Jungkook relut le papier, le tourna, leva à plusieurs reprises les yeux sur son interlocuteur qui gardait un silence obstiné, le nez rivé sur son maudit smartphone. Est-ce qu'il se moquait de lui ? Allait-il éclater de rire avant de lui donner la véritable liste ? Si Jungkook détestait bien une chose, c'était ne pas réussir à deviner ce qu'autrui pensait lors d'une conversation, et avec son visage impassible, il ne parvenait pas à percer à jour les pensées de cet homme de toute évidence à peine plus vieux que lui.

« Excusez-moi... s'agit-il de la liste que je vous ai demandée ? hésita Jungkook.

— Pourquoi cette question stupide ?

— Parce qu'elle ne contient rien du tout.

— Si, tout ce que vous m'aviez demandé.

— Non, s'agaça-t-il en tentant de garder un ton posé, vous n'y mentionnez même pas le nom de vos proches.

— Kim, comme moi. Quelle surprise... »

Jungkook s'accorda une profonde inspiration avant de poursuivre.

« Et les prénoms ?

— À quoi vous servent-ils ?

— À connaître un peu mieux les gens à qui j'ai affaire. Et parfois je choisis des cadeaux avec une personnalisation.

— Inutile.

— Leurs goûts, aussi. Vous n'avez presque rien dit à ce sujet, embraya Jungkook.

— J'ai écrit tout ce qui comptait. »

Une famille qui vivait dans le luxe, peu intéressée par autre chose que l'ostentatoire. Jolie description de ses proches...

« Il y a forcément autre chose : tenez, qu'avez-vous offert à votre sœur l'année dernière ?

— Un sac Gucci.

— Et l'année d'avant ?

— Un manteau Gucci.

— L'année d'avant encore ?

— Une pochette en tissu Gucci.

— À quand remonte la dernière fois que vous lui avez offert autre chose que du Gucci ? soupira Jungkook.

— Il y a cinq ans, elle préférait Dior...

— Vous vous moquez de moi, c'est pas possible...

— Pardon ?

— Et votre mère, que lui avez-vous offert l'année dernière ?

— Un collier d'or rose.

— Et l'année d'avant ?

— Un collier de diamants.

— L'année d'avant encore ?

— Des boucles d'oreille en or rose et diamants.

— C'est une blague, vous vous moquez forcément de moi...

— Écoutez, je n'ai pas de temps à perdre : je n'ai plus d'idées de cadeaux pour ma famille et je n'ai pas le temps d'en chercher, s'énerva Taehyung en quittant enfin des yeux son téléphone pour planter un regard courroucé sur l'étudiant. Je suis las de les voir accepter mes présents avec des étincelles dans les yeux pour qu'ils les délaissent deux semaines plus tard. Alors soit vous honorez votre promesse de m'aider à trouver les perles rares, soit vous vous en allez tout de suite.

— Je peux vous aider, mais cette liste ne me donne aucune indication convenable, j'ai besoin de plus que ça.

— Ma liste est parfaite, rétorqua son client d'un ton cassant.

— Vous en êtes sûr ?

— Évidemment. »

Jungkook le dévisagea en se mordant l'intérieur de la joue pour s'éviter toute grossièreté. Quand cet homme avait-il vraiment cherché à un cadeau pour les siens ? Quand avait-il essayé de trouver non l'objet qu'ils se seraient acheté de toute façon, mais celui dont ils avaient besoin, celui qui ferait la différence ?

À quand remontait la dernière fois qu'il avait tout donné pour leur prouver qu'il les aimait, qu'il les connaissait par cœur ? La richesse volait-elle donc toute l'imagination de ceux qui la possédaient ? Croyait-il que l'amour qu'il portait aux siens se mesurait à l'argent qu'il dépensait pour eux ? Quel imbécile...

Jungkook attrapa le post-it pour le lever entre Taehyung et lui. Dans un geste si provocateur que lui-même ne se reconnut pas, il déchira la liste sans que ses yeux quittent ceux de son client, qui ne pipa mot en le voyant agir. La seule preuve de sa fureur fut un très discret tic du visage que Jungkook perçut et qui le satisfit.

Il savait d'emblée qu'il le regretterait, mais bon sang, comme il se sentait mieux maintenant qu'il avait cloué le bec à cet impertinent ! Peu importait qu'il perde son contrat, si c'était pour travailler avec un homme pareil à moins d'une semaine de Noël, il préférait encore abandonner tout de suite !

« Elle est minable, votre liste, asséna Jungkook. Je vous ai dit que je ne pouvais pas travailler avec, alors soit vous en refaites une, soit on annule tout. »