Chapitre 35
Il n'avait pas osé confier Amé le lundi matin. Retenu par ses doutes, par Luna qui peinait à accepter l'idée de ne jamais la découvrir. Et lorsqu'à midi, Elisa lui avait annonça que sa mamie avait dû se rendre à l'hôpital, il n'avait pensé à rien d'autre du reste de la journée.
Jules apprit le soir même que son père avait passé la matinée avec Jocelyne. Ce fut sa mère qui lui annonça. Harry n'en parla pas. Pas d'explication, pas de retour, rien. Il demanda à son fils de lui passer le sel, et n'ajouta rien du dîner. Plus Jules y pensait, plus il se disait que le premier homme de sa vie était aussi le plus mystérieux.
Il n'obtiendrait sûrement pas tous les détails de sa part, mais dès la fin de ses cours du lendemain, il demanderait des nouvelles à sa mamie. Au moins pour savoir comment elle se sentait.
Il avait la veille annoncé sa réconciliation avec ses parents à sa mamie, qui ce jour-ci venait de lui répondre "C'est bien, je suis soulagée". Un message court, trop court pour Jules... Il l'appellerait dans l'après-midi, une fois sorti du lycée.
Mais avant cela, il comptait bien réaliser enfin son devoir : donner Amé. À chaque intercours, il scrutait les couloirs dans le but d'y trouver Faustine.
En fin de matinée, à la sortie du cours de français, les premières S exhibaient leur copie de bac blanc ou la cachaient sous leur épaule. Rare était ceux qui gardaient un visage neutre ; il n'était pas bien vu de ne pas expliciter sa note de français.
Jules suivait Luna dans le banc d'élèves. Cette dernière gardait la tête haute, sa copie fièrement présentée. À l'autre bout du couloir, Arthur l'attendait.
— J'ai eu quatorze ! se réjouit Luna.
Arthur l'enlaça, emporté par sa joie. Lui aussi s'affichait de ceux dont la note était une fierté. Luna s'émerveilla à l'annonce du seize de son copain.
— Et toi, Jules ? demanda le garçon.
Quatorze, comme sa meilleure amie. Arthur, qui devait se douter que Jules était habitué à de meilleures notes, ne sut comment réagir. Il hocha la tête sans pouvoir s'empêcher de se frotter la nuque.
— T'inquiètes pas, rit alors Jules. J'en suis satisfait, surtout que je n'ai pas une si bonne moyenne en français. Pour un devoir fait avec Bébé qui pleurait, c'est inespéré.
— Bébé ?
Luna hoqueta de surprise. Jules balbutia, la regarda l'air perdu.
Quelle bourde !
Et son amie soudain lui proposa par le regard d'expliquer à Arthur. Mais le brun grimaça. Il n'était pas prêt à en parler, sa confiance était encore trop fragile. Il demanda à la jeune fille de l'excuser.
— C'est compliqué, dit-il pour enterrer le sujet, je t'expliquerai plus tard.
Le grand garçon et Luna montrèrent tous deux une mine déçue, mais acceptèrent son choix. Très vite, leur attention retourna à leurs résultats de Bac Blanc. Ainsi, à la traversée des couloirs lumineux, le trio put rejoindre la cantine en apportant leur bonne humeur. Jules chercha Faustine pour l'inviter à manger, mais remarqua vite qu'elle était déjà installée avec des camarades. La frustration s'immisça durant le repas tandis qu'ils mangèrent à trois. Tant pis ; le garçon aurait, du moins l'espérait-il, d'autres occasions de lui parler.
Il la revit à la pause de quatre heures, chercha à la rejoindre mais la perdit de vue dans la foule. Luna pensa que c'était un signe qu'il ne devait pas la donner, mais Jules ne l'écouta pas. Le moment était venu, il le savait, il le ferait.
À la fin des cours, Luna accompagna Jules à la salle des premières ES, dont elle connaissait par cœur l'emploi du temps. Une fois qu'Arthur arriva, elle le rejoignit sans attendre. Une tape à l'épaule à l'intention de Jules et les deux meilleurs amis se quittèrent.
Le garçon scruta le couloir, là où une fine ombre s'envolait au loin ; Faustine partait déjà ! Pressée ? Peut-être pas : la brunette marchait toujours vite. Il se précipita en bousculant deux ou trois élèves au passage, mais trop tard : arrivé à l'embranchement du couloir, il la perdit de vue. Il soupira avant de sortir du lycée. Il s'excusa quand les camarades bousculés l'apostrophèrent derrière lui.
À l'extérieur, les nuages laissaient place au soleil. Jules traversa la route. Le vent sur son visage se montrait aussi doux que les rayons de chaleur venant du ciel ; ni trop frais ni trop écrasants. Il faisait beau, tout simplement.
Le garçon tourna à droite pour rejoindre son arrêt. Soudain, il s'arrêta ; Faustine attendait le bus d'en face. Elle restait sans bouger, à regarder les nuages qui passaient avec un émerveillement que Jules ne comprenait pas.
Ses jambes tremblaient légèrement ; il ne comprit pas pourquoi. Après avoir toussoté pour vérifier que sa voix n'avait pas disparu, il rejoint l'arrêt opposé au sien et salua timidement son amie. Elle l'interpella aussitôt.
Sans attendre, Faustine embraya la discussion sur les notes de français. Elle se montra ravie de son treize. Jamais elle ne demanda ce que Jules fichait là à son arrêt de bus.
Forcément, il peina à trouver le bon moment. La jeune fille ne cessait jamais de parler et lui n'avait guère envie de commencer. Elle s'arrêta un instant pour respirer, alors Jules sauta sur l'opportunité. Non sans peine, il demanda :
— Au fait, ta grande sœur, comment ça va avec son bébé ?
— Pas très bien... Il a pleuré hier. Elle dit qu'elle a l'habitude et que ce n'est rien, mais bon ce n'est jamais facile.
— Si ça peut l'intéresser, peina-t-il à prononcer, j'ai quelque chose qui pourrait l'aider : regarde.
— Quoi ? Cette pierre ? Qu'est-ce que c'est ?
Faustine fixait Amé, mi-suspecte mi-émerveillée ; tout comme Jules la première fois, mais avec l'émerveillement en plus. Après hésitations, il accepta, à contre-coeur, de la glisser dans les main de Faustine et expliqua :
— C'est une améthyste. Si elle la garde sur elle tout le temps, ça pourrait l'aider à le calmer.
— Vraiment, tu me jures ? Tu as essayé ?
— Oui.
— Et ça marche vraiment ? Ton bébé a pleuré il n'y a pas longtemps pourtant.
— C'est vrai que Bébé ne s'est pas beaucoup calmé ces temps-ci, mais moi si.
— Je comprends rien...
— Tu veux bien l'offrir à ta grande sœur ? Tu peux toujours lui proposer, et si jamais elle refuse, on trouvera bien quelqu'un d'autre d'intéressé.
Elle sourit jusqu'aux oreilles, brandit Amé et la fit disparaître dans sa poche. La pierre avait disparu.
— Je lui en parlerais. Merci Jules, c'est vraiment gentil !
Il s'efforça d'égayer son sourire triste. Amé allait le quitter, et dans l'instant, le bus de Faustine arriva. Celui de Faustine et d'Amé. Jules regarda son amie partir. Il avait toujours l'impression qu'en marchant, elle sautillait. Amé devait se sentir secouée dans sa poche de veste.
Pour le garçon, l'affiche des horaires prévoyait l'arrivée de son bus dans dix minutes : le temps lui suffisait pour s'éclipser et enfin envoyer le message prévu à sa grand-mère. Le dernier sur la conversation avec sa mamie était le « c'est bien, je suis soulagée » de la veille. Avec son « Bonjour mamie, j'ai appris pour hier, tu vas bien ? », le garçon espérait avoir plus de nouvelles.
Il eut un appel quatre minutes plus tard, d'Elisa. Jules crut d'abord que son portable se trompait, mais les machines ne font pas pareille erreur. Une coïncidence, sans doute. Néanmoins, il décrocha le bras tremblant.
— Jules... Je dois te dire, pour ta mamie... Les médecins, ont tout essayé... Je suis désolée...
Pas besoin de plus ; il avait compris. À vrai dire il n'écouta même plus. Elisa avait dû redoubler de courage pour employer Le mot, elle ne cessait de trembler là où elle était, mais pour Jules, l'écouter était trop difficile.
— Et mon père, dit-il faiblement, il est au courant ?
— Pas encore... Je vais devoir l'appeler.
La discussion ne s'éternisa pas, car de toute manière, rien n'était éternel. Au moment de raccrocher, le garçon laissa glisser son portable. Il s'assit, ne le rattrapa pas. Son bus partit, mais il resta sans bouger. Et soudain, alors que la voix de Jocelyne dans sa tête le berçait, Jules laissa perler sur ses joues des larmes salées. Pour la première fois, Bébé n'était plus le seul à pleurer.
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