Chapitre 16 : « Câlin-tous »
Claire se tenait sur la plage, tentant d'apprécier la beauté du coucher de soleil.
La jeune femme n'en revenait toujours pas qu'Ella ait pu lui mentir, que ses soi-disant amis se soient vus sans l'avoir invitée. Elle se sentait seule, rejetée et blessée.
Elle se laissa alors happer par les nimbes de sa mémoire, se remémorant sa rencontre avec Alex, Eliot et Judith.
C'était un soir d'hiver. Elle s'était rendue dans un bar musical un peu poussiéreux dans lequel sa cousine était censée la rejoindre.
Les étudiantes avaient eu le projet de picorer quelques tapas en écoutant quelques groupes se produire.
Cet établissement, qui ne payait pas de mine de prime abord, avait la réputation de dénicher des nouveaux talents.
La clientèle était toujours hétéroclite, et Claire appréciait justement ce brassage des genres et des générations qui se poussaient ici, avec pour seul point commun, la passion de la musique un peu underground.
Alors qu'elle avait pris place sur un tabouret haut à proximité de la petite scène encore vide, sa cousine lui avait envoyé un message afin de la prévenir qu'elle ne pourrait pas venir.
Celle-ci lui avait demandé de ne pas s'inquiéter, et informée être retenue par une énième dispute familiale, événement qu'elle avait classé à huit sur l'échelle des « séismes-Dylar », unité de mesure des séismes familiaux.
Claire, consciente que la note maximale de dix avait été atteinte lors du divorce de son oncle et de sa tante, se demandait ce qui avait bien pu arriver pour que ce score très honorable de huit soit atteint.
Tandis qu'elle rassemblait ses affaires pour partir, un peu déçue de cette soirée avortée, un jeune homme qu'elle avait trouvé très séduisant, était entré sur scène, accompagné de trois autres musiciens.
Il lui avait alors fallu quelques secondes pour réaliser qu'elle avait déjà croisé cet apollon à la fac. « Percuté », serait d'ailleurs un terme plus adéquat pour qualifier cette toute première rencontre.
Elle s'était même étalée de tout son long dans les grands escaliers qui menaient au parvis de l'université. Une grande brune qui accompagnait le jeune homme, s'était alors précipitée vers elle afin de l'aider à se relever.
Alors que les lumières du bar se tamisaient, Claire tenta de chasser ce souvenir gênant. La foule s'était mise à applaudir en scandant le nom du groupe «Each Day ! Each Day ! Each Day ! ».
Poussée par la curiosité, la jeune femme s'était dit qu'après tout, elle pourrait écouter juste un morceau avant de partir.
Neuf chansons plus tard, le bar tout entier s'était métamorphosé.
Le public, exalté, se mouvait en rythme comme un seul homme, chantant même en chœur les refrains avec le groupe.
Claire, contaminée par la fièvre ambiante, s'était laissée électrisée par la prestation des musiciens, et n'avait pu se résoudre à quitter les lieux.
Elle se souvenait parfaitement de ce moment où alors que la toute dernière note raisonnait encore, le bar, comme groggy de cette expérience sensorielle, était devenu parfaitement silencieux, comme si chacun tentait de reprendre ses esprits.
Puis, une slave d'applaudissements avait rempli l'espace, peut être même l'univers entier. En tout cas, c'était l'impression que Claire avait eue en se joignant à l'ovation générale, les lèvres figées dans un sourire béat.
Lorsque les musiciens étaient finalement venus se désaltérer au comptoir du bar, Claire n'avait pu résister à l'envie de les féliciter pour ce moment exceptionnel qu'ils venaient d'offrir.
Le bellâtre aux cheveux châtains avait paru gêné de tous ces louanges, et la fameuse grande brune avait alors surgit en s'exclamant :
— Houla ! Tout doux avec les compliments ! Mais c'est que tu vas le faire rougir, notre petit Eliot !
Le « petit Eliot » avait répondu par un sourire en coin et semblait presque intimidé.
Claire avait été saisie par ce contraste entre l'homme sur scène qui semblait posséder le monde, et celui qu'il était désormais, presque timide sans sa guitare, arborant une mine chaleureuse mais réservée.
C'est alors que la discussion s'était engagée naturellement avec la jolie brune, qui s'était présentée comme Judith.
Son regard était impertinent et son sourire, à tomber, lui mangeait tout le visage.
Elles avaient immédiatement sympathisé.
Claire souriait en repensant à cet instant. Bien que plusieurs mois s'étaient écoulés depuis, elle se souvenait de chaque détail de cette soirée.
Le fait que même Judith se soit détournée d'elle aujourd'hui, la sidérait au plus haut point.
Elle décida de cesser de broyer du noir et de tirer les choses au clair en leur demandant quelques explications.
Claire abandonna le coucher de soleil et sa tristesse sur cette plage, et plus déterminée que jamais, décida de se rendre chez les trois inséparables.
Judith, Eliot et Alex vivaient en colocation dans une sorte de loft de type industriel, aux abords de la ville.
C'est donc drapée de courage, que Claire se saisit de sa monture, et s'enfuit au galop en quête d'une discussion qui s'annonçait mouvementée.
C'est ainsi, en tout cas, qu'elle s'imagina en montant au volant de sa Fiât Panda fatiguée et acariâtre, tentant tant bien que mal de se fondre dans la circulation dense de la ville.
Une fois devant la porte de l'imposant bâtiment, elle hésita un bref instant, puis sonna.
Le loft, d'une taille démesurée, avait été crée dans un ancien atelier.
Le style très moderne et épuré de la bâtisse vue de l'extérieur, tranchait considérablement avec le luxe ostentatoire qui était dévoilé quand on y pénétrait.
Claire s'était toujours demandé comment ses amis pouvaient s'offrir un tel logement.
La porte s'ouvrît alors devant une Judith qui ne cacha pas sa surprise.
— Oh ben ça alors, Claire ! Qu'est-ce que tu fous là ? Rentre ! Ça fait plaisir de te voir !
— Merci. J'en ai pas pour longtemps.
Judith s'effaça pour laisser entrer son amie, dont elle perçut immédiatement le trouble.
— Heu d'accord ... ça va ? T'en fais une tête !
— Je t'avoue que ça pourrait aller mieux. Ce matin, Ella et moi avons été interrogées par les flics au sujet de la fille retrouvée morte à la B.U. Ils nous ont demandé où on était hier justement en fin d'après midi. Ella a menti en disant qu'elle était seule chez elle. Sauf que j'ai fini par apprendre que vous étiez ensemble.
Claire reprit son souffle face à Judith figée dans une expression de surprise.
— Franchement, Judith ! reprit-elle, je pensais qu'on était amies ! C'est moi qui vous ai présenté Ella, et vous vous voyez dans mon dos ?
— Heu... ok, respire deux secondes. Tu veux boire quelque chose et on en parle calmement ?
— Non, merci.
Claire leva les yeux. Bien qu'elle était déjà venue une fois chez ses amis, elle était à nouveau subjuguée par la somptuosité des lieux.
Légèrement à sa droite, quelques marches menaient à un immense espace à usage de salon, dans lequel des canapés trônaient magistralement.
Dans le fond de la pièce, subtilement mise en valeur par des spots de lumières, la ligne noire et minimaliste que constituait la cuisine ouverte, faisait face à un îlot de bar en bois ébène qui lui était assorti.
Les murs en briques roses supportaient des baies-vitrées gigantesques.
Certains des vitraux, situés à quatre mètres au dessus de leurs têtes, permettaient à la lumière de la lune de se frayer un chemin pour venir caresser le plancher de chêne qui habillait le sol.
Sur sa gauche, derrière un pylône en acier, un escalier épuré, en métal noir, desservait l'étage.
Alex surgit alors, tout sourire, et dévala les marches à la volée.
— Claire ! Ça fait trop plaisir de te voir ! Tu restes manger ? On vient de rentrer d'une ballade en mer mais on va se commander des pizzas. Ça te tente ?
Judith répondit à la place de l'intéressée :
— Claire est un peu vexée qu'on ait vu Ella sans le lui dire, hier.
Alex tenta alors de se justifier auprès de leur visiteuse.
— Oh... heu... c'était pas prévu tu sais. On a pas pensé à mal...et du coup pour les pizzas, tu restes ?
— Vraiment, Alex ? Vous vous êtes fait un après-midi ensemble sans moi et tu n'as aucune explication ? Pourquoi vous ne m'avez pas appelée ?
— Franchement, je ne sais pas, répondit-il en haussant les épaules, ça s'est fait comme ça.
Claire se sentit bête tout à coup. Ses amis n'avaient pas l'air de voir le mal. S'était-elle emportée pour rien ?
Un peu déstabilisée, elle décida de faire bonne figure le temps de mieux jauger la situation.
— Je suis désolée de surgir ainsi à l'improviste. C'est juste que j'ai été déçue qu'Ella m'ait menti et je me suis sentie mise à l'écart...
— N'importe quoi ma chérie ! s'exclama Judith dont la voix semblait sincère. Tu sais, Alex a raison, ça s'est fait comme ça, sans le vouloir. On est passés en bas de chez elle, on s'est dit qu'on allait lui faire un coucou, et une chose en entraînant une autre...
J'aurais dû t'appeler, je suis désolée... Excuse-nous, s'il te plaît !
Judith papillonna des yeux dans une moue irrésistible.
Claire céda, ne pouvant réprimer un sourire :
— Ma bonté me perdra !
— Oh je suis soulagée ! Je déteste quand tu es fâchée contre moi...viens copine, l'invita Judith en lui tendant les bras.
Tandis que les deux amies s'enlacèrent affectueusement, Alex s'exclama :
— Moi aussi, moi aussi !
En s'esclaffant, elles l'attirèrent vers elles, puis tous trois s'exclamèrent en chœur à l'attention d'Eliot, resté à l'étage :
— Eliot !
— Quoi ?
— Descends ! C'est le moment du « Câlin-tous » !
— Oh non pas encore ! Vous êtes chiants !
— Ramène-toi ! insista Judith.
Alors Eliot, d'un pas traînant, rejoignit ses trois amis, et la moue boudeuse mais le sourire en coin, les prit tous dans ses bras.
— Je tiens quand même à préciser que je ne savais même pas que Claire était là !
Ils rirent ensemble un moment, et Claire sentit la boule de stress qui lui nouait le ventre, disparaître enfin.
Peut-être s'était-elle emportée pour rien, songea-t-elle. Ils semblaient si heureux de la voir, elle se rassura de voir que leur amitié semblait intacte, et savoura ce sentiment d'union retrouvée.
Le « câlin-tous » avait été inventé par Judith. Lorsqu'un membre de leur petit groupe avait un moment de peine, un des leurs en appelait au câlin général afin de le consoler.
Ils devaient alors tous quitter leurs occupations sur le champ et se précipiter pour effectuer cette accolade collective.
L'appel de ralliement, qui était à l'origine : Câlin tous ensemble », été devenu peu à peu «Câlin-tous ».
— C'est bon ? bougonna Eliot, on peut se lâcher maintenant ou on attend le livreur de pizzas comme ça ?
Le rire des amis emplit le loft de notes de gaité, dont tous savaient avoir besoin.
C'est alors que quelqu'un toqua à la porte.
Sans même qu'ils eurent le temps de réagir, Joan pénétra dans l'entrée.
En une fraction de secondes, ses yeux sombres s'arrondirent face à cette scène de tendresse inattendue.
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