❅-16 Décembre-❅

(4662 mots)

Il ne savait plus exactement quand ça avait commencé, mais Louis pouvait écrire dans le noir. Ce n'était tout de même pas recommandé avec sa vue qui flanchait d'année en année, et pourtant. Heureusement, il n'était pas ici question d'écrire dans le noir sur une feuille et avec un crayon. On parlait d'écrire avec un clavier. Il n'avait plus besoin de regarder les touches maintenant, il savait juste où elles étaient sur le clavier, sans avoir besoin de regarder avant, même pour être sûr. Alors il pouvait commencer à écrire quand il y voyait encore clair et s'arrêter n'importe quand, même quand il faisait totalement noir. Ses doigts n'avaient plus besoin de ses yeux pour fonctionner maintenant. C'était aussi une bonne chose parce que dès l'instant où il n'arrivait plus à trouver les lettres comme il le fallait, ça voulait dire qu'il était temps d'aller au lit et de se reposer un peu.

Ce qui nous amenait donc à maintenant. Louis était assis à son bureau depuis longtemps, des heures ou des minutes, qui pourrait vraiment le dire ou l'affirmer. Ses yeux suivaient les lignes qu'il écrivait instinctivement le long de son écran de pc. Sans même avoir besoin de réfléchir, tout venait de soi-même à lui, sans qu'il n'ait à le forcer. Il aimait quand ça se passait comme ça, quand tout venait et que ce n'était pas difficile. Quand tout coulait naturellement sous ses doigts, comme de l'eau dans une rivière, mais de l'eau sur laquelle il aurait un contrôle. Écrire était magique. Louis aimait que tout soit clair et précis et quoi de mieux que d'écrire et créer ses propres univers ? C'était sa façon d'être le plus en sécurité possible, il avait le contrôle sur tout quand il écrivait. Ses émotions personnelles, sa vie, celle d'une personne qu'il avait créée. Il savait comment tout fonctionnerait. Il savait comment tout finirait. Rien n'était impossible. Rien ne faisait peur.

Louis avait toujours aimé se sentir dans ce genre de sûreté, et c'était d'ailleurs probablement pour ça que l'écriture était devenue son hobby très vite dans la vie.

Depuis quelques années maintenant, Louis écrivait principalement des choses pour ne pas oublier ses sentiments, comment il se sentait, comment il s'était sentit à un instant. Pour que tout lui semble réel et que son existence ne soit pas vide. Depuis tout à l'heure cependant, pour la première fois depuis drôlement longtemps, pour ne pas dire qu'il n'avait jamais écrit pareille chose, il était très concentré sur un conte légèrement fantasmagorique. Il écrivait ce qui lui passait par la tête et ce n'était en rien semblable avec ce qu'il avait écrit jusque-là. Il parlait ici de chaleur, de touchers, de caresses, de baisers torrides, d'amour passionnel des premiers soirs, de se donner à un bel inconnu. Il était en train de s'exciter tout seul sur un truc qu'il était en train d'écrire à propos de Harry. Et il n'était même pas sûr d'avoir honte de l'admettre parce que ça lui faisait vraiment du bien d'extérioriser tout ce désir qui refusait de le laisser dormir.

Il n'écrivait pas en utilisant le prénom de Harry, ni même le sien, mais disons qu'il aurait pu le faire s'il n'avait eu vraiment aucune honte. Parce que, quelle étrange image donnait-il là, à écrire un fantasme porno en plein milieu de la nuit. C'était n'importe quoi n'est-ce pas ? Il était bien trop en manque de sexe, ça en était presque grave. Il fallait peut-être qu'il s'arrête, n'était-il pas supposé avoir repoussé Harry ? Il n'était plus supposé avoir à faire à lui de n'importe quelle façon maintenant. Mais il était là, perdu dans ses propres pensées, perdu dans son fil de fantasme doré.

Il poussa un soupir et se risqua une seconde à relire les derniers mots pour ne réaliser que le simple fait que ça ne faisait que le faire tomber encore plus bas dans la luxure qui inondait déjà tout son corps. Il pourrait en faire fondre la neige s'il partait s'y coucher, tellement la chaleur en lui était intense. Elle brûlait sa peau avec une irritation folle qui déchaînait les hordes de fourmillements dans tout son corps, sur ses joues, dans son ventre.

Il était peut-être l'heure d'aller dormir non ? De calmer toute cette ardeur et de la laisser se faire oublier par le sommeil et la nuit, l'obscurité, ne plus jamais y penser, ne plus jamais en parler et revenir à la vie, la sienne, loin de ça. C'était toujours plus agréable de se laisser aller la nuit, les choses interdites se passaient la nuit, on pouvait s'y cacher, dans le noir, dans le froid, dans les recoins sombres, c'était là qu'on cachait tout ce qui nous faisait honte, tout ce qu'on ne voulait pas admettre, tout ce qu'on ne voulait pas prendre le risque de laisser être entrevu par un autre être humain. Tout le monde avait honte de quelque chose, même de choses que tout le monde faisait finalement. L'homme, malgré ses grandes apparences avec son ouverture sur le porno, le sexe, et autres choses sans tabous que l'on trouvait à la télé, était un animal drôlement, et paradoxalement, très pudique.

La pensée lui tira un petit sourire amusé. Il aimait bien avoir de telles réflexions, elles n'étaient pas spécialement utiles, ni spécialement incroyables, mais ça l'amusait de se dire qu'il avait des pensées comme celles-ci, il avait toujours pensé d'une façon un peu différente, les partager lui valait souvent de se retrouver avec des regards un peu surpris et confus, et c'était toujours une réaction marrante. En son humble opinion. Il se leva ensuite de son fauteuil, attrapant la hanse de sa tasse et baillant bruyamment en sauvegardant son travail. Il ferma l'ordinateur portable et le vide sans lumière s'abattit sur ses épaules. La maison était silencieuse, éclairée par les lumières étincelantes de leur arbre de Noël dehors qui s'invitait par les fenêtres. Il resta là une seconde.

Il se souvenait. Dimanche dernier. S'être levé. Le silence dans la maison, accompagné par l'odeur de l'omelette que Harry avait fait cuire, quelque chose qui lui ressemblait simplement, de faire à manger pour son hôte. Le silence ce matin-là lui avait paru magique et mystique, quelque chose de doux. Ce soir-là le silence n'était plus le même. Il aurait pu retrouver ce même silence, et il le savait, il aurait pu sortir de cette pièce et entendre ce silence de confort, de magie, avec la présence d'une personne dans sa chambre qu'il entendrait respirer d'ici, comme un doux ronflement, pas quelque chose de gênant. Mais il n'avait pas ce silence. C'était un silence mort, sans son, sans rien, juste le ronronnement lugubre du frigo et le hurlement du vent dehors, sans personne pour le serrer dans ses bras, sans personne pour se réveiller quand ce serait inévitable de faire autrement au moment d'entrer sous les draps. Une personne qui pousserait un soupir de confort et le tirerait contre lui. Une personne qui lui chuchoterait quelque chose, peut-être qu'il se couchait trop tard et que ce n'était pas très bien pour sa santé, ou alors qui lui dirait simplement bonne nuit, ou qu'il lui avait manqué, qu'il était content qu'il arrive enfin au lit.

Peut-être... peut-être que ça manquait vraiment à sa vie, d'avoir quelqu'un ? Non. Non. Elle était partie, la seule personne qu'il avait aimée si fort, ainsi, n'était plus là. C'était tout.

Alors il s'ébroua silencieusement et partit poser la tasse dans la cuisine, là où il la nettoierait plus tard. Il poussa un soupir en arpentant le couloir, traînant des pieds sur le sol avec lassitude. Il se laissa lourdement tomber dans son grand lit vide et poussa un souffle qui devint un sourire sur le bord de ses lèvres, comme s'il pouvait la voir là, allongée à côté de lui, souriante et à moitié endormie. Mais il n'y avait personne. Alors il ferma ses yeux pour dormir, murmurant une bonne nuit juste pour ne pas que son impression qu'elle était bien là s'en aille, ça le mettait à l'aise de la penser ici.

« Pourquoi tu te fais ça à toi-même mon amour ? » Il sursauta. Quoi ? Qui ? Où ? Les questions fusèrent et il put jurer que c'était réel, mais pourtant aussi sûrement dans sa tête. Et pourtant... et pourtant quand il ouvrit les yeux, quand sa vue se concentra en face de lui il fut sûr et certain qu'elle était là, que c'était elle. Elle était belle, si belle, elle souriait, ses cheveux longs tombant sur son oreiller. Un ange ? Une fée ? Un mirage ? Un tour joué par son esprit ? Un miracle de Noël ? Un rêve ? Il aurait aimé parler, l'appeler par son prénom, dire quelque chose, faire quelque chose. Mais c'était comme si tout était coincé, son corps, son esprit. Dormait-il encore ? Était-ce une paralysie du sommeil ? Il en avait entendu parler de ce genre de phénomènes. Il savait que ça incluait des hallucinations terrifiantes, voire cauchemardesques. Ça n'en avait pas l'air mais si ça incluait le fait de la voir sans pouvoir la toucher ou lui parler alors c'était bien ce qui se rapprochait le plus de l'enfer. L'enfer sur terre.

« Allons. » Chuchota-t-elle, sa voix pleine de cristal brisant son cœur et sa peau sans merci. Il put sentir sa main se poser sur lui, mais c'était un contact bizarre, il n'était... pas vraiment là. Il savait qu'elle le touchait mais ne sentait rien, pas un simple effleurement. « Tu ne vois pas ? Comme tu es malheureux ? » Continua-t-elle. « Toi et moi on sait que ceux qui partent nous manqueront pour toujours. » Il la vit se lever du lit, marcher dans la pièce et l'inonder de son aura, une couleur vive décorant les murs, une couleur bleue, forte, puissante, rayonnante. Son odeur de fleurs glissait sur son corps endormit, il ne pouvait pas bouger, pas la suivre des yeux, et pourtant il pouvait la voir marcher dans la pièce, toucher les meubles et caresser une chemise qui attendait sur le bureau. Il put en détail la voir l'effleurer de son index, puis son majeur, sans pour autant que le tissu ne bouge d'un simple millimètre. Rien. « Mais. » Elle se tourna dans la pièce et s'assit sur le fauteuil confortable, celui près de la fenêtre. Ses jambes passèrent par-dessus l'accoudoir et elle enfonça son visage dans ses coudes pliés sur ses genoux. « Ce n'est pas normal que tu penses que ta vie doive s'arrêter parce que la mienne a pris fin. » Il voulait tant se lever, aller vers elle, lui parler, la tenir dans ses bras, la serrer fort, l'avoir encore une dernière fois juste pour lui dire comme elle lui manquait, s'endormir contre elle, sentir son cœur battre encore une unique fois. Mais rien ne bougeait, son corps était immobile. « Tu vois... j'ai pensé que si Harry revenait, peut-être que tu te rendrais compte que tu t'isoles des autres, que tu te refuses au bonheur et à toute forme de relation. Alors j'ai mis toutes les forces de votre côté... mais non. Tu es toujours aussi têtu. J'avais souvenir que c'était assez séduisant chez toi, mais c'est vraiment un défaut finalement. » Elle haussa de ses épaules en rigolant lentement. En un battement de cils, elle était debout et penchée au-dessus de lui, d'une façon vraiment maternelle et protectrice, comme si elle voulait le protéger. Elle souriait, elle était si belle. « Je pourrais faire comme dans le conte et te montrer ton Noël du passé, celui du présent et celui du futur... » Elle se redressa et tira ses bras dans son dos. « Mais je n'ai pas ce pouvoir malheureusement. » Rit-elle.

C'était à n'y rien comprendre, comment pouvait-il si facilement la voir bouger autour de lui dans la chambre alors que pourtant il ne pouvait ni bouger, ni juste ouvrir les yeux. Il ne pouvait ni former un seul mot, ni esquisser le moindre geste. Et pourtant il la voyait, comme si ses yeux étaient ouverts, comme s'il était avec elle en train de flotter dans cette pièce, en dehors du temps. « Tu ne te souviendras peut-être même pas que je suis venue cette nuit. » Soupira-t-elle. « Peut-être que tu t'en souviendras comme dans un rêve ? Peut-être que tu réentendras ma voix demain matin à ton réveil. » Elle était à nouveau allongée à côté de lui, en face de lui, souriante et sublime, le regardant avec douceur. « Peut-être que tu réaliseras grâce à moi... que tu mérites d'être aimé. Que tu as le droit d'aimer, et d'être aimé à nouveau. » Elle fit un petit rire et s'approcha un peu plus de lui dans le lit. « Tu sais que tu mérites d'être aimé Louis, tu en as le droit, je ne veux pas que tu te l'interdises. Je sais... que je t'ai laissé seul, et peiné. Mais ça ne veut pas dire que tu dois le rester. » Chuchota-t-elle. « Je suis tellement triste de te savoir ainsi. » Elle était si proche de lui. Pourquoi ne pouvait-il pas sentir son corps, sa présence, leur contact, alors qu'elle semblait juste là, dans le creux de ses bras. « Je ne vais pas t'en vouloir d'aimer une nouvelle personne, je ne veux que ton bonheur moi. Ce n'est pas parce que tu laisses une nouvelle personne t'aimer, ou que tu aimes une nouvelle personne que je vais disparaître, que notre histoire n'est pas réelle, qu'on ne s'est pas sincèrement aimés. » Elle était nichée entièrement contre lui. La lumière bleue et mystique semblait s'atténuer lentement, il eut envie de penser que c'était... comme si elle s'endormait. « On était réels mon amour, j'étais réelle, on s'est aimés fort... et maintenant c'est fini. » Sa voix était toute faible et son corps si proche de lui, juste là. Il voulait la serrer dans ses bras, il voulait pleurer. Se dire qu'il se réveillerait et qu'elle serait là, que tout ça n'aurait pas existé. « Laisse Harry t'aimer, tu sais que tu en a envie. Pour commencer, il est mieux que ta dernière relation, c'était une vraie conne celle-ci, t'as vraiment des goûts nuls quand tu t'y mets. » Ça sonnait tellement comme elle, comme quelque chose qu'elle dirait. « Mais surtout... il t'a déjà aimé une fois dans ta vie, à une époque où tu avais besoin qu'on t'aime et il a réussi à t'atteindre. Et tu en as à nouveau besoin. Ne le repousse pas pour moi. Ça me fait mal de te voir t'interdire quelque chose dont tu as envie et qui te fait du bien pour moi. Je veux être un souvenir heureux... pas un bagage lourd à porter. » Elle leva son visage vers le sien. Ils étaient si proches, mais il ne sentait pas sa respiration, ni sa main quand elle tomba dans son cou, ni le baiser qu'elle laissa sur son front. « Je sais, tu dois penser que je l'ai mis moi-même sur ta route, mais en fait vous n'avez pas eu besoin de tant d'aide que ça. Il allait venir ici, je lui ai juste ouvert la voie, je l'ai guidé vers cette maison, vers la clinique, vers toi. Pour vous. Mais tout se serait fait tout seul, c'est un peu le destin je pense. » Elle pouffa et la lumière fut plus vive une seconde avant qu'elle ne baisse à nouveau en intensité alors qu'elle fermait ses yeux, ses épaules se soulevant pour laisser croire à un soupir qui n'eut jamais lieu, même alors qu'il l'entendit passer ses lèvres. « Il faut que tu me laisses partir Louis. Il ne faut pas que tu aies peur. » Souffla-t-elle. Et la lumière s'éteignit. Il faisait noir, le silence dans la chambre était terrible et déchirant, aussi puissant que la douleur dans son cœur. « Je vais m'en aller maintenant... d'accord ? » Il ne voulait pas qu'elle parte. Pas encore. « Je sais que tu m'aimes. Je sais que je te manque. » Sourit-elle. « Je vais aller voir Liv avant de partir, d'accord ? Et, au fait... tu es un bon père. Olive a beaucoup de chance de t'avoir. Et tu as de la chance de l'avoir aussi. Fais-lui plus de câlins s'il te plaît. » Il put sentir sa présence s'éloigner, sa chaleur imaginaire s'éloigner, s'élever et partir. Il fut là, le seul contact qu'il fut sûr de ressentir. La main, la caresse, tendre, douce, le long de sa pommette. Il la reconnaîtrait toujours. C'était elle.

Il se redressa dans le lit, vite, fort, essayant d'attraper le dernier soupçon de sa présence dans le vide, et quand ses yeux s'ouvrir pour ne trouver que son corps affalé au milieu du lit toujours fait, il faisait jour. Il n'avait pas fermé les volets apparemment et voilà que le soleil du matin perçait sa fenêtre et ses rideaux pas assez opaques, pour venir courir sur son corps et son lit. Il observa en silence la chambre autour de lui, la chemise sur le bureau, le fauteuil près de la fenêtre. Est-ce que ça n'avait été... qu'un rêve ? Il n'était pas sûr. Sûr de quoi ? Les dernières images si précises dans sa tête commencèrent à s'évader et devenir volatiles. Ce n'était vraiment qu'un songe ? Le sentiment de profonde tristesse, d'amour infini, tout ça à cause d'un rêve ?

Il attrapa sa tête avec une de ses mains et s'extirpa de son lit, complètement déboussolé. Il ne savait plus quel jour on était, quelle heure il était, il n'en savait rien, il était dans un monde parallèle.

Il trouva Olive dans la cuisine, tenant un bol dans une main et un paquet de céréales dans l'autre. Elle lui fit un sourire fatigué. « J'ai rêvé de maman cette nuit. » Lui dit-elle.

« Ah, toi aussi ? » Il frotta ses yeux fort pour essayer de bien se réveiller et alluma rapidement la machine à café. Il se tourna vers Liv alors qu'elle remplissait son bol avec les céréales, attrapant ensuite la bouteille de lait qui attendait à côté d'elle. Il poussa un soupir et donna un dernier regard vers la rue avant de partir à la salle de bain.

Quand il en ressortit un peu plus tard, ce fut simplement pour trouver Liv debout dans le salon, fixant bêtement la fenêtre qui donnait sur la rue. Son bol était posé sur la table basse et elle tenait la télécommande dans sa main, signifiant qu'elle s'était arrêtée en plein dans une action, comme surprise. Il fronça ses sourcils et oublia alors son café pour s'approcher d'elle. Il dût faire un son qui attira son attention parce qu'elle pointa son doigt vers le bord de la fenêtre et se tourna vers lui. « Y'a un avion en papier là. » L'information le frappa aussi fort que s'il s'était pris une vitre, ce qui aurait pu réellement arriver si on considérait la vitesse bien trop extrême avec laquelle il avait accouru à la fenêtre pour trouver, posé là à l'abri de la neige, un avion en papier de couleur jaune. Il leva ses yeux vers la maison d'en face mais n'y vit aucun mouvement, rien qui aurait pu lui indiquer que Harry était dans les parages.

Il baissa à nouveau son regard vers le pliage et ouvrit finalement la fenêtre, laissant s'engouffrer le froid de l'hiver dans la maison. Il attrapa le petit avion entre ses doigts, il était complètement glacé mais pas humide pour autant, laissant bien comprendre qu'il avait été posé ce matin. Il ne savait pas trop ce qu'il ressentait à ça. À l'idée de Harry venant et posant un avion avant de repartir. C'était bizarre mais en même temps ça ne le dérangeait pas, il trouvait ça curieux et touchant.

Il referma la fenêtre et s'empressa d'ouvrir l'avion pour y lire la nouvelle phrase, sûrement en réponse directe au message qu'il lui avait rendu la veille. Une boule s'installa dans sa gorge alors qu'il ne restait plus qu'un dernier pliage à défaire, comme s'il angoissait. Il était nerveux. Il releva finalement le dernier battant et déglutit avec peine en centrant son attention sur les petits mots écrits là.

te laisser.

Le laisser. Harry... avait peur de le laisser. Il avait peur de faire ce que Louis lui demandait. Était-ce sa façon de lui dire qu'il n'abandonnerait pas ? Il mordit sa lèvre et leva ses yeux vers la maison d'en face, vers la fumée s'échappant de la cheminée. « Ça va papa ? » Il se tourna dans un sursaut vers Olive, assise sur le canapé et il sourit en hochant la tête. Il repartit lentement vers la cuisine et s'observa en silence dans le reflet que lui renvoyait une casserole pendue à un crochet. Il poussa un soupir et tira sa lèvre à nouveau entre ses dents, laissant tomber son regard vers la feuille jaune entre ses doigts, fixant les mots, la belle écriture, gracieuse et sublime. Il pesa le pour et le contre. Il n'en trouva pas. Pas un contre, pas un pour. Il n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire, il était perdu, dans la lune, pas assez attentif. Et c'était peut-être pour ça qu'il attrapa un stylo pour écrire quelque chose d'autre sur la feuille pour la plier à nouveau en suivant les traces déjà présentes. Ou alors c'était parce qu'il avait fait un rêve doux et agréable qui avait laissé quelque chose de sucré dans ses veines.

~

« Meuh meuh. » Ricanait Liv dans le salon. « Je suis venu donner un cadeau au bébé avec mes deux copains. » Il se pencha dans l'encadrement de la porte de la cuisine pour le regarder, assis au pied du sapin. Il savait qu'il n'avait pas le droit et pourtant ça ne semblait pas vraiment le déranger d'être là, ouvertement sous son nez, en train de faire ce qu'il lui avait formellement interdit. Harry poussa un bref rire qui attira l'attention du petit garçon.

« Je ne te gêne pas ? » Lui dit-il. « Tu sais très bien que tu n'as pas le droit en plus. » Livio prit un air coupable en reposant les rois mages à leur place, se levant ensuite du sol où il était allongé sur le ventre. « Si tu veux t'amuser, tu peux aller dehors. Tu veux qu'on fasse un bonhomme de neige ? » Trois secondes, peut-être quatre, c'est le temps qu'il fallut à Liv pour partir en courant vers le porte-manteau pour récupérer sa veste et ses petites boots bien rangées le long du paillasson de l'entrée. Il avait beaucoup trop d'énergie, parfois il se demandait comment même ça pouvait être possible avec un père comme celui qu'il avait. Il roula ses yeux avec amusement en l'attrapant rapidement avant qu'il ne sorte et ne se jette dans la neige. Il le ferait de toute façon, mais il tenait à pouvoir être là quand il commencerait à pleurer parce que c'était froid. Livio était drôlement prévisible, mais c'était ainsi uniquement parce que Harry était habitué à ses idioties.

Il faisait particulièrement froid aujourd'hui, mais le paysage était assez agréable. La neige n'était pas tombée en quantité incroyable, tristement, mais c'était suffisant pour recouvrir les sols et le sapin décoré de Louis. Il aimait cette ambiance. Il sourit en se tournant vers Liv et évidemment, il le trouva déjà allongé par terre, et évidemment il se leva pour commencer à râler parce que la neige, spoiler, était froide. Il savait qu'il ne pouvait pas en attendre beaucoup de la part d'un enfant de quatre ans, mais il se demandait si Liv ne brisait pas des records parfois, aussi fort pouvait-il l'aimer. « J'en ai dans mon pantalon ! » S'exclama-t-il.

« Bah il fallait réfléchir avant de s'allonger par terre aussi. » Lui dit-il en rigolant et s'approchant de lui pour agiter son vêtement et chasser la neige. « Aller. » Dit-il ensuite en sortant, attrapant les moufles pendant aux manches de la veste de son fils. « Mets-les pour qu'on commence ce bonhomme de neige. »

« Ouais ! » Une fois les moufles enfilées, Livio partit, les mains en l'air pour attraper de la neige et espérer en faire une boule. Bien entendu, il allait assez vite se désintéresser de cette idée pour faire autre chose, Livio avait trop d'énergie à revendre et trop peu de concentration, il avait juste besoin d'être dehors pour faire passer toute cette énergie.

Harry sourit en le regardant courir et poussa un soupir, il allait falloir qu'il pense à lui acheter des jeux d'extérieur, peut-être un toboggan ou une balançoire, quelque chose pour qu'il puisse extérioriser ce qui ne demandait qu'à sortir. Il observa, en se disant cela, son bambin courir partout dans la cour. Il commençait déjà à lancer de la neige au-dessus de sa tête en rigolant et Harry ne put que rigoler de le voir ainsi. Il était adorable.

« Harry ! » Ses yeux se détachèrent de Liv pour monter vers la personne qui l'appelait dans la rue. À son immense surprise, ses yeux tombèrent sur la personne qu'il s'attendait le moins à voir. Louis se tenait sur le trottoir, emmitouflé dans sa veste, un bonnet sur la tête, grelottant. Il ne sut même pas quoi lui dire tant la surprise le prenait à la gorge, il ne dit même rien, se contentant de le regarder. Il le vit lever une main, ses doigts fins semblant encore plus petits que d'habitude dans cette manche épaisse et large, il tenait entre son index et son pouce l'avion en papier qu'il avait déposé devant sa fenêtre juste plus tôt sur un coup de tête. Il retint son souffle en le regardant le lancer, passer par-dessus la petite haie pour venir vers lui. Il tendit sa main pour l'attraper, manquant de tomber en avant quand il voulut empêcher le papier de tomber à pic dans la neige sur le sol.

Son regard se focalisa à nouveau sur Louis qui attendait patiemment, ses joues rosissant dans le froid ou l'embarras ou le mélange agréable des deux, le fait qu'il ne réponde pas à son contact visuel lui laissait bien penser qu'il y avait cependant plus de cette seconde option que d'autre chose. Il baissa son visage vers sa main, focalisant son attention sur le papier coloré, et il racla sa gorge en le dépliant lentement. Sous la phrase qu'il avait inscrit ce matin, Louis avait ajouté de nouveaux mots, et avant même qu'il ne les lise il sentit un soulagement, parce que le contact était revenu, ils avaient renoué, de la même façon qu'avant, qu'au début, à leur façon, en se glissant sous la surface, sous la carapace. Louis... ne voulait plus le repousser.

l'oublier. Il lut les mots sur le papier et leva à nouveau ses yeux vers Louis qui, honteux, observait autre chose. Il le savait déjà, Louis avait peur du changement, avait besoin d'équilibre, et donc peur de laisser partir un fantôme de sa vie passé. En perdant le pilier central de sa vie il n'avait plus qu'un équilibre précaire qui reposait sur ces souvenirs, l'omniprésence d'un fantôme. C'était pour cela que, même son deuil fini, il était si dur pour lui de simplement laisser partir les choses. Il le savait.

« Tu veux... entrer boire un chocolat chaud ? » Proposa-t-il pour essayer de le rassurer, lui montrer qu'il acceptait ça, qu'il n'y avait aucune raison qu'il ait honte de ressentir ça.

« Peut-être... peut-être un autre jour. » Mais il supposa que Louis avait tout de même honte. Il ne dit rien. Il pinça ses lèvres et hocha la tête, avant de lentement regarder Louis faire demi-tour pour repartir vers chez lui. Sans un seul mot. Et Harry resta là, à l'observer de loin. Mais tout irait bien, il était confiant, parce que Louis avait enfin décidé d'accepter que Harry allait l'aimer.

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