement. « D’accord. Mais il va falloir du temps. Je ne suis pas encore prêt à tout pardonner, ni à oublier ce qui s’est passé. »

« Je comprends, » répond-elle, sa voix douce mais déterminée. « Je ne m’attends pas à ce que tout redevienne comme avant du jour au lendemain. Mais je suis prête à travailler pour regagner ta confiance, si tu es prêt à me laisser faire. »

Le vent se lève à nouveau, plus fort cette fois, comme pour emporter les derniers vestiges de la colère et de la douleur qui nous avaient séparés. Il fait un peu plus froid maintenant, mais la chaleur de la détermination d’Aisa, sa volonté de reconstruire ce que nous avions, me réchauffe de l’intérieur.

« Je te laisse une chance, » dis-je finalement, brisant la tension entre nous. « Mais ne me déçois plus, Aisa. Je ne sais pas si je pourrais supporter une autre trahison. »

Elle acquiesce, ses yeux brillants de résolution. « Je te le promets, X. Je ne te décevrai plus. »

Nous restons là encore un moment, le silence entre nous redevenu paisible. Les lumières de la ville commencent à s’illuminer, une constellation artificielle qui fait écho à celles qui apparaissent dans le ciel nocturne. Ce moment de calme, de renouveau, me donne l’espoir que peut-être, tout n’est pas perdu. Peut-être que, malgré tout, il est encore possible de reconstruire ce qui a été brisé.

Je me lève finalement, tendant la main vers elle. « Allez, il commence à faire froid. On ferait mieux de rentrer. »

Elle prend ma main, et je la tire doucement pour qu’elle se lève à son tour. « Merci, X, » murmure-t-elle en serrant légèrement ma main avant de la relâcher.

Nous quittons le toit ensemble, côte à côte, mais cette fois, la distance entre nous semble moins insurmontable. Alors que nous descendons du bâtiment, je me surprends à penser que peut-être, juste peut-être, nous pourrions vraiment réussir à reconstruire cette amitié. Cela prendra du temps, de la patience, mais pour la première fois depuis longtemps, je crois que cela en vaut la peine.

Le chemin du retour est silencieux, mais ce n’est pas le même silence pesant que les jours précédents. Il est rempli d’une promesse tacite, d’un espoir naissant que peut-être, tout ira bien.

Nous marchons côte à côte, Aisa et moi, tandis que la nuit commence à envelopper la Cité Académique. Les réverbères s'allument un à un, projetant des ombres longues sur le trottoir. Le silence entre nous est confortable, mais il y a quelque chose que je dois lui demander. Je tourne la tête vers elle, hésitant un instant avant de parler.

« Aisa, est-ce que tu veux que je te raccompagne chez toi ? » Je marque une pause, réfléchissant à la meilleure façon de formuler ce que je veux vraiment dire. « Ou… tu préfères venir chez moi ? »

Elle se tourne vers moi, légèrement surprise par ma proposition. « Pourquoi tu demandes ça ? » demande-t-elle avec un sourire en coin, bien que sa voix porte une pointe d'inquiétude.

« Parce que je ne connais pas encore l’endroit où tu habites, » avoué-je, « et aussi parce que… » Je baisse légèrement la voix. « Il fait bientôt nuit, et quand je me retrouve seul dans les rues à cette heure, je me fais souvent attaquer. »

Le sourire d’Aisa disparaît, remplacé par une expression de choc. « Attaqué ? Par qui ? » demande-t-elle, visiblement inquiète.

Je hausse les épaules, essayant de minimiser la situation même si je sais qu'elle n'est pas anodine. « Des malfrats, des membres de Skill-Out… Il y a quelques jours, un gars du nom de Hamazura Shiage a essayé de me prendre par surprise. Rien de bien méchant, mais c’est devenu une sorte de routine depuis mon arrivée ici en février dernier. »

Aisa s’arrête net, comme si mes paroles venaient de la frapper de plein fouet. Elle me regarde avec des yeux écarquillés, incrédule. « Depuis février ? Depuis ton arrivée ? »

Je hoche la tête. « Oui. Mais ce n’est pas si grave, vraiment. J’ai l’habitude maintenant. »

Elle reste silencieuse un instant, puis son visage se ferme. « Viens chez moi ce soir, » dit-elle avec fermeté, prenant une décision sans même attendre ma réponse.

« Mais… » je commence à protester, mais elle m'interrompt.

« Non, X. Ce n’est pas une question. C’est décidé. Je ne vais pas te laisser errer seul dans les rues avec ce genre de danger qui te guette. Viens chez moi, juste pour cette nuit. »

Je pourrais insister, mais je sais qu’elle ne changera pas d’avis. Lorsqu’elle prend cette expression déterminée, il n’y a rien à faire. Je soupire légèrement, résigné. « D’accord, d’accord… »

Nous reprenons notre marche, cette fois en direction de chez elle. Le trajet se fait en silence, mais il est loin d'être tendu. Je suis encore un peu surpris par sa réaction, mais en même temps, il y a une certaine chaleur dans l'idée que quelqu'un s'inquiète pour moi à ce point.

En arrivant devant son immeuble, elle me guide jusqu'à son appartement. L’intérieur est simple, mais accueillant, avec une atmosphère qui me met immédiatement à l’aise. Elle m’indique le canapé du salon. « Installe-toi. Ne bouge pas et détends-toi. Je vais préparer le dîner. »

« Je peux t’aider si tu veux, » proposé-je, me sentant un peu inutile de rester assis.

« Non, c’est bon, » répond-elle avec un sourire. « Ce soir, tu es mon invité. »

Je m’installe sur le canapé, l’observant se déplacer avec assurance dans la cuisine. Il y a quelque chose de réconfortant dans cette scène, un contraste apaisant avec les événements de ces derniers jours. Alors que les odeurs de cuisine commencent à envahir l’appartement, je me sens pour la première fois depuis longtemps… en sécurité.

Après un moment, Aisa revient avec deux assiettes. Elle les pose sur la table basse devant le canapé et me fait signe de la rejoindre. « Dîner est servi, » dit-elle avec un sourire.

Nous mangeons ensemble, en silence d’abord, savourant simplement le repas. Puis, petit à petit, la conversation reprend, se tournant inévitablement vers notre passé commun.

« Tu te souviens de notre rencontre le 8 août ? » demande-t-elle doucement, un brin de nostalgie dans sa voix.

Je hoche la tête. « Bien sûr. C’était… un jour plutôt intense. »

Elle sourit. « Oui, et depuis ce jour, chaque fois que je vais sous la douche, je me rappelle que tu m’as sauvé la vie. Tu as été là pour moi quand je ne m’y attendais pas. Et puis, il y a eu tous ces messages que nous avons échangés… ils étaient vraiment spéciaux pour moi. »

Je sens une légère chaleur monter en moi à ses mots, mais je garde mon calme. « C’était une période où on se découvrait mutuellement. » Je marque une pause, puis ajoute, plus sérieusement : « Mais quand tu m’as vu avec Psi ce jour-là… tu as pensé que je n’étais pas celui que tu croyais. »

Elle baisse les yeux, jouant avec sa fourchette. « Oui, c’est vrai. J’étais terrifiée. Cette froideur dans tes yeux… je ne comprenais pas ce qui se passait. Pour moi, tu étais cruel. Je pensais que Psi était une victime. »

Je reste silencieux, la laissant continuer. Je n’ai jamais vraiment su ce qu’elle pensait ce jour-là, et maintenant qu’elle en parle, je réalise à quel point cela l’a affectée.

« Mais après notre… séparation, » continue-t-elle, « j’ai passé du temps avec Psi, entre le 2 et le 8 septembre. Je voulais comprendre ce qui s’était passé, pourquoi tu avais agi de cette manière. À la fin, alors que je pensais que notre amitié était paisible et que tu étais cruel… Psi a ri. Elle m’a raconté la vérité, la vraie histoire. »

Je fronce les sourcils. « Qu’est-ce qu’elle t’a dit exactement ? »

« Elle m’a dit qu’elle ne se considérait pas comme une bonne personne, » répond Aisa. « Et qu’elle trouvait absurde que je te juge sans connaître tout ce que tu avais traversé. Elle m’a ouvert les yeux sur ce que tu as enduré, et elle a admis qu’elle avait poussé trop loin. »

Je reste silencieux, réfléchissant à ses mots. Psi a toujours été une énigme, mais savoir qu’elle a pris le temps d’expliquer les choses à Aisa… cela change quelque chose en moi.

« Alors tu sais ce qui s’est vraiment passé, » dis-je finalement.

Elle hoche la tête. « Oui. Et ça m’a fait réaliser que je ne savais rien de toi, pas vraiment. J’ai fait des suppositions, et j’ai jugé trop vite. Je suis désolée, X. »

Je prends une profonde inspiration, mes pensées tourbillonnant. Je pensais que Psi et moi en avions fini, mais maintenant, je vois qu’elle a joué un rôle dans notre réconciliation. C’est ironique, vraiment. Un petit sourire naît sur mes lèvres, et bientôt, je commence à rire, un rire sincère qui monte de mes entrailles.

Aisa me regarde, d’abord surprise, puis elle se met à sourire elle aussi, prise dans l’émotion du moment. « Pourquoi tu ris ? » demande-t-elle, une lueur de curiosité dans ses yeux.

Je secoue la tête, essuyant une larme qui s’est échappée. « C’est juste… je pense que je dois remercier Psi. Elle a fait en sorte que tout ça arrive. Elle, et probablement Tsuchimikado, Pierce, Touma, Index, et même Misaka numéro 22. Ils ont tous probablement contribué à nous réunir. »

Aisa hoche la tête, son sourire se faisant plus doux. « Ils t’aiment, X. Ils veulent que tu sois heureux. »

Je la regarde, réalisant combien ces mots résonnent en moi. « Peut-être… peut-être que je ne suis pas aussi seul que je le pensais. »

Elle tend la main vers moi, et sans hésiter, je la prends. « Tu n’es pas seul, » dit-elle doucement. « Tu ne l’as jamais été. »

Je la regarde dans les yeux, et pour la première fois depuis longtemps, je sens une vague de chaleur envahir mon cœur. Nous restons ainsi un moment, sa main dans la mienne, le monde extérieur semblant disparaître autour de nous.

Finalement, elle se rapproche et me prend dans ses bras. Ce geste, simple mais plein de signification, me réchauffe d’une manière que je ne peux pas décrire. Je referme mes bras autour d’elle, acceptant cette chaleur, cette proximité que j’avais repoussée pendant si longtemps.

« Merci, » murmuré-je, ma voix légèrement brisée par l’émotion. « Merci d’être là. »

Elle ne répond pas, mais elle n’en a pas besoin. Le simple fait qu’elle soit là, que nous soyons ensemble en ce moment, suffit. Pour la première fois depuis des mois, je me sens en paix, avec elle, avec moi-même, avec tout ce qui s’est passé.

Nous restons ainsi un long moment, dans cette étreinte silencieuse mais pleine de sens. La nuit est tombée depuis longtemps maintenant, mais l’obscurité qui m’entoure n’a plus le même poids. Ce n’est plus une ombre écrasante, mais plutôt un voile léger, presque apaisant. Le silence entre nous est comme une bulle protectrice, isolée du reste du monde.

Aisa finit par se reculer légèrement, rompant notre étreinte. Ses yeux cherchent les miens, et dans son regard, je vois quelque chose de différent. Une compréhension mutuelle, une réconciliation silencieuse.

« X, » commence-t-elle doucement, « je suis contente qu’on ait eu cette conversation. Je sais que ça n’efface pas ce qui s’est passé, mais… je veux qu’on avance ensemble. Qu’on trouve un moyen de réparer ce qui a été brisé. »

Je hoche la tête, encore un peu ému par tout ce qui s’est dit ce soir. « Moi aussi, Aisa. Je veux avancer, mais je sais aussi que ça prendra du temps. Il y a des choses en moi que je dois encore comprendre… mais je suis prêt à essayer. »

Elle sourit, un sourire qui éclaire son visage malgré la pénombre. « C’est tout ce que je demande. »

Nous restons là, dans le calme de son appartement, et pour la première fois depuis longtemps, je sens une lueur d’espoir en moi. Une lueur fragile, mais réelle. Peut-être que cette nuit marquera un tournant, un nouveau départ. Pas seulement pour nous deux, mais pour moi aussi. Une chance de réapprendre à vivre, à ressentir… à être humain.

Aisa se lève, m’invitant à faire de même. « Viens, » dit-elle. « Il est tard, tu devrais te reposer. J’ai préparé le futon pour toi. »

Je me lève à mon tour, la suivant dans le petit couloir menant à une pièce adjacente. L’ambiance est calme, presque sereine. Elle me montre le futon, déjà étendu sur le sol, et je m’installe avec un soupir de contentement.

« Merci, Aisa, » dis-je en m’allongeant. « Pour tout. »

Elle me sourit une dernière fois avant de sortir de la pièce, fermant doucement la porte derrière elle. Je reste là, dans la pénombre, les pensées encore tourbillonnantes dans ma tête. Mais cette fois, ce ne sont pas des pensées sombres ou angoissantes. Ce sont des pensées d’espoir, d’avenir… d’une possible rédemption.

Je ferme les yeux, laissant le sommeil m’emporter, tandis que l’écho de notre conversation résonne encore dans mon esprit. Une nuit fatidique, en effet.

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