Chapitre 30 (2/2)

Jules sursauta, puis déglutit. Crier ? Vraiment ? Comment ? Pourquoi ? Dans sa gorge, son larynx se serra. Alors qu'on lui demandait de crier, murmurer semblait d'un coup bien difficile.

— Tu es sûre que...

— Yap, archi sûre !

Lui, en revanche, l'était beaucoup moins. Pourtant, même si la peur ne quittait pas son esprit, avoir écouté Luna crier lui avait donné de la force. Non sans peine, il laissa sa fierté bafouiller :

— Fais-le avec moi, alors.

Luna accepta, ravie. Elle sautilla d'excitation, et s'exclama :

— Au bout de trois, on y va !

Le décompte était lancé. À trois, Jules sursauta et manqua de tomber. À deux, il ouvrit sa bouche d'effroi. À un, il la ferma.

Et le cri de Luna envahit les alentours. Elle se tourna ensuite vers le garçon et coupa court à sa voix.

— Tu triches ! bouda-t-elle.

— Désolé...

Luna posa ses mains contre les hanches. Surpris, Jules vérifia sa poche ; non, ce n'était pas Amé qui avait pris la place de la jeune fille. Elle le regardait pourtant avec la même détermination. Crier... Était-ce donc si bien que cela ? Jules aimerait essayer, lui faire plaisir. Seulement, il avait beau vouloir, il n'y arrivait pas. Sa gorge se serrait de panique.

— On réessaye.

Dans la réplique, Jules chercha la montée de voix en fin de phrase, en vain. Il crut rêver : ce n'était pas une question ! En guise de confirmation, la jeune fille commença à décompter. Les jambes du garçon tremblèrent.

Il pensa l'arrêter, la secouer, la supplier. Lui crier de ne pas crier. Et puis la silhouette d'Amé lui vint en tête.

"À force de tout garder, c'est Bébé qui doit supporter. Comment veux-tu qu'il se calme entouré d'autant d'alarmes ?"

Ses pieds retrouvèrent l'équilibre. Luna inspira un bon coup et alors Jules fit de même. Il appela l'air frais du sommet du terril vers ses poumons. L'air, il la respira comme Amé le lui avait appris. Elle rafraîchit ses narines, traversa sa trachée, oxygéna son corps. Dans ses poumons, elle était meilleure encore qu'un dopant.

D'un coup, le garçon entendit Luna expulser la sienne une troisième fois, qu'elle espérait la bonne. Il écouta son chant une seconde. À la suivante, il l'accompagna.

Jules criait. Il n'en revenait pas. L'air de son corps entier s'envolait vers l'horizon. La première chose que le garçon ressentit fut de la honte. Pourquoi ? Qui avait décidé que s'exprimer serait mal ? Son instinct lui ordonna de se taire, mais le garçon ne l'écouta pas. Il laissa filer sa voix, au gré du vent.

Jules hurlait. C'était agréable, alors il continua. Continua de hurler tout ce qu'il n'avait jamais dit. Les yeux fermés, il ne s'occupait plus les toits rouges devant lui ; seulement de l'air devenu chaud dans son corps, qu'il expulsait à jamais.

Jules s'époumonait. C'était trop intense pour arrêter. Tout ce son, torrent de colère, d'angoisse et de douleur, tout s'en allait. Jules rêva de ne plus se laisser dévorer par sa peine.

Et puis son corps dut reprendre son souffle. Haletant, le garçon lui en voulut presque. Crier... C'était donc cela. Mais soudain Bébé s'exprima. Il hurla plus fort encore que le garçon, qui dut serrer son crâne dans sa main. Luna, à côté, ne se rendit compte de rien. Et puis Bébé se tut.

Jamais la tête de Jules lui avait semblé aussi légère. Il crut Bébé endormi. S'ensuivit un sentiment de calme, de vide apaisant, de plénitude.

— Tu l'as fait, mon Jules !

Étonnant qu'elle ai encore du souffle pour s'exclamer ; ledit Jules, lui, n'en pouvait plus. Il s'écroula les fesses à terre et Luna s'amusa à le suivre dans sa chute. Tant d'émotions mêlées de quiétude le submergeait ; recouvrer les esprits fut loin d'être immédiat. Le vide, le bien-être : ils ne le quittaient pas.

Quand enfin il respira convenablement à nouveau, le rire de Luna le frappa. La tête levée vers le ciel, elle semblait rire sa plénitude comme Jules venait de hurler sa douleur. Il l'imita nerveusement.

En comprendre la raison n'avait pour eux plus aucun sens. Ils riaient, c'était bien de rire et puis c'était tout. Entre deux gloussements, Luna félicita son ami, puis doucement leur voix se calma. Le calme revint et le paysage n'attendait plus que d'être admiré.

Non, finalement ce fut Luna que Jules se décida à regarder, elle et son sourire jusqu'aux oreilles qui la caractérisait tant. Il défiait quiconque de trouver meilleur ami qu'elle, à commencer par Luna elle-même.

— Merci, murmura-t-il.

Une tape à l'épaule lui répondit.

— Tu vois : ça fait du bien !

Le brun répliqua un "mmh" vexé, avant de profiter à nouveau du silence. À la moindre sortie, les deux meilleurs amis en profitèrent toujours, du silence, avant de discuter longuement.

Écouter le silence avant de discuter ensemble leur permettait de se confier, d'échanger leurs ressentis avec détail. Sans doute grâce à l'effet de son cri, Jules fut le premier à parler :

— C'est pour moi que tu poursuis tes études en sciences, n'est-ce pas ? C'est pour notre stupide promesse.

— Oh, Jules...

Que venait faire cet air peiné sur le visage de Luna ? Il lui allait si mal ! Jules voulut lui demander de sourire à nouveau, quand elle lui attrapa l'épaule droite par la main et le serra contre elle.

— Je ne veux pas que tu penses ça. C'est faux en plus, vraiment. Je veux être vétérinaire parce que c'est mon souhait, et on va réaliser ce rêve parce que c'est le nôtre, à nous deux. Tu m'aideras à réussir, hein ?

— Bien sûr !

Mais Jules avait d'autres tourments encore en tête. Son visage s'assombrit lorsqu'enfin il osa prononcer :

— Je suis désolé.

— Pourquoi ?

— Tu le sais très bien.

Un court instant Luna ne réagit pas. Jules regarda ses baskets s'agiter avec ses pieds nerveux sans ajouter le moindre mot. Ce qu'il découvrit en levant les yeux le sonna : le sourire de Luna, il avait disparu. À la place, son visage présenta une moue songeuse. Voler le sourire de son amie, essayer de faire pire.

— Je suis un abruti, se lamenta Jules. Ma meilleure amie est amoureuse, mais je n'arrive pas à être heureux pour elle. Tout est là pour que j'apprécie son copain, mais je suis incapable de l'aimer. Je suis un abruti !

— C'est vrai que...

Elle se stoppa, alors Jules, à ses côtés, la fixa de ses yeux ronds. Il avait envie de pleurer.

— C'est vrai que des fois, je suis déçue. Déçue de ne pas pouvoir partager des choses pour ne pas te blesser. Je vis tellement de choses incroyables avec Arthur ; ça me frustre de ne pas les partager avec la personne en qui j'ai le plus confiance.

Dans le village voisin, la cloche de deux heures sonna. Jules tremblota sans rien ajouter. Il laissa Luna continuer.

— Mais ne te blâme pas mon Jules. Je suis déçue, mais je ne t'en veux pas. C'est comme ça. Peut-être que même entre meilleurs amis, on ne peut pas tout se dire... Ou bien, comme on nous l'a souvent répété, voilà la fameuse limite de l'amitié fille-garçon.

— Jamais je n'aurais pensé qu'il y avait une limite : tu me racontes quand même en détail l'état de tes règles !

— C'est vrai, gloussa-t-elle. Et toi d'ailleurs, tu ne me dis pas tout non plus : je ne sais rien de ta vie amoureuse ! Tu n'as jamais eu personne en vue ?

— Je retrouve la Luna curieuse ! Mais tu ne trouveras rien d'intéressant : je ne me suis jamais préoccupé de ça.

— Je comprends. Il n'y a rien d'obligatoire, et souvent même, l'amour est plus pénible qu'autre chose. Avec Arthur, je regrette parfois mes avantages de célibataire, je t'assure !

Jules sourit, mais impossible de rire.

— Je veux essayer, bredouilla-t-il. De l'accepter. Je te promets, je vais essayer.

— Merci.

Ils s'enlacèrent et Jules tremblait toujours. Comme son cri, pour une fois il ne retenait plus rien. Sur le toit de leur région, Luna murmura :

— Ce qu'on ne peut pas se dire, on ira le crier ici.

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