Chapitre 8 (1/2)
Les bougies qui dansaient, la musique qui chantait et l'odeur de dinde qui embaumait la pièce : dans le salon des grands-parents, on ne voyait et ne sentait que Noël.
Chaque membre de la famille se trouvait assis à sa place habituelle : Gérard et Suzanne au bout de table, Diane et Jérémy à leur droite, Jules et ses parents à gauche. Ils savouraient les plats de la grand-mère comme ils se le permettaient à tout repas de famille. Un détail cependant rendait celui-ci bien différent : c'était Noël.
Et ce Noël se montrait lui-même particulier, car Diane et Jérémy s'apprêtaient à annoncer une grande nouvelle.
— On va être parents ! annonça ce dernier son verre levé.
Jules manqua de s'étouffer. Il avait beau être au courant, l'entendre une seconde fois lui faisait autant d'effet. Autour de lui, les couverts cessèrent de s'entrechoquer, si bien qu'il crut un instant que toute la famille se trouvait dans le même état second que lui. Jusqu'à ce que les visages autour de la table s'illuminèrent. Ce fut Suzanne qui s'exprima la première.
— Mon fils va être papa : quelle nouvelle ! Félicitations !
— Félicitations tous les deux ! enchaîna Amélie. J'ai encore les vêtements de Jules bébé, je pourrais vous les prêter. Vous avez déjà une poussette ?
— Merci grande sœur, mais on n'en est pas encore là, tu sais !
— Je comprends enfin pourquoi tu refuses mon champagne, s'exclama Gérard pour Diane.
Ainsi, chacun y alla de son grain de sel. Jules avait terminé sa part de dinde quand celles des autres devaient déjà être refroidies. Suite aux incessantes questions, la famille apprit que la future maman en était à bientôt trois mois de grossesse. Elle et son compagnon auraient eu tout le loisir de l'annoncer plus tôt, remarqua Gérard, mais ils avaient préféré attendre un peu. Diane n'osait plus rien annoncer depuis ses nombreuses fausses couches, au moins avant ces fameux trois mois. Pour ça, Noël se présentait en l'occasion parfaite.
On demanda ensuite s'ils attendaient une fille ou un garçon. Ils ne savaient pas pour l'instant, et n'avait aucune préférence.
L'interview devint sérieusement longue. De tous, la mère de Jules devait sans aucun doute être la plus bavarde. Son fils ne s'en étonnait pas.
— Il faut que je vienne vous aider pour la chambre, pensa-t-elle. Vous avez déjà des idées de décoration ?
— Amélie... Une chose à la fois !
La concernée s'indigna face à la réponse de son petit frère. La chambre était un élément essentiel au développement du bébé, paraissait-il. Quand elle affirma que Jules se sentait en parfaite symbiose avec la sienne, le concerné leva discrètement les épaules et les sourcils à son parrain. De quelle couleur était sa première chambre, déjà... ?
— Et le prénom, continua Amélie, une idée ?
Le couple phare lista leurs idées variées. Si tous les adultes glissaient tour à tour leur magnifique proposition, Jules gardait la tête baissée. Aucunes de toutes les questions posées ne lui avaient traversé l'esprit auparavant. Seuls le choc et la peur l'avaient hanté. Ces questions : voilà donc la réaction que son parrain avait en partie attendu de lui.
L'assiette à peine entamée, Jérémy gardait un chaleureux sourire devant le pénible interrogatoire de la famille. Auquel il prenait même plaisir à répondre. Son sourire, le garçon n'avait pas été fichu de lui offrir.
Entre les bougies et les guirlandes, Jules n'osait même plus regarder son parrain, se concentrant plutôt sur les bonnets de Noël déposés sur les vases du salon. Soudain, il bougea la tête ; la réflexion de sa mère le fit tressaillir.
— C'est Jules qui doit être ravi, remarqua Amélie. Lui qui se plaignait toujours d'être le seul enfant de la famille !
Heureusement que le concerné avait terminé son plat, ou il s'en serait étouffé une seconde fois. Toujours le mot pour l'agacer, sa mère ! Jules pourrait bien confirmer s'être plaint du manque de cousins, mais il évoquait là des enfants de son âge. En aucun cas un bébé de seize ans son cadet !
Le garçon se crispa ; quand on parle de Bébé, voilà qu'il finit par faire entendre sa voix. Un petit chouinement, rien de plus. Seulement de quoi faire grimacer Jules. Il annonçait cependant la crise infernale imminente. Encore une.
— N'est-ce pas, Jules ?
Il hocha la tête à l'insistance de sa mère. Sans forcer pour ne pas plus énerver le bambin. En triturant Amé, le garçon fit face aux airs ravis de ses parents et grands-parents. Jérémy et Diane, eux, baissèrent la tête, gênés. Sans doute cette dernière avait-elle été mise au courant de sa réaction passée. Jules n'osa plus la regarder.
Enfin, les assiettes se vidèrent. L'adolescent, muni de ses connaissances de physique, aurait bien deviné la température atteinte par les plats, après trois quart d'heures à refroidir. En chœur, on assura à Suzanne que le repas était succulent. Seul Gérard ajouta un petit bémol : la dinde, un peu trop froide à son goût.
Le fromage sacré suivit, puis, la grand-mère amena la bûche au chocolat. Noël oblige, son mari réclama la distribution des cadeaux. Sous les cris du Petit papa Noël, on invita Jules à rejoindre le sapin.
Bébé se montra encore assez supportable pour permettre au garçon de tourner la tête. D'un pas lasse, il rejoignit l'arbre au coin du salon. Chétif, le poids des guirlandes manquait de le faire crouler. Il apparaissait à Jules beaucoup plus petit que ceux de ses premiers souvenirs. Pourtant, sa grand-mère lui assurait n'avoir jamais changé de dimensions.
Puisque son rôle d'enfant le lui imposait, le garçon distribua un à un les cadeaux. Comme le sapin, leur taille rapetissait au fil des années, et cette fois-ci, rien à voir avec une impression.
Dès qu'il se penchait pour attraper un paquet, Bébé se montrait mécontent. Sa tête lui lança lorsqu'il déchiffra un nouveau prénom. Malgré tout, Jules distribua les cadeaux. À son grand-père, puis à Diane, son grand-père à nouveau, sa mère ensuite. Tous aussi fins les uns que les autres, leur format suffisait à deviner qu'ils renfermaient pour la plupart de futiles cartes cadeaux.
Une fois le sapin seul, on se débarrassa des papiers. Jules découvrit un nouveau portable dans sa pile de cadeaux. Amélie se tourna vers lui pour s'assurer qu'il en soit ravi. Il l'était, ou du moins le serait davantage plus tard, lorsque Bébé se serait calmé. Le garçon remercia sa famille, en espérant qu'il n'ait pas fait trop mauvaise figure.
Minuit dix sonna ; les emballages dépassaient de la poubelle. Jules avala sa part de bûche, puis, lorsqu'il ne resta plus que les tasses de cafés et les discussions d'automobiles autour de la table, le garçon s'éclipsa. Ainsi le lui permettait son éphémère rôle d'enfant, car quitte à l'être, autant en profiter.
C'est bon Bébé, tu vas l'avoir ton médicament. Pas besoin de hurler !
Il attrapa sa trousse laissée dans le vestibule, puis monta les escaliers. À l'étage, le garçon s'enferma dans la chambre d'amis et se laissa tomber sur le lit. Les chants de Noël résonnaient encore un peu entre les murs tapissés, mais au moins, il n'entendait plus la voix aiguë de sa mère.
La tête lourde, Jules sortit de sa trousse une bouteille d'eau et un cachet. Il le fallait, vite, ou alors Bébé deviendrait plus insupportable qu'Amélie et le lecteur CD de son grand-père réunis. Et même bien plus.
Vite, il dévissa le bouchon. À en oublier presque de respirer. Si Jules attendait trop pour le calmer, alors un médicament ne suffirait pas à endormir l'insupportable.
Une fois le cachet lancé dans sa bouche, il amena la bouteille au bord des lèvres. L'eau glissa le long de sa gorge, quand une ombre violette sortit de sa poche.
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