Chapitre 28 (1/2)
Fin février, le fameux jour venait d'arriver. Ce jour tant redouté par les élèves de première, qui se levaient la peau pâle et les ongles rongés. L'année dernière, Jules avait surtout profité de ce jeudi pour flâner au parc avec Luna, libérés par leurs professeurs absents pour cause de surveillances. Sans doute aveuglé par sa joie il en avait oublié de penser : "l'année prochaine, ce sera mon tour".
Désormais, un an plus tard, le garçon se répétait en boucle : "maintenant, c'est à moi de passer mon bac blanc de français.".
Il avait veillé à se lever avant huit heures malgré sa matinée banalisée, et à proscrire tout agrume et céréale trop sucrée au petit déjeuner. Pourtant, le stress s'intensifia ; Bébé commençait à frapper contre sa tempe. Mais paniquer ne servirait à rien, le garçon avala plutôt un médicament. Avant le début de l'épreuve, il devrait avoir le temps d'agir.
La tête sous pression comme une bouteille de soda secouée, il profita de sa matinée de libre pour réviser. Bien sûr, Amé lui ordonna de se reposer, mais hors de question de fainéanter pour le garçon. Il avait proposé à Luna une invitation autour d'un texte de Baudelaire, que la jeune fille avait décliné ; il ne fallait pas réviser le jour-même, soi-disant.
Elle préféra à la place appeler et envoyer des messages à son ami pour l'empêcher de se torturer la tête. Diabolique... Tant pis ; Jules passa la matinée devant son portable, l'esprit écrasé par la frustration. Les deux adolescents durent se déconnecter quand il fut pour eux l'heure de manger.
Dans la cuisine, le garçon sortit un reste de lasagne qui attendait d'être réchauffé. Son père télé-travaillait ce jour-là, mais mangerait après son fils. Ce dernier profita donc de son repas, accompagné de son portable.
Bébé cognait toujours contre sa tempe, malgré son cachet avalé au matin. Encore quelques temps, et tout devrait s'arranger... Pour le moment, la douleur empêchait Jules de bien manger.
Comme Luna mangeait également seule chez elle, il lui proposa de se retrouver par messages. Son amie accepta sans attendre, et alors, la tête affalée sur la table, Jules en oublia presque Bébé le temps du repas.
Leur assiette vide, ils durent cesser leur discussion sous peine de rater leur bus. Luna prenait habituellement celui avant Jules au matin, plus ponctuelle que le garçon. Mais cette fois-ci, ils avaient décidé de se retrouver ensemble.
Au moment où Jules débarrassa la table, son père sortit de son bureau. Le craquement de l'escalier cogna contre le crâne du garçon. Une fois en bas, le quinquagénaire lui souhaita bon courage rapidement avant de sortir chercher le courrier. L'adolescent enfila son manteau face au courant d'air que la porte ouverte laissa entrer. Le vent fit sonner une alarme dans sa tête.
Ni son stress ni Bébé ne voulait se calmer. À croire que les médicaments ne faisaient jamais effet lors des situations capitales. "Tu ne dois jamais te reposer dessus." lui répétait Amé. Et qu'elle avait raison !
Harry rentra déposer le courrier sur la table. Un bon paquet de lettres la recouvrait aujourd'hui. Il s'empressa de les ouvrir.
Curieux, Jules n'avait cependant plus le temps de s'y intéresser. Il respira un bon coup. Rien n'était perdu, tout pouvait encore se passer. Tout devrait bien se dérouler... Le garçon attrapa la poignée de l'entrée, quand soudain son père l'apostropha.
— Jules, viens voir ici.
Ce dernier n'était pas en avance et la panique le fit tressaillir. Il avait été libre toute la matinée, et son père venait l'interpeller trois minutes avant l'arrivée de son bus : existait-il plus stupide ?
— Je vais être en retard à mon bac blanc, p'pa.
— Comment tu as eu le numéro de téléphone de ta grand-mère ?
Il se figea. Bébé s'agita encore plus.
— Comment ça ?
— J'ai reçu la facture de ton forfait téléphonique, expliqua Harry.
— On a encore des courriers pour ça ? Et tu surveilles mes conversations en plus ? Tu peux dire de moi...
— Ne discute pas ! Je me doutais déjà de quelque chose, j'ai simplement vérifié.
C'est aussi ce que j'ai fait.
Jules ne répliqua pas ; il ne devait pas énerver son père davantage. Ses oreilles rouges présageaient déjà une pluie orageuse dans la maison et le garçon revit la scène du portable resté sur la table. Bébé qui pleurait, son bus qui arrivait, le bac blanc imminent : l'angoisse le rongeait suffisamment pour ne pas en ajouter. Il ravala sa fierté.
— Je dois vraiment partir, là... bredouilla-t-il
— On en reparlera ce soir.
Ton sec, puissant. Bras croisés. La colère du père n'était plus à prouver. Il réprimandait son fils comme si celui-ci venait de prendre contact avec une sorcière. Jules ne précisa pas qu'il se serait bien contenté du "bon courage" prononcé avant l'ouverture des lettres. Il quitta plutôt la maison en silence, et traversait la rue, plus agité qu'une particule sous la chaleur.
Le garçon courut après le bus, qui s'arrêta à la demande de Luna déjà à l'intérieur. Il put rentrer, et rejoignit son amie, la tête presque autant hantée par la voix de son père que les cris de Bébé.
— Ça ne va pas ? remarqua son amie. Le stress ? Bébé n'est pas calmé ?
Jules expliqua sa mésaventure le long du trajet. Sur le coup, parler embêtait Bébé, mais l'adolescent savait que tout garder en lui laisserait les jours suivants une alarme allumée. Le mieux semblait donc de s'en libérer de suite.
Encore et toujours, ses poings tremblaient. Impossible pour le garçon de se calmer. Même angoissée par la poésie de Hugo, Luna ne manqua pas de lui tenir l'épaule et le détendre du mieux qu'elle pouvait. Il avait mieux à penser que les colères de son père cet après-midi ; Jules promit de se concentrer sur son français pour les quatre heures à venir. Du moins si Bébé le lui permettait.
Mais comment laisser de côté l'idée de la discussion prévue avec ses parents le soir-même ? Comment oublier sa tempe qui pulsait à lui donner la nausée ? Et dire qu'au matin, Jules pensait que l'épreuve de sa journée serait celle de français.
Lorsque le grand établissement se dessina devant eux, il fut temps de quitter le bus. Le garçon se laissa tomber sur le macadam et Luna le suivit jusqu'au lycée. L'entrée n'était pas encore ouverte mais le parvis grouillait. Le brouhaha cogna contre la tête du garçon, qui ferma à moitié ses yeux que la lumière aveuglait.
À 13H30, un surveillant invita les élèves à entrer. Les deux amis s'avancèrent dans le flot de premières. Jules pensa aux secondes que la journée avait laissés libres. Lui aussi avait vécu cette naïve jeunesse...
Dans le hall, le brouhaha l'insupportait. Luna, elle, le trouva rassurant ; lorsque le silence se présenterait, il annoncerait le début de leurs quatre heures d'épreuves. Du silence... Peut-être que ce bac blanc ne se montrerait pas aussi désagréable pour Jules...
C'était pourtant mal parti. Plusieurs minutes de bousculades plus tard, la jeune fille trouva enfin le moyen d'atteindre la liste des salles. Elle permit à son ami de la rejoindre dans la masse d'élèves. En vérité, ils se présentaient devant le tableau par simple convention : leur convocation leur avait déjà annoncé l'odieuse vérité que les listes confirmaient.
— On n'est pas dans la même salle... souffla Jules.
— Mais regarde : tu es avec Faustine et moi avec Arthur, c'est une bonne nouvelle !
Avec Faustine... Jules feignit d'être soulagé. Et comment cela, Arthur était avec Luna ?
Non, Bébé, calme-toi...
Le prince charmant arriva, salua Luna, puis Jules. Il saluait toujours Jules après Luna. Aussitôt, il transforma Luna en princesse et le couple, main dans la main, s'en alla vers leur salle assignée. Jules les regarda partir. Ses bras ballaient.
— Bon courage mon Jules ! On se rejoint juste après l'épreuve.
Il lui sourit et laissa la jeune fille en salopette tourner vers le couloir de droite. Une fois sa silhouette disparue derrière le mur, Jules partit vers la gauche.
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