Le coeur serré, Ella se prépara pour sortir. Elle opta pour un look simple : une petite robe courte à fines bretelles, une veste en cuir et une paire de boots.

Pendant qu'elle se maquillait les yeux, elle constata, rassurée, qu'ils avaient repris leur couleur habituelle : un mélange de gris clair et de vert. Elle s'approcha du miroir pour les scruter de plus près, mais l'ampoule faiblit quelque brèves secondes, et Ella se demanda si elle en avait de rechange.

Elle retrouva Joan en bas de chez elle. Il était absorbé par son téléphone, dont l'écran lui teintait le visage d'une faible lueur. Il portait un haut bleu à manches longues qui épousait subtilement son torse bien dessiné.

En la voyant arriver, il eu l'air un peu surpris :

— Salut, Ella... tu es ... Il s'interrompit avec un sourire, on y va ?

— Je suis quoi ? Tu es garé où ?

— Non... juste... tu es maquillée, et t'es en robe. Ça change. Je suis venu à pieds en me disant que tu n'aurais probablement pas envie de monter à l'arrière de la moto d'un mec que tu connais à peine. J'ai pensé qu'on pouvait marcher jusqu'au port et prendre un verre là bas ?

— C'est une très bonne idée, ça me va. Je ne savais pas que tu étais motard, remarqua-t-elle, tout sourire.

Alors qu'ils empruntèrent l'allée piétonne et se mêlèrent aux badauds, Joan demanda :

— Tu as une idée de ce qui te cause les malaises que tu as fait ces derniers jours ?

Elle fut mal à l'aise d'évoquer son état de santé avec lui.

— La prise de sang le dira, t'inquiète.

Il tourna la tête vers elle et l'observa.

Elle n'arrivait pas à déchiffrer son expression. Il semblait préoccupé. Soudain, il cessa de marcher et plongea ses yeux dans ceux d'Ella.

Etonnée, elle soutint son regard. Elle se sentait comme envoutée par ses yeux océan. Mais subitement, l'espace d'un instant, les yeux de Joan furent illuminés de paillettes dorées qui scintillaient comme mille étoiles dans une nuit bleutée.

— Joan ! Tes yeux ! s'exclama-t-elle, stupéfaite.

Les paillettes disparurent aussitôt. Ella restait figée au beau milieu de la rue piétonne, le scrutant de ses yeux ahuris.

Joan semblait déstabilisé par la réaction d'Ella. Il brisa le silence :

— Excuse-moi, je ne voulais vraiment pas t'effrayer... Hier tu avais aussi les « yeux anciens », alors je pensais te rassurer en te montrant que tu n'étais pas seule.

Elle ne broncha pas. Elle essayait d'intégrer les informations. Son corps voulait se carapater,  alors que son esprit tentait de faire face aux milliers de questions qui fusaient dans son esprit.

Face à son silence et ses yeux toujours écarquillés, Joan fut un peu désemparé. Il voulu lui attraper la main, mais elle eut un mouvement de recul.

Les passants les contournaient, et commençaient à regarder Ella avec curiosité. Joan tenta à nouveau de la faire réagir. D'une voix qui se voulait la plus douce possible, il lui dit :

— Ella, heu... je vois bien que tu es un peu surprise, ce n'était pas mon intention, je t'assure. Je ne te veux aucun mal, tu sais ? Au contraire, je veux t'aider car je pense que tu es comme moi... mais si tu préfères rentrer chez toi de suite, alors je peux partir immédiatement et te laisser tranquille, mais s'il te-plait Ella, dis quelque chose.

Ella tâcha de répondre mais aucun son ne sortit. Au contraire, sans qu'elle ne comprenne pourquoi, des larmes coulèrent de ses yeux et elle retint un sanglot. Elle était en état de choc. La jeune femme voulait se convaincre qu'elle avait imaginé ce qu'elle avait vu, ou qu'elle s'était trompée, mais Joan réagissait comme si tout était réel et disait des choses incompréhensibles.

Elle parvint enfin à prononcer quelques mots :

— Je dois m'asseoir.

Joan s'empressa de chercher un endroit calme aux alentours. Il désigna un banc près d'une fontaine à Ella qui acquiesça.

Une fois assise, elle regardait Joan qui restait planté face à elle sans trop savoir quoi faire. Elle inspira profondément :

— Ok, Joan... ne reste pas debout. Assieds-toi. Je crois qu'il faut que tu m'expliques ce que j'ai vu. C'était réel n'est-ce pas ? Tes yeux...

— Oui, Ella. Mais je m'en veux terriblement... je pensais que tu savais...

Ella se mura à nouveau dans un silence assourdissant pour Joan. Elle était pâle et ne cessait de le dévisager.
Joan décida d'attendre qu'elle reprenne ses esprits. De longues minutes passèrent.

— Joan... J'ai peur et je ne comprends pas. Comment as-tu fait pour changer tes yeux ?Qu'est ce que c'est les « vieux yeux » ? C'est une maladie ? Je l'ai aussi ? C'est grave ? On va mourrir ? Comment tu as fait pour que ça redevienne normal ? Le prof et la fille morte aussi ils avaient ça ? Pourquoi tu dis que tu pensais que j'étais comme toi ?

Joan laissa le temps à Ella de formuler son avalanche de questions. Sa voix était tremblante et il ne voulait pas la brusquer à nouveau.

— « Les yeux anciens », pas « les vieux yeux », commença-t-il. Avant de rentrer dans les détails, sache que ce n'est absolument pas une maladie. Tu es en parfaite santé. Je ne peux pas te dire si c'est grave ou pas... disons que c'est... important. Toi aussi tu peux le maîtriser tu sais... Je ne pouvais pas me douter qu'à ton âge tu ignorais qui tu étais.

—Quoi ? Tu ne m'expliques rien, là ! C'est quoi les yeux anciens ? fit-elle, d'une voix trop aiguë.

Joan lui saisit la main, et cette fois Ella ne recula pas. Au contraire, la main de Joan était douce, chaude, et curieusement réconfortante. Elle se sentit plus sereine tout à coup. Elle éprouva un sentiment de sécurité. Sa respiration se calma également et cette boule d'angoisse qu'elle avait dans la gorge, disparut aussitôt.

— Ella, tu es très spéciale, lui dit-il sans lâcher sa main. Je pensais que tu le savais déjà. Je suis comme toi, « un ancien ». Nous sommes plusieurs tu sais... Tu as une sorte de don et tu dois le prendre comme un cadeau. Je t'apprendrai tout ce que je sais et je veillerai sur toi, jusqu'à ce que nous sachions qui tu es.

— Comment ça, qui je suis ? rétorqua-t-elle, les yeux écarquillés.

— Oui, qui tu es, ou pour être plus exact : ce que tu es.