❅-4 Décembre-❅
(3132 mots)
C'était devenu une obsession en une seule nuit, et c'était ridicule. C'était plus que ridicule, ce n'était que ridicule. Il était ridicule. Il le pensait si fort en observant le secrétaire, qui était aussi son voisin, assis au bureau de l'accueil, le dos courbé alors qu'il était au téléphone, écrivant des informations pour un patient. De quoi avait-il donc l'air ? À l'observer comme un psychopathe depuis son bureau ? Qui pouvait vraiment le dire. Il ne pouvait pas décrocher ses yeux de lui parce que là, en le regardant ainsi, le souvenir était réel, le garçon de la station de ski, c'était lui. Ça semblait complètement invraisemblable et pourtant le sentiment de le revoir était si puissant qu'il n'arrivait pas à l'ignorer, pas aujourd'hui en tout cas. Il en avait assez de ne pas remettre un visage sur ce garçon, ni de prénom, et de tant le retrouver en cet inconnu, il avait besoin de savoir si c'était lui ou si son cerveau lui jouait d'énormes tours pour le torturer. Maintenant qu'il était à nouveau seul, loin de son ex, son cerveau lui jouait des tours, ça devait être ça.
« Euh... monsieur ? » Il sursauta sur son fauteuil et manqua de se casser la figure sur le sol en roulant. Mais il eut le privilège de rester digne sur sa chaise. Puis il toussa et feignit l'indifférence en se redressant à l'entrée de son bureau.
« Oui ? » Demanda-t-il en toussant dans son poing.
« Hum, ça... ça fait un petit moment que vous êtes là, ça devient terrifiant. » Il se sentit complètement idiot en regardant l'homme assis sur sa chaise au bureau de l'accueil. Il avait sur sa tête un chapeau de père Noël et il ne put s'empêcher de trouver ça un peu amusant et mignon, surtout assorti à ses lunettes rondes. « Et puis c'est l'heure de votre pause. »
« Oh. » Réalisa-t-il. Il observa autour de lui, un peu perdu. Il fronça ses sourcils et poussa sur ses pieds pour faire rouler sa chaise dans son bureau à nouveau, feignant la nonchalance alors qu'il venait de se taper une sacrée honte. Il passa derrière son bureau et tapota ses doigts sur le bois en attrapant la souris de l'ordinateur pour le mettre en veille.
« Louis, il y a le lycée de ta fille sur la ligne. » Harry fronça les sourcils en entendant le second secrétaire médical parler. Louis. Quelque chose venait de le perturber, il ne savait pas quoi exactement, mais quelque chose venait de chatouiller son ventre. Il entendit du mouvement dans l'autre pièce et Louis parler au téléphone ensuite. Il se leva calmement de sa chaise et s'approcha de la porte pour jeter à nouveau un coup d'œil. Le secrétaire avait un air un peu préoccupé alors que ses doigts étaient serrés autant que possible autour du téléphone à son oreille, où quelqu'un devait lui parler. Le froncement sur son visage. Ses lèvres pincées. Ses joues rougies par son angoisse alors qu'il retenait son souffle. Oui, Harry savait qu'il était en train de retenir son souffle. Les doigts agiles, graciles et fins de Louis tapotèrent le bord de la table et il dit quelque chose d'autre dans le téléphone avant de se lever et de raccrocher brusquement, gardant sa main sur le téléphone une seconde en le fixant. L'étrange blocage sembla durer longtemps, tellement que Harry eut comme un déclic en le voyant ainsi.
« Ma... ma mère est à l'hôpital. »
« Qu'est-ce qu'elle a ? »
« Elle a fait une chute dans l'escalier à cause de mon idiot de frangin... »
« Oh non, est-ce qu'elle va bien ? »
« Pas vraiment... Harry. » Et il n'avait jamais oublié... le bleu perçant de ses yeux s'enfoncer en lui, aussi froid que l'hiver, s'engouffrer dans son cœur, alors que les lumières de Noël éclairaient son visage de leurs couleurs, décorant ses pommettes sur lesquelles des perles salées roulaient en silence. Il se souvenait de la douleur, de la sensation de sa voix quand elle craquait. « Harry, je dois rentrer à Londres pour la voir. »
« Oui, oui bien sûr ! Quand ça ? »
« Je... je vais partir demain je pense, je vais prévenir mes potes. »
« Non... non, Louis tu avais dit... » Louis. C'était son prénom. Celui de son amour de vacances d'il y avait maintenant vingt et un ans... Louis.
« Louis ! » Il sursauta quand la porte du cabinet s'ouvrit violemment, et tout ce qu'il vit fut Louis disparaissant dans le parking en courant, veste sous le bras. De lui il ne restait que le bonnet rouge sur le sol, abandonné et Harry, perdu. Presque comme la première fois.
~
« Pardon, excusez-moi. » Louis pouvait parler avec tout le calme qu'il voulait, ça ne pouvait pas changer le fait qu'il était en train de pousser tout le monde sur son passage à travers le lycée pour rejoindre le terrain de sport. Ce n'était pas la première fois qu'il arrivait quelque chose à Liv pendant les cours de sport, elle était revenue avec des foulures, de vilaines écorchures en raison de chutes maladroites, mais c'était pourtant bien la première fois qu'elle faisait un malaise. Ce n'était peut-être rien de grave, mais pour Louis c'était ce qui pouvait le plus se rapprocher de la fin du monde. Alors c'est avec son habituelle inquiétude de père protecteur qu'il débarqua sur le terrain d'athlétisme. Il y avait un petit attroupement à un certain endroit et il en déduit que c'était là qu'il allait, alors son pas redoubla de rapidité et il s'empressa de se frayer un chemin entre les élèves pour trouver Liv, assise sur le banc, tenant un sachet de sucre entre ses doigts que sa prof lui avait probablement donné. « Bon sang comment tu vas. » Il se laissa tomber à genoux devant sa fille, sa toute petite fille, sa si petite et si fragile petite fille, son trésor, son unique source de bonheur, son monde entier.
Il encadra son visage de ses mains et Liv enfonça ses yeux dans les siens. « Je vais bien papa. » Dit-elle en souriant.
« Je te ramène à la maison. » Il se leva et la tira avec lui pour la prendre dans ses bras et la soulever du sol. Il avait beau avoir trente-huit ans ou presque, il ne serait jamais trop vieux ou trop fatigué pour s'occuper de sa fille, de son bébé. Il n'écouta même pas un mot de ce que la professeure voulait lui dire, il partit. « Comment tu as fait pour faire un malaise ? Tu as mangé ce matin ? Tu bois assez ? Est-ce que tu manges de tout ? Tu as peut-être des carences. » Il observa Liv faire une moue silencieuse en observant son ventre, resserrant ses mains à la nuque de son père en laissant ensuite tomber sa tête contre son épaule.
« Non, je suis juste fatiguée je pense. J'ai dû faire une crise d'asthme un peu violente. » Expliqua-t-elle simplement. « T'avais pas besoin de faire tout ça devant ma classe par contre hein. »
« Je suis juste inquiet et c'est normal. » Excusa-t-il.
« Tu ne vas quand même pas me porter à travers le lycée ? Je te signale que j'ai une vie sociale ici. » Louis rigola doucement en s'arrêtant devant les vestiaires et il la posa.
« Va chercher tes affaires. » La jeune fille s'exécuta et il pinça ses lèvres en l'observant. Bien sûr que ce n'était pas très normal d s'inquiéter si fort et dangereusement pour si peu, avoir un coup de mou pouvait arriver à n'importe qui, mais Liv était tout pour lui, s'il devait lui arriver quelque chose il ne saurait jamais comment s'en remettre, comment passer au-dessus. Et c'était pour ces raisons très précises qu'il aurait préféré pouvoir rester avec elle chez eux, à la maison et la surveiller du coin de l'œil. Cependant il avait du travail et ne pouvait pas juste surprendre tout le monde en prenant son après-midi comme ça, alors qu'il était supposé être un bon employé.
C'est donc à contre-cœur qu'il dû repartir de chez lui, après avoir mangé avec Liv, pour retourner à la clinique avant qu'elle n'ouvre à nouveau pour l'après-midi. On lui demanda bien ce qu'il s'était passé, mais bien évidemment il n'avait rien dit. Il avait fait son travail, ce qu'on lui avait demandé de faire, et c'était tout. Il avait passé beaucoup de temps à surveiller son téléphone, même alors que c'était interdit pendant les heures de travail, il voulait être sûr de pouvoir être joignable si Liv avait besoin de lui. Mais bien entendu la journée s'était finie sans qu'elle ne le sonne une seule fois. La seule chose qu'il fut bien sûr de sentir à un moment fut bien, cependant, une étrange présence pesant autour de lui, comme si quelqu'un ou quelque chose n'avait fait que le regarder depuis le début, dès l'instant où il avait posé ses fesses sur son fauteuil. Après avoir surpris le docteur Styles dans l'encadrement de son bureau en train de l'épier il était plutôt sûr que ce n'était pas qu'une bête impression.
Peut-être que Liv avait parlé avec lui, peut-être qu'elle voulait vraiment arranger quelque chose entre eux, même alors que personne n'avait aucune idée de la sexualité de leur cher voisin, et par conséquent il était curieux à son sujet ? C'était la seule solution qu'il avait à cet étrange problème, il allait devoir en parler avec sa fille pour savoir si elle avait vraiment fait ça, et surtout très vite s'excuser auprès de son voisin pour le malaise qu'elle lui avait procuré.
« Louis ! » Il se figea de surprise alors qu'il allait ouvrir la portière de sa voiture pour tranquillement rentrer chez lui. Il se tourna, un peu incrédule. Pourquoi l'appellerait-il ? Le docteur se précipitait vers lui d'un pas rapide, souriant de toutes ses dents et creusant deux adorables fossettes enfantines qui semblaient si larges et profondes que ça donnait un aspect un peu grand à son sourire, comique, presque marrant, mais Louis ne fut même pas amusé, il n'eut même pas envie de rire à ce sourire asymétrique, rendu si immensément comique, parce qu'il était beau, et sincère. « Comment ça va, votre fille ? » Lui demanda-t-il en se postant devant lui, toujours souriant, ses sourcils s'abaissant pour laisser pourtant bien voir sa préoccupation. Il se faisait du souci. Louis ne savait pas s'il voulait lui dire que ça ne le regardait pas ou s'il trouvait ça trop touchant pour faire n'importe quelle remarque.
Bien sûr que ses collègues lui avaient demandé aussi, mais lui... lui demandait vraiment, et sincèrement. Alors il sentit son cœur se serrer et se chauffer et il racla sa gorge brusquement. « Oui. Elle va bien, juste un petit malaise en sport, je voulais justement rentrer vite pour voir comment elle allait. » Expliqua-t-il en pointa la voiture et désignant ses clés dans sa main ensuite.
« Oh, désolé de vous retenir de la sorte. » Répondit-il en riant. « C'est que tu... enfin vous aviez l'air assez préoccupé et distrait par cette histoire. Alors je me faisais un peu de soucis. » Poursuivit-il en souriant un peu plus et enfonçant ses yeux dans les siens, sincères et emplis d'amitié. Pourquoi avait-il l'air si nonchalant, si détendu, comme si... comme s'ils s'étaient déjà parlé avant, se connaissaient déjà, depuis longtemps, comme s'ils n'étaient pas deux inconnus. Peut-être qu'il se faisait des idées, mais il était plutôt sûr que l'homme en face de lui avait un langage corporel bien plus détendu et calme, voir serein, plus à l'aise, que le jour de leur rencontre, le dimanche même. Et... et il n'en eut rien à faire ? Louis était pourtant tellement attaché aux politesses, à l'idée de ne pas tout de suite être trop proche des gens qu'on ne connaissait pas, il était toujours un peu réservé face aux nouvelles personnes, comme tout le monde, c'était si étrange de si facilement accepter qu'un homme qu'il ne connaissait pas soit si à l'aise avec lui, lui parlant de sa fille, riant comme cela, avec un air naturel. Peut-être faisait-il trop attention aux détails, oui, mais ce qui compta le plus au final fut quand même la voix au fond de lui qui lui chuchota 'laisse-le faire, il a le droit, lui il a le droit'. Pourquoi ? Qu'avait-il de si spécial que quelque chose en lui semblait saisir et remarquer ? « Donc tout va bien ? »
« Oui, désolé de vous inquiéter. » Sourit-il en laissant retomber sa main contre sa cuisse et secouant sa tête. « Ma fille est juste un peu maladroite, il ne lui est vraiment rien arrivé de grave. »
« Très bien alors. » Conclut l'autre. « Oh, et... je ne crois pas que je me sois proprement présenté. » Dit-il soudain, son sourire s'élargissant un peu mieux. « Je suis Harry. » Louis lui sourit en seule réponse et un étrange silence s'ensuivit, Harry en face de lui l'observa d'une étrange façon, laissant penser qu'il attendait quelque chose. Quoi ? Il ne savait pas, mais plus les secondes passaient et plus le regard de l'homme semblait empli d'attente, une attente grimpante, qui devenait gênante. Sans trop savoir où se mettre, il racla sa gorge pour essayer de réveiller Harry et celui-ci secoua sa tête brusquement. « Oh désolé je... rien. Je... vous me rappelez vraiment quelqu'un que je connaissais et je- ce n'est pas grave. Pardon. » Il fit un petit signe de main pour signifier son pardon et le fait qu'il voulait balayer la situation sur le côté avec le vent autour d'eux, espérant que le malaise s'efface peut-être un peu. Son regard se fit fuyant et il offrit un au revoir juste avant de se tourner pour partir.
Louis le regarda marcher gauchement vers sa voiture pour vite s'engouffrer dedans. Le froncement sur son front se détendit finalement mais ça ne l'empêcha pas de continuer à trouver cet individu drôlement étrange, mais d'une façon presque touchante, il avait l'air d'un faon maladroit, il était grand et ridiculement mignon, c'était un peu un grand Bambi. Au-delà de cette comparaison clairement ridicule pour un homme de l'âge du docteur, il trouva comme un sentiment de déjà-vu dans cette comparaison. Il avait déjà, dans sa vie, ou une autre peut-être, comparé quelqu'un à un bébé cerf et il fallait que vous sachiez que ce n'était pas tous les jours qu'on comparait un inconnu à un bébé cerf. C'était, par conséquent, un peu étrange, et il fut plutôt sûr que ça lui ramena quelques sourires, trop lointains. Des souvenirs flous, emplis de brouillard, presque en noir et blanc, il se souvenait de ses pas et de ceux d'un autre, dans le noir, dans le couloir tapissé de moquette douce, chaude. Il ne se souvenait pas de beaucoup, d'un garçon plus grand que lui et de ses mains larges, grandes, courbées sur ses hanches. Il n'avait aucun souvenir de cet hiver-là, il savait qu'il avait aimé quelqu'un, mais plus de qui il était, il ne se souvenait pas de son corps, de son odeur ou du son de sa voix, il ne se souvenait pas de ses yeux, de son visage, de la couleur de sa peau ou de ses cheveux. Mais il se souvenait que lui aussi, c'était un bébé cerf, maladroit, mignon.
Il haussa lâchement une épaule pour lui-même, comme pour ranger ces dernières pensées sur le côté. Il entra dans sa voiture et sur un dernier regard vers son voisin, il démarra pour partir.
La clinique n'était pas bien loin de chez Louis, dans le centre-ville de leur banlieue alors qu'il vivait dans la périphérie un peu plus basse, dans les beaux quartiers comme disaient la plupart des gens. En voiture, il pouvait faire un aller entre les deux en une dizaine de minutes. S'il vivait dans les beaux quartiers, c'était bien uniquement parce qu'à un moment dans leur vie ils en avaient eu les moyens, principalement grâce à l'emploi de sa femme. Il avait touché une assurance vie à son décès, pas très incroyable mais qui avait aussi énormément aidé au remboursement du prêt bancaire qui faisait qu'il n'avait plus de dettes par rapport à la maison. Ça voulait aussi dire que déménager n'était pas prévu, parce que si c'était pour finir dans une maison minuscule et moins confortable alors qu'il était propriétaire sans dettes alors il valait mieux passer son tour.
Il arriva plutôt rapidement chez lui. À cette période de l'année, les maisons commençaient les unes après les autres à sortir les décorations, dès l'instant où quelqu'un installait les siennes, tout le monde suivait. Il n'y avait pas beaucoup de maisons qui n'étaient pas encore décorées, la sienne, celle d'Harry et quelques autres. Dans la rue, par conséquent, les lumières des guirlandes donnaient un côté féerique et magique à la vie.
Une fois garé et le portail refermé, Louis rentra et fut accueilli par Liv qui lui chanta son bonjour depuis le salon. Il posa ses affaires sur le meuble de l'entrée et retira bonnet et veste avant de rejoindre sa fille. Elle se tourna en souriant vers lui et il se coinça contre le chambranle de la porte. « Dis-moi. » Introduit-il en fronçant ses sourcils. Liv leva les yeux vers lui en souriant. « Est-ce que tu as parlé avec le voisin ? » Liv marqua sa confusion en le regardant. « Il avait... l'air bizarre aujourd'hui, alors je me suis dit que tu avais mis ton nez dans des affaires qui ne te regardaient pas ? »
« Ah bah merci la confiance monsieur ! » Rit-elle avec ironie. « Je ne lui ai rien dit moi à Harry. » Dit-elle en se tournant vers son téléphone et se mettant plus à l'aise sur le canapé. « Peut-être que tu lui plais simplement. » Elle haussa ses épaules et il sentit quelque chose d'étrange dans sa poitrine.
Oui, il avait connu des gens, des copains, des copines, mais ça faisait maintenant un petit moment qu'il n'avait plus vu grand monde. À presque quarante ans, les gens de son âge étaient rarement célibataires et s'ils l'étaient c'était parce qu'il ne voulait pas être en couple, justement. L'idée qu'il plaise à quelqu'un était étrange à ses yeux, il avait l'impression que c'était quelque chose pour les enfants et pas vraiment pour quelqu'un de son âge. Puis c'était sûrement n'importe quoi, Harry et lui ne se connaissaient pas et puis il ne voyait pas ce qui pourrait intéresser un père célibataire comme son voisin chez lui.
Il décida que ce n'était pas important. Il s'ébroua et racla vivement sa gorge avant de partir vers la cuisine pour préparer le repas.
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