Chapitre 11
Cauchemars. Sa longue nuit fut remplie de cauchemars. À propos de Jérémy qui le fuyait après la naissance du bébé, de Luna qui le moquait avec Arthur. Que des cauchemars.
En fin de matinée, Bébé finit par se calmer, mais laissa Jules désemparé. Son mal-être ne passait toujours pas quand son parrain arriva après le midi pour leur journée prévue.
— Bonne nouvelle si Bébé va mieux ! se réjouit Jérémy.
Jules quitta sa maison, en route vers celle de Jérémy. Elle se trouvait à une vingtaine de minutes en voiture. Dans un village modeste, elle faisait le pont entre la ville de Jules et la campagne perdue de ses grands-parents.
Le garçon retrouva la maison, enchanté. Ce jour-ci, l'herbe du jardin coloré était encore blanche du gel matinal. Les températures se montraient basses, mais aucune neige n'était tombée sur la région depuis le début d'hiver.
Non sans passer saluer Diane à la maison, Jules et Jérémy filèrent sur la terrasse. En été comme en hiver, accroché au mur de la maison, le panier de basket ne craignait jamais le vent. Le ballon déjà en main, Jérémy s'échauffa les poignets.
— Prêts ? demanda-t-il.
Jules acquiesça. Lorsque son parrain lui lança le ballon, toutes les sensations enfouies depuis des mois ressurgirent soudain. Une déferlante d'adrénaline parcourut son corps. Il dribbla avec tant d'énergie que le ballon rebondit bien trop haut, et lorsqu'il marqua dès le premier essai, il en sauta presque de joie.
Sans surprise, Jérémy était bien plus doué. Il avait délaissé le basket pour la musculation l'année dernière, mais les réflexes restaient toujours. Avec plusieurs années sans pratiquer derrière lui, Jules se montrait moins expert. Il n'était là que pour s'amuser, de toute manière.
Une fois le prochain panier marqué, tous deux soufflèrent sur leurs doigts frigorifiés. Leur gros manteau suffisait à peine à contrer le froid et leurs mains rougies ne demandaient qu'à se réchauffer. Tant pis : puisqu'ils voulaient jouer, ils le feraient peu importe ce que le ciel en pense.
Pendant une bonne demi-heure, parrain et filleul ne s'échangèrent rien d'autre que le ballon. Et puis Jérémy, alors que Jules posait fièrement suite à son énième panier, prononça les premiers mots :
— Tu as déjà pensé à reprendre le basket ? Ça pourrait être sympa.
— C'est maman qui t'a envoyé pour me persuader ?
— Pas du tout, rit le plus âgé. Je viens juste de me faire la réflexion, c'est tout.
— J'ai plus envie maintenant, tu le sais.
Jérémy lui rendit une mine triste, et Jules en rata son panier. Frustré, le garçon serra les dents.
— Je faisais trop de choses : basket, musique, club de peinture, et sans compter les compétitions le dimanche. À trop vouloir me donner d'activités, ma mère m'a dégoûté de tout.
— Ne lui en veux pas, s'attrista son parrain. Elle pensait bien faire.
Jules invita Jérémy à continuer de jouer. Mais ce dernier insista :
— Tu faisais trop de choses en une semaine, mais si tu ne reprenais que le basket, ça pourrait à nouveau te plaire. Et surtout, ça te ferait du bien, à toi et à Bébé aussi.
— Je n'ai pas le temps de toute façon.
— Menteur ! s'amusa le parrain. Lâche un peu ton portable, et tu verras : tu auras tout le temps qu'il te faut.
Sans doute. Cela dit, Jules n'eut guère envie de suivre son conseil pour autant. Profiter du panier de son parrain, c'était déjà bien suffisant. D'autant plus qu'il ne mentait qu'à moitié : pour se concentrer pleinement sur ses études, le garçon ne pouvait pas se permettre de passer ses soirées autre part qu'à son bureau. Autant se préparer avant sa première année de médecine.
Jules et Jérémy rentrèrent quand le ciel devint trop noir pour distinguer le panier. Le parrain invita le garçon dans la maison, lequel accepta volontiers la douce chaleur de l'intérieur. Il se débarrassa de son manteau et de ses baskets ; même le carrelage lui réchauffait les pieds givrés.
Dans la cuisine, au bout du couloir, régnait une odeur de chocolat. Elle parvenait chaleureusement jusqu'à eux, et Diane fit de même.
— Vous êtes rentrés tard, vous devez être gelés !
Elle voulut confirmer ses suspicions en prenant les mains de son amant, qui lui répondit par un baiser. Jules détourna les yeux. Six ans plus tôt, il aurait sans gêne tiré la langue.
— Vous avez bien profité au moins, continua Diane. Je meurs d'envie de faire du sport...
Dans la cuisine aux teintes verdâtres les attendait un fondant au chocolat. Jules s'installa sans se faire prier et accepta une part, l'eau à la bouche. Le gâteau cachait une pointe de cannelle qui s'associait avec le cacao sans fausse note. Diane possédait de vrais dons en pâtisserie, Jules avait vite été contraint de l'avouer. En ajoutant les plats succulents de Jérémy, la maisonnée devait se régaler les sept jours de la semaine.
Rien à voir avec les plats préparés de maman...
Soudain, Jérémy se leva. Curieux l'adolescent l'observa se rendre dans le salon. Il y revint un paquet emballé d'une couleur aussi douteuse que celle de la cuisine dans les mains. Jules compris qui avait choisi le papier cadeau.
— Bon anniversaire, mon garçon !
Jules rougit de gêne. Diane le fixait avec le même air joyeux que son compagnon. Ensemble, ils l'invitèrent à ouvrir le cadeau. Son visage s'émerveilla devant une encyclopédie sur les chiens. Impossible pour lui d'attendre avant de la feuilleter.
— Tes parents ne peuvent pas accueillir un chien, expliqua Jérémy, mais autant te préparer le jour où tu adopteras un compagnon.
Jules les remercia grandement.
Son assiette finit, Diane servit au garçon une deuxième part. Il profitait de chaque saveur chocolatée qui se dévoilait sur sa langue. Il profitait de ce moment loin de chez lui, loin des problèmes, avec pour seule compagnie l'humour léger de son parrain.
Il profitait, quand soudain au fond de la pièce, entre le réfrigérateur et une plante verte, il aperçut une chaise haute. Dans l'ombre, blanche et décorée de mille petits lapins, elle n'attendait que de trouver la lumière.
Son assiette vide, Diane posa la main sur son ventre. Par satiété ? Fort probablement non ! Pourtant, Jules était persuadé que sans annonce, jamais il n'aurait remarqué que quelqu'un s'était installé sous son nombril. À partir de combien de mois, la grossesse se remarquait-elle ? Pour le garçon, le plus tôt serait le mieux. Autrement il continuerait à chaque nouvelle journée de croire à un stupide coup monté.
— Au fait, Jules, intervint Diane, Jérémy t'a annoncé pour le sexe du bébé ?
Un coup monté drôlement bien orchestré. Perdu, Jules chercha son parrain du regard. Celui-ci vint à son secours :
— Non, j'ai préféré attendre.
— Alors, enchaîna Diane, tu veux savoir ?
De toute évidence, « oui » était la seule réponse attendue. Après tout, la curiosité ne tarda pas à le guetter. Jules s'imagina un garçon. Ça doit pleurer moins, un garçon.
Il acquiesça timidement vers Diane, qui invita son compagnon à répondre. Depuis la réaction du garçon avant Noël, difficile pour Jérémy de parler de son enfant à Jules. À sa voix, le filleul sentit comme une honte d'être heureux. Il annonça :
— C'est une fille.
Ah...
— Super !
Autant qu'il put, Jules contint sa déception, mais Jérémy n'était pas dupe. Et pendant que Diane retenait ses larmes de bonheur qui avaient dû couler à flot la veille, filleul et parrain se regardèrent, un faux sourire sur les lèvres.
Puis, il fut temps de rentrer. Au trajet du retour, personne ne parla. Comme souvent Jérémy augmenta le volume de son album de rock à en faire crier toute la rue, mais pour une fois, les deux fans ne se dandinaient pas au rythme de la musique. Jules ne sut que fixer la vitre place passager.
Dans un même temps, il triturait Amé. Elle le réprimanderait inévitablement une fois rentrés, mais impossible pour Jules de garder les mains vides. Son parrain n'avait d'ailleurs pas fait allusion à la pierre de la journée. Tant pis pour lui : il n'apprendrait jamais la vérité, et puis c'était tout.
La voiture se gara. De retour dans sa rue pleine de briques et de macadam, Jules salua une dernière fois le chauffeur avant d'ouvrir la portière.
— Écoute, Jules.
Il se retourna. Les yeux rivés sur le pare-brise, Jérémy poursuivit :
— Tu as le droit d'être déçu, triste ou peu importe. Mais s'il te plait, ne m'empêche pas d'être heureux.
— Je... Désolé.
Il faisait froid dehors. Face à la portière ouverte, Jules reçut une rafale de vent sur le visage. Néanmoins il fallait partir. Un fois les pieds au sol, il quitta la voiture des yeux. Les pneus laissèrent un crissement derrière eux. Jusqu'à sa chambre, Jules marcha les épaules fermées, les yeux rivés vers le sol.
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