Chapitre 12 (2/3)

La pièce était sombre. Arthur avait jugé quelques spots colorés suffisants pour l'ensemble du salon. Mais avant tout, Jules fut frappé par la musique à réveiller les bébés de la France entière jusque Marseille. Il en voyait les ondes parcourir la pièce pour lui fracasser le crâne.

Devant lui, Luna et leur hôte continuaient de discuter. Jules ralentit le pas, se figea. Il regarda la jeune fille à la robe rouge s'éloigner, la main sur sa gourmette en cuir. Il se retrouva seul dans le vestibule.

Cinq minutes lui furent nécessaire pour réaliser : il fallait bien qu'il bouge pour ne pas passer la soirée contre la porte d'entrée ! Cependant, un problème subsistait : qu'est-ce qu'il pouvait bien faire, maintenant ? Jules réfléchit. Puisque la seule personne restée avec lui était une pierre violette agoraphobe, il n'avait que lui-même sur qui compter.

Il balaya la pièce du regard. À gauche, se tenait avachi un groupe de cinq inconnus sur un canapé sombre. Luna se trouvait juste derrière, un verre au contenu non identifié à la main. Arthur lui attrapa le dos de sa grande main baladeuse, pour la présenter à deux amis. À moins que Luna ne les connaisse déjà.

Au milieu, un billard sorti pour l'occasion réunissait un autre groupe d'adolescents. La pièce accueillait une vingtaine de personnes, amis proches ou simples connaissances d'Arthur, Jules ne savait pas. Dans le doute, il préféra parier sur un amas de figurants. Après tout, il en était un lui-même.

Le tour de la pièce se finit par la droite : le buffet. Longue table à la nappe sombre, garnie de ramequins et bouteilles pour tous les goûts. Classique, mais efficace. Jules décida où se rendre.

Il passa les premières dizaines de minutes à grignoter, se concentrant sur le goût des mini-pizzas pour échapper aux bruits ambiants et la solitude. Au moins, manger l'occupait. Toutes les deux minutes trente en moyenne - Jules n'avait rien d'autre à faire que de calculer -, les gens passaient récupérer quelques chips à côté de lui. Souvent on ne lui adressait pas un regard, parfois des yeux intrigués le scrutaient. Quelqu'un arriva même une fois pour le saluer, mais Jules n'était pas du genre bavard. Alors le garçon roux qui venait de l'interpeller rejoint vite un autre groupe plus accueillant.

Voilà plus d'une demi-heure que Jules grignotait au buffet. L'air étouffant de la pièce lui fit regretter le froid hivernal dehors. Qu'il doit se sentir bien au calme, le chat noir... À l'aide des quelques spots de lumière, le garçon commença à chercher Luna du regard.

Il la trouva tout de suite : elle n'avait pas bougé du canapé. Jules cessa de piocher des cacahuètes, alerte au moindre geste de son amie. Sous la demande d'Arthur, elle s'assit. Elle plaça ensuite sur la table basse son verre vide, un sourire plus haut que les oreilles. Puis vint le drame : Arthur posa ses mains sur sa cuisse.

Mais tu te rends compte de ce qu'il fait, Luna ! Réagis, ne le laisse pas faire !

Un autre invité, blond à lunettes, se plaça devant Jules. Il repartit bien vite lorsque le garçon ignora sa question. Le regard toujours rivé sur la jeune fille à la robe rouge, il piocha dans un ramequin. Une grimace le prit quand Bébé devint contrarié par son excès de biscuits.

Puis une seconde ; Luna embrassa Arthur. Un frisson de dégoût parcourut Jules lorsque la langue visqueuse du châtain s'invita dans la bouche de son amie. Ils en prenaient du temps, en plus !

Ils continuèrent encore, quand une troisième fois on se plaça face à Jules. La fille aux cheveux foncés, presque noirs, se tenait droite mais décontractée, un sourire affiché sous ses taches de rousseur.

— Qu'est-ce que tu fixes, comme ça ?

Jules mit du temps à comprendre qu'elle lui parlait. Déjà à cause du bruit ambiant, mais aussi avec la frustration de ne plus pouvoir surveiller sa meilleure amie. Il pensa ignorer royalement la jeune fille jusqu'à ce qu'elle se lasse, sauf qu'elle insista.

— T'es flippant ! Tu regardes quoi ?

Elle insistait encore ! Dans un souffle, Jules répondit :

— Rien, j'étais dans mes pensées.

— Tu veux un verre ? J'en ai un de trop.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Mojito.

— Non merci, je ne bois pas d'alcool.

La brune affichait une mine intriguée, puis moqueuse. D'une voix mielleuse elle théâtralisa :

— Oh, je vois. Monsieur préfère un jus d'orange ?

Aucune envie pour Jules de réagir à son ton sarcastique. Il était persuadé que la jeune fille fuirait illico un coincé comme lui. Mais non. Elle posa un de ses verres sur le buffet et avala le deuxième. Puis, elle s'écarta pour s'accouder à la table. Parfait ! Jules pouvait à nouveau observer le canapé.

Luna y était toujours et Arthur ne lâchait pas sa cuisse, laissant la tête de la jeune fille se reposer sur son épaule. Jules se retint de toutes ses forces pour ne pas courir le réprimander.

— T'es carrément tendu, toi, dit la fille aux taches de rousseur. Détends-toi, profite !

Toujours aucune réponse de la part de Jules. Mais elle ne démordit pas.

— T'es un pote d'Arthur ? Je t'ai jamais vu.

— Je suis le meilleur ami de sa copine.

— Ah, celle que tu regardes depuis tout à l'heure.

Pour le coup Jules ne s'y attendait pas. La remarque le déstabilisa et le laissa aussi réactif que les vieux ordinateurs du lycée. Ridicule, il répondit par un grommellement étouffé. Peu importe ce qu'elle en pensait, il n'avait pas pour ambition de se faire des amis ici.

— Bon, je te prends ton verre du coup, s'amusa la fille. Sinon, tu me demandes même pas qui je suis ?

Soudain, Luna tourna les yeux. Son regard croisa celui de Jules. Elle lui accorda un sourire, et pour une fois, le garçon ne sut le décrypter. Son visage s'apprêta à lui rendre son expression amicale, mais il se retint de justesse. Et si l'occasion ne se montrait pas parfaite pour retourner la situation avec Luna ? Faisant mine de ne pas voir la jeune fille, le garçon se tourna vers la brune, détendit son corps autant qu'il le pouvait, et lui demanda :

— Tu es une amie d'Arthur, du coup ?

— Ouais, enfin surtout camarade de classe, mais on s'aide parfois pour les devoirs, c'est sympa.

C'était bien ce qu'il lui semblait : que des figurants. Jules garda cependant la remarque pour lui. Sa mission pour l'instant était de nourrir la discussion. Seulement, son manque d'expériences sociales lui faisait défaut, et son interlocutrice semblait bien s'en amuser.

Le cerveau en feu, Jules lui posa des questions sur ses études, futiles, mais peu importe. Au loin sur son canapé, Luna pouvait seulement voir leurs lèvres bouger, et c'était tout ce qui comptait.

Au fil du temps, l'agitation de Bébé sous la chaleur de la pièce n'aida pas Jules à parler. Il peinait à se faire comprendre sous la musique assourdissante, malgré tout, la discussion continua, et amena même la fille vers un fou rire. De moquerie ? De toute manière, Luna ne le saurait pas ; pourvu qu'elle les regardait à ce moment-là.

Intrusive, bruyante, moqueuse : la brune n'était pas de ceux que Jules avait pour habitude de fréquenter. Ses paroles n'en restaient pas moins légères et divertissantes. Elles eurent le mérite de l'occuper une bonne partie de la soirée, si bien que Jules regretta presque de voir la jeune fille partir.

— Bon, lança-elle, je vais me servir un autre verre. Ravie de t'avoir rencontré en tout cas.

Le garçon lui répondit par un hochement de tête inutilement appuyé.

— Au fait, je suis Faustine. Toi ?

— Jules.

— OK, à une prochaine !

Faustine sautilla jusqu'à la table réservée aux bouteilles. Jules la regarda partir s'élancer vers un nouveau groupe d'adolescents. De nouveau seul, il reprit de plein fouet les ondes sonores tonitruantes, ferma quelques instants ses yeux pour échapper à la lumière des spots éblouissants. Alors, Jules resta planté là. À mesure que la soirée avançait, les gens lui lançaient sans gêne des regards interrogateurs. Mais même en bougeant de place, il resterait sans aucun doute l'attraction de la soirée.

Dire qu'il s'en fichait serait mentir. Néanmoins, Jules avait appris à faire face, sans rien dire. Il comptait bien rester là encore un moment. Jusqu'à ce que la panique le gagne ; quand il tourna la tête vers le canapé, Luna avait disparu.

À en croire le coup contre la tempe de Jules, Bébé était tout autant affolé que le garçon. Ce dernier scruta la pièce, alerte. Problème : le manque de lumière et la fatigue l'empêchèrent de bien voir.

Tant pis, il ne lâcherait pas tant qu'il ne l'aurait pas trouvé ! Sauf qu'à la deuxième inspection du salon, aucune Luna n'était en vue. Au bout d'un troisième tour de la pièce du regard, Jules aperçut Arthur au tournoi de billard.

La poitrine de Jules s'allégea. Au moins, son amie ne s'était pas éclipsée avec le châtain dans des endroits improbables. Néanmoins le mystère restait entier : où Luna était donc passée ?

— Ah, t'es là mon Jules ! Remarque, j'aurais dû commencer mes recherches ici.

Jules sursauta. Puis baissa les épaules de soulagement.

— Je te voyais plus, dit-il en se tournant vers son amie. Tu étais passée où ?

— Tout va bien, j'étais juste aux toilettes ! Tiens : je t'ai apporté du soda.

La bouche asséchée par les biscuits apéritifs, il accepta le verre, reconnaissant. Un instant les deux amis restèrent sans parler, juste à profiter de la présence rassurante de l'autre. Jules avait toujours le corps en sueur et les oreilles qui sifflaient, mais d'un coup, il se sentit un peu mieux.

Le garçon pensa évoquer une remarque sur Arthur, ou lui demander pourquoi Luna ne le rejoignait pas. Il se retint finalement quand il réalisa l'aspect désagréable du propos. La jeune fille s'exprima donc à sa place :

— Tu discutais avec quelqu'un, j'ai remarqué. C'est super si tu t'intègres bien. Je me suis sentie mal de t'avoir laissé seul, je suis vraiment désolée. Ça me rassure si tu as rencontré d'autres personnes !

Elle souriait, ravie, sincère. Elle devait se montrer déçue, pourtant ! Certes, elle avait bien remarqué le manège de Jules, mais à quoi bon si elle n'en comprenait pas le message ? Il aurait dû se douter que rendre Luna jalouse serait plus compliqué que de mélanger de l'huile avec de l'eau. Tant pis, son amie était de trop bonne humeur pour qu'il en soit vexé. Le mieux restait de profiter de ce moment avec elle.

Du moins, jusqu'à ce que Bébé se fasse toujours plus inquiétant. Jules cacha sa grimace de douleur avant de demander :

— Il faut que j'aille aux toilettes moi aussi, elles sont où ?

— Au fond du couloir, à droite.

— Merci. Bouge pas, j'arrive.

— Pourquoi tu pars vers l'entrée ? Les toilettes sont de l'autre côté.

Il déglutit en guise de réponse. En vérité, Luna savait très bien ce qu'il comptait chercher. Peut-être même avait-elle déjà compris l'état de Bébé depuis bien trop longtemps.

Le garçon aurait aimé le cacher pour ne pas l'inquiéter, mais sa trousse de médicaments se trouvait dans son manteau ; pas le choix que de s'y rendre pour les récupérer...

— Je t'ai dit qu'on pouvait partir si tu ne te sens pas bien, insista Luna. Les bus ne passent plus, mais il n'est pas encore trop tard pour appeler mes parents.

— Je t'assure que ça va, je vais prendre mon cachet et ça passera.

— Jules, ne te force pas pour moi...

Elle le suivit jusqu'au vestibule, mais il ne démordit pas. Sa trousse de médicaments en main, il la coinça discrètement contre son bras et s'éclipsa.

— Je reviens, annonça-t-il du ton le plus léger possible.

Pourvu qu'Arthur n'en profite pas pour venir te tripoter.

Jules ferma la porte des toilettes derrière lui. Enfin ! Du calme, de la solitude, du silence, enfin ! Il s'affala par terre. La musique continuait de taper contre le mur, mais celui-ci était là pour la contenir autant qu'il pouvait. Le garçon ne percevait plus que quelques boum-boums lointains.

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