Chapitre 9
Le lendemain matin, même Amé ne réveilla pas Jules avant dix heures. D'ailleurs, lui arrivait-il de dormir sous son manteau de pierre ? Le garçon ne se permettait pas de demander. À vrai dire, il ne lui parlait très peu ; seule la violette lançait les discussions entre eux.
Jules sortit de sa chambre, les yeux à moitié fermés. En vue de l'état de ses parents, il était le plus réveillé de la maison. Même Bébé dormait toujours suite au médicament de la veille. Heureusement !
Un coude sur la table, Amélie regardait un cachet se dissoudre en un millier de bulles bruyantes dans son verre d'eau. Harry, à côté, étalait sa confiture à la rhubarbe à droite de sa tartine.
Lorsqu'enfin les parents remarquèrent sa présence à l'entrebâillement de la porte, ils saluèrent Jules d'une voix pâteuse. Le garçon prit place devant un bol de céréales. Sous les plaintes fatiguées des deux adultes, ce fut avec hâte qu'il finit son petit-déjeuner ; Luna partirait bientôt fêter Noël chez la famille de son père. S'il traînait trop, les deux amis ne pourraient pas se retrouver avant le soir.
Comme prévu, le message de Luna ne tarda pas. Elle arriverait dans vingt minutes, lisait Jules sur son portable. Il remonta se débarbouiller sans attendre. Puis, il enfila son sweat favori, partit dans sa chambre et y récupéra le cadeau pour Luna. Une figurine d'un film qu'ils affectionnaient tous les deux, personnage au regard vif tenant un sabre laser entre les mains.
Jules attrapa de quoi supporter le froid, pour se rendre enfin dehors, avant la fin du temps imparti. En face, son amie l'attendait. Elle n'avait plus qu'à traverser la route gelée par la nuit d'hiver pour le rejoindre. Sous son bonnet, ses cheveux châtains étaient coiffés en d'inhabituelles tresses accompagnant un jean et, sous son épais manteau, un pull rouge sans doute garni de dessins de rennes.
— Joyeux Noël ! s'exclama Luna sans prendre le temps de vérifier la route avant de traverser. Comment tu vas, mon Jules ?
Le garçon lui assura qu'il allait bien. Sous-entendu : Bébé ne pleurait pas. Car en soit, le fait se montrait si remarquable qu'il mériterait d'être fêté. Mais l'heure était à une tout autre festivité.
— Tiens, s'exclama Luna, ton cadeau.
Le paquet, soigneusement emballé, étouffait sous les rubans. A base rectangulaire, il mesurait les mêmes trente centimètres que le cadeau de Jules qu'il offrit à son amie. Un instant, tous les deux observèrent leur emballage, le secouèrent légèrement ou le touchèrent dans tous les sens. Aucune technique ne leur semblait mauvaise pour deviner ce que le papier cadeau cachait.
Un à un, ils proposèrent une réponse. Sans succès. Leur devinette devint longue et la brise glaçait leurs doigts nus qui se baladaient sur les paquets. Plus que la brise, ce fut même le vent qui s'invita. Aussi froid que la saison le supposait, il lança dans la rue une rafale qui fit trembler autant Luna que la boîte aux lettres de Jules. Ce dernier se décida enfin à arracher les rubans pour découvrir son cadeau, quand la jeune fille remarqua :
— Tu as du courrier.
Un 25 décembre ? Jules crut tout d'abord à une plaisanterie. Et pourtant, lorsqu'il se tourna vers la boîte métallique, une enveloppe blanche luttant contre la force du vent y dépassait. Les sourcils froncés, le garçon l'attrapa. Il écarquilla les yeux devant le nom du destinataire.
— Ma grand-mère paternelle, annonça-t-il.
— Celle que tu n'as pas vu depuis des années ? s'étonna Luna.
Jules hocha la tête, pensif. Il se trouvait face à une situation si étrange qu'il ne savait comment y réagir.
Son cadeau calé sous son bras gauche, il retira la lettre de l'enveloppe. Une feuille blanche, de taille standard et sans artifice. Ancrée sur le papier, l'écriture était soignée, un peu archaïque. La curieuse Luna attrapa l'enveloppe pendant que son ami lut le contenu.
— Il n'y a pas de timbre, réfléchit-elle. Elle a dû la déposer elle-même.
— Elle habite à deux cent kilomètres d'ici pourtant.
— Bizarre... Alors, qu'est-ce que ça raconte ?
Des banalités surprenantes, pensa Jules. Dans la lettre, qu'il lut pour Luna, Jocelyne s'adressait surtout à son fils Harry, tout d'abord pour fêter à toute la famille un joyeux Noël. Elle avait remonté la France pour que la lettre leur parvienne le jour même, car, de toute manière, elle n'avait rien d'autre à faire.
Elle raconta ensuite brièvement la morosité qui avait remplacé son mari depuis maintenant plus de dix ans. Puis, elle remarqua l'absurdité avec laquelle une dispute passée entre frères et sœur avait explosé sa chère famille. Elle ne voyait plus que sa fille Elisa de temps en temps, mais jamais ses deux fils. Et quand Luna demanda à son ami d'arrêter de lui dicter une lettre aussi intime, le garçon découvrit un passage qui le concernait :
« J'espère que le petit Jules va bien. Depuis le temps, il ne doit plus être si petit. La dernière fois que je l'ai vu, il était cloué au lit par un mal de tête. Lui aussi me manque tellement. »
Ému, Jules baissa les yeux avant qu'un coup de klaxon le fit sursauter. Luna lui redonna l'enveloppe et répondit d'un geste à la voiture.
— Mes parents m'attendent. Je dois partir, à bientôt !
— Attends, et notre cadeau !
— On l'ouvrira chacun chez soi, se résigna la jeune fille au deuxième coup de klaxon. J'ai hâte de savoir ce que c'est !
Luna courut vite retrouver la voiture familiale. Un signe de la main échangé avec Jules, et la voilà déjà disparue. Encouragé par le froid, il rentra chez lui.
Le cadeau de son amie dans une main, la lettre de sa grand-mère dans l'autre, Jules retrouva la cuisine, où son père rangeait le pot de confiture. Un espoir ; sans doute devait-il voir dans cette lettre un espoir de revoir sa grand-mère.
Il aurait aimé présenter tout d'abord le courrier à sa mère, mais tout de même, il ne lui était pas destinée. Le garder pour lui, dans ce cas ? Surtout pas, ou l'espoir de revoir la famille réconciliée serait brisé. Mais comment Harry réagirait-il face à une lettre de sa mère ? Lui qui ne lui avait pas adressé la parole depuis des années ?
Tendu, Jules présenta l'enveloppe :
— On a reçu une lettre.
— Qu'est-ce que tu racontes : c'est férié aujourd'hui.
Sa voix se montrait toujours fatiguée par la soirée de la veille. Il scrutait son fils, dont le regard inquiet ne devait pas lui plaire. Le moment n'était pas idéal pour évoquer sa grand-mère, mais trop tard. A force d'hésiter, Jules paraissait ridicule. Il s'efforça de prononcer :
— Ça n'empêche pas de déposer soi-même sa lettre sans passer par la poste.
— Et donc, qui a fait quelque chose d'aussi stupide ?
— Mamie, Jocelyne.
Deux mots qui firent dérailler sa voix. Jules cessa de parler et soudain, fuit du regard le rictus agacé de son père. Harry marmonna dans sa barbe. Des mots que Jules ne devrait pas entendre. Puisque son père refusait d'attraper l'enveloppe qui lui tendait, le garçon la posa sur la table.
— Tu ne veux pas la lire ? insista-t-il.
— Non.
— Elle dit qu'on lui manque.
Le pot de confiture mal rangé glissa pour atterrir sur le carrelage.
— Tais-toi, Jules ! Ce ne sont pas tes affaires.
— C'est ma mamie, quand même.
— Tais-toi !
Prisonnier par les morceaux de verre, le père tourna le dos. Jules essaya de calmer la situation, mais il ne put que faire face à un dos tremblant et des poings fermés.
Comment devait-il réagir ? Devait-il se sentir triste ? Vexé ? En colère ? Les lèvres tremblantes, Jules se tut.
L'indécision lui ordonna de faire volte-face et de rejoindre sa chambre en grommelant comme il avait appris à le faire si bien. Il ne broncha pas lorsque sa mère, interpellée par le fracas du pot, lui demanda des explications. Encore moins lorsqu'elle cria son insolence.
À l'étage, Amé faisait des exercices d'étirement sur la table de chevet. Elle ouvrit la bouche à la vue du garçon, pour la refermer aussitôt. Son visage était clair : il ne voulait rien entendre. L'améthyste respecta son souhait. Avant de craquer dès la minute suivante.
— C'est quoi ce paquet ? demanda-t-elle.
— Un cadeau de Luna.
—Tu en fais une tête ! Vous vous êtes disputés ?
— Bien sûr que non ! C'est rien, t'occupe.
Jules s'installa sur son lit et posa son cadeau à côté d'une Amé boudeuse. Enfin, il attrapa l'emballage et le déchira. Il était temps ! Peu à peu, une boîte se dessina sous le papier aux motifs de flocons.
Tous les rubans de côté, Jules découvrit à l'intérieur du cadeau une figurine ; la même qu'il avait offerte à Luna, voilà cinq minutes de cela. Le garçon en rit, toujours sous le regard inquisiteur d'Amé.
Soudain, son portable vibra. Jules l'attrapa et vit la photo de profil de Luna danser sur l'écran. Son message fit bouder Jules autant qu'Amé.
« On n'a pas reparlé de la soirée chez Arthur : tu es partant ou pas, finalement ? »
Les tourments du garçon revinrent, et de son côté, Luna le craignait. Il suffisait de compter les émoticônes qui parsemaient son message pour constater sa gêne.
Mais Jules céda. Par magie de Noël et amitié, il accepta la proposition. Non sans souffler dans son coin. L'idée de voir Arthur ne l'enchantait pas, loin de là. Rapidement, Luna dériva la conversation sur l'anniversaire prochain de Jules. Elle qui avait seize ans depuis mars, il était temps que le garçon la rattrape !
Une dernière fois, son téléphone vibra. Jules sourit à la vue du nouveau message.
« Au fait, tu as de très bons goûts en cadeaux. »
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