Chapitre 23

La réunion d'urgence fut déclarée. Sur une table dans un coin du CDI, Jules et Luna pouvaient se concerter, cachés entre les étagères remplies de livres. Ils avaient apporté leurs cours pour cacher leur portable sous les feuilles et faire mine de travailler. Personne ne devrait les embêter.

Malgré l'urgence, Bébé les avait contraints à reporter leur rendez-vous au vendredi ; Jules était trop souffrant la veille, et Amé l'avait obligé à rester chez lui.

— Élisa va m'en vouloir d'avoir répondu aussi tard, craignait le garçon.

— Mais non, le rassura Luna. Explique-lui que tu avais mal à la tête, elle comprendra.

Jules continua de marmonner ses inquiétudes. Elle comprendrait... Luna pouvait-elle en être certaine ? Lorsqu'il expliquait avoir mal au crâne, beaucoup se demandaient en quel honneur il en restait cloué au lit. Car ces personnes, si elles avaient sans aucun doute déjà souffert d'un mal de tête, ne savaient ce qu'un Bébé qui criait pouvait infliger. Elles ne comprenaient pas.

Mais l'heure tournait, et elle n'était pas aux ruminations ; Jules se ressaisit comme il put. Il proposa son idée de lieu de rendez-vous à Luna.

Le Haut Gourmand, réfléchit-elle. Un café pas loin de chez toi, souvent calme, et les propriétaires ne connaissent pas tes parents... Yap, ça m'a l'air bien.

— Oui... Et pour la date ?

— Ce week-end, peut-être ?

— Quoi ? Non, c'est trop tôt !

— Tu veux voir ta mamie, oui ou non ?

Bien sûr qu'il voulait. Seulement l'idée le terrifiait. Jules aurait dû se préparer, prendre son temps pour réaliser. Mais l'abruti qu'il était avait préféré le passer à angoisser. Il fallait dire qu'il ne savait rien faire de mieux.

— Mercredi après-midi, bafouilla-t-il. C'est dans cinq jours. Je dirai à mes parents que je suis chez toi.

— Yap ! Écris-le à Élisa, alors.

Jules attrapa son portable, non sans trembler. Plusieurs secondes aussi vides que l'espace passèrent, avant qu'il ne réclame à Luna de l'aider. Elle réfléchit, la main sur le menton, puis dicta une réponse. Le garçon, stressé, tapa plusieurs lettres de côté, ce qui l'agaça, alors il tapa encore plus souvent sur la touche voisine à celle souhaitée.

Le message fut achevé vingt minutes plus tard. L'adolescent en mit cinq de plus pour se décider à l'envoyer.

— Opération terminée, déclara Luna qui étira les bras vers l'arrière.

— Heureusement que tu es là ! Je ne sais pas comment j'aurais fait autrement...

Elle sourit, et fixa le garçon de ses yeux noisette, sans doute désespérée d'avoir un tel bras cassé en face.

— Tu en aurais parlé à Jérémy, dit-elle. D'ailleurs, comment il va ? Le courant passe mieux entre vous ?

Jules baissa la tête. Avec son parrain, ils se parlaient moins, mais le faisaient toujours avec envie. Ils se voyaient moins, mais en profitaient toujours autant. L'adolescent continuait de lui en vouloir, de souhaiter lui montrer sa déception. Mais il ne pouvait pas, car Jérémy l'aimait toujours autant.

Luna écouta ses tourments, attristée. Elle proposa à Jules de s'impliquer un peu pour l'enfant de son parrain, afin qu'ils se voient davantage. À condition, bien sûr, que le garçon prenne sur lui. Il lui répondit qu'il réfléchirait.

Machinalement, sa main attrapa son portable. Aucune notification ne décorait l'écran. Évidemment : aucune chance qu'Élisa ne lui réponde aussi vite.

— Imagine qu'elle change d'avis et ne réponde plus...

— Tu réfléchis trop, mon Jules.

Il pivota sa moue boudeuse, et après un léger coup de cahier pour le remettre à l'ordre, Luna changea de sujet. Elle dit, les joues entre les mains :

— Tu ne m'as pas raconté du coup : ça s'est bien passé mercredi avec Faustine ?

— Ça va, le film était bien.

— Bébé a pleuré à cause du cinéma ? craignit Luna.

— Difficile à dire... Il allait bien quand je suis sorti de la salle, c'est après que ça s'est gâté. De toute façon, j'ai arrêté de chercher à le comprendre...

Il ne développa pas ; il ne souhaitait pas y repenser. Pas tant que sa tête ne le torturait pas. Luna comprit, elle n'insista pas. Ensemble, les deux amis se laissèrent dans leurs pensées, dont les tourments devaient être similaires. Ils n'eurent cependant pas besoin de longtemps avant de discuter à nouveau.

— Et Amé, reprit Luna, elle ne t'aide pas ?

— Coucou, mon chat ! lança soudain une troisième voix familière. Amé, c'est qui ?

Jules se crispa face à Arthur qui venait de les retrouver. Et dire qu'il se croyait tranquille, installé au fond de la pièce, derrière les étagères ! Devant le brun, la jeune fille sourit, et ce n'était pas à l'intention de son meilleur ami.

— Personne, taquina-t-elle le châtain.

— N'empêche, c'est cool de vous voir ici, dit Arthur. On ne se croise pas souvent au CDI.

Le squatteur posa ses fesses sur la chaise à côté de la jeune fille. Ça recommençait : le stupide prince venait de prendre Luna pour lui, brisant l'instant complice entre Jules et son amie. Il venait de la lui arracher pour l'enlever sur son cheval blanc. Sa chandelle en main, Jules attrapa l'un de ses cours et se cacha derrière ses polynômes du second degré.

En plus, à cause du châtain, Luna n'avait pas eu de réponse à sa question. D'un regard, que Jules s'amusa plusieurs secondes à feindre de ne pas remarquer, elle demanda une nouvelle fois si Amé l'aidait. Il signa un "deux" de la main, qu'elle accueillit d'un hochement de tête discret.

"Pas tellement", voilà ce qu'il venait de lui annoncer. Luna pensa que c'était mieux que rien. Ils en parleraient davantage quand l'abruti à côté d'elle se décidera à les laisser tranquilles. Dans un même temps, Arthur béait devant leur langage secret, ce qui amusa bien l'adolescent en face. Résigné à ne pas comprendre leur discussion, le plus grand sortit son classeur de français.

— Prêt pour le bac blanc ? lui demanda alors Luna.

— Sans plus... Il est tant que je révise.

Ils continuèrent de discuter de leur épreuve à venir tous les deux. Derrière son cahier de maths, Jules se rappela qu'il devait réviser le soir. Comme la veille, l'avant veille, et chaque jour depuis près d'une semaine. Ils comptaient d'ailleurs se retrouver, lui et Luna, pour s'entraider ce week-end – impossible donc de rencontrer sa mamie ! –. Ils recommenceraient sans doute le prochain... Effectivement, la jeune fille le proposa de sa voix cristalline. Un détail néanmoins titilla son ami.

— On pourrait se retrouver tous les trois pour réviser le dernier week-end avant l'épreuve, vous en pensez quoi ?

Tous les trois ? Elle, Jules... Et Arthur ! Manquait plus que ça. Sans oser refuser, le brun se montra hésitant. Le prince, lui, en était enchanté.

Évidemment, Luna comprit la réticence de son ami. Elle le supplia du regard, sans grand succès. Le garçon savait malgré tout qu'elle ne lui laisserait pas le choix.

La sonnerie retentit soudain. Jules reprit ses affaires, prêt à se rendre à son cours optionnel. Luna et Arthur profitèrent de cette heure libre commune ensemble pour ne pas bouger de là. Le brun les salua, avec plus d'enthousiasme pour l'une que le second, et se tourna vers la sortie.

— Tu me préviens si Élisa te répond, l'interpella Luna.

— Yap, j'y compte bien.

— Par contre, mon Jules : tu as conscience que le jour J, je ne serais plus là pour t'aider, n'est-ce pas ?

Il se retourna vers elle et lui sourit tristement avant de partir.

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