Chapitre 32
Un contrôle pas très fameux en histoire, une remarque déplacée de la professeur de SVT, des pâtes à la cantine, un dix-neuf au dernier devoir de maths ; la journée de Jules se résumait par un mot : ordinaire.
À défaut de ses réflexions sur son après-midi de la veille, à Arras avec sa grand-mère. Ses questions sans les réponses, les mystérieux sourires nostalgiques, ... Tout lui revenait en tête et lui laissait un arrière-goût amer.
Et puis la dernière sonnerie du dernier cours le délivra de ses songes. Il courut vers son bus avec Luna. Leur discussion, tout autant ordinaire que leur journée, faisait malgré tout preuve à chaque fois d'un vent de fraîcheur et de renouveau.
— Et avec tes parents, demanda Luna, comment ça se passe ?
— C'est à peine si on se dit bonjour... Depuis notre dispute la semaine dernière, rien n'a changé.
— Tu as l'air d'avoir de la peine, et je comprends. Tu as essayé de t'excuser ? Ils seraient compréhensifs ; si tu demandes pardon, tout devrait rentrer dans l'ordre.
— Mais ce n'est pas si simple !
— Sûr... Mais il faut passer par là. Surtout que tes parents ne risquent pas de le faire à ta place. Ce n'est pas pour rien que leur fils est têtu ! Allez, courage, mon Jules !
Il soupira. Pourquoi la famille était-elle toujours source de problèmes ? Même sa mamie se sentait coupable de sa dispute depuis qu'il lui en avait parlé la veille... Peut-être que cette vérité, Jules aurait dû la lui cacher.
Il soupira. Puis regretta de ne pas avoir gardé son souffle pour soupirer la seconde qui suivit ; Arthur s'approcha de Luna. Il sembla à Jules que le bus du grand garçon châtain était en train de partir.
Forcément, Luna s'élança vers Arthur à son tour. Devant Jules, les deux tourtereaux s'émerveillaient déjà de se voir avant de partager le moindre mot. Il fallut plusieurs dizaines de secondes au châtain pour remarquer la présence de Jules. Il le salue, l'air faussement souriant.
Faussement ? Non, peut-être pas en fin de compte. Il n'en avait pas l'air... Ou plus l'air, ou peu importe. Jules s'efforça de sourire en réponse, sans doute dans un rictus ridicule.
Fais un effort, Jules. Même si sur ton visage il paraît faux, souris jusqu'à ce qu'il devienne vrai.
— Tu es libre ? demanda le prince à Luna. Il fait beau aujourd'hui, qu'est-ce que tu penses de se balader tous les deux ?
Luna se tourna vers Jules, totalement perdue. Le garçon s'apprêta à lui rendre un "vas-y, ce n'est pas grave" déçu, lorsqu'elle refit face à Arthur, l'air gêné.
— C'est une bonne idée, mais j'ai prévu d'aller chez Jules, expliqua-t-elle. Désolée, une autre fois, d'accord ?
— Mince... Pas de soucis, passez un bon aprem, alors !
— Sinon, Arthur peut venir avec nous. Si tu veux bien, Luna.
Jules n'en revenait pas lui-même. Pourquoi a-t-il proposé une chose pareille ? Tout comme dans ses rêves d'enfance, il venait d'arrêter le temps ; plus personne ne bougea. Puis, délivrés de leur sort, Arthur et Luna se retournèrent vers lui, ahuris. Ils ne réagirent pas davantage. Jusqu'à ce que Luna communique sa joie. Arthur, lui, resta sans voix.
— Ça ne te dérange pas, tu es sûr ? finit par demander ce dernier.
Un peu quand même...
Mais Jules assura que non. Arthur se tourna ensuite vers Luna, qui, un quart de lune sur les lèvres, hocha la tête à s'en tordre le cou. Il accepta alors, non sans sourire à son tour.
Une fois le bus de garçon arrivé, le châtain hésita malgré tout à mettre un pied dans un autre véhicule que le sien. Comme s'il craignait d'être rejeté par une quelconque force centrifuge la seconde suivante. Le prince charmant perdait finalement vite confiance.
Le long du trajet, Jules parla peu. Face à la gêne d'Arthur, il essaya pourtant, évoqua les plaisanteries de Faustine à la cantine, puis demanda les nouvelles de la journée. Sa voix déraillait, mais il essaya. Et puisque les sujets qu'il abordait ne semblaient intéresser personne, il ne se contenta plus que d'écouter Luna.
Soudain, sans prévenir, alors que le panneau de sa ville venait de passer devant la tête du brun, Arthur parla de son chien. Du jouet que lui avait conseillé Jules le jour de leurs révisions. Avec, son Berger allemand s'amusait comme un fou, disait-il. De l'arrêt de bus jusqu'à l'adresse de Jules, ce fut Luna qui les écoutait sans parler. Elle était plus heureuse encore qu'en discutant avec l'un d'entre eux.
Arthur chercha les parents du regard dès qu'il eut franchi la porte. Jules lui indiqua qu'ils travaillaient encore.
— Ça ne les dérange pas que je vienne ?
— Je sais pas.
Comme la table du salon était plus confortable que son lit et qu'aucun parent ne s'y trouvait, Jules proposa à ses deux invités de s'y installer. Il partit quelques instants pour revenir avec une boîte de biscuits et un jeu de cartes.
Luna expliqua à Arthur qu'elle et Jules comptaient jouer au Juna, un jeu qu'ils avaient inventé eux-mêmes. Sans surprise, l'invité ne cacha pas son enthousiasme. Son esprit joueur et curieux l'incita à accepter.
— Les règles sont simples, se réjouit la jeune fille. Au début, chacun reçoit sept cartes. Le premier joueur en pose une, ou plusieurs, mais avec le même numéro. On additionne le nombre de points que valent ses cartes ; l'As vaut quatorze, le Roi treize et ainsi de suite jusqu'au Deux qui vaut deux. Le deuxième joueur fait pareil, puis le troisième. Celui dont la mise vaut le plus de point prend les cartes de tout le monde. On pioche le nombre de cartes pour en avoir sept, et on recommence.
— Donc l'objectif est de gagner le plus de points ?
Luna hocha la tête, fière de son explication. Tous prirent un ou deux biscuits - Jules s'en contenta d'un seul -, et le brun distribua les cartes. Le jeu commença.
Tout d'abord, la partie se fit en silence ; Arthur se concentrait pour comprendre, démuni face au double roi de Jules. Avec trois Valets, il gagna la prochaine manche et une once de fierté. Luna le félicita avant de remporter à son tour quelques cartes. Les deux meilleurs amis se concentraient pour trouver la tactique idéale, et quand Arthur eut bien compris les règles, il se prit au jeu.
Luna ramassa les deux As de Jules avec ses trois dix. Amélie rentra de son travail. À la porte qui s'ouvrit, Arthur sursauta avant de la saluer poliment. Elle le scruta, répondit par un bonsoir fatigué - étonnant venant d'elle - fixa Jules, le regard rempli de questions puis monta à l'étage, sans rien ajouter de plus que "tu nettoieras la table, il y a des miettes partout". Puisqu'il faisait les yeux ronds, Luna précisa à Arthur que la situation familiale n'était pas idéale. Joli euphémisme.
Après s'être excusé, Jules se décida à passer un coup d'éponge. Il jeta le paquet de biscuits vide, et la partie put repartir. Arthur ramassa fièrement la manche. Luna remporta la suivante. Seule une dizaine de cartes gagnées accompagnait Jules. Les sept et le huit qui se battaient dans sa main le frustraient. Si ça continuait, il allait...
Non, peu importe qu'il gagne ou non : l'important était ailleurs. Et le moment qu'il redoutait et attendait, il le sentait, était venu.
Amé semblait d'accord ; elle se cognait contre la poche du garçon pour l'inciter à agir. Il croirait presque qu'elle pouvait lire dans les pensées. Mais c'était que le garçon lui avait déjà évoqué son souhait, et comme lui, elle avait su trouver le moment idéal.
Jules ajouta dix ridicules points à son compteur. C'était déjà ça, après tout. Il puisa dans sa satisfaction le courage nécessaire. Luna se tourna vers lui ; pour sûr, elle avait compris.
— Comme vous êtes là tous les deux, j'aimerais en profiter, pour vous dire...
Il cessa, se racla la gorge, et peina à repartir. Sa mère descendit chercher un café sans un regard. Tous les adolescents retenaient leur respiration. Luna et Arthur fixaient Jules, qui, agacé, regarda Amélie rejoindre les escaliers. Lorsqu'elle fut partie, il annonça enfin :
— Je vous souhaite d'être heureux, tous les deux. C'est vrai que je n'ai pas toujours été sympa, enfin, un peu jaloux. Un peu... Mais c'est ridicule. Vous méritez d'être heureux, peu importe comment je réagis.
Il s'arrêta là, plus gêné encore qu'à son oral blanc de Français. Personne ne réagit. Alors il osa lever les yeux : Arthur béait, perdu tel un automate dysfonctionnel. Luna, elle, lâcha ses cartes. Du mauvais côté : on les lisait toutes.
— Merci, s'émut-elle après des secondes de silence.
— Oui, dit finalement Arthur, merci.
Luna décida la première à reprendre la partie, non sans bafouiller. Jules tremblait encore d'émotions lorsqu'il jeta son neuf. Arthur le ramassa, le visage figé, incapable de réagir correctement.
Tu n'es pas seul : moi non plus je n'en reviens pas.
La pioche se vida. Les dernières manches étaient là et le gagnant était à coup sûr déjà déterminé. Avant de lancer ses dernières cartes, Luna ajouta.
— Merci d'être mon meilleur ami, mon Jules.
Il sourit, puis béat, puis rougit, puis resourit. Il posa à son tour ses dernières cartes, et compta ses points malgré sa dernière place certaine.
Arthur applaudit Luna, qui répétait fièrement qu'elle avait remporté la victoire. Jules en rit. C'était la première fois qu'il riait après avoir perdu.
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