Chapitre 1

ATTENTION CETTE HISTOIRE SERA DEPUBLIEE LE LUNDI 18 OCTOBRE 2021

-----

J'admire les sirènes. Vraiment. Je ne sais pas comment elles font pour rester belles et gracieuses, engoncées dans leurs queues ridicules. C'est pourtant ce que m'avait promis la vendeuse :

« Vous allez voir, Madame, vous serez une véritable sirène, avec cette jupe crayon ! ».

Madame ! Je t'en donnerais des Madames. J'ai 29 ans, pas 50, bordel !

À mesure que je remonte la marée humaine des névrosés en quête de leurs derniers achats pour Noël, je ressemble plutôt à un saumon asthmatique en retard pour la frayère partie. L'ouverture minimaliste de cette fichue jupe me force à des pas si minuscules, que j'ai l'impression que je n'atteindrai jamais la porte de l'immeuble rutilant qui me nargue à quelques dizaines de mètres de là. Enfin, mes talons cliquettent sur le marbre nu du hall, tels le tic tac de mon horloge interne qui ne cesse de me répéter que je vais me faire virer si je n'accélère pas. J'ai tellement mal aux pieds que j'ai l'impression que je vais m'évanouir d'un instant à l'autre. Si j'avais devant moi la personne à l'initiative de l'invention de ces engins de torture, elle passerait un sale quart d'heure.

Perdue dans la contemplation de mes pieds trempés d'un mélange de boue et de neige, je ne me rends pas tout de suite compte que je ne suis pas seule dans l'ascenseur. Le vieux, cintré dans un costume trois-pièces impeccable, me détaille de la tête aux pieds. Les mains prises par mon gobelet de vin chaud dans une main et mon bol de soupe dans l'autre, je souffle sur une mèche de cheveux roux qui s'est échappée de mon chignon et force un sourire sur mon visage rougeaud. Ses yeux fatigués se plissent de perplexité. Quoi, qu'est-ce qu'il a encore celui-là ? Oui, OK, je n'avais pas eu les moyens d'acheter la parfaite panoplie de la gratte papier moderne. Et alors ? Ma doudoune « sac poubelle » – comme j'aime les appeler – ne s'accorde pas si mal que ça avec ma jupe verte et mon chemisier crème, si ? Il s'apprête à ouvrir la bouche, mais je suis sauvée par le ding caractéristique, prélude à l'ouverture des portes. Je me traîne en dehors de la cabine aussi vite que me le permet mon accoutrement.

Soupir de soulagement. Mais de bien coutre durée : le standard téléphonique qui orne « mon bureau » semble vouloir concurrencer les guirlandes de Noël qui scintillent au plafond de l'open-space. « Mon bureau », car jusqu'à ce matin, j'étais censée être l'assistante de l'assistante. Il paraît qu'il faut dire ça maintenant : secrétaire c'est has been. Un simple surplus pour la période de Noël, et, si je me débrouillais bien, pourquoi pas un CDI à la clé par la suite. Mais Rosa, l'assistante en titre, avait eu la désagréable idée de tomber malade. Un genre de grippe. Deux semaines d'arrêt. Et me voilà donc catapultée assistante de direction, moi qui une semaine avant n'avais encore jamais pris en note le moindre courrier.

Je pose mon ravitaillement en équilibre précaire sur les dossiers ouverts devant le clavier, et me bats quelques minutes avec mon manteau à l'instant où ce maudit téléphone sonne à nouveau. Je n'ai pas le temps de décrocher que déjà une nouvelle diode s'allume sur le répondeur. Au moins, j'ai l'agréable surprise de constater que celle réservée au big boss est restée sagement éteinte. Repoussant une nouvelle fois cette mèche rebelle qui m'enquiquine, je me coule dans le fauteuil et jette un œil vers le bureau de la direction. Au beau milieu de l'avalanche de décorations de Noël qui couvrent l'open-space du sol du plafond, la porte nue ressemble à s'y méprendre à l'entrée de l'antre du Grinch. À mon grand désespoir, les persiennes qui ornent la grande baie vitrée qui jouxte la porte laissent encore poindre des raies de lumière : cet homme ne dort-il donc jamais ?

« Si tu veux ce CDI, les pauses, tu oublies. Et c'est toi qui pars la dernière et qui ferme le bureau », m'avait briefée Marta, la cheffe du personnel. Elle est gentille, Marta. Mais malgré ma vessie de compétition, je n'avais pas pu me soustraire aux deux pauses pipis, et, après avoir sauté le repas du midi et mon éternelle collation de 16 heures, j'avais fini par craquer en voyant la file d'attente du stand de soupe et de vin chaud du marché de Noël au bas de l'immeuble.

Je porte le breuvage à mes lèvres et laisse sa douce chaleur se répandre dans mon corps. Mes orteils frigorifiés me remercient, mais pas autant que lorsque j'ôte mes escarpins pour constater les dégâts.

— Et merde...

La coloration verte du simili-daim a déteint sur mon collant beige. Et les chaussures, achetées spécialement pour couvrir toute ma période d'essai, sont irrémédiablement fichues. Je bois une nouvelle gorgée de vin chaud pour me consoler lorsque le vrombissement de mon téléphone portable fait trembler tout le bureau. Le léger mouvement de sursaut a fait son œuvre.

— Eh re-merde, ne puis-je m'empêcher de soupirer en constatant la tâche qui s'étend doucement sur le bas de mon chemisier jusqu'ici immaculé.

C'est Sébastien. Treizième appel. Je soupire, lance un nouveau regard vers le bureau, puis vers la porte menant à l'escalier de service. Après tout, il n'y en aura que pour quelques minutes. Je me dépêche de faire basculer le bouton vert sur la droite, et me précipite à l'extérieur. Le vent glacial et les bruits de la circulation en contrebas m'agressent immédiatement les yeux et les oreilles.

— Salut Vic.

La tête allongée de mon meilleur ami vient de se matérialiser sur l'écran. Ses immenses yeux globuleux en mangent la majeure partie.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Droit au but.

— Tu passes au refuge, ce soir ?

Nouveau soupir. L'odeur de clope est omniprésente. Pourquoi le seul endroit tranquille de cet immeuble est aussi le repère de tous les fumeurs compulsifs de la boîte ?

— Non, Seb, désolée, je ne passerais pas ce soir. Je t'avais prévenu que ça allait être compliqué dans les semaines qui viennent.

— Mon dieu Vic, mais tu es déguisée en fille ? Et tu t'es coiffée ?

Il est hilare.

— Ouais, déguisée c'est bien le mot...

— Et c'est du maquillage que je vois, ou alors des cernes tellement marquées que tu concurrencerais le plus mignon des pandas ?

Je ne peux m'empêcher de sourire.

— Un peu des deux.

Il rit.

— Hahaha, moque-toi. Tu verras quand Esmée te demanderas de raser ta barbe. On verra combien de temps tiendront tes grands principes ! J'ai vraiment besoin de ce job Seb, tu le sais très bien. J'ai déjà deux loyers de retard.

Il reprend son sérieux.

— Tu es encore au boulot ?

Je descends quelques marches et m'assoie sur le métal froid. Je sens ma jupe s'imbiber d'eau au niveau du postérieur.

— Ouais... j'attends une dernière commande du Cyclope.

Il rit de nouveau.

— Le Cyclope ? C'est ton boss que tu appelles comme ça ?

A force d'entendre ce nom à longueur de journée, j'ai fini par l'adopter bien malgré moi.

— Ouais, tout le monde l'appelle comme ça ici. Ne me demande pas pourquoi.

— Il est sympa au moins ?

— Aucune idée. La seule chose que j'ai vu de lui c'est le dos de son fauteuil quand je suis allée lui apporter les multiples cafés qu'il m'a commandé dans la journée. La prochaine fois, je proposerai de lui poser une perfusion, ça me fera gagner du temps. Il n'a même pas daigné se retourner pour me dire bonjour. Qu'est-ce que tu veux, c'est comme ça maintenant. Il doit être l'un de ces énièmes gosse de riche capricieux qui ne sait pas quoi faire de son argent et pour qui le petit personnel ne mérite pas la moindre attention.

Je serre mes bras contre mon corps pour me protéger du froid comme je peux.

— Bon qu'est-ce que tu veux Seb ? Je n'ai pas beaucoup de temps. Tu sais qu'on n'a même pas le droit d'aller pisser selon la cheffe du personnel ? Alors si elle me prenait à passer un coup de fil perso...

Il tourne le téléphone, et j'aperçois Usty, un grand cheval baie arrivé récemment au refuge pour équidés où je suis bénévole.

— On ne sait pas ce qu'il a, mais il n'a pas l'air dans son assiette.

Un rapide coup d'œil me crie pourtant de façon flagrante le problème.

— Le boulet de son antérieur droit est inflammé.

Le téléphone tourne de nouveau vers un Sébastien éberlué.

— Comment tu peux voir ça sur un minuscule écran de téléphone ?

Je passe ma main dans mes cheveux, ruinant un peu plus le chignon que j'ai eu tant de mal à élaborer ce matin.

— Regarde la façon dont il pose le pied, et la courbe au niveau de l'avant du membre. Je ne pense pas que ça soit grave. Prends la deuxième jarre de la pharmacie, et fais-lui un cataplasme. Ça devrait aller.

Sébastien est soulagé. Et moi aussi. Après avoir aperçu ses nombreux appels manqués, j'avais craint que ça ne soit beaucoup plus grave que ça.

— Coucou ma chérie !

La voix de Marianne, la directrice du refuge. Bientôt, sa vieille tête parcheminée s'encadre dans l'écran.

— Salut Marianne. Tu as réussi à trouver assez de bénévoles pour s'occuper des chevaux pendant les fêtes ? Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir passer, je te promets qu'une fois que j'aurai pris le rythme au travail je reviendrai chaque jour comme avant.

Le visage si doux se fend d'un sourire.

— Ne t'en fais pas ma chérie, personne n'a fait autant que toi pour ce refuge pendant les 20 dernières années. Et puis tes vacances étaient prévues de longue date. Je suis juste triste pour toi que tu doives finalement les passer à travailler.

Je force un sourire sur mes lèvres. Je ne dois pas penser à Antoine, pas maintenant.

— Bonne soirée ma chérie, et si je ne te revois pas d'ici là, joyeux Noël.

— Joyeux Noël, Marianne.

Sébastien reprend le téléphone.

— ça ne va pas mieux n'est-ce pas ? ne puis-je m'empêcher de demander.

Il soupire. En tant que trésorier du refuge, il est le mieux placé pour savoir que la situation est catastrophique.

— Il nous manque encore 30 000 € pour boucler le budget de remise aux normes. Si on ne les trouve pas d'ici le prochain contrôle, ça sera la fermeture assurée.

Un silence.

— Je pourrais retourner devant le supermarché ce week-end.

Il m'arrête.

— Vic, lâche l'affaire. Tu as déjà écumé toutes les solutions possibles.

— C'est pas comme si j'aurais grand-chose d'autre à faire de toute façon.

Une expression meurtrie passe dans son regard.

— Vic, je suis vraiment désolé, commence-t-il.

Je le coupe à mon tour.

— Hey, pas de ça avec moi, OK ? Tu ne pouvais pas savoir qu'Antoine allait me jeter et que j'allais me retrouver seule pour les fêtes. Je n'ai pas demandé à mes parents d'annuler leur croisière dans les Caraïbes, et je ne te demanderais pas de dire à Esmée que tu ne vas finalement plus rencontrer ses parents. Profite. Je suis une grande fille ! Je trouverais à m'occuper.

À cet instant précis, un bruit se fait entendre juste au-dessus de moi. Je lève la tête. Merde : quelqu'un se tenait sur le palier surplombant le mien, et descend maintenant les marches d'un pas pressé. J'ai à peine le temps de me relever, que je me retrouve nez-à-nez avec l'homme le plus grand que j'ai jamais vu. Une boule se forme dans ma gorge quand j'aperçois, par-delà ses lunettes à monture noire, son œil gauche complètement transparent. Il lance sa cigarette dans son gobelet de café, et tend sa main rendue libre vers moi.

— Je crois que nous n'avons pas été présentés. Je suis l'insupportable gosse de riche. Ou le Cyclope si vous préférez.

Je me racle la gorge bruyamment et jette un rapide coup d'œil à mon téléphone.

— Je te rappelle.

-------------------------------------

Bienvenue sur cette petite romance de Noël, ma toute première publication sur Wattpad!

N'hésitez pas à voter ! ;-)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top