Chapitre 13

Le premier janvier, Jules resta cloué au lit. Il dormait lorsque Luna lui rendit visite le matin, et ne bougea pas plus l'après-midi, pendant que, chez ses grands-parents, sa famille se chérissait et se souhaitait une merveilleuse année.

Il ne sortit de sa chambre que le lendemain, la tête lourde, mais moins endolorie. Son père en congé, sa mère en télétravail : la famille put se retrouver autour de la table au repas du midi. Jules en roulait des yeux. Cependant, il n'était pour une fois pas le plus boudeur ; Amélie, toujours pas remise de l'état dans lequel son fils était rentré de chez Arthur, comptait bien le lui faire regretter.

— Ta soirée s'est bien passée ? demanda sèchement la mère.

— Oui.

Elle n'obtint pas plus de détails. À la place, ce fut elle qui offrit des reproches :

— Quand même, tu vois bien que c'était une mauvaise idée avec tes maux de tête.

Il grommela une réponse incompréhensible, qui offusqua Amélie. Voilà comment la tension entre la mère et le fils monta, telle une éruption dans la pièce. Harry se cacha derrière son verre d'eau.

— J'ai seize ans maintenant, protesta Jules, je peux bien faire comme tous les ados de mon âge !

Même si je n'en avais pas spécialement envie...

— Mais tes maux de tête, Jules ! Tes maux de tête t'empêchent de faire certaines choses, c'est comme ça. Résultat : entêté comme tu es, tu n'étais pas avec nous hier pour fêter ton anniversaire en famille, et tu n'as pas souhaité bonne année à papy et mamie.

Alors, quoi ? Elle lui reprochait la crise de Bébé ? Il n'y pouvait rien si sa tête le faisait souffrir à se la fracasser contre les murs ! L'évidence était telle qu'il la communiqua à sa mère. Laquelle lui répondit en tapant des poings sur la table. Harry en renversa son verre à moitié.

À tous les coups, le père de famille se perdait entre son envie de calmer les tensions et son devoir de remettre son fils à l'ordre. Amélie choisit sans hésiter la seconde option. Si bien que Jules se résolut à ne plus répondre. Il reçut les mots de sa mère, qu'elle choisissait durs et sévères. Si durs qu'elle s'en blessait elle-même. Peut-être que, par-dessus tout, ses reproches s'administrèrent à elle, qui avait laissé son fils se rendre là où sa tête était devenue douloureuse.

Jules baissait les yeux sur son assiette vide, et lorsque le ton d'Amélie se calma, le garçon partit prendre un yaourt en dessert.

— Tu n'as pas bu d'alcool, au moins ? reprit sa mère, un mélange de reproches et d'inquiétude dans la voix.

— Non, t'inquiète pas.

Pourtant, à cet instant, le prit la soudaine envie de remonter le temps, histoire d'y remédier.

Entre deux paroles, le portable d'Harry vibra. Jules remarqua à peine la mine contrariée de son père face à son écran, qu'à nouveau sa mère l'interpella.

— Au fait, fit-elle d'un ton plus calme, il ne faut pas renouveler tes ordonnances ? J'ai voulu vérifier s'il te restait assez de médicaments, mais je n'ai pas trouvé ta trousse.

Sa trousse ? Effectivement, Jules n'avait pas souvenir de l'avoir rangé en rentrant. Sa trousse...

Son corps se figea. Il resta les yeux ronds et la cuillère dans la bouche, pendant deux secondes qu'il espérait assez courtes pour ne pas éveiller les soupçons de sa mère. Sa trousse : il l'avait laissée chez Arthur.

— J'en ai assez pour au moins un mois, je pense.

Le mensonge se présentait comme la meilleure option : inutile d'énerver sa mère davantage. Heureusement, qu'elle ait compris ou non, sa mère ne répondit rien. Dans un même temps, Harry claqua son téléphone sur la table. Sa femme le regarda interdit, attendant des explications.

— J'ai répondu au message de bonne année de ma mère ce matin comme chaque année, et voilà qu'elle décide de m'en écrire un autre...

— Qu'est-ce qu'elle dit ? l'interrogea Jules.

— Elle demande simplement des nouvelles, répondit le père surpris de la question. Si j'ai lu sa lettre, aussi.

— Et tu l'as lu ?

— Je t'en pose des questions, moi ? Arrête un peu.

Sec : voilà le ton de ses paroles. Pourtant, la famille s'était habituée à un père plus calme et doux, à croire que la mère déteignait désormais sur lui. Ce simple fait provoqua déception et colère chez le garçon. L'envie le prit de grimper illico dans sa chambre, quand soudain une idée le frappa de plein fouet.

— Au fait, je n'ai même pas son numéro à mamie, tu peux me le passer ?

— Mais qu'est-ce qu'il te passe par la tête ? s'offusqua Harry. Cette histoire ne te concerne pas.

— C'est ma grand-mère, quand même !

— Jules !

Le poing de sa mère vint à nouveau taper la table. Encore et toujours, le garçon ne put rivaliser contre elle. Perdant d'avance, sa fierté lui déconseilla pourtant de fuir. Un regard noir de la part de la mère, et sa peur prit le dessus ; il répondit avec un soupir à en renverser la vaisselle par terre, avant de s'échapper de la pièce. Au milieu de l'escalier, la dernière phrase qu'il entendit fut celle fatiguée de sa mère :

— Qu'est-ce qu'il m'agace...

Bien sûr, Jules n'oublia pas de claquer la porte de sa chambre. Ses yeux pointèrent vers la table de chevet par habitude : Amé s'y trouvait sous sa forme de pierre. Heureusement ! Jules s'affala sur son lit sans avoir à supporter ses remarques.

Il se laissa emporter par le flot de frustration, de colère, d'émotions mauvaises qu'il ne saurait même pas nommer. Mais soudain il prit peur. Peur que Bébé en profite pour lui hurler dans la tête.

Alors Jules chercha comment échapper à ce flot avant de s'y noyer... Intuitivement, il respira. Inspirer... Expirer... Le garçon retrouva un semblant de lucidité. Il bloqua l'air dans sa gorge lorsque son téléphone vibra.

Il s'empara de son portable ; Luna lui avait envoyé un message. Jules put respirer à nouveau.

« Tu vas mieux ? » lui demandait-elle.

Il l'appela aussitôt pour prévenir que Bébé ne pleurait plus.

— Je suis soulagée, alors ! s'exclama Luna rassurée.

Sa bonne humeur contagia Jules même à distance. Il en oublia qu'à la minute précédente, la colère l'envahissait. Les deux amis ne purent s'empêcher de discuter. La conversation ne devait cependant pas durer beaucoup plus, car Luna était à un repas chez sa famille paternelle.

— Avant de raccrocher, se précipita Jules, je voulais te dire : j'ai oublié ma trousse de médicaments chez Arthur.

— Mince ! Heureusement, je crois qu'il est chez lui toute la journée, aujourd'hui. Tu sais où il habite maintenant, tu peux aller le chercher. Je vais le prévenir que tu arrives.

— Non, attends ! Tu ne peux pas y aller à ma place, plutôt ?

— Je suis chez mes grands-parents, mon Jules.

— Tant pis, un autre jour alors. Ce n'est pas urgent.

S'ensuit un silence. Jules sentit le ridicule grimper en lui, réalisant soudain pourquoi Luna se montrait stupéfaite. Elle s'exclama après un souffle amusé :

— J'y crois pas : t'oses pas le voir ? Tu peux faire un effort, quand même !

Jules le pouvait-il vraiment ? De toute manière, il ne voulait pas. Tant pis : il lui restait une boîte de traitement de fond dans un placard de la salle de bain. Pour ce qui est des médicaments de crise, il ferait sans le temps que Luna flanche face à son entêtement. Elle flancherait, n'est-ce pas ?

— T'es pénible, rit-elle. De toute façon, si c'est comme ça, je n'irai pas la chercher.

— S'il te plait ?

Malgré son ton mielleux, Luna raccrocha après un "non" amusé. Jules se retrouva sans trousse, à regarder le plafond blanc sur son lit.

— Bon, lança une voix fluette, au moins tu n'abuseras pas des médicaments.

Le garçon tourna la tête vers Amé.

Oh non, pas elle !

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