Chapitre 1

Mes yeux s'ouvrent, une forêt luxuriante s'offre à moi. Je vois le ciel et les rayons passer à travers les feuilles et les branches danser au rythme du vent. Je sens l'air frais caresser ma peau. Quelques feuilles mortes gisant sur le sol virevoltent au gré du chant des oiseaux. Un concert symphonique s'offre à moi, une mélodie naturelle. Je me décide enfin à me lever et pars en direction du cours d'eau le plus proche.

L'eau est encore claire et limpide. Une chance unique face à l'homme qui ravage tout sur son chemin. Mes sens en alerte, je repère le moindre bruissement des feuilles pour savoir qui je pourrais avoir pour mon repas. Je guide mes oreilles dans toutes les directions, mais rien. Je décide donc de continuer mon chemin. Je sens les brindilles craquer sous mes pattes et la terre fraîche et humide s'y coller.

Après avoir parcouru une distance suffisante, je m'arrête et recommence à guetter le moindre son et la moindre odeur qui passe sous ma truffe. Un lapin fait une erreur et je le repère rapidement. Je m'approche donc à pas feutrés, le regard fixe. D'une agilité sans nom, je saute sur ma proie et, d'un coup de dent, je l'achève. Je sens les os craquer et le sang encore chaud, au goût d'adrénaline, gicler dans ma gorge. Je me délecte de ce moment. J'étais content : ce lapin était énorme, je pourrais le dévorer en deux fois, je pense...

Sans hésiter une seule seconde, je me couche et le pose devant moi pour le dévorer. La chair est tendre et bien grasse. Je réalise que l'hiver approche : le gibier devient plus rare, mais il s'engraisse pour hiberner. D'un côté, je suis content de les manger ainsi, mais de l'autre, je sais que cela ne durera pas éternellement. Je vais passer mon neuvième hiver, seul. Je ne sais plus comment je me suis retrouvé ici. Tout ce que je sais, c'est que cela fait bien trop longtemps que je suis là. Parfois, la nuit, je revois des visages ensanglantés, sans savoir à qui ils appartiennent. Je vois aussi une voiture en feu et des corps sans vie gisant près de la carcasse. Puis le matin, plus rien : je ne sais même plus où tout cela s'est passé, ni pourquoi.

Je finis mon repas et cherche un tronc creux pour enterrer l'autre moitié du corps, je dois cacher mon repas. Je trouve enfin le trou parfait. Je creuse suffisamment pour y mettre le reste du lapin et revenir demain finir ce que j'ai commencé. Je retourne au point d'eau pour laver les traces de sang sur mes pattes et mon museau, satisfait. Je m'étends sur un petit carré de soleil et me couche, laissant la chaleur réchauffer mon pelage. Mes yeux se ferment et je plonge dans un sommeil plus profond que prévu.

Ma sieste se prolonge et je commence à ressasser le même rêve encore et encore. Je vois ces humains : une femme et un homme. Ils sont allongés près de la voiture, inconscients. Je me demande à qui appartiennent ces souvenirs. Ils sont si précis que cela en devient presque effrayant. Je me réveille en sursaut, remarquant que le ciel s'obscurcit, annonçant un orage. Je me redresse, cherchant un endroit où je pourrais me mettre à l'abri. Les oiseaux commencent à piailler et s'envolent dans la direction opposée au mauvais temps.

Je me souviens alors du lapin que j'avais soigneusement enterré. Je pars donc le chercher avant qu'un charognard ne me le vole. Mais lorsque j'arrive, il est déjà à moitié déterré et mangé. Ça me met en rogne et je retourne en direction de mon abri de fortune qui me sert de maison. Les premières gouttes de pluie tombent sur le feuillage environnant et une goutte froide me tombe sur le museau. Je frissonne et me resserre un peu plus.

Le vent se met à souffler fort, agitant les arbres, et le tonnerre gronde. La pluie s'intensifie, devenant violente. Je ferme les yeux et commence à plonger dans un sommeil sans rêve, mais un bruit, ou plutôt une voix, se fait entendre malgré la tempête. Est-ce un cri ? Est-ce un homme qui pleure ? Je ne parviens pas à distinguer quoi que ce soit dans ce chaos, juste ce cri, cette détresse, cette solitude.

Aidez-moi... ! S'il vous plaît... !

La voix se tait brusquement. Je me redresse d'un coup, recevant aussitôt la pluie sur moi. Tant pis. Je tente d'humer l'air malgré le mauvais temps. Je commence à avancer, d'abord prudemment, puis de plus en plus vite, suivant l'origine des appels.

Je m'arrête net lorsque je réalise quelque chose. Comment ai-je pu comprendre la langue humaine ? Bon, j'y réfléchirai plus tard. Je poursuis ma route et me retrouve face à face avec un homme d'une vingtaine d'années. Je le regarde : il est brun, musclé et inconscient, ses cheveux mouillés plaqués sur son front. Son visage est couvert de boue et d'eau. Je n'ose pas m'approcher : je ne le connais pas et puis, c'est un... Homme. Je remarque alors, horrifié, une blessure par balle au niveau de son abdomen. Pourtant, je n'ai entendu aucune détonation.

Il tressaille, grelotte, il est en train de mourir. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai envie de l'aider... mais comment ? Je connais peu de choses en médecine naturelle, je ne me suis jamais fait aussi mal. Il faut que je le déplace. Je le prends par la ceinture de son pantalon. Car oui, il est torse nu. Heureusement, il n'est pas très lourd. Je le transporte jusqu'à ma tanière et commence à le nettoyer. Je prends des toiles d'araignée et prépare un cataplasme de feuilles de prêle et de verge d'or. Cela devrait arrêter le saignement et désinfecter la plaie.

Une fois le mélange prêt, je l'applique doucement sur la plaie. Heureusement, j'ai appris cela d'un groupe de chats, et en particulier d'un d'eux que l'on appelait "guérisseur". Cela remonte à bien des saisons.

L'homme bouge enfin.

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