Idiot

21 août 1999

Louis regardait les gouttes d'eau qui s'écrasaient contre la fenêtre de son bureau, pensif. C'était son anniversaire de mariage, aujourd'hui. Mais il n'avait plus qu'une tombe pour le fêter. Une larme solitaire roula le long de sa joue et il l'essuya rapidement. Un mois. Cela faisait bientôt un mois que sa femme était morte, emportant son bonheur avec elle. Il avait perdu celle qui donnait un sens à sa vie. S'il était encore là, c'était simplement parce qu'il ne pouvait pas se résoudre à abandonner son petit prince. Aaron... Il ferma les yeux et inspira profondément. Il n'était pas sûr de pouvoir rentrer et le voir, ce soir. Il y avait des jours où c'était trop dur. Malgré tous ses efforts... Il avait parfois du mal.

Alors qu'il était perdu dans ses pensées moroses, la porte de son bureau s'ouvrit sur un bouquet de roses blanches cachant un asiatique plus qu'inquiet. Éric entra et regarda son meilleur ami qui ne semblait pas l'avoir remarqué. Il se racla donc un peu la gorge et se planta devant son bureau.

- Éric ?

- C'est bien moi ! Surprise !

Le roux fronça les sourcils en le regardant. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Avec un bouquet ? Et son sourire de bienheureux ?

- Je peux savoir ce que tu fais ?

- Je te l'ai dit, c'est une surprise. Ta secrétaire m'a dit que tu avais fini et Aaron est avec ses deux baby-sitters préférés. Jean et Christian, tu te rappelles ?

- Je ne suis pas stupide.

- Tant mieux. Allez, viens avec moi. Je t'emmène t'amuser.

- Je n'ai pas très envie de m'amuser aujourd'hui, Éric. J'en ai même pas du tout envie. Alors maintenant, si tu veux bien sortir et me laisser rentrer tranquillement chez moi et retrouver mon fils, le serrer dans mes bras et...

- Je pense que tu as mal compris, le coupa le chirurgien en posant le bouquet.

Louis lui accorda enfin un véritable regard. Il constata bien vite que l'expression de Éric avait changé. Son sourire avait disparu et il semblait las.

- Je pensais qu'on pouvait aller sur sa tombe pour déposer le bouquet et ensuite se faire un restaurant. Juste pour te changer les idées. J'en ai marre de te voir broyer du noir ! Je sais que c'est dur pour toi ! Et ça m'énerve de rien pouvoir y faire !

- Éric, je...

- Non ! Non, tu te tais et tu me laisses parler maintenant ! Ok ?! Tu arrêtes de te laisser dépérir ! D'autres tiennent à toi ! Je tiens à toi ! Et je m'en voudrais toute ma vie s'il t'arrivait quelque chose parce que j'aurais pas réussi à t'aider quand tu en avais besoin ! Alors, maintenant, on va faire ce que j'ai dis et tu vas passer un bon anniversaire de mariage même si ta femme n'est plus là ! Compris ?!

L'asiatique termina sa tirade en haletant, ses yeux charbons plongés dans ceux de son vis-à-vis. Louis ne savait pas quoi dire. En fait, il n'y avait pas grands choses à dire. Éric lui avait simplement dit la vérité. Il se laissait dépérir et ce n'était pas ce que sa femme aurait voulu. Elle aurait voulu qu'il soit heureux aujourd'hui. Elle aurait voulu... Il se mordit la lèvre pour retenir un sanglot. Il était égoïste. Il ne pensait qu'à son malheur et pas celui des autres. Son meilleur ami souffrait de le voir ainsi. Qui sait si c'était le cas pour son fils ? Quel idiot il faisait...

- Pardon, Éric, soupira-t-il, je te suis.

- Parfait.

Le plus petit reprit le bouquet et cacha son nez dedans. Qu'est-ce qu'il lui avait pris ? Crier comme ça qu'il tenait à lui... Il était idiot, jamais ce ne serait réciproque. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était rester à ses côtés et l'aider à n'importe quel prix. Même si le prix à payer était son propre bonheur...

~~~

Éric regardait son ami de loin, attendant qu'il ait fini sa prière devant la tombe de sa femme. Il avait préféré le laisser seul pour faire ça. Même si ça lui crevait le cœur. Il était sûr qu'il était entrain de pleurer, lui qui était si inexpressif habituellement. Il appuya sa tête contre le mur derrière lui. Sarah lui manquait. Elle savait toujours quoi faire quand les autres allaient mal. Lui, il était simplement chirurgien pédiatrique, il ne savait que rassurer les gens et leur annoncer avec le plus de neutralité possible quand ça se passait mal. Il inspira profondément l'air frais qui suivait la fin de l'averse et ferma les yeux.

- Qu'est-ce que tu ferais à ma place, Sarah ?

Un coup de vent le fit frissonner et rouvrir ses pupilles. Il croisa des yeux orageux. Un sourire triste apparu au coin de ses lèvres quand il remarqua que Louis le fixait aussi.

- Je te déteste, mon amie. Du plus profond de toutes mes cellules. Tu vas me briser le cœur.

Il rejoignit Louis et demanda :

- Tu as fini ?

- Oui... Merci, Éric.

- C'est normal. Je veux te voir aller mieux. Et crois-moi, quand je veux quelque chose je l'ai. Tu viens ? On doit aller au restaurant maintenant.

- Le restaurant ? Tu y tiens, hein...

- Bien sûr ! En plus, c'est notre restaurant ! Tu ne louperais pas un dîner avec moi là-bas, hein ? Tu me ferais ça à moi, ton meilleur ami ? Le seul, l'unique, celui qui te supporte depuis ses cinq ans ?

- C'est plutôt moi qui te supportes, idiot, souffla Louis en souriant légèrement.

Éric explosa de rire et quitta le cimetière, marchant devant son meilleur ami. Le roux se tourna vers les tombes de sa femme et son fils. C'était étrange. Quand il lui avait demandé si un jour il retrouverait l'amour, il y avait eu ce coup de vent. Et quand il avait rouvert les yeux, ils avaient été happés par deux grands puits noirs. Qui appartenaient à son meilleur ami. Son meilleur ami qui était gay. Et qui tenait à lui.

- Louiiiiiiiiis ! Dépêche-toi !

- J'arrive, arrête de hurler !

- Quoi, tu vas me traiter d'idiot, rigola l'asiatique alors qu'il arrivait à son niveau.

- Oui, parce que c'est la vérité. Tu es un idiot.

L'avocat frissonna. Il ne savait pas ce que c'était, mais dès qu'il se perdait dans ses yeux sombres où se reflétaient les lumières du crépuscule, il se sentait... Bien. Apaisé. C'était peut-être ce que voulez dire cette chose étrange qui s'était produite dans le cimetière. Qu'il apprécierait la présence de Éric car elle lui faisait du bien... Oui, ça ne pouvait pas être autre chose.

~~~

Quand il rentra ce soir-là, Louis ne pouvait pas s'empêcher de sourire. Il se sentait si bien... La soirée avait été parfaite. Être avec son meilleur ami lui avait vraiment fait du bien. Et il avait découvert qu'il pouvait sourire, rire, s'amuser, sans pour autant oublier sa femme. Il avait vécu normalement pour la première fois depuis un mois. Et ça faisait vraiment du bien.

Mais il y avait eu autre chose, aussi. Quelque chose qu'il n'avait jamais remarqué avant et qu'il n'aurait sûrement jamais remarqué s'il n'y avait pas eu cet étrange coup de vent au cimetière. Des regards plus appuyés qu'ils ne le devraient et des gestes trop tendres venant d'un ami. Cette lueur qu'il avait vu briller au fond des yeux de Éric était familière. Il l'avait aperçu si souvent dans les iris d'ambre de sa femme... et cela le perturbait de la voir ailleurs. De la voir chez son meilleur ami. Depuis combien de temps était-elle là ? Comment avait-il fait pour ne pas la voir plus tôt ? Et maintenant qu'il avait compris, que devait-il faire ? Il était perdu...

Une petite tête rousse vint se blottir contre sa jambe, le sortant de ses pensées. Il prit son fils dans ses bras et regarda Jean qui arrivait juste derrière lui.

- Désolé, s'excusa le garçon châtain d'une dizaine d'années, il ne veut pas dormir et il n'arrête pas de te réclamer. On a tout essayé...

- C'est pas grave. Je vais m'en occuper maintenant. Où est Christian ?

- Il... Son père vient de l'appeler pour qu'il rentre, il avait besoin de lui pour un truc...

- D'accord. Aaron va dans la chambre de papa, je te rejoins.

Le bambin hocha la tête et monta les escaliers quand son papa le posa par terre. Il tombait de fatigue... Le roux soupira et prit son portefeuille pour payer le baby-sitter.

- Tu partageras avec ton cousin.

- Promis. En fait, tu as passé une bonne soirée avec ton ami ?

- Oui, j'ai l'impression que ça faisait une éternité que je n'avais pas été aussi... heureux ?

- C'est cool !Enfin...

- Jean, tout va bien ?

- Ahah... C'est gênant...

- Quelque chose te tracasse ?

Jean se mordit la lèvre. Voyant que le sujet semblait sensible et que ça avait l'air de vraiment le tracasser, l'avocat l'invita dans la cuisine. Là, il lui prépara un chocolat chaud dont seul lui -et sa grand-mère- avait le secret et leur en servit deux grandes tasses.

- Explique-moi tout. Je ne te jugerais pas, promis.

- Promis ?

- Je serais très mal placé. Vas-y, Jean. Je sens que ça te pèse.

- Je peux en parler à personne à la maison... Mais je crois que... je suis amoureux d'un garçon... C'est la première fois que ça m'arrive. D'habitude je préfère les filles mais là je... Je suis un peu perdu... C'est grave, tu crois ?

- Sarah m'a parlé de ça, souffla-t-il, elle m'a dit qu'elle en avait longuement discuté avec Éric. Certaines personnes aiment les deux sexes, tout simplement. Tu n'as pas à trouver ça grave, ok ?

Le jeune garçon but son chocolat chaud, semblant réfléchir à ses mots. Aimer les deux sexes ? Ça ne lui avait jamais traversé l'esprit mais c'est vrai que ça pourrait être le cas. Il releva la tête vers le père de famille en face de lui et sourit légèrement.

- Merci, Louis.

- Ce n'est pas grand chose mais si j'ai pu t'aider, tant mieux.

- Oui... Et... tu voudrais pas donner la recette de ton chocolat chaud à Morgane ? Il est trop bon !

Le trentenaire explosa de rire et trempa les lèvres dans sa tasse en lui répondant que sa recette resterait un secret. Mais que lui est son cousin étaient toujours les bienvenus pour en boire un peu. Alors que la conversation dérivait sur des sujets plus légers, une petite frimousse rousse apparue dans l'encadrement de la porte, son ours en peluche serré avec force contre lui.

- Aaron ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Il fait tout noir dans ta chambre, j'ai peur, répondit le petit garçon en rejoignant rapidement les genoux de son papa.

- Hé, mon grand, ça ne t'avait jamais dérangé avant.

- Mais maintenant j'ai peur.

Aaron ne semblait pas en démordre et Louis était de trop bonne humeur pour lutter, alors il le laissa se blottir contre son torse pour reprendre son sommeil. Un peu plus tard dans la soirée, une fois que Jean eût quitté la maison, il remonta dans sa chambre et se coucha. Il garda son fils dans ses bras serré contre lui.

HEEEEEEEEEEEEYYYYYYYY !!

J'espère que ce chapitre vous a plu !

Sur ce, des bisous !

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