❅-12 Décembre-❅

(5380 mots)

« Liv ! Allez Liv, dis maman ! » L'image se centre sur le visage rond du bébé dans le trotteur. « Comme tout à l'heure : 'Ma-man' » Une voix rit. Elle vient de derrière l'objectif. Le bébé tend sa main vers l'image, ses petits doigts essayant d'attraper la caméra. « Allez mon bébé, s'il te plaît. 'Maa-man' ! »

« Elle n'a pas l'air d'avoir envie. » L'image tourne soudain et un zoom approche du visage de Louis qui sourit depuis le canapé où il est assis.

« Mais puisque je te dis qu'elle l'a dit tout à l'heure. » Contredit-elle.

Louis fronce son nez et son regard quitte le bébé pour se diriger vers la caméra, ou plutôt vers la personne qui la tient. « Je pense encore que tu as cru l'entendre le dire. » Taquina-t-il.

« Non non ! Je suis sûre qu'elle a dit maman. » Continue la femme. Louis roule ses yeux avec amusement, un sourire aux lèvres. Il s'apprête à répondre mais on lui coupe malheureusement la parole.

« Pa..pa. » Ses yeux s'arrondissent et l'image se précipite vers le bébé. Elle regarde Louis et tend sa main vers lui. « Papa ! » Répète le bébé en riant.

Louis serrait ses lèvres, retenant son souffle. Les larmes dégringolaient sur ses joues, il ne pouvait même plus les arrêter. Ça faisait si longtemps qu'il n'avait plus pleuré devant une vieille vidéo. Certains auraient pu dire qu'il se faisait du mal, mais il avait l'impression d'avoir besoin de pleurer, de sortir tout ça de lui. « Elle a dit papa ! » Un sanglot silencieux le remua sous la voix de sa femme. Ça faisait si longtemps qu'il ne l'avait pas entendu. Ça faisait mal. « Bravo Liv ! Bravo ! » La vidéo s'arrêta et Louis renifla en levant ses yeux vers son radio-réveil. Il était presque deux heures du matin. Que fichait-il ? Il réalisait qu'il n'avait pas pensé à elle récemment alors il regardait des vidéos pour se faire souffrir ? Il n'était pas complètement con parfois ? Essayait-il de se punir de ne pas avoir pensé à elle ? Se punir d'avoir trouvé ça agréable d'être libre, de ne pas trop penser à elle ? Est-ce que c'était normal ? De ne plus penser aux gens qu'on avait aimé, qu'on aime, et qui nous ont quitté ? Il avait l'impression de ne plus avoir de cœur. L'impression que ce n'était pas normal. Que quelque chose n'allait pas. Il fallait qu'il continue à penser à elle, elle avait été réelle, elle avait compté, elle ne pouvait pas juste s'effacer, il ne pouvait pas oublier qu'elle avait été là à un instant, il ne pouvait pas la laisser partir.

Et pourtant. Il était allé au grenier sans une seule seconde regarder ses affaires dans le coin de la pièce. Il avait cessé de préparer des fleurs pour elle. Il n'avait pas encore sorti la bougie prévue pour elle. Il ne pensait plus à elle. Quelque chose n'allait pas, n'est-ce pas ? Ce n'était pas normal n'est-ce pas ? Il ne pouvait pas oublier la femme de sa vie, celle qu'il avait épousé, celle qu'il avait aimé si longtemps, la mère de sa fille, sa femme. Comment pouvait-il être en train de laisser les choses lui prendre les souvenirs de son existence, les traîner par terre pour les ensevelir sous la poussière grossière qu'était son présent dans son esprit. Et surtout, comment avait-il pu trouver cela agréable ? Ne pas penser à elle, vivre sa vie tranquillement, comme si elle n'avait pas quitté ce monde, cette terre, en le laissant tout seul avec leur fille de seulement six ans. Comment est-ce que ça pouvait être si... simple ? Il avait mal. Elle lui manquait. Non ?

Il n'y avait qu'une seule réponse à tout ça. C'était Harry. Il entrait dans sa vie, et il remplaçait les souvenirs heureux qu'il avait. La dernière fois qu'il avait fait des pains d'épices avec quelqu'un ça avait été elle, et c'était pour ça qu'il n'avait plus été capable d'en manger, et maintenant Harry était là, et il faisait du pain d'épices avec lui, il en mangeait même, le cœur léger. Il lui avait pris le rituel des fleurs. Il ne pouvait pas laisser ça arriver. C'était la première fois que quelqu'un lui faisait ça, et il ne voulait pas, il avait toujours vécu ses relations sans avoir besoin de repousser ses souvenirs, pourquoi cela changerait ? Il ne pouvait pas rester ainsi, il ne voulait pas... la perdre à nouveau. Tout ça, c'était tout ce qu'il lui restait d'elle.

Ses yeux scrutèrent sa réflexion transparente dans la vitre noire, les nuits hivernales devenaient de plus en plus sombres, de plus en plus noires. Il avait le sentiment que c'était cette même nuance de noir qui dormait en lui, dans son cœur. Il fallait qu'il fasse quelque chose, les choses devaient revenir dans l'ordre et l'ordre ce n'était pas ça.

Il ferma l'ordinateur portable pour le pousser sur le côté vide de son grand lit. Ça aussi il avait arrêté de le faire depuis quelques jours, parce que normalement, chaque soir il se couchait en observant ce vide, pour se rappeler que plus jamais elle ne serait là, il en avait pris l'habitude peu après son décès pour se faire une raison et pour espérer en même temps que tout n'était qu'un rêve. Maintenant il regardait ce vide et essayait de visualiser sa silhouette. Parfois il pouvait presque prétendre qu'elle était là, il pouvait presque sentir sa main caresser sa joue. Et ça faisait maintenant quelques jours qu'il ne le faisait plus. Ce n'était pas normal.

Sa respiration devint tremblante alors que les larmes dans ses yeux voulaient sortir à nouveau. Il tira la couverture jusque sous son nez et fit son possible pour tomber dans le sommeil. La fatigue l'avait engourdi à cause de toute cette peine, et ce ne fut pas vraiment difficile de quitter son état de conscience. Il ne s'en rendit pas compte à dire vrai, c'était ce genre de nuit où on ne dormait que par micro-sieste, sans faire le moindre rêve, sans réaliser le sommeil, se contentant de regarder le ciel quand on était réveillé. Pour faire court, c'était une mauvaise nuit.

Ça se vit apparemment beaucoup sur son visage à en croire le rire un brin moqueur que Harry lui offrit quand il entra dans la voiture. « Rigole pas. » Râla-t-il avec mécontentement en cachant son visage entre ses mains. « J'ai passé une horrible nuit de merde. » Harry poussa un autre rire en se tourna vers l'avant, levant un instant ses yeux vers le rétroviseur interne. Il suivit ses yeux pour sourire à Livio assis dans son rehausseur à l'arrière.

« On dépose le champion à la crèche et après on file. » Clarifia son voisin, et il hocha de la tête. Ce n'était pas comme s'il pouvait discuter, ou comme si ça le dérangeait. Ça lui fit même étrangement plaisir d'être une partie de ce petit quotidien, cette charmante vie que Harry menait avec son fils. Faire partie de ça était comme un privilège, être dans cette familiarité, c'était bien, faire partie de quelque chose de plus grand que lui et sa fille, avec quelqu'un d'autre, une relation extérieure. Ça écarta même un instant tout ce qui avait obscurcit son cœur cette nuit. Presque.

~

Harry appréciait grandement le fait de pouvoir flirter avec Louis sur son lieu de travail, c'était une vie charmante qu'il menait, il avait l'impression que toutes ces années entre eux n'existaient plus, c'était comme s'ils avaient tout reprit là où ils s'étaient arrêtés. Il était sûrement le seul à voir les choses ainsi, mais il était heureux tout de même et rien ne pouvait lui retirer ce sourire des lèvres, il allait faire un peu de shopping de Noël avec lui, il avait prévu de lui offrir un café pendant leurs achats, il avait envie de se rapprocher de lui, peut-être lui tenir la main aussi. Il avait aussi prévu de peut-être lui annoncer qui il était, enfin, sérieusement. Il aimerait si bien pouvoir parler avec lui de ces vacances, pouvoir se souvenir du bon vieux temps, voir si leur relation avait été aussi belle pour Louis qu'elle l'avait été à ses yeux, s'ils fonctionneraient aussi bien que dans ses souvenirs.

Il avait l'impression que ses journées s'enchaînaient trop vite, ça faisait déjà une semaine qu'il était ici et une semaine qu'il était genoux à terre, perdu dans son affection pour Louis, comme si le retrouver avait juste ramené ses sentiments de l'endroit où ils avaient été cachés tout ce temps. Il marchait sur son petit nuage, dans sa série télévisée personnelle, au milieu de son propre film de Noël. Il avait l'air idiot, mais il n'en avait rien à foutre. Il n'en avait rien à foutre que tout le cabinet lui assigne une drôle de réputation parce qu'il avait la vilaine manie de se mettre dans l'encadrement de son bureau, observant tranquillement Louis et lui faisant régulièrement des clins d'œil quand il faisait des allers et retours à la salle d'attente. Il ne discutait pas beaucoup avec ses collègues, mais il savait qu'ils parlaient un peu de ça, de lui, d'eux.

Ça lui était plus ou moins égal ce qu'ils pouvaient dire, et c'était sûrement pour ça qu'il passa tranquillement à côté du bureau, parlant de façon aisée et décontractée, son ton un peu fort, juste assez pour que Louis l'entende. « Je vais chercher Liv et je reviens ensuite. » Pour l'avertir. Louis lui fit un sourire, assez doux et simple, pour montrer sa compréhension, et ça lui permit de voir que lui non plus ça ne le dérangeait pas ce qu'on pouvait raconter dans le cabinet. Louis lui fit un petit signe de main ensuite avant qu'il ne sorte et il resta encore un peu sur son petit nuage. Il eut presque peur d'avoir un accident de voiture tant il était comme simplement ailleurs, dans un monde parallèle. Louis lui faisait avoir des comportements dangereux de toute évidence, et pourtant c'était comme s'il n'en avait rien à faire.

« Papa pourquoi t'es beaucoup content ? » Il leva ses yeux vers Liv dans la voiture quand ils furent sur le chemin pour le laisser à Olive qui devait déjà être prête à venir le garder. Il sourit et haussa une épaule en s'arrêtant devant leur maison.

« Pour des raisons de grands. » Il lui fit un clin d'œil en sortant ensuite de son véhicule, en faisant le tour pour faire sortir son fils. Liv sauta de la voiture en plein dans un tas de neige sur le trottoir et il ne pensa même pas à le reprendre, il était occupé par son propre bonheur. Il teint la main du garçon quand même pour qu'il ne commence pas à prendre toute forme de confiance et décide de se jeter dans d'autres tas de neige. Il partit vers la maison et très vite ce n'était plus de la neige dont il fallait se méfier mais bien d'Olive qui venait tout juste de traverser la rue. Liv commença à déraper sur place sur le verglas pour essayer de rejoindre sa super meilleure amie, et heureusement il le tenait bien. Olive rigola en arrivant, agitant ses doigts vers lui pour le saluer, un grand sourire aux lèvres.

« Me voilà, comme promis. » Annonça-t-elle. Elle avait un petit sac avec elle, elle avait sûrement dû y mettre sa console de jeu et son téléphone portable pour s'occuper un peu pendant que Liv jouerait ou regardait un film. « Je suppose que je vais devoir le faire manger avant que vous ne reveniez ? »

« Si ça ne te dérange pas. » Il ouvrit la porte en lui adressant une petite moue embêtée. La jeune fille secoua sa tête en riant, frappant ses chaussures sur le paillasson avant d'entrer quand il le lui indiqua.

« Non vous savez moi j'adore Liv et m'occuper de lui, ça ne me dérange pas et puis... je le garde pour que vous puissiez sortir avec mon père et ça... c'est un vrai bon côté. » Il entra avec elle et s'accroupit pour retirer sa veste à Liv, ainsi que son bonnet de laine. Il leva un regard un peu interrogateur vers Olive. « Mon père a besoin de voir du monde, ça fait des années qu'il ne sociabilise plus vraiment, et je sais qu'avoir au moins une personne proche de lui, et plus proche que comme un simple collègue... peut lui faire du bien. » Conta-t-elle en retirant sa veste, ses yeux bleus observant le sol avec attention, comme si elle était perdue dans ses pensées. « Merci d'être là, et de vous accrocher à lui. » Elle se tourna vers lui en souriant et il pinça ses lèvres. C'était vrai que finalement, avoir une place importante dans la vie de Louis allait être un peu difficile, il avait oublié cette partie. Mais maintenant qu'il était si loin, il était prêt à tout. « S'il vous plaît... ne le laissez pas partir, c'est la première fois qu'il s'attache aussi fort à quelqu'un depuis maman. »

Par-delà ses paroles complètement ancrées dans ses pensées, c'était aussi le regard d'Olive qui le poursuivit sur le chemin du retour, franc, fort. Plantés en lui tels deux pieux en son âme. Elle était sérieuse. Il ne savait pas trop ce que ça signifiait pourtant. Ne le laissez pas partir. Louis n'avait pas l'air d'être prêt à partir. Ce serait soudain et incompréhensible, ils commençaient tout juste à être proches. S'il partait maintenant ce serait inattendu, inopiné, et injustifié à ses yeux. Et c'était bizarre par conséquent qu'elle dise pareille chose, comme si Louis était du genre à fuir et qu'elle en était consciente. Le vrai hic, c'était que Louis n'aurait aucune raison de fuir, pas maintenant.

Il fit son possible pour mettre ces interrogations sur pause quand il récupéra Louis qui l'attendait, les joues aussi rouges que le bout de ses doigts, sur le bord de la route dans son manteau, son écharpe bien enroulée autour de lui et caché sous son bonnet. Il avait l'air franchement adorable et il ne put retenir son sourire quand il se stoppa devant lui, le regardant sourire, heureux de ne plus être tout seul. Il entra vite dans la voiture et aussi vite Harry démarra pour partir vers la zone commerciale. L'avantage d'une ville comme Londres c'était bien que ses galeries marchandes étaient ouvertes assez tard, ils avaient donc pas mal de temps devant eux.

« Désolé je t'ai fait attendre. » Dit-il en regardant Louis frotter ses mains et souffler dedans. Celui-ci sourit et secoua sa tête en les tendant vers le radiateur.

« Pas ta faute, je suis juste frileux de nature. » Expliqua-t-il. « Je suis bien content qu'on aille quelque part où il fait chaud ! » Harry rigola joyeusement pour le suivre.

« Alors, qu'as-tu besoin d'acheter ? » Demanda-t-il afin d'avoir une idée d'où ils iraient, de combien de temps ça durerait pour savoir s'il allait devoir s'encourager à attraper sa main longtemps ou non.

« Eh bien... je dois encore acheter le cadeau de ma belle-sœur, et celui de mon père, puis je dois aussi passer faire un tour pour mon plus jeune neveu. » Expliqua Louis en comptant sur ses doigts. « Et toi ? »

« Un pour ma mère, un pour mon père. J'ai déjà celui de ma sœur. » Compta-t-il à son tour. Louis se tourna vers lui.

« C'est vrai que tu as une sœur, tu me l'avais dit jeudi dernier. » Se rappela l'homme en hochant de sa tête. « Elle n'a pas d'enfant c'est ça ? » Harry fit un sourire.

« C'est ça. » Confirma-t-il. Il n'avait pas une très grande famille contrairement à Louis. Il savait que celui-ci avait une sœur mais qu'elle vivait très loin, étant partie il y avait très longtemps vers un autre pays. Elle était bien plus âgée que Louis s'il se souvenait bien. À dire vrai Louis ne lui avait pas encore parlé d'elle, il s'en souvenait simplement parce qu'elle était déjà partie de la maison l'année où ils s'étaient rencontrés. Louis était le plus jeune de sa fratrie de trois, mais il n'était officiellement pas encore au courant, Louis ne lui avait parlé que de son grand frère et des trois neveux que celui-ci avait engendré. Il ne lui avait pas parlé de sa sœur, et de ce que sa vie avait pu devenir maintenant, en vingt et une années. Il ne la voyait sûrement pas vraiment, il ne savait plus vraiment où elle était partie mais il supposa que Louis n'avait jamais été très proche d'elle.

Harry lui était loin d'avoir une vie de famille compliquée. Il avait une sœur qui avait deux ans de moins que lui. Elle vivait toujours là-haut, près de Newcastle avec leurs parents. Elle n'avait pas d'enfant et ne comptait pas en avoir. Elle n'avait pas de petit-ami, et ne comptait pas en avoir non plus. Elle vivait pour son travail, elle était épanouie, indépendante. Il n'était pas spécialement proche d'elle, ils n'étaient pas non plus comme deux étrangers ou quelque chose comme ça, ils n'étaient juste pas proches. Il savait qu'il pouvait compter sur elle et elle sur lui, mais ils ne parlaient pas souvent du beau temps et de la pluie, ils ne se disaient pas spécialement grand-chose. Contrairement à Louis, qui semblait très proche de son grand frère.

Il y avait beaucoup de monde et d'agitation dans les galeries, ce qui était plutôt normal à une telle période de l'année. Tout était superbe cependant et les lumières colorées vendaient du rêve, alors foule ou pas, il était tout de même heureux d'être ici, surtout avec Louis dans ce qui ressemblait à un décor de film, surtout quand tout se reflétait parfaitement dans les yeux bleus de Louis. Oui, c'était surtout bien parce qu'il était avec Louis en fait, c'était plutôt transparent. L'ambiance de Noël lui donna envie d'attraper Louis dans ses bras et de le serrer contre lui, de vivre avec des étoiles dans les yeux, de s'émerveiller avec lui sur la beauté des décorations, que ce soit lumières ou autres ornements festifs, ou sur le grand arbre de Noël dans le hall principal. Tout jusqu'au dernier détail était sublime et le bonus, c'était son rendez-vous.

« Allons-y. » Il se tourna vers Louis qui lui souriait joyeusement, semblant tout autant heureux que lui d'être ici. Il hocha de la tête et ils partirent ensemble à la chasse aux cadeaux. Et peut-être que chasse n'était pas le mot approprié parce que ça ressemblait plus à une quête semée d'embûches qu'autre chose, c'était presque difficile de pouvoir s'entendre par-dessus le brouhaha dans les halls remplis de monde. Ils réussirent quand même un peu à rigoler ensemble et discuter, de choses plutôt banales, de la couleur de certains vêtements aussi.

« Regarde ça. » L'appela Louis pendant qu'ils traînaient dans un magasin un peu moins bruyant que les autres. Il se tourna vers lui et le vit passer devant son corps une chemise avec des motifs bien plus que douteux que même Harry et son amour pour les choses colorées ne pourraient assumer. « C'est pire qu'une faute de goût. » Railla Louis en faisant une grimace et se tournant vers un miroir derrière lui. « C'est une faute tout court ! » Il reposa le cintre sur la barre prévue à cet effet. « Dire que des gens vont acheter ça alors qu'il n'y aucune façon de la rendre belle et flatteuse, quel échec. » Continua-t-il en se tournant ensuite vers une étagère, battant de sa main en arrière avec un air dépassé, il était tant dramatique et théâtral, c'était la chose la plus drôle du monde de faire du shopping avec lui.

« Tu t'y connais en mode. » Remarqua Harry en observant un sweat-shirt sympa sous ses yeux.

Louis se tourna vers lui de façon dramatique, il était assez marrant ce nouveau personnage et il ne le connaissait pas du tout. Il ne pensait pas que Louis fût sérieux mais c'était tout de même marrant. « Je ne m'y connais pas en mode, j'ai un don pour la mode. » Corrigea-t-il avec un mouvement synchro de sa tête et son index, coinçant une main sur sa hanche. « Je sais tout ce qui est tendance, tout ce qui ne l'est plus, et tout ce qui le sera, je sais arranger une tenue en un minimum de cinq minutes parce que je sais tout de suite ce qui est le mieux, paysans mets-toi à genoux parce que je suis un dieu de la mode. » Et toute cette phrase avait été dite avec tant de manières que Harry ne put qu'éclater de rire en se tenant le ventre, se penchant un peu en avant. Il était ridicule, mais ridiculement mignon et beau, c'était magique.

« Très bien monsieur le roi- »

« Le dieu ! » Corrigea Louis encore une fois en levant son index, un rictus amusé tordant sublimement ses lèvres pour signifier l'amusement qu'il ressentait à taquiner Harry. Celui-ci souffla un rire par son nez et hocha de la tête en lui faisant un signe de la main qui disait 'calme toi'.

« Oui, pardon, monsieur le dieu de la mode... Que me conseilles-tu de prendre pour mon très cher père. » Louis tapota comiquement son menton en se tournant dans le rayon.

« Qu'est-ce qu'il aime ? »

« Euh, je n'en sais trop rien, un peu tout je suppose. »

« Quel est son style ? »

« Un style... normal je suppose ? »

« Hum. »

Quand ils sortirent du magasin un peu plus tard, pas uniquement avec un cadeau pour leurs deux pères sous le bras mais aussi avec des vêtements sympas que Louis avait trouvés pour lui et pour sa fille, ce fut dans un océan de rires. Harry faisait défiler les photos qu'il avait pris de Louis dans les cabines d'essayages quand il avait essayé la série des hideuses chemises qu'ils avaient vues. Eh oui, trente-sept et trente-huit ans et ils agissaient comme deux bébés. À leur décharge, elles étaient vraiment hideuses ces chemises, et couplé au fait que, un, ils aient prit des modèles un brin trop grands pour Louis et, deux, que celui-ci ne portait pas du tout bien les chemises, les photos étaient simplement hilarantes. Il y avait matière à en rire pour les prochaines décennies, au moins.

« Tiens, si on s'arrêtait ici ? » Proposa Harry en pointant un petit café devant lequel ils passaient. Louis observa le petit commerce et les gens assis aux tables et haussa de ses épaules.

« Si tu veux. » Céda-t-il sans réfléchir, passant le premier pour aller se trouver une place à une table en arrière-boutique, assez loin de l'entrée. « Alors cette fois-ci c'est moi qui t'invite. » Louis lui lança un regard au-dessus de son épaule et lui adressa un clin d'œil avant qu'ils n'arrivent à la table. Harry rouspéta bien évidemment mais Louis ne voulut rien entendre et les voilà qui observaient la carte pour savoir quelle boisson chaude prendre.

Harry étudia un instant la situation, Louis assis en face de lui, les yeux sur la carte et une main posée sur la table. Ses yeux s'attardèrent ainsi sur ses charmants doigts repliés sur le bois laqué et il pinça ses lèvres en se décidant en silence. Il racla sa gorge en cherchant quelque chose à dire, quelque chose qui pourrait excuser le fait qu'il veuille attraper sa main, ça n'avait peut-être pas vraiment de sens, ils s'étaient déjà embrassés et le voilà qui hésitait à attraper sa main... Mais il voulait tout de même faire les choses bien, de façon réfléchie et précautionneuse. « Tu n'es vraiment pas obligé tu sais. » Chuchota-t-il en faisant tomber sa main, la laissant recouvrir celle de Louis. Il glissa ses doigts sur le bord pour essayer de l'attraper gentiment. Louis ne démontra aucune surprise. Il le vit simplement baisser ses yeux vers leurs deux mains et il resta ainsi une petite seconde de trop. Ça lui permit plutôt facilement de comprendre qu'il était mal à l'aise avec cette nouvelle idée, alors il se dépêcha de la retirer, toussant dans son poing avant de le placer sur sa cuisse sans rien dire. Il détourna ses yeux vers le côté pour prétendre porter attention aux serveurs qui marchaient entre les tables.

~

La voiture se stoppa dans la rue silencieuse. Il faisait noir dehors, les lampadaires décorés ainsi que les maisons emplies de lumières donnaient à cet instant quelque chose de confortable qui lui donna envie de rester là encore longtemps. « C'était... c'était vraiment bien aujourd'hui avec toi. » Il se tourna vers Harry qui venait juste de lâcher le volant pour déplacer son attention sur lui, assis sur le côté passager.

« Oui, moi aussi ça m'a beaucoup plu. C'était super sympa. Surtout quand on prenait les photos sur le fauteuil du Père Noël et qu'il est revenu de sa pause. » Harry pouffa en s'élançant en avant, cachant son rire sous le dos de sa main. Il l'accompagna volontiers au souvenir de l'homme en costume les observant, eux mais surtout Harry qui prenait la pose sur le fauteuil de velours. Ils avaient rigolé pendant trop longtemps après ça, presque au point de ne pas réussir à finir leurs emplettes. « On a intérêt à garder ces photos et à ne jamais oublier ça. » Souffla-t-il en tuant lentement son rire dans sa poitrine. « Merci en tout cas... ça faisait un petit moment que je ne m'étais pas amusé comme ça. » Il lui sourit et Harry retomba dans son dossier en le regardant, ses yeux calmes se reposant sur son visage et son sourire heureux et attendrit décorant ses traits. Il était beau.

« Si tu t'es amusé alors je suis heureux. » Et il le sentit à nouveau. Ses yeux se ruèrent vers le contact qui venait d'atterrir sur sa main posée sur sa cuisse. Harry venait juste d'attraper sa main, une nouvelle fois. Il tira ses doigts en arrière en pinçant ses lèvres et racla sa gorge en grattant doucement sa nuque. Il ne voulait pas lui faire de peine mais ça semblait raté.

« Désolé je... peut-être qu'on devrait... en rester là toi et moi. » Il n'osa même pas se tourner vers Harry à côté de lui, qui resta silencieux, choqué, sûrement un peu bouche-bée aussi.

Harry poussa une toux de surprise. « Quoi ? » Lâcha-t-il. « Je... j'ai... » Il marqua une pause. « Si j'ai fait quoi que ce soit qui t'a blessé je suis désolé Louis. »

Il secoua sa tête en se tournant vers la fenêtre. « Non, ne t'inquiète pas. »

« Alors... alors quoi ? Pourquoi ? On s'entend bien, on s'aime bien. Je croyais que tout allait bien entre nous je- »

« Oui, tout va bien. » Soupira-t-il.

« Alors quoi ? Quel est le problème ? » Il détourna un peu plus ses yeux pour ne pas être confronté à lui. Il avait honte de faire ça. Bien sûr que tout allait bien, mais tout allait justement trop bien. Et ça...

« Je... » Il ne sût même pas quoi dire. Il y avait trop à dire, trop à expliquer. « Ce n'est pas normal... on... on s'entend trop bien, c'est trop naturel, ça va trop vite, c'est trop bizarre je... je ne peux pas c'est... ça fait peur. » Harry marqua une surprise en se lançant rudement contre son dossier, s'accordant sûrement un temps de réflexion. Louis avait clairement le temps de fuir, maintenant, il pouvait sortir et faire tout son possible pour l'éviter ensuite. Et pourtant il resta là, comme s'il voulait laisser une chance à Harry de le retenir.

« Comment ça, ça fait peur ? » Demanda-t-il. « Ça devrait être une bonne chose que ce soit facile et naturel entre nous, ça veut dire que tout va bien, qu'il n'y a justement pas à avoir peur de savoir comment ça marcherait parce qu'on sait déjà que ça marche bien. » Il n'était pas sûr que ce fût ce qu'il voulait entendre.

« C'est trop. T'es arrivé dans ma vie et plus rien n'est pareil. Je ne veux pas de ça. » Répondit-il simplement. Harry dût enfin comprendre. Quand Louis disait qu'il avait peur du changement, qu'il avait des rituels, un quotidien auxquels il était mentalement attaché et retenu, comme à des repères et des phares dans la nuit, il n'avait pas menti et Harry venait sûrement juste de réaliser à quel point.

« Louis tu... tu ne peux pas vivre ta vie comme ça. C'est n'importe quoi enfin, les choses ne peuvent pas pour toujours rester les mêmes, tu ne peux pas vivre avec pareils tocs et névroses... » Sa voix ne démontrait que de la peine et de l'inquiétude pure, ce qui était normal. Sa mère prenait le même ton quand il était question de ses problèmes. Il savait que ce n'était pas nécessairement sain de se rattacher à tout et n'importe quoi comme ça, mais c'était sa vie maintenant, surtout depuis qu'Elle était partie, et l'idée de laisser tomber tout ça faisait peur. Il ne savait pas comment faire autrement, sans tout ça, sans ses habitudes, sans ses tocs. « Je ne te fais pas de reproches, je suis simplement inquiet, tu as peur de te donner une chance d'être heureux. » Reprit Harry.

« Je ne veux pas être heureux sans elle. » Chuchota-t-il.

« Alors... c'est ça ? Tu refuses d'être heureux à nouveau parce que tu culpabilises de vivre sans elle ? » Il baissa ses yeux une seconde mais ne répondit pas, continuant d'observer sa maison par la fenêtre passagère. « Louis je... ce n'est pas grave de vouloir aimer à nouveau, tu es resté toi, et ce n'est pas ta faute. Je ne t'en veux pas, moi, d'être allé de l'avant. » Il fronça ses sourcils et se tourna enfin vers lui.

« Quoi ? » Demanda-t-il sans rien comprendre. Ça n'avait rien à voir, il se prenait pour qui exactement.

« Louis. C'est moi. » Il fronça un peu plus ses sourcils et Harry se tourna vers la route devant lui en frappant doucement le volant. « Tu ne te souviens même pas de moi. Tu vois, je pensais que peut-être ça finirait par te revenir mais non. Même alors que j'ai fini par raviver des souvenirs en toi, toujours rien. » Il haussa ses épaules et soupira. « Il y a vingt et un ans, durant les vacances de Noël, dans les Alpes. C'était moi. » Il se tourna vers lui et il retint son souffle. Quoi ? « Tu vois... on s'est séparés et tu avais dit que je serais spécial pour toujours à tes yeux, mais toi comme moi on a fini par trouver quelqu'un, tu as même été bien plus heureux que moi, avec elle, et... je ne t'en veux pas. C'est terrifiant de se dire que la personne qu'on a aimée n'a jamais réussi à se remettre de nos adieux, qu'elle n'arrive plus à aimer et briller comme avant. » Il était pratiquement sûr d'avoir arrêté de respirer, en regardant Harry.

Bon sang. Oui. Comment avait-il fait pour passer à côté de lui ?

Sur le balcon Louis lève les yeux vers le bouclé aux yeux verts comme les sapins sombres de l'hiver, comme ceux que l'on décore de milles couleurs. « Harry ! » Sourit-t-il, empli d'affection devant les deux creux enfantins décorant les joues du jeune homme.

Harry. C'était lui. Comment avait-il fait pour ne pas le reconnaître, ses grandes mains chaudes sur ses hanches, ses lèvres, ses cheveux, son odeur. Alors Louis fit ce qu'il savait faire de mieux. La fuite. Il se pencha vers ses sacs et ouvrit la portière pour sortir, et il partit vers sa maison, priant pour que Harry ne le rappelle pas. Et il ne le fit pas. Louis ne lui lança même pas un regard alors qu'il déverrouillait la porte pour pouvoir entrer. S'il l'avait fait, il aurait simplement vu Harry le regarder, un air désolé sur son visage avant de tomber un peu mieux dans son dossier, passant ses doigts sur ses yeux.

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