Le monstre


Il ouvrit les yeux un peu vaseux, comme s'il avait trop bu la veille.

Pourtant il n'avait pas bu.

Ou peut-être que si.

Il ne se souvenait pas.

Il ne se souvenait plus.

Il ne se souvenait de rien, de personne.

Pourtant il se souvenait de l'effet que produisait l'alcool et même de l'avoir déjà expérimenté sans savoir d'où lui venait cette connaissance, comme il se souvenait de ce qu'était une montagne sans pour autant se rappeler y avoir jamais été.

Instinctivement, par peur, il appela à lui la bête qui ne se montra pas.

Mais alors que ce mystère brisait son état comateux il remarqua qu'il était dans un sarcophage médical. Peut-être était-il malade. La mémoire lui reviendrait une fois guérit.

Il attendit et finit par apercevoir à travers son sarcophage les infirmiers se penchant sur lui, reconnaissable à leur tablier. Ils partirent presque immédiatement pour revenir peu de temps plus tard et ouvrir sa prison de coton.

— Je ne suis pas guéri ! protesta-t-il.

Sa mémoire était toujours aussi défaillante et il sentit la bête en lui qui ne voulait que sortir mais qu'il enfouit sans même s'en rendre compte.

— Si il est en parfaite santé ! déclara une doctoresse.

On l'aida à se relever et il remarqua que des pacificateurs, reconnaissable eux grâce à leurs tabards, patientaient la mine sévère. Qu'est-ce que tout cela voulait dire ? On le fit descendre, d'un claquement de doigt d'un des pacificateurs il fut vêtu et on lui ordonna de les suivre. Ils l'encadrèrent comme s'il avait besoin d'être protégé ou surveillé.

On le mena à une salle de réunion plutôt petite et immaculée comme la plupart des salles d'Aryar. Comment le savait-il ? Là encore c'était un mystère. On l'installa d'un côté d'une table toujours entouré d'une bande de pacificateur.

En silence ils attendirent. Quoi il l'ignorait. Et il préférait se concentrer sur son manque de souvenir, tentant de chercher une explication ou au moins un souvenir restant. La porte s'ouvrit sur deux pacificateurs, deux gradés au vue du clair de leur tabard. Ils s'installèrent face à lui.

— On a quelques questions à vous poser ! déclara l'elfe.

Un frisson s'empara de lui. Ce n'était pas la procédure. Il devait y avoir un gardien du secret pour veiller à ce que tout se passe dans les normes. Ce n'était pas normal. Pas normal que des pacificateurs agissent ainsi, pas normal qu'il ne se souvienne de rien.

— Vous souvenez-vous de votre identité ?

Il réfléchit, tenta de se remémorer un prénom, un nom, un âge ou même l'espèce à laquelle il appartenait mais il l'ignorait. Il ne savait rien.

- Non !

L'interrogateur se tourna vers son collègue vampire puis continua.

— Savez-vous ce qu'est un GO-379 ?

— C'est un vaisseau, répondit-il sans réfléchir. Un vieux vaisseau assez gros qu'on utilise surtout pour les conquêtes.

— Connaissez-vous votre groupe sanguin ?

A ? B ? C ? D ? Il ne savait pas. Comment saurait-il s'il était mourant et avez besoin d'une transfusion ?

— Non.

- Savez-vous dire recherche en A Nebien ?

- Tunémap'adge, affirme-t-il alors que son instinct lui avait soufflé la réponse.

Il s'étonna lui-même. Ce n'était pas une langue couramment parlé. Etait-il de là-bas ?

— Vous souvenez-vous de votre lieu de naissance ?

— Non.

— Savez-vous ce qu'est un trancavien ?

— Oui. Un terme péjoratif pour désigner les habitants d'une planète non magique.

— Le prénom de la première fille que vous avez embrassé ?

Il ne se souvenait même pas d'un baiser. Il se souvenait de la sensation pourtant d'une langue caressant la sienne, de lèvres contre les siennes, mais avec qui il avait partagé cela ou quand pas le moins du monde.

— Dans quel système se trouvent les étoiles jumelles ?

Aussitôt une carte du ciel apparut dans son esprit, comme un souvenir revenu, mais souvenir venu d'où ?

— Le système du croissant.

— La date à laquelle vous avez effectué votre premier voyage ?

— Je suis navré je n'ai aucun souvenir.

— Connaissez-vous le titre d'un livre ?

Il dût réfléchir un peu pour celle-ci mais un titre revint à sa mémoire.

— La belle endormie.

— Le lieu où vous vivez ?

L'angoisse le prit. Qu'allait-il faire ? Il ne se souvenait de rien.

— Je...Non.

— Connaissez-vous la raison de la présence de mon collègue.

Il se retourna vers le vampire le cœur battant. Oui il savait très bien ce qu'il faisait. Il le faisait bien d'ailleurs, il ne sentait rien.

— Il vérifie dans mes pensées que je dis vrai.

— Dernière question vous souvenez-vous de comment vous en êtes arrivé là ?

Son regard tomba vers ses mains, de grandes mains, il était très grand d'ailleurs. Mais il ignorait ce qui lui arrivait. Etait-ce un nouveau virus ? Non on ne l'aurait pas laissé se balader ainsi dans les couloirs. Quoi que... Il avait pris un couloir dérobé.

— Non, conclut-il.

— Très bien ! Merci de vos réponses ! On va vous guider jusqu'à une salle d'attente où vous serez quand même examiné par des docteurs. Mes collègues vont vous y amener.

Les pacificateurs qui l'avaient guidé ici s'avancèrent.

— Attendez ! S'il vous plait ! Qu'est-ce qui m'arrive ?

Le vampire et l'elfe eurent pour seule réponse un sourire victorieux. Peut-être était-il un cobaye pour une nouvelle arme ?

La salle où on le fit attendre était encore plus étroite, une banquette juste sous un miroir d'un côté, une paroi de l'autre tellement proche qu'elle ne lui permettait même pas d'étendre ses jambes. Cette salle-là n'était plus blanche mais d'un gris bleuté, ce qui n'était pas bon signe du tout. Mais il resta seul que peu de temps. Une femme entra, une sicaire au vue de son short bouffant sur son leggin noir. Elle était plutôt grande et longiligne, avait de magnifiques cheveux noirs qui lui criaient sirène.

Il se demanda ce qu'elle venait faire ici ? Est-ce qu'elle allait l'assassiner ? Elle ne semblait pas en prendre le chemin, désarmée, l'examinant le visage impassible. Mais il savait que les sicaires étaient entraînés à tuer de toutes les manières possibles.

— Assieds-toi qu'on discute un peu !

Mort de peur, il obéit. Bon sang que se passait-il ? Il avait tout oublié de sa vie et voilà qu'une sicaire venait discuter avec lui.

— A partir de maintenant je suis ta chef.

— Je suis un sicaire ?

— Non. Seulement tu vas être sous ma surveillance ! Ca ne sera ni agréable pour toi, ni pour moi mais c'est comme ça. Alors j'espère que tu obéiras à chacun de mes ordres et chaque ordre que mes subalternes te donneront, sinon il faudra que je te punisse. Si tu as eu l'impression d'être injustement traité tu peux venir m'en parler, tu pourras même venir à mon bureau dès que tu le désire, néanmoins je jugerais moi-même ce qu'il en est et si je trouve que tu te plains trop ou sans raison je sévirais aussi. C'est clair ?

Il avala sa salive difficilement. Il avait l'impression d'être menacé. Elle était bien trop autoritaire à son goût.

— Oui, accepta-t-il d'une petite voix.

— Tant mieux. Parce que peu importe ta force, j'ai les moyens de t'affaiblir, de bloquer ta magie et surtout c'est moi qui ai les armes ne l'oublie pas !

— Non, non ! Je n'oublierai pas !

— Très bien. Maintenant pour ton confort dis-moi tu as des allergies ?

— Je ne sais pas.

— Je demanderais qu'on te teste alors. Il y a un plat que tu aimes particulièrement ou un que tu n'aimes pas du tout ?

Il pouvait citer le nom de nombreux aliments, il pouvait se souvenir de leur apparence, de leur goût, mais pas s'il avait aimé ce dernier.

— Je l'ignore.

— Bon je suppose que le froid ne te gêne pas mais la chaleur ?

Il secoua la tête en signe d'ignorance. Il ne pourrait jamais survivre dans la nature avec une mémoire si défaillante.

— Très bien dernière question plutôt garçon ou fille ?

— Pardon ?

— Il faudra faire venir des prostitués hommes ou femme ?

Ce fut abasourdi qu'il la dévisagea. Tout cela était complètement irréaliste. C'était une blague, un rêve, un délire lié à la fièvre ou une drogue, mais cela ne pouvait être vrai, ce n'était pas crédible.

— Oh je t'en prie n'en fait pas tout un plat où je ne fais venir personne et tu le regretteras très vite !

— Je... Je ne sais pas.

Elle ferma les yeux visiblement exaspérée.

— Très bien. On se retrouve très vite. Déshabille-toi avant que je parte !

— Quoi !

— Je vais prendre tes vêtements, vérifier que tu n'as ni arme ou traceur ou appareil de communication sur toi. Puis les médecins viendront t'examiner et t'offrir des vêtements homologués.

Il ne comprenait pas. Mais pourrait-il seulement comprendre quoi que ce soit ? Néanmoins il obéit, défit ses bottes, son pantalon, ses chaussettes et son boxer, avant de retirer sa tunique et son sous-pull, puis lui jeta le tout.

— Rassies-toi ! ordonna-t-elle en s'approchant.

Manuellement elle inspecta sa bouche, passa ses mains gantés de cuir sur tout son corps, puis elle fit apparaitre un étrange tube gris par magie et le passa le long de son corps.

— Très bien ! conclut-elle. On se revoit très vite !

Elle réunit les vêtements d'un claquement de doigts et les fit disparaitre. Puis elle sortit un boitier de sa ceinture et appuya sur un bouton. C'était un inhalateur de magie, il l'avait reconnu. Ni elle, ni lui ne pouvait faire de la magie désormais. Elle réussit à l'imbriquer dans le mur en s'identifiant, puis elle sortit de la pièce.

De nouveau il s'apprêtait à patienter. Alors il se leva et s'examina dans le miroir. Il était plus que grand, il était immense et très musclé. Sa peau était foncée, mais pas noir, non, elle virait plus vers le rougeâtre. Ses cheveux châtains tombaient sur ses épaules, tandis qu'une barbe mangeait son visage rectangulaire aux traits creusés. Son front était plutôt court, achevé par des sourcils bien dessinés surmontant des yeux gris rapprochés juste au-dessus d'un nez grec qui avait été cassé. Ses lèvres étaient plutôt fines quant à elle, mais il trouvait son sourire plutôt charmant, en tout cas ses dents étaient d'un joli blanc. Son menton lui était plutôt discret, comme ses joues ou ses pommettes. Mais ce que le miroir lui montra fut surtout des bleus, brûlures et contusions partout sur son corps. Que lui était-il arrivé ? Qui lui avait infligé tout cela ?

La bête en lui se manifesta à nouveau. Il ne la contint pas cette fois-là. Il se transforma en un clignement de cil, devenant un animal immense, musclé, poilu, quadrupède à la gueule débordant de dents immenses et acérées, aux longues griffes coupantes comme des lames.

La bête rugit ravie de retrouver le contrôle. Puis se trouvant enfermé dans un espace aussi clos la rage la prit. Elle se jeta sur les murs, espérant les briser, elle voulait sortir, gambader à l'air libre, chasser et tuer. Mais les murs ne cédaient pas. Il y passa ses griffes, les poussa de tout son poids, mais ils restaient désespérément enfermés. Elle continua sa guerre contre la pièce, son appétit pour l'extérieur étant de plus en plus fort, comme sa faim et son envie de tuer, mais rien n'y fit. Elle tourna en rond, devenue folle. Puis elle abandonna, redonnant le contrôle à l'homme. Elle ne voulait pas de cela. Elle allait devenir folle. Elle voulait le grand air et de quoi chasser. Ici elle était seul et à l'étroit.

Il se réveilla recroquevillé sur le sol froid, mais brûlant, la faim au ventre et tremblant. Alors il comprit ce qu'il était. Un monstre. Il se releva en tremblant toujours et s'affala sur le banc, ne comprenant toujours pas ce qu'il faisait ici. En général les aryariens laissaient son peuple tranquille.

La porte s'ouvrit sur un médecin qu'il accueillit d'un œil vitreux. On lui préleva du sang, le vaccina, examina son souffle, son rythme cardiaque, ses réflexes, sa vue, son ouïe et ses réactions à diverses produits avant de le laisser à nouveau avec des vêtements sombres. Il les enfila mollement.

On lui apporta un repas avant que les docteurs reviennent.

— Suivez-nous ! On va vous faire votre toilette et vous partez !

Il les suivis jusqu'à une petite salle de bain où attendait des pacificateurs, on le mit sous le jet, le sécha avec des serviettes parfumés aux fleurs, on coupa alors ses cheveux et rasa sa barbe et ils le rhabillèrent. Cela était assez humiliant. Ne pouvaient-ils pas le laisser faire ?

— Il est à vous ! déclara le docteur au pacificateur une fois qu'il fut totalement vêtu.

— Tendez vos mains !

Il s'exécuta et ils les enfermèrent dans des menottes qu'il sentit vibrer autour de ses poignets. Des coupeuses de magie qui plus est. Il ne comprenait pas. Il se laissa mettre le reste des entraves, celles autour de son cou, le bâillon qu'on glissa entre ses lèvres, le masque de fer qui vibrait jusque dans ses joues, les fers à ses genoux et les chaines reliant le tout, le cœur battant.

Tout s'expliquait maintenant, mais il ne pouvait y croire. Pas lui. Jamais. Et pourtant on le conduisit directement à un vaisseau, entouré d'une escouade de pacificateur, par un tube dissimulé.

— Il doit y avoir une erreur.

— Ils disent tous cela ! s'amusa un pacificateur.

Mais lui n'avait pas le cœur à rire. Il était prêt à parier qu'il voyageait vers la lune orange, l'autre prison d'Aryar. Celle où l'on envoyait les prisonniers en exil, ceux qui n'étaient pas dangereux et ceux qu'on devait mettre au secret. Pour ces derniers on leur effaçait aussi la mémoire.

Qu'avait-il bien pu faire, dire, savoir pour en arriver là ? Il ne se sentait pas l'âme d'un criminel. Certes la bête en lui pouvait tuer, mais il la contrôlait à peu près et Aryar se montrait clément dans ces cas-là.

Sans surprises ils atterrirent quelques minutes plus tard sur la lune orange. Les pacificateurs l'aidèrent à descendre et la sicaire déjà l'attendait entouré de ses subalternes et d'une équipe de commerçant et médecin qui le dévisageai avec curiosité.

Les pacificateurs le détachèrent et le confièrent à la sicaire qui eut un sourire satisfait.

— Merci à vous ! Maintenant la situation m'appartient !

Sans un mot ils retournèrent à leur vaisseau qui repartit, il aurait voulut courir derrière eux, les supplier de ne pas le laisser là, qu'il était innocent. En vain. Leur vaisseau décolla et devint un point à l'horizon.

Alors il détourna son regard, observait tout autour de lui. Les murailles étaient hautes, l'enfermant dans ce qui aurait pu être un grand château sur Systuik, avec des bâtiments et commerces, comme si tout cela était une ville banale. Mais tout ce qu'il voyait c'était ces barrières qui lui donnait l'impression d'être à l'étroit.

— Combien de temps dure ma peine ? demanda-t-il.

— Ba voyons ! On n'efface la mémoire que des condamnés à perpétuité ! répondit la sicaire.

Le désespoir l'envahit. Il mourrait entre ces murs, sans même savoir qui il était et ce qu'il avait fait pour mériter cela.

Il devait être un effroyable monstre.

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