Chapitre 18
Ce fut Jade qui accueillit Jules la première. Milo et Luna accoururent derrière elle.
— J'ai fait un gâteau avec maman aujourd'hui, annonça la fillette au garçon. Tu veux goûter ?
— Laisse le tranquille un peu, fit la grande sœur gênée.
— Non, c'est rien Luna. Justement, j'avais faim !
Son amie trépignait, sûrement par impatience d'expliquer son idée et de comprendre sa soudaine venue. Néanmoins, Jules rejoignit la table, sur laquelle trônait un gâteau au yaourt joliment décoré. Milo s'invita sous ses pieds et le garçon s'occupa de lui avec plaisir. En plus du chien, toute la famille s'était rassemblée. Même la petite Alice se trouvait là. Elle sortait si peu de sa chambre que Jules en oubliait souvent son prénom.
Finalement, Luna ne se montra pas si déçue de ce goûter. Au contraire, la jeune fille plaisantait avec sa mère, son père et ses deux sœurs. Avec Jules aussi. Le sourire aux lèvres, ce dernier admirait la famille réunie par le gâteau et les rires. Depuis quand n'avait-il pas vu ses parents s'amuser ainsi ?
— Bon, lança Luna qui fit sursauter son ami, on a fini. On y va, Jules ?
Sorti de sa rêverie, le garçon papouilla Milo avant de se lever pour suivre la jeune fille. Il n'oublia pas de remercier Jade avant d'atteindre l'escalier.
— Il était très bon ton gâteau, lui assura-t-il.
La concernée lui rendit un sourire jusqu'aux oreilles. Un peu plus, et elle courrait lui faire un câlin.
— Si t'es à l'aise avec Jade, tu pourrais bien t'entendre avec les enfants, remarqua Luna une fois arrivée à l'étage. Peut-être même avec les bébés un jour, j'espère !
— Ta sœur a dix ans, on est loin du bébé qui crie pour un rien.
— Un bébé ne pleure jamais pour rien.
— Arrête : je croirais entendre Amé.
Jules s'attendait à une tape d'épaule amicale, mais Luna se contenta de lui sourire tristement. Il la taquina donc à sa place, et la brunette le lui rendit.
Désormais assis sur le lit de la jeune fille, les deux amis commencèrent les choses sérieuses. Luna ne supportait plus de garder sa technique ultime pour elle, mais invita Jules à parler le premier. Elle l'écouta, mi-attentive, mi-impatiente.
Le garçon débuta son récit par son retour chez lui, l'absence de ses parents au rez-de-chaussée et le portable solitaire sur la table de la cuisine. Les yeux de la jeune fille brillaient d'excitation. Elle buvait ses paroles comme on écoutait une aventure palpitante.
Puis, il expliqua la venue son père, la panique qu'il ressentit et la colère d'Harry. Luna l'écouta, tout aussi affolée qu'il l'avait été.
— C'est pas vrai ! s'exclama-t-elle.
Au fil du récit, elle sortit des mots chaque fois un peu plus grossiers. Quand Jules eut terminé, il fit face à une Luna aussi béate qu'une carpe.
— C'est bon, j'ai fini : tu peux fermer la bouche.
Malgré la plaisanterie, la jeune fille mit du temps à réagir. Mais puisque son ami souhaitait dédramatiser l'histoire, qu'il n'avait pourtant pas encore digéré lui-même, elle s'efforça de reprendre un ton léger.
— Heureusement pour toi, mon cher Jules, théâtralisa-t-elle, je suis là pour te donner La solution.
— Je t'écoute, pouffa le garçon.
— Imagine : tu rencontres une personne, dans la rue, dans un café, peu importe. Vous discutez, vous vous entendez bien, et une fois rentré chez toi, tu te dis que tu aimerais bien la revoir. Mais catastrophe ! Tu n'as ni son portable, ni son adresse, rien ! Juste son nom et son prénom. Tu me suis ?
— Beaucoup mieux que Monsieur Baert pendant ses cours d'Histoire, en tout cas.
— Jules, je suis sérieuse, dit-elle le ton comique. Bon, du coup, comment tu ferais pour retrouver cette personne ?
Le garçon se mit en situation, et réfléchit. Pour lui, une solution se démarqua :
— Je chercherais son nom sur les réseaux sociaux.
— Bonne réponse !
Il la regarda sans comprendre, avant de lui rendre une mine perplexe.
— Attends, comprit-il, tu veux que je cherche ma grand-mère sur internet ? Tu crois que je peux trouver ma grand-mère de plus de soixante-dix ans sur les réseaux ? C'est déjà incroyable qu'elle ait un portable... Et encore, je suis sûr qu'il a des touches !
— Non, pas ta grand-mère. Même si tu peux toujours essayer...
— Mais alors, qui ?
— Sa fille : cette "Elisa" qu'elle a mentionnée dans sa lettre. Ta tante, du coup !
À bien y réfléchir, Jules comprenait peut-être mieux la révolution industrielle de Monsieur Baert que l'idée de Luna, finalement.
— C'est quoi le rapport avec ma grand-mère ?
— Je viens de le dire : c'est sa fille ! Et visiblement la seule de ses enfants qui lui parle encore. On devrait au moins lui trouver un Facebook, j'imagine. Une fois que tu l'auras contactée, elle pourra te donner de quoi retrouver ta mamie.
Une lampe s'alluma au-dessus de la tête du garçon.
— Pas bête, dit-il. Mais ça reste compliqué...
— Pas du tout, objecta Luna. T'es juste sous le choc qu'une aussi bonne idée vienne de moi. Bon, autant la chercher tout de suite, tu ne crois pas ?
— Maintenant ?
— Tu comptais le faire quand ?
— Le jour où je serais prêt psychologiquement.
— C'est à dire jamais, rectifia-t-elle. Autant le faire tout de suite.
Jules déglutit, mais Luna insista. Il déverrouilla son portable aussi maladroitement que s'il risquait d'être surpris de nouveau par son père.
Comme suggéré par la jeune fille, ils débutèrent leur recherche sur le réseau social le plus évident. Après tout, même la mamie de Luna possédait un compte.
Jules chercha "Elisa Duval". Il savait qu'après son divorce, elle avait repris son nom de jeune fille, et heureusement pour lui ; c'était le seul dont il se souvenait. La rareté du prénom l'arrangeait également ; il trouva deux comptes, puis choisit le premier.
— Impossible de se fier aux photos, se plaignit le garçon, je ne sais même plus à quoi elle ressemble...
— Celle-là à un air de ton père je trouve, c'est bon signe.
Il la regarda comme il regardait sa professeure de français parler de figures de style. Mais puisque, à part en physique, il était souvent judicieux de suivre l'intuition de Luna, Jules continua de fouiller le compte.
— Elle habite en Normandie, remarqua-t-il. Mon père est né là-bas.
— Bon point !
— Luna, regarde : elle a une fille et un garçon. Antoine : je me souviens que mon cousin s'appelle comme ça.
— Super, on l'a trouvée ! Manque plus qu'à lui envoyer un message.
À nouveau, Jules lui rendit un regard perplexe. Un peu plus et il croirait que sa meilleure amie était folle.
— Attends, paniqua-il, on n'est même pas sûr que ce soit elle !
— On n'a qu'à lui demander directement. Allez, Jules ! N'angoisse pas pour un message.
Bien sûr qu'il angoissait ! Quand on observait Luna, tout ce qui relevait du social semblait facile. Rien à voir avec le timide Jules.
— Tu veux que je l'écrive ? proposa-t-elle face à la détresse de son ami.
Si Luna ne préférait pas la vie solitaire, elle aurait sans doute la Terre entière pour amie. Elle se montrait toujours à l'initiative des rencontres de Jules - mis à part cette Faustine, du moins. Mais penser qu'elle l'aiderait aussi à prendre contact avec sa propre famille lui laissa un arrière-goût d'impuissance.
— Non, je vais le faire. Laisse-moi juste du temps.
— Tu sais très bien que tu ne le feras jamais si tu attends trop.
— Bon, ronchonna le garçon, une semaine alors : je m'engage à envoyer ce foutu message dans moins d'une semaine.
— Sûr ?
Il posa sa main sur le cœur en guise de promesse, une énième mimique que les deux meilleurs amis appréciaient partager.
Ainsi, Jules rentra chez lui, non sans saluer Luna et sa famille. Le soir, le temps du dîner silencieux, il réfléchit face aux visages fermés de ses parents à la manière de tourner son message pour sa tante. Les centaines de scénarios possibles tournaient dans sa tête, jusqu'à ce que, peu à peu, l'adolescent vit d'intensifier son désir de revoir sa grand-mère.
Que ça te plaise ou non, tu ne décideras pas à ma place, papa.
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