Despair aurait voulu protester plus, il aurait voulu dire non. Mais les mots lui restaient coincés en travers de la gorge. Il comprit vite que c'était Dieu qui le forçait au silence.

- Ultan sera là d'une seconde à l'autre et vous irez ensemble chercher Lava et Théo

Sur ces mots, la divinité sortit de la pièce, le laissant seul, muet, et révolté. Il voulut se lancer sur les pas de l'être divin, mais ses pieds refusait de lui obéir. Il essaya rageusement de s'en aller pendant de longues minutes, mais il n'arriva à rien. Alors entra un jeune garçon aux grands yeux bleus pâle. Les cheveux bruns légèrement roux, il avait le visage couvert de tâches de rousseur. Une auréole simple et qui brillait doucement flottait au dessus de sa tête. Il s'approche de Despair et lui tendit la main :

- Je m'appelle Ultan. Théo est...mon frère....

Despair le jaugea quelques secondes sans lui rendre son geste de politesse.Il ne voulait pas aller chercher Lava. Il refusait d'encore lui causer du tort. Quasiment tout ce qui lui arrivait était sa faute.Sans lui, elle serait confortablement installée au paradis, elle aurait pu profiter de toute l'éternité pour s'entourer de gens qui comme elle était bons et innocents, elle se serait fait des voisins,des amis, peut-être un amant... la pensée de Lava heureuse main dans la main avec une âme digne d'elle qui l'aimerait comme elle le méritait, brouilla sa vision d'un rideau humide et salé. Au fond de lui une petite voix se révoltait jalousement, mais toute sa tête se détestait d'être aussi indigne d'elle.

La situation était si injuste, il réalisa à quel point sa relation avec Lava était injuste. Il n'avait rien de spécial, un petit démon misérable au fond des enfers, posé sur un arbre, à laisser les siècles s'écouler comme une machine sans prêter attention à rien,sans vraiment vivre, vide de sentiment, vide de pensées. Et lui, ça, avait eu ce privilège ultime de devenir l'ami le plus proche, le compagnon, le confident, d'une personne aussi exceptionnelle que Lava.

- Il se sentait indigne.

Il ne pouvait pas continuer comme ça, il ne pouvait pas laisser passer ça.Il ficha son regard dans celui d'Ultan.

- Je m'appelle Despair.

Ultan eut un très faible sourire. Le reste de son visage était resté immobile. Il n'y avait rien de sincère, aucune joie, dans le retroussement de ses lèvres.

- Je sais. Tu as ta petite réputation tu sais. Les gens pensent que tu t'appelles comme ça car tu apportes le désespoir sur ton chemin. Tu es vu comme un terrible démon. Ils te confondent avec Lucifer.

Il repris un air plus sérieux et enchaîna.

- Théo s'est réfugié avec Lava dans l'ancien palais du paradis. Il y a quelques millénaire, il y eu une sorte de tremblement de terre du Gris qui a décalé le centre du paradis. Rien de grave, mais pour que le palais soit vraiment le centre du paradis, on a abandonné l'ancien et construit celui-ci. Depuis il est vide et les gens n'aiment pas y trainer car ils sont trop superstitieux et les bruits qui courent disent que le lieux est « une brèche vers les enfers » c'est complètement faux bien sûr. Bref, ils s'y cachent. Mais le palais est grand. Il faut que tu viennes avec moi. C'est à 15 minutes si on prend le train et qu'on marche un peu ensuite. Viens.

Il n'attendit pas et se détourna pour sortir. Soudain un relâchement brutalement de ses jambes fit trébucher Despair en avant. Il pouvait de nouveau bouger. Ultan s'éloignait déjà. Il lui lança sur un ton défiant.

- Je refuse !

- L'ange à l'apparence d'enfant s'arrêta, puis soupira. Et une fois que ce fut fait, alors seulement il se tourna à demi vers Despair.

- Ne rend pas ma tâche plus difficile. S'il te plait.

En réponse, l'ancien démon croisa les bras et répéta.

- Je refuse.

- Et qu'est-ce que tu vas faire ?

Despair recherchait quoi répondre exactement, mais l'ange enchaîna

- Tu vas juste attendre, passivement, que Dieu se lasse, en envoies d'autres gens, plus de gens, pour les prendre de forces ? Ils sont coincés au palais. Ils savent qu'on viendra les chercher. Je te jure qu'il vaut mieux que ça soit nous que ces jeunes anges de la garde angélique, la cœur et la tête remplie à craquer de l'horreur que tu as permis, et de soif de vengeance envers les démons.

Ultan s'arrêta sur ces mots, le regarda durement alors que Despair cherchait quoi dire, quoi faire, et termina

- Maintenant viens avec moi s'il te plait. Et on limitera les dégâts une fois là-bas.

Despair baissa la tête. De toute celle qu'il avait affronté, celle-ci était probablement la pire. Comment était-il censé s'en sortir cette fois ? Mais Ultan avait raison. Alors il soupira et fit quelques pas en avant. Voyant qu'il coopérait, Ultan repris sa route, Despair dans son sillage.

Le trajet se fit dans un silence de mort. Despair autrefois émerveillé de voir un ciel bleu n'y prêtait même pas un peu attention. Ils traversèrent la ville, une ville beaucoup plus technologiquement développée que toutes celle qu'il avait connue : le paradis suivait les évolutions du monde vivant, tandis que l'enfer restait toujours à la traîne, mal relié qu'il était.

Ils prient un train, qui les amena à l'extérieur de la ville, et au milieu d'une campagne calme et verte, on pouvait voir entre les collines et les haies d' arbustes une forme irrégulière et sombre se découper.

Ils marchèrent vers la forme à travers les petits chemins entre les champs. Parfois ils passèrent entre les fermes où quelques anges les observèrent curieux mais méfiant.

Finalement, après quelques minutes, Ultan brisa le silence.

- Est-ce que tu sais pourquoi Théo ne peut pas me blesser ?

Despair pris un instant avant de répondre :

- Je ne suis pas sûr...

Alors Ultan expliqua :

- Nous sommes jumeaux, je suis mort jeune et mon âme l'a attendu, mais quand il est mort, il devait aller en enfer, moi au paradis, je l'y ai entraîné et...

Despair l'a interrompu

- Ça je sais, ça n'explique rien.

- Pardon, je vais trop dans les détails. En bref, si je disparaît ou si je suis blessé, Théo deviendrait, paradoxalement, incapable de quitter le Paradis. Je suis la raison pour laquelle il est ici, mais aussi sa clef pour en sortir.

Despair s'en fichait bien mal. Il voulait juste récupérer Lava. Il n'écouta que d'une oreille distraite et ne posa pas de question. Ultan voyant que Despair ne réagissait pas et ne lui demandait rien, changea de sujet.

- Qu'est-ce que tu ressens pour elle ? 

Cette fois, il tressaillit. Et après avoir pesé ses mots, il accepta de répondre. Il en avait tant sur le cœur, qu'inconsciemment, que quelqu'un s'intéresse à ce qu'il ressentait le touchait, et adoucissait ses réticences.

- Ça aurait pu être n'importe qui. Mais c'est moi qui suis devenu son ami. Elle a tellement fait pour moi. Je...

Il releva la tête troublé vers Ultan. Les grands yeux claires de l'ange au corps d'enfant semblait boire ses paroles sans aucun jugement. Une pointe de tristesse les hantait, mais elle y était si profondément incrustée qu'elle semblait être une caractéristique immanente à ce regard. Ultan avait les yeux couleur mélancolie, et leur douceur acheva d'abaisser les résistances de Despair.

- Je l'aime....

Puis il baissa les yeux presque honteux de l'avouer. Il se sentit contraint d'ajouter, comme une excuse

- Je sais que je ne la mérite pas...

Ultan ne rajouta rien, et Despair lui en fut reconnaissant. Il ne voulait pas entendre des réconforts ou des protestations, des belles paroles qui lui aurait dit qu'il se trompait, qu'il était digne d'elle et encore d'autres choses qui lui aurait parut creuses et fausses et ne lui aurait que rappelé sa situation et retourné le couteau dans la plaie.

Enfin, après une dizaine de minutes à pied, la forme écroulée d'un vieux château bien plus sommaire que l'actuel, rongés de lierre, s'offrit à leur vue.

- Ils sont quelque part là dedans....

Despair leva les yeux sur les tours délabrées. C'était maintenant qu'il devait agir, trouver une solutions. C'était à son tour de sauver Lava.