Chapitre 13 : L'éclosion
Soudain, Joan creva le ciel et se posa à quelques mètres d'eux, faisant valser le sable sous ses pieds.
Son regard était dur lorsqu'il s'adressa au groupe.
— Que se passe-t'il ici ? Judith, c'est toi que j'ai entendu huir ?
Ella tentait de masquer sa surprise de le voir ainsi surgir de nulle part...par le ciel.
— Heu... salut Joan, oui on va très bien et toi ? fit Ella, du sarcasme dans la voix, tu as entendu quoi ?
— Huir.
Ella se tourna vers Judith, l'air interrogateur :
— Huir ?
— C'est ainsi qu'on appelle le cri d'un faucon. C'est mon chant, répondit Judith.
— Vous deviez l'aider à éclore. Pas rameuter tous les Enkeli ! reprit Joan, et puis il y a eu un deuxième cri affreux. Une sorte de miaulement horrible... ne me dites pas que c'est Ella ?
— Un miaulement affreux ? Mon chant à moi, c'est un miaulement ?
Judith tenta de la rassurer :
— Ella calme toi, miauler c'est aussi le nom des cris des éperviers, des hiboux,
— Les buses aussi, renchérit Alex.
— Une buse ? fit Ella les yeux ronds comme des billes.
Puis en fronçant les sourcils, elle tenta d'imiter la voix grave de Joan, mimant des guillemets de ses doigts :
— Ella, toi aussi tu auras des ailes magnifiques car tu fais partie des Enkeli, nous sommes des êtres magnifiques, des âmes anciennes, laisse cette âme s'éveiller... bla-bla-bla ...et moi je suis juste une putain de buse qui miaule ?
— Ella, n'exagère pas, répondit Judith, déjà tu n'es pas à proprement parler, une buse. Ton cri s'en rapproche mais après tout on sait pas ! Et quand bien même... c'est pas si important.
— En attendant, j'espère que nous n'aurons pas d'ennuis avec un appel aussi fort. Ella vient de rendre sourds la moitié des Enkeli vivant sur le globe, grogna Joan à l'attention de Judith.
— Tu exagères, on est sur une île loin de tout...
— Sauf qu'elle ne maîtrise absolument rien, et encore moins l'intensité de son... miaulement.
Ella s'était assise dans le sable, le menton dans ses mains et regardait ses amis qui commençaient à se disputer, comme si elle n'était pas là.
Elle sentait bien que la façon dont Joan parlait d'elle était vexante. Mais à ce moment précis, son ego s'était carapaté avec son rêve secret de se transformer en un ange majestueux.
Résignée, elle réalisa qu'elle n'avait même plus l'énergie de s'offusquer.
Elle laissa alors son esprit vagabonder quelques instants. Elle parvint à distinguer les reflets nacrés d'une goutte d'eau sur un coquillage au loin. Elle entendit d'étranges crissements sur le sable et comprit qu'il s'agissait du vacarme que faisait un crabe en creusant son trou.
Stupéfaite, elle réalisa combien ses sens étaient surdéveloppés.
Soudain, elle réalisa que ses amis ne se disputaient plus. Au contraire, ils la dévisageaient avec un drôle d'air, dans un silence assourdissant.
— Bah quoi ? Fit-elle, qu'est-ce qui vous prend ?
— Ella ! Ella ! Bégayait Judith en sautillant et en la désignant du doigt.
Alors Ella comprit. Elles étaient apparues. Sans même qu'elle s'en soit rendue compte, deux magnifiques et imposantes ailes faisaient désormais partie d'elle.
— Whaou, s'exclama-t-elle, en se levant et tournant la tête de part et d'autre afin de les observer, j'ai mes ailes ! Comment c'est possible ? J'ai rien vu venir !
Mais les trois garçons ne semblaient pas partager son enthousiasme.
Seule Judith, s'approcha et la prit dans ses bras.
— Je savais que tu y arriverais !
Ella ne savait pas trop comment réagir, partagée entre excitation et beaucoup d'appréhension. Se voir ainsi avec de tels attributs la perturbait bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Et puis il lui sembla que ses ailes, immenses, pesaient une tonne et elle avait du mal à les mouvoir. Les plumes lui semblèrent incroyablement douces au toucher. C'était une sensation vraiment bizarre.
Elle observa de jolis reflets bleutés et pourpres sur le noir intense de son plumage.
" Qu'avait dit Eliot déjà sur les ailes noires ?" , se demanda-t-elle.
En regardant ses amis, elle comprit qu'il y avait probablement un problème . Elle esquissa un sourire, mal à l'aise :
— Finalement ça aurait été mieux en rose, hein ?
— C'est un premier essai... peut-être qu'elles prendront leur couleur normale plus tard, répondit Eliot, peu convaincu.
— Et si c'est pas le cas ? C'est si problématique ? Je veux dire celles de Joan sont noires et personne n'en fait tout un foin !
— Le truc c'est que Joan n'est pas comme nous, lança Judith.
— Et que c'est impossible que tu sois comme lui, ajouta Alex.
— Et pourquoi ça ? demanda Ella, inquiète.
— Parceque Joan est un des derniers des Soturi. Un guerrier. Et que les Soturi étaient toujours des spécimens mâles, lui répondit Alex.
Ella observa Joan. Il la dévisageait curieusement.
Les questions fusaient dans son esprit :
— Mais si je ne peux pas être un Soturi, je suis quoi ?
— Nous le découvrirons tôt ou tard, lança Joan, le regard sombre, avant de s'éloigner d'un coup d'ailes, pour se poser quelques centaines de mètres plus loin, sur le sommet d'un rocher.
— C'est assez pour aujourd'hui, lui dit doucement Alex. Remballe tes ailes on rentre, ne t'inquiète pas, on trouvera bien pourquoi tes ailes sont noires.
— Elles ne sont pas tout à fait noires t'as vu ? il y a comme du rouge en bordure...
— J'ai vu, la coupa Alex. Allez viens, la nuit va tomber.
Ella suivit le petit groupe qui se dirigeait vers l'embarcation. Elle se retourna et vit, à contre jour, la silhouette de Joan, posté sur son promontoire, les ailes déployées, semblant observer au loin. Elle se demandait si le fait qu'il soit un Soturi expliquait que les autres soient si étranges avec lui.
Puis, elle entreprit de rejoindre le groupe, ses ailes encombrantes trainant lamentablement dans le sable.
— Heu les gars ! Je fais comment, en fait ? J'arrive vraiment pas à les bouger, c'est trop lourd ! Elle songea en prononçant ces mots, qu'elle n'était pas prête de savoir voler.
Quand Judith, Eliot et Alex se retournèrent vers Ella, ils furent subjugués par la vision qu'elle leur offrait .
Elle se tenait droite, face au vent, et semblait plus grande. Les derniers rayons du soleil carressaient le plumage noir et bleuté de ses ailes, dont les liserés éclataient d'un chamaré de reflets pourpres. Ses yeux violets étincelaient, balayés par les vagues de ses longs cheveux blonds dansant dans le vent. Sa peau claire semblait illuminée de paillettes délicates.
Tous trois en eurent le souffle coupé tant elle était époustouflante de beauté.
Ella, qui n'avait rien perçu de leur trouble, rompit ce moment de contemplation, en se contorsionnant étrangement :
— On les range comment en fait ?
Elle faisait trembler ses plumes dans un bruit sourd et parvenait à secouer un peu chacune de ses ailes qui refusaient obstinément de disparaître.
Judith ne put réprimer un sourire pour lui répondre :
— Ben appuie sur le bouton !
— Sérieux ? Il y a un bouton ?
Judith pouffa de rire avant de répondre :
— Biensur que non ! Concentre-toi !
Ella se sentit un peu bête en voyant Eliot et Alex se moquer d'elle gentiment. Elle tenta néanmoins de se concentrer, sous les yeux de ses amis. Mais rien n'y faisait.
Eliot s'approcha alors d'elle, lui saisit les mains et plongea ses yeux dans les siens.
«Ses mains sont douces », songea-t-elle avant de ressentir son énergie si intensément qu'elle eut l'impression de recevoir une petite décharge électrique. Elle avait reculé d'un pas. Surprise elle leva ses yeux violets vers lui.
Le jeune homme lui sourit tendrement et s'approcha d'elle, lui tendant les mains à nouveau. :
— Prends mes mains et ferme les yeux, Ella.
Elle s'exécuta en prenant une grande inspiration. Elle fit le vide autour d'elle et se concentra sur la chaleur qui émanait d'Eliot. Soudain, un hurlement aigu retentit dans sa tête. Il était si puissant qu'elle avait l'impression qu'il résonnait contre les parois de son crâne.
Quand elle ouvrit les yeux à nouveau, une légère brume se dissipait et ses ailes avaient disparu. Stupéfaite, elle l'interpella :
— Mais comment t'as fait ?
— Je me suis adressé à toi en Enkeli. Rentrons maintenant.
La navigation du retour se fit en silence. Ella avait tenté, en vain de les interroger sur Joan et les Soturi, puis résignée, elle s'était perdue dans ses pensées.
******
En arrivant devant le pallier de son appartement, elle eut la surprise d'y retrouver Claire qui faisait les cent pas en se rongeant les ongles.
— Claire ? Mais que fais-tu ici ?
Claire se leva d'un bond puis serra son amie contre elle.
— Oh Ella... je suis si contente que tu ailles bien ! Il fallait absolument que je te vois...Je me suis tellement inquiétée !
— Inquiétée ? Mais tu sembles bouleversée ! Que se passe-t-il ?
— J'ai d'abord essayé de te joindre mais t'étais sur répondeur... dès que j'ai su, j'ai accouru chez toi. Je suis là depuis dix minutes à peine.
— Mais enfin, Claire, je comprends rien, qu'est ce qui se passe ?
— Je viens d'apprendre qu'ils ont trouvé une étudiante morte à la bibliothèque. Les policiers sont sur place, ils ont mis un périmètre de sécurité et tout, comme dans les films ! Personne a su me dire qui c'était, et j'arrivais pas à te joindre...j'ai eu si peur que... alors j'ai accouru ici...
Claire avait les larmes aux yeux. Ella n'avait jamais vue son amie dans cet état.
Elles se prirent dans les bras à nouveau.
Une fois installées sur le canapé du salon, Claire raconta à Ella qu'elle avait oublié son chargeur de portable dans le petit bureau de la bibliothèque universitaire .
En se rendant là bas pour le récupérer, elle s'était heurtée à une horde de policiers qui avaient bloqué toutes les issues de l'université.
Les étudiants sur place lui avaient alors appris qu'ils avaient trouvé une jeune-femme décédée dans la bibliothèque. Personne ne savait de qui il s'agissait pour le moment.
Elle avait alors essayé de joindre Ella, en vain, puis décidé de se rendre directement chez elle.
— C'est fou, pensait Ella tout haut, ça fait trois personnes...
— Oui, et visiblement cette fois il ne s'agit pas d'un malaise. La police a embarqué tous les étudiants qui étaient dans la bibliothèque au moment où la fille a été trouvée. Si ils font ça c'est qu'ils privilégient la thèse criminelle.
— On sait comment elle est morte ?
— Aucune idée...
— Et celle de la cafétéria du coup ?
— Elle non plus, on en sait rien au final...
Toutes deux échangèrent un long regard...les yeux de Claire, habituellement si pétillants, avaient perdu leur éclat et trahissait la peur qu'elle ressentait.
Lorsqu'elle reprit la parole, sa voix était étrangement solennelle :
— J'ai comme un mauvais pressentiment...je sens que quelque chose est en train d'arriver. Quelque chose de très mal...
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