Chapitre 31

Le moteur de la voiture fut coupé. Jules ouvrit la portière, sortit, suivit Jocelyne. Elle respira l'air frais et humide de la ville, comme pour s'en imprégner, avant de se rappeler qu'elle n'était pas venue seule. D'un geste, elle invita son petit-fils à se diriger vers la droite. Il observait tout.

Côte à côte, Jules et Jocelyne remontèrent une rue pavée, entourée de voitures et de magasins. Le garçon dut tordre le cou pour en admirer les toits. Avec sa grand-mère, ils restèrent muets lorsque devant eux se dessina la célèbre place qu'ils recherchaient.

Tout autour, des terrasses accompagnaient les commerces, installés sous les abris tenus par leur arc en plein cintre. Au-dessus, sur plusieurs étages, se dressaient les immeubles et leur pignon à volutes, blancs, ivoires et pour certains rouges. Ils n'étaient pas sans couleurs, belles fenêtres et autres ornements. Pourtant, ils faisaient pâle figure, face au monument qui présidait l'endroit ; le beffroi, aux détails microscopiques et la taille gigantesque, émerveillèrent Jules.

Il était haut, fier et lumineux, et l'adolescent avait beau manquer d'intérêt pour l'art de l'architecture, il ne pouvait s'empêcher de l'observer. Il serait même curieux d'en connaître les mystères de sa création. La ville d'Arras : pour toutes ses merveilles, Jules l'admirait.

— Tu es déjà venu ? demanda Jocelyne

— Quelques fois, mais c'était il y a des années. Toi ?

— Oui.

Elle levait les yeux vers le beffroi. Dans ses pupilles, Jules crut apercevoir un enchaînement de souvenirs qui la rendaient nostalgique. La raison de sa venue ici dépassait à coup sûr la beauté de la ville. Intrigué, le garçon comptait bien comprendre. Il fit remarquer, l'air étonné :

— Tu n'es pas de la région pourtant : c'est à des heures de chez toi.

— C'est que je m'y rendais pour voir Harry, expliqua-t-elle. Quand il a commencé à travailler ici, il affirmait ne plus avoir le temps de retourner voir ses parents, même de temps en temps. Alors c'était moi qui me déplaçais pour passer du temps avec mon fils. Pierre venait avec moi, parfois.

Elle ne cachait plus ses yeux humides, et Jules ne savait plus comment se tenir. Il lui semblait être dans une bulle, que les enfants qui couraient sur les pavés ne pouvaient voir. Il sursauta lorsque sa mamie se ressaisit soudain :

— Ne restons pas planté là ; allons nous asseoir !

Sans un bruit, Jules acquiesça avant de se diriger vers les terrasses. Le soleil, bien qu'encore timide, réchauffait suffisamment la peau pour inviter les touristes et autochtones à s'installer sur les chaises posées sur les pavés.

Le garçon suivit sa grand-mère qui passait devant les tables, pour la moitié occupée, sans s'en préoccuper, le regard droit devant. Il n'avait pas le temps de lire les cartes pour choisir le meilleur café que Jocelyne se trouvait déjà cinq mètres devant. Puis elle s'arrêta face à une enseigne aux couleurs chaudes et au mobilier modeste. Son air satisfait suggéra à l'adolescent qu'elle cherchait le bâtiment depuis le début. Il aurait confondu sa mamie avec Faustine devant sa salle de cinéma.

— Ça te convient ?

Jules ne se voyait pas répondre par la négative ; il accepta sans hésiter. Jocelyne trouva donc une table où s'installer, petite et modeste, mais protégée du vent et des passants. Elle commanda un café, Jules un jus d'abricot.

— Que cette ville est magnifique ! s'exclama Jocelyne. Elle devrait être plus connue.

Jules acquiesça sans oser partager davantage son émerveillement face à l'architecture qui l'entourait. Il voulut en profiter, prendre un temps pour observer les pavés et les nuages, comme il l'aurait fait avec Luna. Mais sa mamie se montra plus bavarde que son amie.

— Dis-moi, mon garçon, demanda-t-elle, comment vas-tu ?

— Bien, et toi ?

— Ta dernière semaine s'est bien passée ?

Jules tiqua à sa question laissée sans réponse et celle qu'il lui faisait face. Il attrapa son verre, de façon à se laisser le temps de réfléchir : le mensonge avait tant fait de ravages dans sa famille qu'il avoua :

— Elle a été intense en émotion... J'ai passé mon bac blanc avec un mal de tête et je me suis disputé avec mes parents. Mais heureusement ma meilleure amie était là pour moi, comme toujours.

— Tant mieux qu'elle soit là. J'aurais bien envie de la rencontrer, cette jeune fille. De ce que tu me racontes, vous avez de la chance de vous être trouvé !

— Oui, j'ai de la chance de l'avoir dans ma vie, dit Jules un peu plus bas. Elle par contre, je pense qu'elle aurait mieux fait de trouver un autre ami...

— Ne dis pas de choses pareilles, mon garçon ! Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

Il hésita, repris une gorgée, et baissa les yeux. Ses pieds tapotait sur le sol.

— Elle est en couple, depuis quelques mois, et je n'arrive pas à l'accepter.

Aucun autre son que les bavardages des terrasses ne vint aux oreilles du garçon. Les yeux toujours rivés sur son verre au liquide orangeâtre, il attendait toujours une réponse de sa grand-mère. Qui ne parlait pas. Non sans appréhension, il leva alors la tête, pour apercevoir les mains tachetées de lentigos de Jocelyne, puis son sourire, triste et débordant d'empathie.

— Est-ce que tu as envie de l'accepter, demanda-t-elle enfin ?

— Bien sûr ! assura Jules.

— Alors essaie. Apprends à le connaître, et fait semblant, jusqu'à ce que ce soit vrai.

L'adolescent ne put retenir une grimace boudeuse, qu'il espérait discrète. Mais puisque c'était sa mamie qui le conseillait, il voulait bien essayer.

— Tu as parlé d'une dispute avec tes parents : comment ça se passe à la maison maintenant ?

— Pas très bien, avoua Jules malgré lui. C'est à peine si on se parle, mais ça va passer... Quelque chose ne va pas ? Tu n'as pas l'air bien.

— Ce n'est rien, merci. Je suis juste peinée de te causer du tort même avec tes parents...

— Mais tu n'y es pour rien !

— La dispute : elle était bien à mon sujet, je suppose ?

Le garçon fut incapable de répondre. Après des secondes à rester coi, il baissa la tête et bafouilla quelques maladresses. Alors Jocelyne, comme pour ne pas perdre de temps à ne rien dire, intervint de nouveau :

— Et tes maux de tête, ils ne t'ont pas trop embêté avec toutes ces émotions ?

Il baissa la tête, et alors la grand-mère eut sa réponse.

— Tu m'as l'air bien torturé, ça me fait mal au cœur, tu sais... C'était moins développé à mon époque, mais il me semble que tu peux te faire aider : que penses-tu de voir quelqu'un pour parler ?

— J'ai déjà essayé, et ça n'a rien donné, grimaça-t-il pour de bon.

— Dommage... Je suis sûre que ça pourrait t'aider pourtant.

Elle avait l'air si déçue... Mais Jules avait trop mal vécu l'expérience pour la retenter. Du moins était-ce son habituelle excuse pour clore le sujet, car il ne pouvait étouffer son manque d'investissement lors de la séance sans faire preuve de mauvaise fois. Et si, avec de la bonne volonté, tout pourrait bien se passer ? Tout comme écouter Amé ne s'était pas avéré si mauvais. Puisque c'était sa mamie qui proposait, il pouvait bien tenter... Même si l'idée reste tout autant ridicule.

Un jeune couple qui se demandèrent en mariage quelques tables plus loin le ramena à la réalité. Parler le lui ne lui plaisait pas tant, alors, non sans craindre la réponse, il demanda des nouvelles :

— Et toi, mamie, comment tu vas ? Qu'as-tu fait cette semaine ?

Au grand désarroi de Jules, elle montra autant de mal que son petit-fils à répondre. Elle jeta un œil sur la place spacieuse et les passants dont les bras étaient encombrés. Jules, lui, ne la lâcha pas du regard, et alors enfin elle se tourna vers lui :

— J'ai eu plusieurs rendez-vous médicaux assez pénibles... C'est éprouvant, mais c'est grâce à ça que je suis encore en vie.

— Et quelles sont les nouvelles ? s'aventura-t-il.

Elle ne réagit pas tout de suite, prit une goutte de café, puis sourit tristement.

— Il se fait tard, répondit-elle, que penses-tu de rentrer ?

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