Chapitre 22 (1/2)

Mercredi, il était déjà mercredi. Jules n'était qu'à peine sorti du bus que dans la rue Faustine l'interpella. Ils s'étaient donné rendez-vous à quatre heures à l'arrêt en face du cinéma. Sans oublier de préciser comment le chauffeur s'était montré désagréable et le transport bondé, Faustine tira le garçon à l'intérieur du bâtiment.

La brune dégageait plus d'énergie que le soleil gelé d'hiver, si bien que Jules pensa même retirer son manteau avant d'entrer dans le hall chauffé du cinéma.

Secoué par la jeune fille, il dut laisser de côté ses pensées. Autour de lui, l'immense hall grouillait de monde. Les lumières le gênaient et il préféra se concentrer sur les affiches de films colorées pour ne pas laisser l'odeur de sucre et de transpiration l'envahir.

— Il y a un paquet de monde ! remarqua Faustine. J'adore l'ambiance de ce ciné, pas toi ?

Jules répondit par un "si" qui sonnait faux. Il n'était pas rentré là depuis bien un an, et tout était aussi bruyant, sale et étouffant. Il reconnut néanmoins ses souvenirs plus pénibles, peut-être parce qu'il avait été accompagné de ses parents.

Mais malgré tout ce qu'il l'entourait, ses pensées restaient figées sur deux idées : il n'avait pas eu le temps de mettre un point final à son devoir maison d'Histoire avant de rejoindre Faustine, et Élisa n'avait toujours pas montré signe de vie.

Jules se perdit dans le flot de ses angoisses, encore, profondément, toujours plus. Il se fit violence pour se reconnecter à la réalité, en découvrant que Faustine n'était plus devant lui. Il secoua sa tête dans tous les sens, avant de la retrouver au stand de pop-corn.

La voir dans cet endroit maudit le fit sursauter, mais trop tard : elle commandait déjà. Si seulement il avait réagi plus tôt... Maintenant, le garçon ne pouvait que la regarder, abasourdi, échanger un billet contre deux boîtes de maïs soufflés. Comment cela, deux ? Le vendeur la remercia et appela le client suivant. La brune rejoignit Jules, qui n'avait pas bougé.

— Cadeau, s'exclama-t-elle.

Il fixa la boîte en carton tendue vers lui. Aucune réaction de sa part. Faustine agita sa main devant la mine béate du garçon, visiblement désespérée par sa lenteur. Lorsqu'il saisit enfin la boîte, la jeune fille courut en direction de la salle du film.

— On devrait se dépêcher pour avoir de meilleures places, expliqua-t-elle.

— Je te dois combien pour les popcorns ?

— Bah rien, s'étonna Faustine. C'est cadeau, je t'ai dit.

— Mais tu m'as déjà offert la place...

Visiblement elle s'en fichait. Son cerveau semblait connecté sur le câble "salle de cinéma", objectif qu'elle chercha à travers les étages. Jules la suivit. Une suite de salles numérotées défila devant leurs yeux. Un peu comme au lycée, sauf que ces couloirs-ci arboraient plus de couleurs, remplis de posters et de figurines de film.

Faustine s'arrêta soudain. Le garçon s'écrasa sur son dos sans qu'elle ne s'en soucie, laissant tomber au passage trois popcorns sur le sol. Là encore, elle n'en avait que faire. La salle recherchée se dressait devant elle, et elle comptait s'y rendre sans plus attendre.

Jules chercha une poubelle où déposer la nourriture tombée, puis courut rejoindre la jeune fille déjà rentrée dans la pièce. À l'intérieur, l'obscurité et le silence contrastaient avec l'éclat et le bruit du hall. Les quelques spectateurs déjà installés les dévisagèrent avant de reprendre leurs chuchotements à faire frissonner.

Faustine décida que le quatrième rang en partant d'en bas était le meilleur. Le garçon ne connaissait pas cette règle, que la fille caractérisait d'universelle. Peu importe, après tout.

Il manqua de tomber dans l'escalier, caché par l'obscurité de la salle. Quelques popcorns avaient dû chuter au passage, mais le noir l'empêchait de le savoir. La frustration remplaça la lumière.

Assis à gauche de la jeune fille, il trouva en premier lieu le silence gênant. Les chuchotements des voisins bourdonnaient dans ses oreilles, ce qui l'incita à discuter lui-même afin d'oublier les bruits.

— Tu viens souvent au cinéma ? tenta-t-il à l'attention de Faustine.

Les yeux de cette dernière scintillèrent soudain. Elle ne se contenta pas de répondre "oui", détaillant plutôt chacun de ses après-midis dans une salle noire à regarder un film. Le garçon abandonna vite l'idée de réagir. Faustine ne lui laissait pas le temps et parlait suffisamment toute seule.

Soudain, la pièce s'assombrit plus encore. L'immense écran devant les yeux des spectateurs les éblouit sans prévenir. La première publicité diffusa un halo de lumière et de son, et Jules plissa les yeux. Il s'empressa d'éteindre son portable : aucun message d'Élisa sur l'écran. Ce fut à contre cœur qu'il se résolut à ne plus vérifier avant la fin du film.

Dès les premières minutes, l'adolescent se doutait que la séance serait longue. La lumière faisait pleurer ses yeux pendant que le craquement du maïs sous les dents de Faustine parasitait ses sens. Même leurs voisins de derrière grignotaient du pop-corn... Les siens, il n'osait qu'à peine les toucher, mais se résolut à satisfaire sa voisine en salissant ses doigts, devenus collants. Il se tortillait de gêne à chaque bouchée à cause des bruits de mastication.

Cependant, la séance n'était pas si désagréable. Jules en apprit bien plus en une heure et demie de film qu'en deux heures de cours de français. Déjà, il comprit qu'une salle de cinéma n'empêchait pas Faustine de parler. Il découvrit ainsi qu'elle connaissait autant d'acteurs qu'il connaissait de formules de physique – leurs noms paraissaient même parfois plus complexes pour le garçon qu'une molécule de chimie organique. La jeune fille n'était pas si mauvaise en humour, également. Elle répliquait à merveille aux scènes les plus grotesques, si bien que Jules craignit de gêner la salle avec ses rires.

Mais par-dessus tout, il apprit que Faustine était passionnée, par le film, par les films, par le cinéma en général, et qu'une passion rendait tout plus agréable. Une fois le mot "fin" écrit en grand sur l'écran, Jules n'avait pas vu le temps passer.

Alors que la brunette avait couru la première jusqu'à la salle, elle était de ceux qui sortaient les derniers. Mais quel intérêt pouvait-on trouver à attendre la fin du générique avant de partir ? Ces dernières minutes semblaient pour Jules plus longues que le film lui-même.

Sans pouvoir se retenir de trépigner des pieds, il reprit son portable en main. Toujours rien de la part d'Élisa. Mais le plus étonnant : toujours rien de Bébé.

Une heure et demie ébloui par un écran géant sous un vacarme de bruitages, assailli par des odeurs de renfermé et de sucre dans tous les coins de la pièce, et pourtant l'insupportable ne pleurnichait pas. Jules craignait la récidive.

Enfin, Faustine se décida à partir. Elle et le garçon remontèrent en haut de la salle, attirés par la lumière extérieure comme un bout de ferraille par l'aimant. Jules sentit sous son pied droit craquer un bout de pop-corn. Il était encore rouge de honte lorsqu'il sortit de la salle.

— Ça t'a plu ? l'assaillit aussitôt Faustine.

— Oui, ça va. J'ai vu le premier film il y a longtemps, donc je ne me souvenais pas très bien de l'univers, mais je n'étais pas non plus complètement perdu.

— Tu aurais pu me demander si tu ne comprenais pas !

Sauf qu'on m'a appris à ne pas parler au cinéma.

Derrière Faustine, Jules franchit la porte de sortie. Son corps frissonna mais le garçon ne se priva pas de remplir ses poumons de l'air frais de février, restés trop longtemps comprimés par la chaleur de la salle. Ses poumons que Bébé empêchait trop souvent de respirer correctement. Comment était-ce possible que de tout l'après-midi, il n'ait pas donné un signe de vie ? Il pleurait si souvent que Jules en oubliait presque qu'il lui était possible de ne pas souffrir.

Sa respiration achevée, Faustine se tenait déjà trente mètres plus loin.

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