Chapitre 33

Depuis près d'une vingtaine de minutes, Jules resta planté devant son ordinateur. Bébé, qui avait pleuré la veille, avait fait reculer l'instant, que Jules redoutait toujours autant. En ce samedi après-midi pluvieux, il resta en tailleur sur son lit.

— Qu'est-ce qui te fait encore hésiter ? s'impatienta Amé.

Il grommela sans chercher à se faire comprendre :

— Je sais pas... Ça c'est mal passé la dernière fois, et puis quand même...

— Je suis convaincue que, si ça ne s'est pas très bien passé, c'est que tu ne voulais pas faire d'efforts, je me trompe ?

Sans oser l'avouer pour autant, Jules ne pouvait pas lui donner tort. Il se remémora l'événement pour mieux l'analyser. Voilà plus de trois mois déjà que son rendez-vous chez une psychologue était passé.

Ce jour-là, ils étaient deux dans la salle d'attente : Jules et une femme aux cheveux longs et les cernes sous les yeux. Elle triturait son trousseau de clefs tout en jetant des regards dans chaque recoin.

Les murs étaient peints d'un vert écœurant ; Diane elle-même l'aurait trouvé de mauvais goût. Dans un coin était posée une boîte à jouets démodés, dans les autres des plantes rougeâtres se tassaient. Elles n'avaient plus vu une goutte d'eau depuis des années. Chaque centimètre carré donnait envie à Jules de fuir. Il espérait qu'il en soit de même pour la femme, qui depuis quelques secondes fixait désormais le plafond.

Son portable lui annonça dix minutes de retard. Il fixa le vieux bout de bois qui servait de table à prospectus pour s'occuper. Le dernier numéro datait de 2008.

Enfin, la porte au fond de la salle s'ouvrit. Elle laissa partir une jeune femme, en pleurs. Le garçon attendit qu'on l'interpelle, mais la porte se referma.

Il serra les poings contre les genoux, leva les yeux au plafond. Même sans la regarder, il sentit la femme dans la salle trembler. La porte tardait à l'accueillir. Que faisait-on dans cette salle ? Jules aurait aimé que Luna l'accompagne... Il attrapa son portable pour passer le temps et le stress.

Le grincement de la porte le fit sursauter.

— Jules Duval, annonça une voix aigüe, forte, et qui semblait fatiguée.

Il déglutit et se leva. La femme derrière la porte cachait ses lunettes carrées sous des cheveux grisâtres et décoiffés par les heures de travail passées. Une fois le garçon devant elle, il découvrit une femme presque aussi grande que lui, mais qui devait peser deux fois moins. Il s'efforça d'accepter sa poignée de main, et laissa la porte se refermer derrière lui. La patiente qui attendait disparut de sa vue.

— Tu te décides, oui ou non ? Le fit sursauter Amé.

— C'est pas un choix facile...

Comme sorti brusquement d'un rêve - ou plutôt un cauchemar -, le garçon regarda la fée avec aigreur. Devant ses yeux, son écran s'était mis en veille ; il le ralluma pour retrouver la page de prise de rendez-vous.

Son souvenir ne l'avait pas rendu serein. L'idée de retourner dans ce cabinet lui donnait la nausée : pourquoi serait-ce différent avec un autre ? Jules se massa la tempe avant d'intervenir :

— Et si je le regrettai ?

— Et si tu regrettais de ne pas le faire ?

— Tu ne m'aides pas en disant ça !

— Jules, le calma-t-elle, il ne s'agit pas du même psy que la dernière fois. Tu as la possibilité de tout reprendre comme si rien ne s'était passé : ne pars pas avec des aprioris.

Il entendait ses arguments, mais peinait à les recevoir. Parler à un inconnu, se rendre au lieu de rendez-vous, le cacher à ses parents, trouver une date, ... Tout lui semblait insurmontable, pire qu'une épopée. Sa seule motivation était de pouvoir annoncer la nouvelle à sa mamie. Elle serait si soulagée de le savoir accompagné.

— Le 20 avril, qu'en penses-tu ? C'est pendant les vacances, ça ne devrait pas te poser problème, je suppose.

— Non, en principe... J'en parlerai à Luna, et dirai à mes parents que je serai de sortie avec elle. Ils ne devraient se douter de rien.

Jules imaginait déjà Luna ravie de la nouvelle, elle qui l'avait tant poussé à prendre un rendez-vous en novembre ! Mais Amé eut une autre pensée en tête :

— Et si tu en parlais plutôt à tes parents ? remarqua-t-elle. Ta santé les concerne, du moins en partie. Bien sûr, tu devras t'excuser avant pour la dernière fois, mais il est tant que vous vous réconciliez.

— Une chose à la fois !

— Tu ne devrais pas trop tarder non plus.

Sous l'effet de la frustration, le garçon appuya sur "prendre un rendez-vous", et ceux sans même y réfléchir. Des gouttes de sueur perlèrent dans son dos aussitôt.

— Bravo ! le félicita Amé. Tu vois que ce n'est pas difficile.

Pourtant, Jules s'éloigna de son ordinateur comme il aurait rendu une copie de géographie. Quelle idée folle avait-il eu ! Et cette idée, c'était Jocelyne qui la lui avait donnée. Alors qu'Amé s'exclamait encore de sa prouesse, le garçon décida que changer d'air l'aiderait à se calmer.

— Je file, lança Jules qui déjà avait rejoint la porte. Je dois acheter un cadeau pour demain.

— Pour demain ? Je vois que tu es prévoyant !

Il ne l'écouta pas et attrapa la poignée. La seconde suivante, il la lâcha :

— Jules, écoute-moi, annonça presque gravement Amé.

Son ton n'était pas aussi léger et fluet que d'habitude. Pour dire vrai, jamais elle ne lui avait semblé si sérieuse.

— Ça va faire bientôt cinq mois que je suis à tes côtés, et je dois avouer être satisfaite de tes progrès.

— Dis-moi où tu veux en venir, s'impatienta le garçon, qui connaissait pourtant déjà la réponse.

— Il serait temps, n'est-ce pas ? Que tu te débrouilles tout seul.

Il se figea contre toute attente. Quelques semaines auparavant, il aurait sauté au plafond, mais ce jour-ci, les paroles de la petite fée lui plaisaient beaucoup moins.

— Pourquoi une tête pareille ? demanda Amé.

— Je... C'est que je n'avais pas réfléchi au fait que tu partes un jour.

— Crois-moi, me séparer d'une personne que j'ai aidé est toujours une épreuve... Mais il le faut, Jules. D'autres ont besoin de moi.

— Je vois...

— Tu es triste de me quitter ?

— Pas spécialement !

Elle rit. A force, les parents du garçon allaient croire qu'il cache une petite fille dans son armoire. Lui, il n'avait pas envie de sourire, mais ça, il ne le dit pas à Amé.

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